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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Claude Beauchamp, “La coopération agricole au Québec, 1938-1953”. Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Fernand Dumont, Jean-Paul Montminy et Jean Hamelin, Idéologies au Canada français, 1940-1976. Tome II: Les mouvements sociaux — Les syndicats, pp. 75-108. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 1981, 390 pp. Collection : Histoire et sociologie de la culture, no 12. [Autorisation formelle accordée le 7 décembre 2009, par le directeur général des Presses de l’Université Laval, M. Denis DION, de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[75]

IDÉOLOGIES AU Canada FRANÇAIS,
1940-1976.

Tome II. Les mouvements sociaux — Les syndicats.

3. “La coopération agricole
au Québec, 1938-1953.”

par Claude Beauchamp

[pp. 75-108.]

I. La société observée
L'économie
La ville
La politique
L'agriculture
La pratique coopérative

II. La société souhaitée
Les justifications de l'importance du milieu rural et de l'agriculture
L'idéal pour le Québec

III. La coopération
Définitions et buts
Les principes


La coopération agricole québécoise date du dernier quart du XIXe siècle, moment où notre agriculture a commencé à s'industrialiser et à s'intégrer à l'économie de marché. Rappelons que, à cette époque, l'industrie laitière, secteur le plus important de l'agriculture québécoise et domaine où la coopération est particulièrement présente, établit ses bases. Il faudra toutefois attendre le XXe siècle pour voir les coopératives agricoles prendre leur essor et non seulement accompagner l'industrialisation de l'agriculture, mais aussi y participer activement, surtout à partir des années 40.

Le développement de la coopération agricole s'est fait à travers de nombreuses difficultés venant tant de l'intérieur que de l'extérieur. Les initiateurs furent beaucoup plus des prêtres, des agronomes, des membres de professions libérales et quelquefois des hommes politiques que des agriculteurs de la base. Ces derniers mirent d'ailleurs un certain temps à adhérer, à sentir le besoin de l'action collective, eux dont la mentalité portait encore les traces d'une longue période d'autarcie. Ils considéraient les coopératives avec beaucoup de scepticisme et, même lorsqu'ils en étaient devenus membres, leur loyauté était loin d'être indéfectible. Ces difficultés ne faisaient qu'amplifier les problèmes de gestion que rencontraient de nombreuses coopératives. Ainsi, en 1930, seulement 109 des 410 coopératives locales fondées depuis les débuts étaient encore en activité.

Les difficultés extérieures venaient d'abord de l'environnement capitaliste et, d'une façon plus précise, des entreprises engagées [76] dans l'approvisionnement des agriculteurs en biens d'utilité professionnelle ou encore dans l'écoulement des produits de la ferme. De plus, de 1922 à 1930, le ministère québécois de l'Agriculture a exercé sur les coopératives agricoles et surtout sur leur fédération, la Coopérative fédérée, une tutelle qui a terni pour longtemps leur image. Les coopératives étaient considérées comme des créatures gouvernementales. Cette situation ne fut pas étrangère à la fondation, en 1924, de l'Union catholique des cultivateurs. Aussitôt se sont instaurées des relations tendues entre la coopération et le syndicalisme agricoles, relations qui ne réussirent jamais à devenir vraiment bonnes, même pas de nos jours.

La présente étude couvrira les années 1938 à 1953, ces deux dates indiquant la durée d'une entente entre la Coopérative fédérée et l'Union catholique des cultivateurs, entente vouée à l'amélioration des relations entre les deux organismes. Le second abandonnait ses activités coopératives établies en 1929. De plus, les deux organismes procédaient à un échange de directeurs, trois membres de chaque conseil d'administration étant nommés par l'autre groupe. Les résultats escomptés ne furent pas obtenus et une nouvelle entente fut signée en 1953 : il y aurait rencontre des deux conseils d'administration au moins deux fois par année.

Notre étude de l'idéologie est basée sur les textes publiés hebdomadairement par la Coopérative fédérée dans la page qu'elle retenait dans la Terre de chez nous, propriété de l'Union catholique des cultivateurs [1]. Les rédacteurs étaient pour la plupart des salariés de haut rang, directeur général, secrétaire général responsable de l'éducation, ayant été nommés à ces postes par le conseil d'administration. Ils avaient à peu près tous reçu une formation en agronomie.

Nous avons procédé à une analyse de contenu qualitative de ces textes et les passages cités n'ont qu'un caractère exemplaire, d'autres auraient aussi bien pu être retenus. La formule coopérative y est présentée comme un moyen de combler le fossé existant entre la réalité observée et l'idéal souhaité. Nous sommes donc en présence de trois éléments, situation existante, situation souhaitée et [77] moyen pour y parvenir. Ils serviront de base à notre analyse en constituant autant de niveaux. Nous reviendrons en conclusion sur les tensions entre la coopération et le syndicalisme agricoles en jetant un bref coup d'oeil sur la perception que ce dernier avait de la coopération.


I. - La société observée

Le monde rural ne constitue plus, pour les rédacteurs, une société fermée, mais au contraire il est de plus en plus ouvert sur une société qui s'industrialise et s'urbanise rapidement et qui fait peser sur lui de nombreuses contraintes. Nous verrons d'abord, en retenant les principaux thèmes, comment est décrite la société globale et nous nous arrêterons ensuite à la position de l'agriculture et de la vie rurale à l'intérieur de cette société.

L'économie

L'économie est un thème qui revient souvent et c'est largement autour de ce thème que s'organise la vision de la société. Cela se comprend d'autant plus que les coopératives affrontent quotidiennement les réalités économiques. Cette expérience confirme à leurs yeux la domination, peu contestée d'ailleurs, qu'exerce sur l'ensemble de la société le système capitaliste. « Nous vivons dans un pays où la vieille doctrine du profit illimité et sacro-saint a pénétré jusqu'à la moelle de la population [2]. »

Le profit est l'essence du capitalisme. Les arguments utilisés par les adversaires de la coopération montrent que « le principe fondamental du commerce a toujours été et sera toujours le motif profit sans aucun égard pour le service [3] ». Le capitalisme est « un moyen de s'enrichir en écrasant le voisin [4] ». On ne le déclare pas pour autant foncièrement mauvais et on s'en prend plutôt aux nombreux abus qu'il permet.

La période de la deuxième guerre mondiale et des quelques années subséquentes a été particulièrement fertile en abus. Ainsi, devant [78] la forte demande, certains ont mis en marché des produits de qualité douteuse sans en tenir compte au moment de la fixation des prix. La pratique du marché noir a aussi été lucrative pour plusieurs. Dans d'autres cas, on a créé une rareté artificielle des produits, ce qui a permis une augmentation tout aussi artificielle des prix [5].

Les rédacteurs sont toutefois davantage préoccupés par les transformations qu'a fait subir à l'économie et par le fait même à la société dans son ensemble l'évolution du capitalisme.

Le capitalisme a peut-être favorisé une plus grande création de richesses, mais il en a aussi facilité une concentration de plus en plus marquée. Et comme résultat : « À mesure que les riches devenaient plus riches, les pauvres sont devenus plus pauvres. La puissance des uns s'est accrue ; la faiblesse des autres s'est augmentée. S'il est apparemment permis à n'importe qui de se livrer à tel ou tel travail, il est pratiquement impossible de mener à bonne fin toute entreprise d'une certaine envergure a moins de la soumettre au tribut prélevé par ceux qui possèdent les industries de base. Il en est résulté des déficits énormes, un gaspillage incroyable de capitaux et de travail. Au lieu de sauvegarder les salaires, on a protégé les dividendes. D'où chômage, secours direct et dépréciation morale, physique et intellectuelle du capital humain devenu le serviteur sinon l'esclave du capital argent [6]. »

Un autre résultat de la concentration de l'économie, c'est la diminution de la concurrence, même si elle est présentée comme un des principaux éléments du système par les défenseurs du capitalisme. Les grandes organisations nées de la concentration « finissent par influencer, à leur gré ou à peu près, l'économie générale et aboutissent très souvent à ce que l'on appelle des trusts, grandes entreprises financières qui, en fait, exercent sur le cours des valeurs ou sur le prix des marchandises un contrôle plus ou moins complet [7] ».

La centralisation de l'activité économique en quelques points du territoire est un autre changement provoqué par l'évolution du capitalisme. Beaucoup de petites industries existant autrefois dans les [79] campagnes ont été regroupées dans les villes. Le commerce est devenu un phénomène largement urbain. Cela est particulièrement grave pour l'agriculture et le milieu rural qui voient ainsi leurs revenus en partie drainés vers les villes et y favoriser le développement de l'industrie, du commerce et de la finance sans pour autant en percevoir des retombées. « Cette exportation de capitaux, sous forme de profits prélevés par des entreprises extérieures, appauvrit les villages, les petits centres, les petites villes, et tend à accumuler des réserves de capitaux dans les grandes villes... le progrès des petites localités s'en ressent. Les affaires sont plutôt tranquilles, les usines s'établissent rarement dans ces endroits et les gens qui ne peuvent trouver d'occupation émigrent vers les centres pour y gagner leur vie. Ils s'y entassent et, lorsque l'industrie et le commerce sont au ralenti, ces populations connaissent le chômage, la misère et le secours direct. Cette concentration de l'industrie, du commerce ou de la finance offre indiscutablement des avantages, mais il nous semble qu'elle a été poussée à un degré tel que les inconvénients qu'elle entraîne sont encore plus grands [8]. » Certains endroits plus difficiles d'accès ou offrant un potentiel de bénéfices peu élevé sont même complètement ignorés de l'entreprise capitaliste [9].

