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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Claude Beauchamp, “Coopération et syndicalisme agricole au Québec : une lutte pour le pouvoir ?” In La transformation du pouvoir au Québec. Actes du Colloque de l’ACSALF 1979, pp. 193-202. Sous la direction de Nadia Assimo-poulos, Jacques T. Godbout, Pierre Hamel et Gilles Houle. Montréal: Les Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1980, 378 pp. [La présidente de l’ACSALF, Mme Marguerite Soulière, nous a accordé le 20 août 2018 l’autorisation de diffuser en accès libre à tous ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[193]

La transformation du pouvoir au Québec.
Actes du Colloque de l’ACSALF 1979.
Deuxième partie

Coopération et syndicalisme
agricoles au Québec :
une lutte pour le pouvoir ?


Par Claude BEAUCHAMP

Département de sociologie
Université Laval

Plusieurs événements récents nous amènent à penser que non seulement il y a des tensions entre la coopération et le syndicalisme agricoles, mais que ces deux organismes se mènent une lutte assez vive pour assurer ou augmenter leur emprise sur le milieu agricole. Pour ne prendre que les manifestations les plus connues de ce phénomène, citons la querelle autour du problème du lait qui se déroule dans les publications de l'Union des producteurs agricoles, de la Coopérative fédérée et des grandes coopératives laitières, devant la Régie des marchés agricoles du Québec, et qui est rendue depuis quelques mois devant les tribunaux, suite à l'action entreprise par la Coopérative fédérée contre la Fédération des producteurs de lait. Rappelons aussi le débat autour du projet de loi 116.

Comment expliquer ce phénomène ? Nous ne croyons pas qu'il puisse être éclairé par une cause ou par un élément unique, mais plutôt par un ensemble d'éléments relevant tant de l'histoire, de l'idéologie et de la nature des organismes que de la conjoncture. C'est autour de ces points que nous tenterons de construire notre propos, non pas pour en arriver à une explication définitive, mais plutôt pour établir les premiers jalons d'une problématique. Cette démarche se situe à l'intérieur d'une recherche d'ensemble sur la coopération agricole au Québec.

[194]

Historique

Nous avons à plusieurs reprises lu des textes ou entendu des discours de dirigeants coopératifs ou syndicaux, où ces derniers soulignaient la bonne entente entre leurs associations respectives. Ces affirmations relevaient davantage du souhait que de la réalité, car sauf pour de brèves périodes exceptionnelles venant confirmer la règle, les relations n'ont jamais été bonnes.

Remontons au début des années 20. Depuis 1908, année de la passation de la loi des Sociétés coopératives agricoles, plus de 300 coopératives locales ou régionales avaient été fondées et de ce nombre, environ 150 étaient encore en opération. La Confédération des coopératives agricoles, fondée en 1916 par l'abbé J.-B.-A. Allaire, venait de disparaître, entraînant avec elle un grand nombre de coopératives locales. Il existait de plus trois coopératives provinciales : la Coopérative agricole des fromagers de Québec, qui se joignit en 1920 à la Coopérative centrale des agriculteurs de Québec, fondée en 1910, le Comptoir coopératif, fondé en 1913, et la Société coopérative agricole des producteurs de semences de Québec, fondée en 1914. Du côté syndical existaient les Fermiers-Unis de Québec, depuis 1918. Leur meilleure année fut 1923, où ils comptèrent 172 succursales et près de 5 000 membres.

Depuis 1918, il était question de la fusion des coopératives provinciales, mais aucune d'entre elles ne la souhaitait vraiment. Le ministre de l'Agriculture du Québec, J.-E. Caron, la provoqua en 1922.

L'agronome Noé Ponton, qui avait acheté en 1921 le Bulletin des agriculteurs appartenant alors à la Coopérative centrale, y multipliait ses critiques de l'action gouvernementale en matière d'agriculture et accordait un appui soutenu aux Fermiers-Unis, qui s'étaient lancés dans la politique active, en particulier lors de l'élection fédérale de 1921. Même s'ils oeuvraient au plan fédéral et n'obtinrent aucun succès électoral, les Fermiers-Unis hantaient le ministre Caron. Il craignait qu'ils abordent la politique provinciale, nuisent au Parti libéral et étendent leur influence sur les coopératives agricoles. C'est dans ce contexte qu'il obligea les trois coopératives provinciales à fusionner et que naquit la Coopérative fédérée. Si, au strict plan de l'efficacité, cette fusion s'imposait depuis longtemps, elle se fit dans de très mauvaises conditions. Dès sa fondation, la Coopérative fédérée était dans les faits mise en tutelle et cela durera jusqu'en 1930.

