Jacques Beauchemin, “La question nationale québécoise: les nouveaux paramètres de l'analyse

“La question nationale québécoise: les nouveaux paramètres de l'analyse” (1998)
Introduction

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jacques Beauchemin, “La question nationale québécoise: les nouveaux paramètres de l'analyse”. Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vol. XXXIX, no 2-3, 1998, pp. 249-269. Québec: Les Presses de l’Université Laval. [Autorisation accordée par M. Jacques Beauchemin le 5 janvier 2004 de diffuser cet article.]

Introduction

Le contentieux au fondement de la crise politique larvée dans laquelle se trouve le Canada depuis sa fondation est évidemment celui de la reconnaissance politique du Québec en son sein en tant que nation ou, dans la version édulcorée du problème, en tant que société distincte. Nous avons l'habitude de débattre de cette question, mais nous ne réalisons pas toujours que les termes de la discussion se sont imperceptiblement transformés à la faveur des mutations qui traversent aujourd'hui le destin des nations. Ainsi, à part les incidences du libre-échange nord-américain sur l'avenir du Québec (LACHAPELLE, 1995), la sociologie de la question nationale n'a pas pris toute la mesure de ces mutations et continue pour l'essentiel d'aborder le cas du Québec dans l'unique perspective du fédéralisme canadien, de ses empêchements et du jeu des rapports de forces qui le traverse.

Or, la mondialisation et le passage au néolibéralisme font en sorte que la résolution des conflits internes est maintenant soumise à des déterminations qui transcendent les espaces nationaux. On songe, par exemple, aux effets sociaux des mesures d'austérité décrétées par le FMI dans plusieurs pays sous-développés (BELLO et CUNNINGHMA, 1994). De même, les alignements budgétaires et les manipulations du taux d'intérêt auxquels sont contraints les pays développés dans la perspective d'une plus grande compétitivité ne constituent que la pointe de l'iceberg de la perte d'autonomie des États-nations (BERNARD, 1997, pp. 169-171). J'avance donc l'hypothèse selon laquelle le contentieux canadien se réarticule à l'heure actuelle en raison de l'éclatement de la référence à un univers national canadien autocentré. La question du Québec ne se pose plus alors dans le cadre circonscrit et contrôlable de l'espace national canadien, mais sur l'horizon de la mondialisation dont les déterminations et surtout les conséquences ont été assez largement mises en lumière depuis quelques années (BOYER et al., 1997 et Groupe de Lisbonne, 1995).

Je voudrais esquisser très rapidement et de façon malheureusement un peu superficielle, l'influence de ces nouveaux paramètres sur l'analyse sociologique de la crise politique canadienne en mettant en lumière les nouveaux discours politiques (l'anti-nationalisme et la valorisation du droit et de la démocratie, en particulier) apparus avec les transformations des sociétés modernes contemporaines. Il semble, en effet, que les sociétés avancées voient l'élaboration de leur discours politique « intérieur » obligé de prendre en charge des problématiques largement définies par les transformations structurelles (la mondialisation) et conjoncturelles « 'effondrement de l'Union soviétique) nouées sur le plan international et susceptibles de l'infléchir.

Rappelons d'abord l'essentiel des paramètres qui ont longtemps servi de cadre à l'analyse de la question du Québec dans l'espace politique canadien.