Parmi les autres traits de cette économie industrielle et urbaine, on en relève deux qui affectent le monde rural, les salaires et les honoraires de travail. Ainsi, durant la guerre, les agriculteurs auraient besoin de main-d'oeuvre supplémentaire, mais ils sont incapables d'offrir des salaires aussi élevés que l'industrie ou le commerce. Ces branches de l'économie ont aussi instauré un régime d'horaires de travail réguliers qui ne peut pas être appliqué en agriculture. Il faut tenir compte du climat. Certaines périodes de l'année sont nécessairement plus chargées que d'autres et certaines tâches doivent être accomplies tous les jours de la semaine. Cependant, pour prendre un exemple, « on essaie d'imposer à certains groupes de coopératives rurales les mêmes conditions de travail qui prévalent dans les villes [10] ». Cela surprend d'autant plus les rédacteurs qu'on demande alors à l'agriculture de produire le plus possible.

[80]

L'industrialisation a de plus fait apparaître le phénomène de la grève. On y est peu sympathique, surtout lorsque les agriculteurs s'en trouvent affectés, comme lors de la grève des abattoirs en 1947 : « Les grèves recommencent pour de bon et c'est toujours la même course qui se continue entre salaire et coût de la vie... Les ouvriers d'un secteur quelconque prétendent que leurs salaires ne sont plus en proportion du coût de la vie ; survient la grève solutionnée par une augmentation de salaires. Les patrons constatant que le prix de vente de leurs produits ne laisse plus une marge suffisante avec le prix de revient, c'est l'augmentation des prix... Où peut-on aller avec un tel système ? Si l'ouvrier comprenait davantage que l'union n'est pas seulement un échelon conduisant aux augmentations de salaires, s'il comprenait mieux les biens immatériels et éloignés qu'il pourrait retirer de l'union, s'il n'attachait pas autant d'importance au besoin immédiat et passager qu'il peut ressentir, il y aurait certainement moyen de trouver le remède permettant d'améliorer l'ouvrier après avoir amélioré ses conditions de travail, d'en faire un chaînon solide de la société après avoir stabilisé sa situation économique. L'ouvrier doit lui aussi viser à relever non seulement son niveau économique mais aussi son niveau social [11]. » Au delà de la grève, de sa raison d'être et des résultats qu'elle engendre, c'est tout un système de valeurs qui est ici remis en question. Nous aurons d'ailleurs à y revenir à plusieurs reprises au cours des pages qui vont suivre.

La ville

L'industrialisation du Québec a été accompagnée d'un important mouvement d'urbanisation. Les rédacteurs sont d'autant plus sensibles au fait que la majorité de la population habite les villes qu'elle manifeste souvent peu de compréhension pour les agriculteurs.

Ils rapportent que les urbains protestent beaucoup contre le prix des produits agricoles. C'est, pour eux, oublier bien vite que, lorsque les urbains obtiennent des salaires plus élevés, ils se rendent eux aussi responsables de l'augmentation du prix de nombreux biens de consommation. Il est temps aussi qu'ils sachent que les [81] agriculteurs ne produisent pas pour rien. Ces derniers doivent s'approvisionner en biens d'utilité professionnelle souvent dispendieux et ce qu'ils obtiennent de la vente de leurs produits constitue leur seul revenu.

On prétend que le revenu des agriculteurs est trop élevé. Pourtant, ils sont loin d'obtenir leur juste part, même durant les périodes qui leur sont les plus favorables. En 1946, par exemple, les agriculteurs du Canada ont touché 13 pour 100 du revenu national alors que la population rurale représentait 27,4 pour 100 de l'ensemble de la population du pays [12].

Les urbains oublient aussi rapidement qu'ils ont trop longtemps profité d'une situation désastreuse pour les agriculteurs. « Avant la guerre, le consommateur avait été habitué à se nourrir de denrées ou à acheter le plus grand nombre des produits de notre agriculture à leur prix de revient ou en bas... Avant la guerre, le consommateur urbain « mangeait » littéralement le « bien » de l'habitant. Ce dernier travaillait pour rien, ou à peu près, il n'avait pas les moyens de maintenir son outillage ou ses bâtiments en bon état [13]. »

Si les urbains se méprennent sur la situation réelle des ruraux, l'inverse est aussi vrai. De nombreux ruraux idéalisent trop aisément la vie urbaine, comme si tout n'y était que facilité et plaisir. La réalité est bien différente et la ville doit plutôt être considérée comme « cette mangeuse d'hommes qui n'a à leur offrir que la chaleur suffocante de ses rues et ruelles, sa poussière et sa fumée, ses misères à tous les coins, dans tous les parcs, ses horizons fermés, son atmosphère, ses saletés. De loin, on ne voit pas cela ; il faut y vivre pour le voir. La ville, direz-vous, ne présente pas que cela ! Admettons. Il y a les concerts, les sports, les théâtres. Mais il ne faut pas s'imaginer que les citoyens d'une ville peuvent tous se payer ces divertissements. Loin de là ! D'un autre côté, doit-on organiser sa propre vie en regard des loisirs et amusements ? je ne le crois pas. Il y a les salaires, direz-vous. Peut-être, mais que faites-vous alors des dépenses ordinaires et extraordinaires : logement, vêtement, nourriture, transport, taxes, impôt [14] ? »

[82]

Les ruraux ne doivent pas se laisser prendre par les illusions de la ville, mais ils ne doivent pas nécessairement la considérer comme une ennemie. Ils peuvent en effet en tirer avantage. Si son industrie et son commerce fonctionnent bien, le pouvoir d'achat de ses citoyens augmentera et deviendra un élément de prospérité plus grande pour les centres ruraux [15].

La politique

La politique est souvent abordée par le biais de ses relations avec l'économie. Les rédacteurs dénoncent autant l'influence qu'exerce le système capitaliste sur l'activité politique que l'immixtion trop facile de la politique dans la vie économique.

Les capitalistes ne manquent pas de défenseurs chez les hommes politiques, puisque beaucoup sortent de leurs rangs. Pour s'assurer de la permanence de leurs bonnes dispositions, ils fournissent à la caisse électorale qui ne serait d'ailleurs qu'une « simple création de l'imagination populaire [16] ». De plus, ils exercent de nombreuses pressions afin que leurs intérêts soient toujours bien protégés. On a pu mesurer l'efficacité de ces actions lorsque fut discutée, en particulier à partir de 1945, la question de la taxation des coopératives et que les capitalistes ont obtenu gain de cause. « Sans vouloir tirer de conclusion, nous nous demandons si, en matière d'impôt comme en beaucoup d'autres domaines, l'argent n'est pas l'argument le plus convaincant [17]. »

Si les gouvernements sont prompts à satisfaire les exigences des plus fortunés, ils mettent moins d'empressement à répondre aux demandes des classes laborieuses. Les agriculteurs en savent d'ailleurs quelque chose. Ainsi, les politiques laitières se font souvent attendre, ce qui jette les producteurs dans l'incertitude. La même situation se répète dans les autres domaines de la production agricole, Par exemple en aviculture : « L'industrie avicole mérite ou ne mérite pas d'être protégée. Si elle mérite d'être protégée, pourquoi avoir attendu six semaines après la fin de notre contrat avec la Grande-Bretagne pour dire ce qu'on avait l'intention de faire. Nous ne pouvons croire que la décision de la Grande-Bretagne [83] de ne plus acheter d'oeufs du Canada n'était pas connue depuis quelque temps. Pourquoi, en définitive, avoir laissé les prix descendre si bas si ce n'est pour se donner le mérite de paraître les relever [18] ? »

Nous devons souligner ici une certaine ambivalence dans la position des rédacteurs. En effet, si d'une part ils souhaitent une intervention gouvernementale dès qu'un problème se pose, par exemple au niveau des prix ou du transport des produits agricoles, d'autre part ils n'y comptent pas trop et de plus ils n'apprécient pas les États qui s'immiscent trop dans le domaine économique. L'économie est une « affaire trop compliquée [19] » et une telle orientation peut conduire à l'étatisme, « la menace la plus grave pour la personne humaine [20] ».

L'expérience récente des coopératives invite aussi les agriculteurs à se méfier de la politique, facteur de division davantage que de véritable progrès. Lors d'une assemblée générale de la Coopérative fédérée, le président déclare : « Les idées étaient tellement brouillées par des gens qui avaient intérêt à le faire, que plus d'une fois j'ai vu des hommes s'affronter, se combattre, alors qu'au fond ils voulaient et désiraient la même chose. Ce n'est pas relever (sic) un secret que dire que la politique nous a nui énormément, non pas que les principaux coopérateurs en eussent mis dans leurs affaires, mais parce qu'elle s'introduisait malgré eux dans leurs sociétés et parce que des gens de l'extérieur les combattaient au nom de la coopération pour mieux atteindre des fins d'intérêt politique [21]. »

Au clivage économique entre bien-nantis et gens ordinaires, la politique nationale ajoute, dans le cas de l'agriculture, un clivage géographique. On trouve en effet que les agriculteurs de l'Ouest canadien sont souvent plus favorisés que ceux de l'Est. À certains moments, ces derniers trouvent difficilement à s'approvisionner en grains alors que le gouvernement met tout en oeuvre pour acheminer vers l'Europe les grains de l'Ouest [22]. À d'autres moments, le gouvernement laisse monter indûment le prix des grains et pourtant « le commerce des grains d'alimentation n'est pas un commerce [84] libre. Il est fait sous l'autorité d'une commission relevant de l'État [23]. »

La période de la guerre invite les rédacteurs à prendre position sur certains problèmes reliés au conflit. Nous savons d'abord jusqu'à quel point le plébiscite d'avril 1942 a mobilisé le Québec. Les coopératives et les autres associations agricoles ayant obtenu que les fils d'agriculteurs et les ouvriers agricoles indispensables aux travaux de la ferme soient exemptés du service militaire, on insiste peu sur l'orientation à donner au vote lors du plébiscite [24]. On revient par contre souvent sur la nécessité de gagner la guerre et sur le fait que le travail agricole constitue, dans les circonstances, un véritable service militaire, puisqu'il faut non seulement nourrir la population locale mais aussi les troupes et les nations alliées directement engagées dans le conflit.