Cette situation déclencha aussitôt une vive opposition, particulièrement de la part de Ponton. Ce dernier et Firmin Létourneau mirent alors toutes leurs énergies à promouvoir le syndicalisme [195] agricole. Ils en vinrent cependant vite à la conclusion que les Fermiers-Unis, neutres sur le plan religieux et engagés sur le plan politique, ne réussiraient jamais à s'implanter profondément. C'est alors qu'est née l'idée d'une nouvelle association, confessionnelle et neutre sur le plan politique. L'Union catholique des cultivateurs sera fondée en 1924.

Le ministre Caron était tellement furieux qu'il refusa d'assister à la séance d'ouverture du congrès de fondation. « Nous sommes convaincus, écrivait-il, que ce Congrès auquel vous nous invitez est organisé, par ses promoteurs originaires, dans un but hostile à l'administration provinciale [1] ». Il ne croyait pas à la neutralité politique de l'U.C.C. et il n'avait pas complètement tort d'ailleurs.

Le tout dégénéra vite en effet en conflit politique. Les coopératives et surtout la Coopérative fédérée appuyaient le Parti libéral au pouvoir et les syndicats agricoles appuyaient le Parti conservateur. Un des principaux responsables actuels de la Coopérative fédérée nous déclarait qu'encore dans les années 1940, le conseil d'administration de la Coopérative était composé de Rouges et celui de l'U.C.C. de Bleus.

Au moment de sa fondation, l'U.C.C. ne prévoyait pas exercer d'activités économiques, se voulant un organisme de défense des intérêts professionnels des agriculteurs. Par contre, elle espérait bien forcer les coopératives locales et la Coopérative fédérée à se transformer, à devenir de vraies coopératives. Constatant son insuccès dans ce domaine et voulant répondre à ses membres qui réclamaient certains services économiques, elle décida en 1929 de favoriser la formation de syndicats coopératifs. En 1930, elle organisa le Comptoir coopératif de l'U.C.C. pour servir aux syndicats de centrale d'achat et de vente.

Un nouveau ministre de l'agriculture, J.-L. Perron, fit amender la loi de la Coopérative fédérée en 1930, lui rendant ainsi sa liberté, et se préoccupa d'améliorer sa situation financière [2]. Les gens de l'U.C.C. et d'autres se mirent alors à accuser la Coopérative de fonctionner grâce à des subventions gouvernementales, tandis que cette dernière disait que le gouvernement ne faisait que lui rembourser les dettes encourues au moment de la tutelle.

La clarification de la situation coopérative de la Fédérée ne satisfaisait donc pas pleinement l'U.C.C. et les tensions entre les deux organismes continuèrent de plus belle jusqu'en 1938 ; ils signèrent alors une entente par laquelle chaque conseil d'administration accueillait trois membres nommés par l'autre organisme. De plus, l'U.C.C. fermait son Comptoir coopératif et engageait les syndicats coopératifs à s'affilier à la Fédérée. L'entente dura jusqu'en 1953. Dans un mémoire présenté aux archevêques et évêques du Québec en [196] 1951, les aumôniers de l'U.C.C. écrivaient que « pour obtenir plus d'unité dans le mouvement coopératif rural, (l'U.C.C. avait) consenti de lourds sacrifices en supprimant son Comptoir Coopératif et en reconnaissant la Coopérative Fédérée comme un de ses services économiques [3] ».

Nous retrouvons exprimée dans cette citation une idée qui s'implanta assez vite à l'U.C.C, à savoir que le syndicalisme devait d'une façon ou de l'autre encadrer la coopération. L'histoire des relations entre les deux organismes, surtout dans les années 40 et 50, l'illustre bien.

L'U.C.C, par exemple, faisait de l'éducation coopérative, ce qui n'était pas contesté par les coopératives. Ces dernières n'acceptaient toutefois pas que l'U.C.C en fasse un monopole, d'autant plus qu'elle demandait parfois de l'argent aux coopératives pour le faire. Si les coopératives avaient acquiescé à pareille demande, elles auraient encore une fois perdu une partie de leur autonomie.

Les tensions relatives à l'éducation coopérative furent encore envenimées par l'existence du Conseil de la coopération du Québec, fondé en 1939. L'U.C.C en faisait partie au début, mais encore là des dissensions se manifestèrent assez vite. L'U.C.C. voulait imposer son point de vue sur l'éducation coopérative. Appelés à trancher le débat, les évêques rédigèrent un mémoire sur le sujet en 1953, où ils distribuaient les torts aux différentes parties, mais où l'U.C.C. pouvait trouver une certaine confirmation de sa volonté de suprématie [4].

Entre-temps, l'U.C.C s'était en 1951 retirée du Conseil parce que ce dernier avait refusé de créer deux sections, l'une rurale et l'autre urbaine. Il aurait certainement été plus facile à l'U.C.C d'imposer ses vues dans une section rurale que dans le Conseil tel qu'il existait et cela n'a sans doute pas échappé à ce dernier.