Il faut d'autant plus gagner cette guerre que l'enjeu est d'une grande importance pour la survie des valeurs les plus fondamentales de la société. Le nazisme et le fascisme constituent une grave menace. « Du côté religieux, le néant, ou pire : une force du mal agissante. Plus de Dieu ! Hitler Lui substitue la race. Mussolini Le remplace par l'idée de la patrie. La force devient le droit. La famille n'est qu'une entreprise d'élevage au bénéfice de l'État qui accapare les enfants pour les former d'après des concepts qui rappellent ce que nous connaissons des moeurs de l'homme des cavernes. L'individu n'est plus que poussière. Il ne peut pas être lui-même. Il est devenu la pièce d'un mécanisme, pièce dont on s'occupe aussi longtemps qu'elle remplit son rôle... La vie individuelle, la vie familiale, la vie privée, la vie publique sont dirigées, réglementées à un degré inconnu jusqu'ici, avec un mépris absolu de la personnalité humaine. L'exercice des métiers, des professions, de toutes les activités, est soumis à une réglementation minutieuse qui devait donner une prospérité qui n'a jamais existé d'une façon appréciable et durable, tant chez les nazistes que chez les fascistes... On peut déplorer les imperfections du régime démocratique. On peut les critiquer. Mais la vie que nous fait ce régime est un paradis comparé à celle qui serait la nôtre sous une dictature allemande et italienne [25]. »

[85]

Si les rédacteurs insistent, c'est qu'il y a encore trop de gens ici qui pensent que « l'hitlérisme n'est pas tellement dangereux... Que nous nous en trouverions peut-être bien au pays... Que la dictature vaut mieux que la démocratie [26]... » La dictature n'est pourtant pas mauvaise en soi et le Portugal de Salazar est considéré comme une « oasis de paix [27] ».

L'agriculture

L'agriculture et la vie rurale sont au centre des préoccupations des rédacteurs et nous nous y arrêterons maintenant d'une façon particulière. Il faut d'abord souligner que la perception qu'ils en ont est fortement influencée par la guerre. Le souvenir des effets de la première guerre mondiale est encore présent et on se rappelle que de nombreux agriculteurs « ont dû payer cher les embardées d'alors [28] ». Dès le début des hostilités apparaissent des mises en garde souvent répétées : « Après la guerre, il y aura l'après-guerre, c'est-à-dire la période de réajustement. Elle amènera avec elle la misère. Il importe d'y penser dès maintenant et de ne pas croire que la prospérité factice qui s'annonce sera permanente... L'histoire de toutes les guerres, même en remontant jusqu'à celles de Napoléon, démontre qu'elles ont toujours été suivies de périodes de dépression qui frappèrent durement les producteurs agricoles [29]. »

Si les rédacteurs renouvellent souvent un tel avertissement, c'est qu'ils trouvent dangereux certains comportements des agriculteurs. Ces derniers, voyant augmenter leur revenu, se livrent trop facilement à l'achat de biens de consommation plus ou moins utiles au lieu d'économiser les sommes ainsi dépensées en prévision de jours plus difficiles ou encore de les employer pour améliorer leurs entreprises. On constate aussi que plusieurs agriculteurs acquièrent, en utilisant largement le crédit, des instruments aratoires coûteux, sans toujours se demander s'ils pourront rembourser leur dette.

Les événements des années d'après-guerre confirment les rédacteurs dans leur appréhension. Une période d'incertitude s'ouvre [86] pour les agriculteurs. « Le temps où l'on pouvait à n'importe quel prix ou au prix fixé trouver preneur pour n'importe quoi semble devoir prendre fin [30]. » « On ne saurait croire combien, dans les grandes villes et sur les grands marchés, les consommateurs sont exigeants [31]. » De plus la demande pour les produits agricoles est moins forte, d'une part parce que l'agriculture des pays directement affectés par la guerre commence à se réorganiser, d'autre part parce que l'économie d'ici connaît un certain ralentissement et que, du coup, les consommateurs ont moins d'argent.

Pendant la guerre, le revenu des agriculteurs était relativement bon, même si le prix des produits agricoles, fixé alors par l'État, n'augmentait pas toujours aussi vite que le coût des biens d'utilité professionnelle, comme par exemple le coût des grains de l'Ouest [32]. Par la suite, leur revenu se dégrade, car le coût des biens d'utilité professionnelle augmente tandis que le prix des produits agricoles stagne ou diminue [33].

Non seulement le revenu des agriculteurs du Québec diminue après la guerre, mais l'économie agricole est de plus menacée par une éventuelle législation de la vente de la margarine. Les rédacteurs participent intensivement à la campagne lancée pour lui faire obstacle car « l'industrie laitière craint la venue de la margarine sur notre marché parce que cette venue va contribuer à détruire l'industrie du beurre. Si cette production subit une dure atteinte, comme elle est la partie de base de notre industrie laitière, c'est toute notre industrie laitière qui sera affectée [34]. » Étant donné que l'industrie laitière constitue le secteur le plus important de l'agriculture québécoise, le danger est encore plus grand. Permettre la vente de la margarine, ce serait aussi, pour les rédacteurs, augmenter notre dépendance de l'étranger, puisque l'huile servant à sa fabrication est importée [35]. « Heureusement, le gouvernement de la province s'est rendu compte de l'importance de notre industrie laitière et a mis le ban sur la fabrication, l'importation, la distribution de la margarine [36]. »

Les problèmes signalés plus haut sont propres à l'agriculture moderne. L'industrialisation et l'urbanisation de la société ont en [87] effet entraîné une transformation de l'agriculture qui a rendu l'agriculteur dépendant. En passant d'une agriculture d'autosubsistance à une agriculture de marché, il n'a conservé que « la tâche de travailler le sol et d'élever des animaux. Il s'est emprisonné sur sa ferme. Il livre ses produits à des gens qui les vendent pour lui et qui ont comme premier soin de faire de l'argent à ses dépens. Ce qu'il achète de l'extérieur lui parvient par d'autres qui sont animés du même souci, et l'habitant sur sa ferme paye les uns et les autres [37]. »

Au delà de la situation économique des agriculteurs, le statut de ces derniers dans l'ensemble de la société laisse les rédacteurs songeurs. Même pendant la guerre, alors qu'on exige d'eux une production abondante, les agriculteurs ne reçoivent pas du reste de la société tout l'égard qu'ils seraient en droit d'en attendre. « Ils réclament la même considération que celle qui est accordée aux fabricants d'engins de guerre et à tous ceux qui sont employés par les industries de guerre. Il n'y a là rien d'exagéré [38]. »

Un autre problème, contenu durant la guerre, réapparaît avec la fin des hostilités. Il s'agit de l'exode rural, surtout chez les jeunes. Est-ce que la fascination de la ville est si grande ? « Je crois que l'attrait des villes n'est pas une raison, mais un prétexte, un paravent qui cache certaines autres causes plus intimes, plus cruelles, plus puissantes et plus déterminantes. Nos jeunes ne trouvent pas chez eux cette ambiance qui leur permettait de s'attacher solidement à la terre. Ce n'est pas tout de faire un travail qu'on aime, il faut aimer faire ce travail. Nos jeunes l'aimeront s'ils y trouvent une certaine satisfaction, s'ils y trouvent de bonnes conditions, s'ils ont l'occasion d'y attacher une certaine responsabilité, d'y exercer un minimum d'initiative et d'en retirer un profit moral et matériel. Nos jeunes aimeront la ferme quand le père et la mère cesseront de maugréer contre leur profession. Et quand ces derniers décideront d'intéresser leurs jeunes à l'organisation familiale... Les désertions rurales trouvent une autre explication dans une déficience d'instruction... Nos jeunes donneront certainement un meilleur rendement, et avec joie, à condition que la vie familiale soit intensément vécue, qu'elle offre les facilités matérielles cherchées [88] ailleurs, qu'elle réponde pleinement au pourquoi de leur vie, qu'elle leur offre le minimum de bien-être absolument nécessaire à la pratique de la vertu... Nos jeunes ne semblent pas trouver chez eux ce qu'ils sont en droit d'y attendre. Les loisirs organises, en général, sont inexistants [39]... » Cette longue citation résume bien les raisons généralement invoquées pour expliquer l'exode rural. Us rédacteurs ajoutent que, étant donnée la mécanisation de l'agriculture, un certain exode est inévitable [40].

La pratique coopérative

Les coopératives agricoles se développent et affichent chaque année des résultats économiques intéressants. On n'en juge pas moins qu'il y a encore beaucoup de chemin à parcourir et de nombreux obstacles à franchir.

Il y a d'abord les difficultés créées « par tous les commerçants ou les industriels qui craignent que leurs affaires, et partant leurs profits, ne soient progressivement réduits [41] ». Ces derniers n'hésitent pas, par exemple, à semer le doute sur le fonctionnement des coopératives en affirmant qu'elles ne peuvent conduire qu'à des opérations déficitaires, ou encore des commerçants vendent parfois des biens d'utilité professionnelle en bas du prix coûtant, espérant ainsi acculer certaines coopératives à la faillite.

Selon les rédacteurs, les principaux obstacles viennent toutefois des coopérateurs eux-mêmes. Ces derniers ont souvent des comportements qui dénotent des attitudes peu coopératives. La coopération exige en effet un sens de l'action collective qui dans bien des cas fait place à un individualisme profond [42]. « Il est étonnant de constater qu'un grand nombre de gens attendent tout des autres et songent plus à retirer des avantages et des bénéfices immédiats qu'ils se soucient de faire leur part [43]. » Ces gens manifestent un esprit davantage capitaliste que coopératif [44].

On explique ainsi le fait que plusieurs membres veulent se répartir, sous forme de ristourne individuelle, les bénéfices faits par leurs coopératives avec des non-membres [45]. De plus, il arrive assez souvent que les membres, faisant fi du principe de la porte [89] ouverte selon lequel un individu ne peut se voir refuser l'adhésion à une coopérative sans raisons sérieuses, n'accordent pas aux non-membres le droit de devenir membres. Non seulement cette façon d'agir découle-t-elle d'un esprit capitaliste, puisqu'elle permet aux premiers de continuer de bénéficier de l'apport économique des seconds, mais elle n'est pas charitable et « pendant ce temps, tous ceux qui continuent de vivre aux dépens de la classe agricole rient sous cape [46] ». On parle même à plusieurs reprises d'esprit de vengeance à l'endroit des non-membres : « On entend dire parfois, par des directeurs de coopératives, ou par de vieux coopérateurs, que certains cultivateurs ont refusé ou négligé d'aider financièrement la coopérative à ses débuts, c'est-à-dire au cours des périodes difficiles. Et voici qu'aujourd'hui ces mêmes cultivateurs désirent faire partie de la coopérative parce que les années semblent meilleures et que cette même entreprise a commencé à payer des ristournes, ou peut-être tout simplement parce qu'ils comprennent mieux aujourd'hui... C'est alors qu'on peut entendre certaines suggestions qui ont pour but évident de mettre à l'amende, pour ainsi dire, ces nouveaux membres, soit en établissant pour eux des différences de prix, soit en leur refusant des ristournes, soit encore en leur refusant complètement l'admission dans la coopérative [47]. »

Un autre trait de l'agriculteur retient l'attention des rédacteurs, à savoir ce mélange de confiance pour « l'étranger ou l'inconnu » et de méfiance à l'endroit « de ses proches ou de ceux qui travaillent sincèrement à l'amélioration du sort de la classe agricole [48] ». « Dans la pratique, on est souvent porté à accorder aux étrangers à la coopération plus de confiance qu'on en accorde a sa propre coopérative. C'est une faiblesse que les adversaires du mouvement exploitent pour eux-mêmes [49]. »

À cela s'ajoute le problème plus large de la loyauté des membres envers leurs coopératives sur lequel les rédacteurs reviennent régulièrement. Ce problème, il n'est pas seulement le fait des membres individuels envers les coopératives locales, mais aussi celui de ces dernières envers la Coopérative fédérée : « L'attitude de plusieurs coopératives affiliées ressemble comme un frère jumeau [90] à celle prise par certains membres de sociétés locales. Les unes paraissent empressées de sacrifier des bénéfices réels, mais moins évidents, à ce qu'elles croient être un avantage immédiat, même si cet avantage momentané est obtenu par des actes qui ne s'inspirent pas de la vraie loyauté... D'autres manquent de loyauté parce qu'elles ont ou croient avoir des raisons de n'être pas satisfaites et même de montrer du mécontentement. Aucune entreprise n'est parfaite et chacun le sait... Il y en a enfin dont la loyauté est mise en échec par les efforts - pouvant aller jusqu'à l'exagération - fournis par ceux que la coopérative oblige à se contenter de profits moindres ou dont elle prend la place [50]. »

Le manque de loyauté ne se retrouve pas seulement chez les simples membres. « Bien que cela puisse paraître étrange, il se rencontre fréquemment parmi les directeurs d'une coopérative des gens qui ne sont pas les usagers réguliers de leur coopérative. Parfois même on rencontrera parmi les directeurs des gens qui sont les clients réguliers d'entreprises non coopératives situées dans l'arrondissement [51]. » Tout cela n'est pas sans affecter la situation financière des coopératives. Dans bien des cas, cette dernière pourrait être améliorée si moins de membres désiraient se partager immédiatement sous forme de ristourne les surplus d'opération [52]. On signale aussi « la négligence de trop de coopérateurs à régler leurs comptes avec la coopérative dont ils font partie [53] ». Ce dernier point retient beaucoup l'attention des rédacteurs.

La participation des membres à l'orientation et au contrôle de leurs coopératives, par exemple lors de l'assemblée générale annuelle, laisse beaucoup à désirer. Les revendications qui devraient y être faites ne le sont pas, les questions qui devraient être posées ne le sont pas davantage ; de trop nombreux membres utilisant plutôt les racontars en dehors de l'assemblée générale, de sorte qu'il se crée un climat malsain et que les conseils d'administration ne savent pas ce que veulent les membres [54]. Un tel comportement des membres conduit « les administrateurs à croire qu'ils peuvent tout faire. Ils en viennent à considérer la société comme leur propriété. Cette attitude, fort explicable, est cause de frictions. Lorsqu'elles [91] se produisent, les mécontents changent de directeurs. Il s'ensuit des froissements et une certaine rancunes [55]. »

Si la participation des membres n'est pas plus forte, il ne faut pas en chercher la cause seulement du côté des simples membres, mais aussi du côté des conseils d'administration. Dans trop de cas, selon les rédacteurs, les directeurs, pourtant élus pour cela, s'intéressent peu aux activités de la coopérative et ne tiennent que quelques réunions par année, de sorte qu'il leur est difficile de renseigner les membres et de les associer davantage [56].

Le manque de formation coopérative est toutefois perçu comme la cause principale des problèmes soulevés plus haut. Cela revient comme un refrain au cours de la période étudiée. Beaucoup de membres ne connaissent pas la nature de la coopération et les exigences qui en découlent, pas plus qu'ils ne perçoivent les nombreux avantages qu'ils pourraient en retirer. Comme le souligne un rédacteur, on a formé des coopératives avant de former des coopérateurs [57].


II. - La société souhaitée

L'étude de la société observée par les rédacteurs nous a déjà laissé entrevoir qu'ils procèdent en ayant à l'esprit un certain idéal. Nous constatons en effet qu'ils souhaitent un type de société où le milieu rural occupera une place importante et où l'agriculture constituera une activité économique intéressante. Nous verrons d'abord comment est justifié ce point de vue pour ensuite nous arrêter à la société souhaitée elle-même.

Les justifications de l'importance
du milieu rural et de l'agriculture

Parmi les différents types de justifications, il y en a d'abord d'ordre économique. L'agriculture est à la base de l'activité économique, c'est elle qui entraîne les autres branches de l'économie et aucun peuple ne peut s'en passer ; au Canada comme au Québec, l'agriculture est d'ailleurs au premier plan de l'économie [58]. On [92] invoque à l'occasion l'autorité politique : « M. Duplessis a tenu à rappeler que l'agriculture a toujours été le fondement de la prospérité et de la stabilité de l'économie d'un pays. C'est une vérité fondamentale qu'on est porté à oublier [59]. » Pendant la guerre, on a toutefois pu constater jusqu'à quel point une agriculture forte était nécessaire [60].