Jusque vers 1945, l'U.C.C. a surtout privilégié la formule coopérative comme mécanisme de commercialisation des produits agricoles. Par la suite, faisant remarquer que la coopération n'occupait pas tous les domaines, elle se mit à réclamer une loi qui aurait permis l'application de la formule de la convention collective à la vente des produits de la ferme. Cette demande sera renouvelée dans tous les mémoires annuels présentés au gouvernement provincial jusqu'à la passation de la loi des marchés agricoles, en 1956.

Nous soumettons que la raison rappelée plus haut et énoncée officiellement n'était pas la seule. Nous pensons en effet que cette voie nouvelle, la convention collective, qu'on appellera plus tard plan conjoint, fut mise de l'avant parce que l'U.C.C. se rendait compte qu'elle ne réussirait pas à mettre la main sur les coopératives.

[197]

La formule des plans conjoints fut retenue dans la loi des marchés agricoles, mais il y était dit que cela ne devrait pas nuire à l'action des coopératives. Il y était en particulier dit ceci : « Rien dans l'application de la présente loi ne doit venir en conflit avec les engagements d'un producteur vis-à-vis sa coopérative, ni avec les engagements de celle-ci avec une autre coopérative ». Ce paragraphe fut biffé en 1963 et les coopératives demandent encore qu'il soit réintroduit, jugeant que son absence donne trop de latitude au syndicalisme agricole dans l'application des plans conjoints et nuit ainsi à l'action des coopératives.

Nous pouvons dire que la loi des marchés agricoles a vraiment ouvert une voie nouvelle à l'U.C.C. et lui a permis de mettre sur pied, à côté de ses fédérations régionales, des fédérations professionnelles qui sont directement impliquées sur le plan économique, surtout depuis 1963, année où un amendement leur a permis d'administrer des plans conjoints. Par la suite, à peu près chaque fois que la loi fut amendée, il y eut augmentation des pouvoirs syndicaux, les coopératives ne réussissant pas à faire valoir leur point de vue ou encore acceptant des compromis qui les défavorisaient. Le cas récent de la loi 116 en est un bel exemple.

Cela a donné comme résultat que les coopératives sont assujetties aux plans conjoints de la même manière que les entreprises capitalistes, ce qui est aberrant puisque cela nie la nature de la coopération. Le plan conjoint conduit en effet à une négociation entre des producteurs et des transformateurs. Dans le système capitaliste ça va, étant donné que ce sont deux groupes différents. Par contre, dans le système coopératif, les producteurs sont aussi les transformateurs puisqu'ils sont collectivement propriétaires de leurs usines de transformation. Ils ne devraient pas avoir à négocier avec eux-mêmes.

Il s'agit évidemment là d'un bon moyen à la disposition du syndicalisme agricole pour s'immiscer dans le fonctionnement des coopératives. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que ces dernières voudraient être exemptées de l'application des plans conjoints ou encore, pour ne pas aller trop contre la mode, administrer elles-mêmes leurs propres plans conjoints, ce qui en pratique reviendrait au même. Le syndicalisme s'y oppose avec la dernière énergie car il perdrait alors une grande partie de son pouvoir, surtout dans les domaines où les coopératives sont puissantes. La querelle actuelle entre les fédérations de producteurs de lait et les coopératives laitières est très significative à cet égard.

La position de l'U.C.C. s'est encore renforcée en 1972, lorsque le gouvernement provincial a voté la loi des producteurs agricoles. C'est alors que l'U.C.C devint l'U.P.A. et cessa à toutes fins utiles  [198] d'être une association volontaire. Désormais tous les producteurs doivent contribuer au financement de l'U.P.A. Les coopératives demandèrent que la contribution soit volontaire mais encore une fois ne purent faire prévaloir leur point de vue.

L'histoire nous montre donc qu'il y a à peu près toujours eu lutte entre la coopération et le syndicalisme agricoles pour déterminer qui exercerait le plus de pouvoir auprès des agriculteurs. Elle nous montre aussi que le syndicalisme fut le plus souvent « l'agresseur » et le plus souvent le gagnant.

Facteurs idéologiques

Les tensions dont nous venons de retracer brièvement la genèse étaient et sont encore favorisées par des facteurs d'ordre idéologique. Du côté du syndicalisme, on a toujours prétendu exercer une action plus globale que la coopération, puisqu'on s'intéressait à tous les aspects de la vie de l'agriculteur, non seulement à l'aspect économique, comme dans la coopération, disait-on, mais aussi à l'aspect religieux, à l'aspect moral et à l'aspect social.