On insiste sur le fait que les habitants de la campagne sont davantage propriétaires que ceux de la ville. « Le maintien d'un pourcentage élevé de propriétaires est désirable à tout point de vue [61]. » Il y a là une source de stabilité pour la société. « La survivance d'un groupement ethnique est pratiquement assurée aussi longtemps qu'il détient la propriété du sol. Nos cultivateurs-propriétaires constituent notre meilleure garantie au triple point de vue de la race, de la langue et de la religion [62]. »

L'histoire aussi fournit de nombreux exemples de l'importance de l'agriculture et de la vie rurale. « Une paysannerie forte fait les peuples indestructibles... L'histoire universelle démontre que l'affaiblissement de leur agriculture a toujours été la cause principale de la décadence des empires et des pays les plus puissants [63]. »

De même, c'est l'agriculture qui a permis au Québec de demeurer fidèle à sa vocation. On souligne avec émotion la présence d'Édouard Montpetit à la vingt-cinquième assemblée générale de la Coopérative fédérée. Il « est venu donner... un hommage indiscutable à notre classe rurale, à sa ténacité, à sa largeur de vues. Il a rendu hommage à la ferme, source de consolation et de foi durables, canal transmettant de génération en génération les plus belles traditions de la culture française [64]. » Ces traditions sont la langue française, la religion catholique et l'agriculture. « Si la race française en Amérique a grandi et prospéré, elle le doit à sa fidélité à la croix et à la charrue [65]. »

La présence d'une agriculture forte se justifie encore sur le plan moral. Elle est une garantie de stabilité pour la société, elle la met à l'abri des troubles sociaux ; les agriculteurs sont indifférents à « tous les ismes - qu'ils soient de communisme, de socialisme, de facisme ou autre... », « en un mot, la ferme produit un meilleur [93] citoyen [66] ». C'est là d'ailleurs l'opinion de l'autorité religieuse et on cite par exemple le cardinal Villeneuve qui écrit : « Ce qui reste de meilleur dans la civilisation moderne, c'est-à-dire de moins mécanique et de plus humain, est encore basé sur la culture rurale, la plus proche de la nature et la moins artificielle. L'homme y est moins assujetti à la machine, la famille y a encore plus d'air, plus d'espace, plus d'autonomie, plus de liberté. Les plaisirs factices y occupent moins la vie. L'allure y est moins accélérée, la trépidation y fait moins de victimes. Tout état de civilisation qui laisse sa vie rurale se détériorer, et c'est bien le péché de notre siècle, est une civilisation qui déchoit. Aussi bien la valeur fondamentale de la vie rurale doit-elle être reconnue comme source et plénitude de toute l'organisation sociale [67]... »

L'idéal pour le Québec

Les rédacteurs souhaitent une société où l'ordre régnerait, où les transformations se feraient sans bouleversements et où les valeurs morales pourraient s'épanouir. Un milieu rural intéressant et une économie agricole forte leur semblent être les meilleurs moyens d'y parvenir.

Comme nous l'avons déjà vu, ces dernières conditions sont loin d'être complètement réalisées. Des améliorations sensibles sont jugées nécessaires à au moins trois niveaux, soit la considération de l'ensemble de la société pour la vie rurale et l'agriculture, la qualité de la vie à la campagne et le revenu des agriculteurs.

On juge que la population urbaine méconnaît les ruraux. Ces derniers devraient recevoir plus de compréhension et leur travail devrait être considéré. Mais il faudrait surtout que les hommes politiques se préoccupent davantage du sort des ruraux et en particulier de celui des agriculteurs. Les tergiversations gouvernementales jettent trop souvent les agriculteurs dans l'incertitude. Il faudrait par exemple intervenir plus rapidement au niveau des prix des produits agricoles ou au niveau de l'approvisionnement en grains de l'Ouest [68]. Ou encore, il faudrait, à certains moments, réglementer l'entrée de produits agricoles étrangers [69].

[94]

Une nette amélioration des conditions de vie à la campagne s'impose. Beaucoup de maisons devraient être retouchées, recevoir l'eau courante et l'électricité. Les services de santé devraient être disponibles aussi facilement à la campagne qu'à la ville. Les jeunes devraient pouvoir acquérir un niveau d'instruction plus élevé et avoir accès à certaines activités de loisir sans être obligés de se déplacer vers les centres urbains [70]. Cela contribuerait à rendre plus intéressante l'existence des ruraux et les rendrait moins vulnérables à l'attrait des villes. Les agriculteurs ne s'opposent pas à ces améliorations, dont plusieurs toutefois nécessiteraient de leur part des dépenses supérieures à leurs moyens. Aussi insiste-t-on régulièrement sur la nécessité pour les agriculteurs d'obtenir davantage de leur travail, surtout après la guerre, alors que les circonstances leur sont beaucoup moins favorables.

Les rédacteurs proposent diverses façons d'élever et de stabiliser le revenu des agriculteurs. Il y aurait d'abord l'augmentation du prix des produits de la ferme, au moins pour qu'il soit en rapport avec les coûts de production [71]. Cela ne saurait toutefois suffire. « On ne peut raisonnablement escompter que le consommateur, sous forme de prix plus élevés, ou l'État, sous forme de subvention, continueront indéfiniment à maintenir dans leur profession des gens qui n'auront pas su réduire leur prix de revient à un niveau Compétitif [72]. » Il y a donc place pour des progrès sur les fermes, comme par exemple l'amélioration des troupeaux ou l'utilisation de meilleures façons culturales. La mécanisation de l'agriculture n'est par contre pas envisagée sans réticence : « Nous ne croyons pas plus au régime d'agriculture vivrière des temps anciens qu'en l'orientation de notre agriculture moderne vers la mécanisation inconsidérée. Chez nous, c'est la petite et la moyenne propriété qui apportent à notre agriculture ses meilleurs éléments de force, de sécurité et de stabilité... Le système de la grande propriété conduit inévitablement à l'affermage ou à la servitude... ça revient au même. Or, il n'y a rien qui puisse contribuer plus efficacement à l'avènement des grands propriétaires-fermiers que la mécanisation et la motorisation excessives [73]... Cette position fait ressortir la préférence qu'on accorde à la ferme familiale : [95] « Grâce à Dieu, la ferme, chez nous, est encore généralement une entreprise familiale. Nos chefs de famille ruraux cultivent et améliorent constamment avec l'aide de leurs enfants ce qu'ils appellent si justement le bien de famille [74]. »

L'agriculteur moderne est soumis à de nombreux intermédiaires, tant au niveau de l'approvisionnement en biens d'utilité professionnelle qu'au niveau de l'écoulement de ses produits. Les intermédiaires prélèvent sous forme de profit des montants d'argent qui pourraient augmenter le revenu des agriculteurs si ces derniers s'organisaient pour remplir eux-mêmes ces fonctions d'approvisionnement et d'écoulement [75]. Sur ce plan, la formule coopérative pourrait être d'un grand secours. Pour les rédacteurs, non seulement la coopération pourrait aider à améliorer le sort des agriculteurs, mais elle pourrait encore transformer pour le mieux la société qui fonctionne selon « la vieille formule individualiste que l'école et la vie de nos jours ont fait pénétrer partout [76] ».


III. - La coopération

En proposant la formule coopérative aux agriculteurs, les rédacteurs rappellent d'abord qu'elle a fait ses preuves ailleurs. Depuis plus d'un siècle les classes laborieuses, tant urbaines que rurales, l'ont utilisée pour améliorer leurs conditions de vie. Les exemples viennent surtout d'Europe, dont à peu près tous les pays sont cités à un moment ou l'autre, et parfois du reste du Canada ou des États-Unis. Il s'agit toujours d'évocations rapides. Il en est de même lorsqu'on aborde l'histoire de la pensée coopérative. Ici, la tradition née de Rochdale est nettement privilégiée et souvent rappelée comme telle [77]. Les éléments de doctrine coopérative diffusés par les rédacteurs s'en inspirent d'ailleurs beaucoup.

Définitions et buts

Lorsque nous abordons l'étude des définitions de la coopération, nous constatons qu'il y a deux niveaux de réalité, selon que les rédacteurs parlent de la coopération au sens précis de formule [96] coopérative ou encore dans un sens plus large comme, par exemple, union ou collaboration.

Au sens précis, nous retrouvons toujours les deux éléments classiques de la coopérative, l'association et l'entreprise. Ainsi une coopérative agricole est une « association de producteurs travaillant en commun à la satisfaction d'un ou plusieurs besoins à l'aide d'une entreprise qu'ils dirigent et contrôlent et dont ils sont à la fois propriétaires et usagers [78] ».

Nous savons que les auteurs ayant traité de la doctrine coopérative ne s'entendent pas sur l'élément prioritaire ; pour certains c'est l'association, pour d'autres l'entreprise. La position des rédacteurs est claire, les personnes comptent d'abord : « Une coopérative n'est vraiment une coopérative que si elle subordonne ses affaires aux besoins et au perfectionnement de ses membres, tout en transigeant à meilleur compte que ses concurrents [79]. » « Une coopérative, on l'a dit et répété, et on ne le répétera jamais trop, c'est d'abord et avant tout une association de personnes. Ce n'est pas un tas d'argent non plus qu'un tas de produits que quelqu'un se charge d'utiliser, de transformer et de vendre sans se soucier de ceux qui ont fourni cet argent et ces produits [80]. » Les coopérateurs pensent que le capital est nécessaire mais ils « ne croient pas que le capital doive tout conduire. Au contraire. Ils le relèguent au deuxième plan. Ils considèrent l'argent, non comme un maître, mais comme un serviteur [81]. »

Au sens large, les coopératives sont présentées comme des instruments pouvant permettre à leurs membres non seulement d'obtenir un meilleur revenu, mais aussi de se perfectionner sur les plans tant professionnel que civil ou religieux. Sur le plan professionnel, elles permettent aux agriculteurs d'améliorer leur compétence technique, par exemple, en leur offrant des conférences, de la littérature spécialisée, des conseils individualisés sur la ferme même ou encore en leur remettant un rapport sur la qualité de leurs produits.

De plus, « tout en restant une école de perfectionnement individuel dans le domaine économique et technique, la coopération doit [97] aussi être une école de perfectionnement social [82] ». Cela est possible parce que « la doctrine coopérative est une doctrine de paix, de justice et d'honnêteté. Elle impose une discipline qui rend le cultivateur et l'ouvrier meilleurs [83]. » La coopération favorise aussi de nombreuses vertus civiques comme la collaboration, la bonne entente, le respect d'autrui, la loyauté, l'initiative, la tolérance et l'idéal démocratique qui, pour les rédacteurs, se confond avec l'idéal coopératif [84].

La coopération peut aussi contribuer à l'édification d'une société plus chrétienne, surtout à une époque au cours de laquelle les conditions de vie ont affaibli l'esprit chrétien des masses [85]. « La coopération c'est la grande formule de la charité et de la justice retrouvée ailleurs que sur des lèvres ou du papier [86]. »

Certains ennemis de la coopération la déclarent subversive, l'identifiant au communisme ou au socialisme. Les rédacteurs, qui ne font pas de distinction entre ces deux doctrines, les jugent tout à fait opposées à la coopération : « Ceux qui croient au coopératisme et qui le mettent en pratique sincèrement, loyalement, sont des gens qui marchent dans les droits sentiers et qui n'ont pas à craindre l'avenir. Car la pratique du coopératisme suppose une certaine hauteur d'âme, certaines attitudes d'esprit qui le situent dans la ligne même du perfectionnement moral et spirituel. Il est une manière efficace de fonder les relations sociales non pas sur l'égoïsme des individus et des classes, mais sur la justice s'épanouissant elle-même dans la charité... On ne trouvera rien de tel dans aucune des théories ou idéologies qui voudraient parvenir à un monde planifié, égalisé... à condition qu'il continue d'exister une certaine domination sur cette masse confondue. Faute d'autorité hiérarchique, il faut au moins l'autocratie... Le socialisme, le communisme ne sont-ils pas des formes d'esclavage ? Au contraire, le coopératisme n'est-il pas essentiellement une forme de libération [87] ?

La coopération n'est pas un mouvement de classe mais elle s'adresse à l'ensemble de la société [88]. Elle est une protection contre le socialisme et le communisme [89]. Le changement dont la société a besoin, « la coopération peut le faire doucement, sans [98] révolution. Elle n'interrompt pas le cours actuel des choses. On les prend comme elles sont, on substitue lentement du neuf au vieux sans arrêter la vie normale [90]. »

Les coopératives sont pour le progrès dans l'ordre et la paix, c'est pourquoi elles opèrent dans les cadres établis [91]. Aussi prônent-elles le respect de l'autorité : « Pour nous, l'Église et l'État représentent l'autorité. Nous nous soumettons à l'autorité et nous croyons qu'il est de notre devoir de collaborer dans l'exécution de toutes les mesures qui nous paraissent bienfaisantes [92]. »

D'une façon plus immédiate, les coopératives agricoles existent pour permettre à leurs membres de tirer un meilleur revenu de leurs exploitations « d'abord en lui permettant de se procurer les outils et les matériaux nécessaires à la production agricole à un prix se rapprochant le plus du prix de gros, et ensuite en lui permettant de distribuer à bon compte ses produits agricoles et en obtenir un prix se rapprochant le plus du prix de détail. Et ces opérations, souvent effectuées par le même organisme (le sont) toujours sans léser la justice envers des citoyens pour qui le soleil doit briller d'un égal reflet [93]. » Cela apporte sécurité et stabilité aux agriculteurs.

Si la coopération veut permettre aux agriculteurs de résoudre leurs problèmes, son action n'est pas pour autant dirigée contre d'autres personnes ou d'autres groupes [94] : « La coopération agricole ne vient en concurrence avec personne et elle n'a pris la place de personne. Par la coopération, les agriculteurs ont tout simplement pris la place qui leur revenait en s'unissant pour faire eux-mêmes leurs achats et pour effectuer en commun la vente de leurs produits [95]. »

Il nous faut souligner encore ici une certaine forme d'ambivalence. En effet, on propose d'une part une démarche qui affecte au moins les commerçants, tant ceux qui approvisionnent les agriculteurs que ceux qui écoulent les produits de la ferme, et on affirme d'autre part que les coopératives ne veulent prendre la place de personne. Il s'agit là d'une situation qui se retrouve souvent dans l'idéologie coopérative québécoise. Nous ne faisons que la souligner [99] ici mais nous avons l'intention de l'élucider dans un travail en préparation.

Rappelons enfin que, dans tous les textes que nous avons étudiés, il est question d'utiliser la formule coopérative pour remplir les fonctions situées en amont et en aval de la production agricole comme telle. Même si la production agricole peut aussi se faire sous forme coopérative en partie ou complètement, cela pouvant aller par exemple de la mise en commun du matériel agricole à une intégration totale des exploitations, les rédacteurs ne suggèrent pas cette possibilité. Pour eux, nous l'avons vu plus haut, la ferme familiale doit prédominer et la coopérative agricole est le prolongement de la ferme, un moyen de s'insérer avantageusement dans l'économie de marché [96].

Les principes

Les principes coopératifs sont évoqués régulièrement au cours de la période étudiée. Nous constatons que les rédacteurs sont assez fidèles à la tradition de Rochdale reprise par l'Alliance coopérative internationale et très largement adoptée par le Conseil supérieur de la coopération [97].

On rappelle d'abord que les coopératives sont des associations volontaires, que nul n'est tenu d'y adhérer, mais que ce sont aussi des associations libres, que tous ceux qui remplissent les conditions requises, par exemple être agriculteur dans le cas d'une coopérative agricole, peuvent en devenir membres ou cesser de l'être lorsqu'ils le désirent [98]. On insiste surtout sur le fait que les membres ne peuvent normalement pas refuser à d'autres le droit de devenir membres à leur tour, étant donné, comme nous l'avons déjà vu, que cela se produit.

Si la coopération est à l'opposé du socialisme et du communisme, elle ne doit pas pour autant être identifiée au capitalisme. Au contraire, elle s'en différencie radicalement. Dans le capitalisme, c'est l'argent qui prime, tandis que dans la coopération, c'est l'homme [99]. Cette différence se vérifie principalement au niveau [100] du contrôle démocratique, de la ristourne au prorata des transactions et de l'intérêt limité sur le capital social.

Le contrôle démocratique s'exprime par le fait que, dans une coopérative, chaque membre n'a droit qu'à un vote, quel que soit le nombre de parts sociales possédées, tandis que, dans l'entreprise capitaliste, le nombre de votes est fonction du nombre d'actions détenues [100]. « Dans toute institution coopérative, ce sont les hommes qui mènent et non l'argent [101]. » Si on devient membre d'une coopérative, ce n'est pas pour y faire un placement, mais pour en utiliser les divers services ; de la sorte la coopérative est dirigée par des propriétaires qui en sont aussi les usagers, ce qui est rarement le cas dans l'entreprise capitaliste [102].

Dans une coopérative, c'est l'utilisation que les membres en font qui est rétribuée d'abord et non pas le capital investi [103]. Les Coopératives ne sont que les mandataires de leurs membres, elles achètent pour eux les biens d'utilité professionnelle et vendent pour eux les produits de la ferme ; aussi, selon les rédacteurs, les coopératives ne font pas de profit et c'est en s'appuyant sur ces considérations qu'ils affirment qu'elles ne devraient pas payer l'impôt [104]. Les trop-perçus des opérations faites avec les membres appartiennent à ces derniers et non à la coopérative, qu'ils soient redistribués sous forme de ristournes ou conservés dans un fonds commun pour autofinancer des développements futurs ou en fonction de moments difficiles.

Quant aux surplus faits avec les non-membres, les rédacteurs affirment qu'ils ne peuvent être redistribués aux membres individuels, mais qu'ils doivent demeurer un bien collectif ou encore être en partie offerts aux non-membres pour les aider à le devenir, puisqu'ils pourraient ainsi payer partiellement, sinon en totalité, leurs parts sociales [105]. Nous savons déjà que ce dernier point n'est pas facilement accepté par tous les membres.

Comme les coopératives accordent la première place aux hommes et non à l'argent, le capital investi sous forme de parts sociales, quoique nécessaire, ne saurait être rétribué comme le capital placé sous forme d'actions dans des entreprises capitalistes. Lorsqu'il [101] y a un intérêt de payé sur le capital, il ne doit jamais dépasser le taux d'intérêt courant [106]. Il n'est même pas nécessaire de verser un intérêt sur le capital [107].

La nécessité de la neutralité politique des coopératives est soulignée à plusieurs reprises ; les prises de position politiques semant nécessairement la division chez les membres, sans compter que les gouvernements sont rarement les amis des coopératives [108]. L'action politique directe est aussi à éviter et on n'est pas d'accord avec l'existence, en Angleterre, d'un parti qui « a troublé la paix chez les coopérateurs anglais, surtout parce qu'il est affilié au Labor Party [109] ».

Sur le plan religieux, on parle plutôt de non-confessionnalité, sans définir davantage ce principe [110]. Mais il ne s'agit certainement pas, pour les rédacteurs, de laisser complètement de côté la dimension religieuse, comme nous l'avons vu en particulier lorsque nous avons examiné la définition de la coopération au sens large [111].

On aborde aussi à quelques occasions la question de la vente au comptant comme principe [112], mais dans l'ensemble des textes étudiés on insiste beaucoup plus sur le fait que les agriculteurs devraient rembourser le plus tôt possible les dettes contractées envers leurs coopératives.

Les rédacteurs se rendent bien compte que la conception de la coopération qu'ils proposent est loin d'être partagée par tous les membres. Ils voient d'ailleurs dans ce fait les principales raisons des difficultés rencontrées par les coopératives. Aussi insistent-ils souvent sur la nécessité de l'éducation coopérative [113].

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L'analyse de notre matériel ne nous a pas fait apparaître de transformations au cours de la période étudiée. Nous sommes en face d'un espace idéologique homogène. Par contre, si nous comparons cette période à la période de 1900-1930 que nous avons [102] analysée antérieurement [114], nous constatons certaines modifications au niveau du contenu de l'idéologie.

C'est ainsi que, au cours de la première période, la société souhaitée était largement axée sur l'idée que le Québec avait avant tout une vocation agricole et qu'il fallait la préserver à tout prix. Ici, si les rédacteurs espèrent une agriculture forte dans un milieu rural intéressant, s'ils pensent que l'agriculture joue un rôle très important dans l'économie d'un pays, s'ils jugent la vie à la campagne plus saine que celle de la ville, ils n'affirment pas que l'agriculture doive occuper une place prépondérante dans la société.

Une autre différence nous est apparue sur le plan de la pensée coopérative. Elle nous semble beaucoup plus structurée au cours de la seconde période. Il faut y voir ici l'influence du Conseil supérieur de la coopération qui s'était justement donné comme une de ses principales fonctions celle de préciser la doctrine coopérative au Québec.

Rappelons aussi que les rédacteurs des textes que nous venons d'analyser étaient presque exclusivement des agronomes, alors que, parmi ceux de la première période, on comptait en particulier plusieurs membres du clergé et un avocat en plus de quelques agronomes.

Nous avons noté au début de ce texte l'existence de tensions entre la coopération et le syndicalisme agricoles. Ces tensions n'ont évidemment pas une cause unique. Nous ne ferons toutefois que souligner ici comment le palier idéologique peut fournir certains éléments d'explication à ce phénomène, en nous en tenant à la période que nous venons d'étudier.

La coopération agricole affirme que ses relations avec le syndicalisme agricole doivent être les meilleures possible mais que chaque institution doit être indépendante de l'autre, parce que chacune joue un rôle différent. Le syndicalisme vise à la sauvegarde des intérêts généraux de l'agriculture tandis que la coopération protège [103] les intérêts économiques de ses membres et aussi, jusqu'à un certain point, ceux de l'ensemble des agriculteurs [115].

Du côté du syndicalisme agricole, on parle aussi de la nécessité de relations cordiales avec les coopératives. Par contre, la situation est moins claire en ce qui a trait à l'autonomie réciproque de la coopération et du syndicalisme. Dans certains cas, el-le est proclamée, mais c'est surtout l'idée d'une hiérarchie avec le syndicalisme agricole au sommet qui retient l'attention. On s'appuie sur le corporatisme qui recrute alors beaucoup d'adeptes dans le milieu syndical agricole.

Dans le cours à domicile de l'U.C.C. de 1951-1952 portant sur la coopération en regard de la doctrine sociale de l'Église, l'auteur écrit : « L'U.C.C. poursuit directement le BIEN COMMUN de la profession agricole... Au contraire les coopératives poursuivent des fins particulières, limitées : l'amélioration des conditions économiques des cultivateurs, et certaines fins sociales déterminées... Or, peut-on logiquement mettre sur un même pied d'égalité une association (l'association professionnelle), qui a pour but la défense du bien commun, c'est-à-dire de tous les intérêts de l'agriculture, et une autre (l'association coopérative) qui de par sa nature même n'en protège qu'une partie. Le tout n'est-il pas plus grand que les parties ?... Il s'ensuit donc que l'association professionnelle qui a charge des intérêts communs des cultivateurs a, dans l'ordre des valeurs, la primauté sur la coopération agricole... Démontrer que l'association professionnelle est l'organe central, le moteur de toute la vie professionnelle agricole, et que les coopératives agricoles ne sont que des organes ou instruments économiques, c'est réaffirmer la primauté du syndicalisme sur la coopération. Bien plus, ceci évoque immédiatement un certain rapport de dépendance entre les deux [116]. »

  En fait, ce que préconise à l'époque le syndicalisme agricole, c'est « la corporation de l'agriculture » dont il assumerait la direction d'ensemble [117]. On s'inspirait en particulier de l'encyclique Quadragesimo Anno, de la lettre pastorale des archevêques et évêques du Québec publiée en 1937 et ayant pour titre le Problème [104] rural en regard de la doctrine sociale de l'Église, ou encore des écrits de certains auteurs d'ici ou d'ailleurs. Soulignons que Marcel Clément, un des défenseurs du corporatisme en France, fait de nombreux séjours au Québec à la fin des années 40 et au début des années 50 et qu'il a ses entrées à l'U.C.C. Une telle position ne pouvait être approuvée par la coopération agricole. Au surplus, elle n'était pas de nature à améliorer les relations de cette dernière avec le syndicalisme agricole.

Nous nous demandons toutefois si les rédacteurs des textes que nous avons étudiés n'ont pas été influencés par cette position, surtout par la vision de la société qu'elle véhiculait, d'autant plus qu'elle était forte de l'appui de nombreux membres de l'élite traditionnelle, tant clercs que  laïcs. Peut-être jugeaient-ils imprudent de s'en éloigner. C'est là une hypothèse que nous entendons vérifier dans l'ouvrage d'ensemble que nous avons entrepris sur la coopération agricole au Québec.

Claude BEAUCHAMP.



[1] Nous avons aussi consulté la revue Ensemble du Conseil de la Coopération du Québec et le Coopérateur agricole publié par la Coopérative fédérée à partir de 1948. Nous avons constaté que ces deux publications n'ajoutaient rien, concernant l'idéologie de la coopération agricole, aux textes publiés dans la Terre de chez nous. Les textes étaient d'ailleurs assez souvent les mêmes.

[2] T.C.N., 13 septembre 1939, p. 11.

[3] T.C.N., 14 juillet 1948, p. 4.

[4] T.C.N., 16 juillet 1941, p. 4.

[5] T.C.N., 22 juillet 1942, p. 4 ; 8 mai 1946, p. 4 ; 10 mars 1948, p, 4 ; 5 janvier 1949, p. 4.

[6] T.C.N., 28 février 1940, p. 5.

[7] T.C.N., 27 janvier 1943, p. 4.

[8] T.C.N., 28 juin 1939, p. 9.

[9] T.C.N., 1er mars 1944, p. 4.

[10] T.C.N., 23 octobre 1946, p. 6.

[11] T.C.N., 24 septembre 1947, p. 4.

[12] T.C.N., 8 juin 1949, p. 4.

[13] T.C.N., 13 octobre 1943, p. 8.

[14] T.C.N., 1er octobre 1947, p. 4.

[15] T.C.N., 3 mars 1943, p. 4.

[16] T.C.N., 5 février 1947, p. 4.

[17] T.C.N., 12 février 1947, p. 4.

[18] T.C.N., 1er février 1950, p. 4.

[19] T.C.N., 28 février 1940, p. 5.

[20] T.C.N., 9 juillet 1952, p. 6.

[21] T.C.N., 31 janvier 1940, p. 2.

[22] T.C.N., 8 octobre 1947, p. 4.

[23] T.C.N., 14 juin 1950, p. 4.

[24] Ajoutons toutefois que la Coopérative fédérée s'est indirectement prononcée pour le NON, puisque trois de ses représentants siégeaient alors au conseil d'administration de l'Union catholique des cultivateurs et que cette dernière a participé à la campagne du NON.

[25] T.C.N., 19 juin 1940, p. 4.

[26] T.C.N., 1er janvier 1941, p. 6.

[27] T.C.N., 10 juillet 1940, p. 4.

[28] T.C.N., 29 juillet 1942, p. 4.

[29] T.C.N., 20 septembre 1939, p. 11.

[30] T.C.N., 9 mars 1949, p. 21.

[31] T.C.N., 13 juillet 1949, p. 4.

[32] T.C.N., 24 février 1943, p. 4.

[33] T.C.N., 19 novembre 1947, p. 4 ; 28 juin 1950, p. 4.

[34] T.C.N., 10 décembre 1947, p. 4.

[35] T.C.N., 21 avril 1948, p. 4 ; 10 mai 1950, p. 4.

[36] T.C.N., 25 octobre 1950, p. 4.

[37] T.C.N., 28 février 1940, p. 5.

[38] T.C.N., 31 décembre 1941, p. 4.

[39] T.C.N., 1er octobre 1947, p. 4.

[40] T.C.N., 28 novembre 1951, p. 4.

[41] T.C.N., 17 juillet 1940, p. 4.

[42] T.C.N., 1er juillet 1942, p. 4 ; 23 avril 1947, p. 4.

[43] T.C.N., 27 décembre 1944, p. 4.

[44] T.C.N., 29 juin 1938, p. 11 ; 14 juin 1939, p. 11.

[45] T.C.N., 26 juillet 1939, p. 9.

[46] T.C.N., 24 janvier 1940, p. 5.

[47] T.C.N., 5 janvier 1949, p. 4.

[48] T.C.N., 31 janvier 1945, p. 4.

[49] T.C.N., 5 mars 1947, p. 4.

[50] T.C.N., 22 juillet 1942, p. 4.

[51] T.C.N., 7 avril 1948, p. 4.

[52] T.C.N., 20 octobre 1940, p. 4 ; 29 juillet 1942, p. 4 ;

[53] T.C.N., 8 mai 1946, p. 4.

[54] T.C.N., 12 et 19 avril 1950, p. 4.

[55] T.C.N., 10 décembre 1941, p. 4.

[56] T.C.N., 30 juin 1943, p. 4.

[57] T.C.N., 22 mai 1946, p. 4.

[58] T.C.N., 15 septembre 1948, p. 4 ; 30 janvier 1952, p. 4.

[59] T.C.N., 24 octobre 1951, p. 27.

[60] T.C.N., 26 novembre 1947, p. 4.

[61] T.C.N., 7 mai 1947, p. 4.

[62] T.C.N., 19 juin 1940, p. 8.

[63] T.C.N., 28 juin 1939, p. 9.

[64] T.C.N., 25 février 1948, p. 4.

[65] T.C.N., 25 juin 1952, p. 4.

[66] T.C.N., 29 septembre 1943, p. 4 ; 23 janvier 1952, p. 4.

[67] T.C.N., 23 août. 1944, p. 4.

[68] T.C.N., 2 avril 1947, p. 4 ; 4 janvier 1950, p. 4 ; 1er février 1950, p. 4.

[69] T.C.N., 9 et 16 avril 1952, p. 4.

[70] T.C.N., 29 septembre 1943, p. 4 ; 1er octobre 1947, p. 4.

[71] T.C.N., 9 octobre 1946, p. 4 ; 24 janvier 1951, p. 4 ; 2 juillet 1952, p. 4.

[72] T.C.N., 20 mars 1946, p. 4.

[73] T.C.N., 16 mai 1951, p. 4.

[74] T.C.N., 14 mai 1952, p. 4.

[75] T.C.N., 8 novembre 1939, p. 5 ; 2 mai 1945, p. 4 ; 5 novembre 1947, p. 4.

[76] T.C.N., 17 mai 1944, p. 4.

[77] Rappelons que c'était aussi la position du Conseil supérieur de la coopération, fondé en 1939, et qui deviendra plus tard le Conseil de la coopération du Québec. La plupart des rédacteurs dont nous étudions ici les textes participaient étroitement aux activités du Conseil. L'orientation donnée à la pensée coopérative par l'expérience de Rochdale a été largement reprise par l'Alliance coopérative internationale.

[78] T.C.N., 1er juillet 1942, p. 4.

[79] T.C.N., 5 février 1941, p. 4.

[80] T.C.N., 30 juin 1943, p. 4.

[81] T.C.N., 24 avril 1940, p. 4.

[82] T.C.N., 8 janvier 1947, p. 4.

[83] T.C.N., 17 août 1938, p. 11.

[84] T.C.N., 29 juin 1938, p. 11 ; 1er février 1939, p. 10 ; 1er mars 1939, p. 10 ; 30 juin 1943, p. 4 ; 17 mai 1944, p. 4 ; 14 juillet 1948, p. 4.

[85] T.C.N., 9 mars 1949, p. 21.

[86] T.C.N., 24 mai 1950, p. 4.

[87] T.C.N., 3 janvier 1951, p. 4.

[88] T.C.N., 5 avril 1939, p. 10.

[89] T.C.N., 1er mars 1939, p. 10.

[90] T.C.N., 16 septembre 1942, p. 4.

[91] T.C.N., 1er mars 1944, p. 4.

[92] T.C.N., 15 mars 1944, p. 4.

[93] T.C.N., 12 janvier 1949, p. 4.

[94] T.C.N., 24 mars 1943, p. 4.

[95] T.C.N., 12 juillet 1950, p. 4.

[96] T.C.N., 24 septembre 1947, p. 4 ; 12 juillet 1950, p. 4.

[97] Après le congrès de l'A.C.I. de 1930, une commission fut formée pour étudier la question des principes coopératifs. Elle en retint sept : (1) adhésion libre ; (2) contrôle démocratique ; (3) ristourne au prorata des achats ; (4) intérêt limité sur le capital ; (5) neutralité politique et religieuse ; (6) vente au comptant ; (7) développement de l'éducation. Le congrès de 1937 considéra comme coopératives les associations se conformant aux principes de Rochdale et plus particulièrement aux principes de l'adhésion volontaire, du contrôle démocratique, de la répartition des excédents aux membres au prorata de leurs transactions et de l'intérêt limité sur le capital. (Cf. Paul LAMBERT, la Doctrine coopérative, Bruxelles, Les propagateurs de la Coopération, 1959, pp. 76-77, et « Manifeste du Conseil supérieur de la coopération », Ensemble, vol. 1, n° 5, mai 1940, 3-6.)

[98] T.C.N., 5 avril 1939, p. 10 ; 12 avril 1939, p. 12 ; 2 août 1939, p. 9 ; 10 avril 1940, p. 4 ; 15 décembre 1943, p. 4 ; 30 avril 1947, p. 4 ; 10 mars 1948, p. 4 ; 5 janvier 1949, p. 4.

[99] T.C.N., 16 juillet 1941, p. 4 ; 5 août 1942, p. 4 ; 27 janvier 1943, p. 4 ; 26 mars 1947, p. 4 ; 21 juillet 1948, p. 4 ; 25 janvier 1950, p. 4 ; 18 juin 1952, p. 4.

[100] T.C.N., 24 août 1938, p. 11 ; 3 et 10 mai 1939, p. 11 ; 20 et 27 août 1941, p. 4 ; 25 mars 1952, p. 4 ; 15 décembre 1943, p. 4 ; 30 avril 1947, p. 4 ; 10 mars 1948, p. 4 ; 25 janvier 1950, p. 4 ; 29 novembre 1950, p. 4.

[101] T.C.N., 25 mars 1942, p. 4.

[102] T.C.N., 10 mars 1948, p. 4 ; 25 janvier 1950, p. 4.

[103] T.C.N., 15 juin 1938, p. 11 ; 14 juin 1939, p. 11 ; 21 juin 1939, p. 9 ; 24 janvier 1940, p. 5 ; 10 avril 1940, p. 4 ; 3 décembre 1941, p. 4 ; 14 janvier 1942, p. 4 ; 15 décembre 1943, p. 4 ; 30 avril 1947, p. 4 ; 10 mars 1948, p. 4 ; 29 novembre 1950, p. 4.

[104] T.C.N., 5 juin 1946, p. 4 À partir de 1945, de nombreux textes sont consacrés à ce problème de l'assujettissement des coopératives à l'impôt.

[105] T.C.N., 29 juin 1938, p. 11 ; 26 juillet 1939, p. 9 ; 24 janvier 1940, p. 5 ; 10 avril 1940, p. 4.

[106] T.C.N., 28 juin 1939, p. 9 ; 14 juillet 1939, p. 9 ; 14 janvier 1942, p. 4 ; 15 décembre 1943, p. 4 ; 30 avril 1947, p. 4 ; 10 mars 1948, p. 4 ; 14 janvier 1953, p. 6.

[107] T.C.N., 24 avril 1940, p. 4.

[108] T.C.N., 19 avril 1939, p. 10 ; 6 septembre 1939, p. 11 ; 15 décembre 1943, p. 4 ; 30 avril 1947, p. 4 ; 10 mars 1948, p. 4.

[109] T.C.N., 19 avril 1939, p. 10.

[110] T.C.N., 15 décembre 1943, p. 4 ; 15 mars 1944, p. 4 ; 30 avril 1947, p. 4.

[111] La distinction entre neutralité et non-confessionnalité des coopératives se retrouve dans plusieurs textes du Conseil supérieur de la coopération et en particulier dans le fameux article du père G.-H. LÉVESQUE, « La non-confessionnalité des coopératives », Ensemble, vol. VI, n° 10, décembre 1945, p. 2-5. Il y définit la neutralité comme « la non-acceptation tant intérieure qu'extérieure de la foi », la confessionnalité comme « l'acceptation intérieure et extérieure de la foi » et la non-confessionnalité comme « l'acceptation intérieure de la foi mais sans sa manifestation extérieure ». Pour lui, « lorsque nous parlons de non-confessionnalité des coopératives, nous ne visons que l'affichage officiel de la foi, nous ne nions pas, au contraire, l'obligation réelle qu'une coopérative a, comme toute institution d'ailleurs, de s'inspirer des principes chrétiens comme aussi d'orienter son action vers Dieu ».

[112] T.C.N., 5 avril 1939, p. 10 ; 12 avril 1939, p. 12 ; 16 janvier 1946, p. 4.

[113] T.C.N., 11 janvier 1939, p. 10 ; 29 novembre 1939, p. 5 ; 7 février 1940, p. 4 ; 13 août 1941, p. 4 ; 9 décembre 1942, p. 4 ; 15 décembre 1943, p. 4 ; 31 janvier 1945, p. 4 ; 8 janvier 1947, p. 4 ; 16 avril 1947, p. 4 ; 17 mai 1950, p. 4.

[114] Claude BEAUCHAMP, « Coopération et Syndicalisme agricoles au Québec (1900-1930) », Thèse de doctorat de 3e cycle en sociologie, Paris, E. P. H. E., 1975, 281 p.

[115] T.C.N., 31 janvier 1940, p. 2.

[116] T.C.N., 9 janvier 1952, p. 15.

[117] Nous rencontrons aussi ce phénomène dans l'histoire agricole de la France où il fit son apparition cependant un peu plus tôt qu'au Québec. On pourra consulter à ce sujet les Agrariens français de Méline à Pisani de Pierre BARRAL, Paris, Armand Colin, 1968, 386 p. (Coll. Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques, 164) et Histoire de la France rurale, tome 4, 1914 à nos jours, sous la direction de Georges Duby et Armand Wallon, Paris, Seuil, 1976, 672 p.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 25 juillet 2011 6:42
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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