Ce point de vue prit une ampleur particulière pendant la période du corporatisme. On prônait la mise en place de la corporation de l'agriculture, à la tête de laquelle serait l'U.C.C. Ainsi, lors de la Semaine sociale de 1937, consacrée à la coopération, Firmin Létourneau, l'un des fondateurs de l'U.C.C, déclarait que dans la corporation, « l'association professionnelle est plus grande que la coopération. Celle-ci est une création de celle-là. Il y a entre les deux un rapport de subordination. C'est une hiérarchie qu'il faut respecter. Autrement, c'est la discorde, la lutte [5] ».

Quinze ans plus tard, le même thème sera repris dans le cours à domicile de l'U.C.C. de 1951-1952, portant sur la coopération en regard de la doctrine sociale de l'Église, On peut y lire :

L'U.C.C. poursuit directement le BIEN COMMUN de la profession agricole...

Au contraire les coopératives poursuivent des fins particulières, limitées : l'amélioration des conditions économiques des cultivateurs, et certaines fins sociales déterminées. Sans doute elles font aussi de l'éducation, organisent des services et prennent la défense de certains intérêts ; ce n'est pas toutefois sous l'angle général de l'agriculture mais sous l'angle particulier de la coopération... Or, peut-on logiquement mettre sur un même pied d'égalité une [199] association (l'association professionnelle), qui a pour but la défense du bien commun, c'est-à-dire de tous les intérêts de l'agriculture, et une autre (l'association coopérative) qui de par sa nature même n'en protège qu'une partie. Le tout n'est-il pas plus grand que les parties ?...

Démontrer que l'association professionnelle est l'organe central, le moteur de toute la vie professionnelle agricole, et que les coopératives agricoles ne sont que des organes ou instruments économiques, c'est réaffirmer la primauté du syndicalisme sur la coopération. Bien plus, ceci évoque immédiatement un certain rapport de dépendance entre les deux... [6]

Cette idée de la suprématie du syndicalisme est demeurée pour ainsi dire dans la mémoire collective même après l'abandon de l'orientation corporatiste. Elle fut soutenue alors par une pensée revendicative où on retrouve formulés les grands problèmes de l'agriculture québécoise.

Du côté des coopératives, le soutien idéologique était moins puissant, la pensée coopérative était floue. Par la suite, avec la fondation du Conseil de la coopération, elle se précisa un peu. Mais il n'en sortit pas, à notre point de vue, une doctrine qui aurait pu servir de défense contre les attaques. Non seulement les attaques venant du syndicalisme agricole, mais surtout celles venant de l'économie capitaliste.

Nous savons en effet que les coopératives agricoles rencontrèrent de nombreuses difficultés financières. Pour les résoudre, on a naturellement emprunté les techniques de gestion mises au point par le capitalisme, à la fois parce que ces techniques semblaient avoir fait leurs preuves et parce qu'il n'y en avait pas d'autres disponibles. Mais comme les coopératives n'avaient pas une base doctrinale forte, elles ont importé non seulement les techniques de gestion de l'entreprise capitaliste mais aussi les valeurs sous-jacentes à ce type d'entreprise.

Les difficultés financières des coopératives les forcèrent à concentrer leur action sur l'aspect économique. Évidemment, cela produisit de bons résultats au plan de l'entreprise. Mais en même temps qu'elles laissaient de côté les autres aspects, par exemple l'aspect social ou l'aspect éducation, elles rationalisaient cette situation en disant qu'elles étaient d'abord et avant tout des entreprises et que l'aspect économique devait primer. Depuis ce temps, le syndicalisme agricole a beau jeu pour affirmer qu'il est plus complet que la coopération, qu'il représente plus que les intérêts économiques des agriculteurs. D'autant plus que la plupart des coopératives et même la Fédérée ont très peu développé leurs services de formation, d'information et de relations publiques.

[200]

Des organisations de nature différente

Nous savons déjà que nous sommes en présence de deux organisations différentes. Par définition, le syndicalisme est revendicateur et il fonctionne pour autant qu'il a un « adversaire » auprès de qui il peut exercer des pressions — c'est le cas du syndicalisme à vocation générale —, ou encore avec qui il peut négocier — c'est davantage le cas du syndicalisme spécialisé —. Si nous prenons l'exemple de l'industrie laitière, les fédérations de producteurs ont besoin de transformateurs capitalistes en face d'eux. D'un autre côté, ces derniers sont davantage favorables au syndicalisme qu'à la coopération. Il s'agit de voir à ce sujet la position du Conseil de l'industrie laitière du Québec, organisme patronal.

Cela se comprend facilement, car plus la présence coopérative est forte, moins il y a de place pour le syndicalisme et l'entreprise privée. Dans ce sens, nous pouvons dire que la nature même de la coopération et du syndicalisme agricoles est source de tensions entre les deux.

Soulignons aussi que le syndicalisme, n'étant pas particulièrement aux prises avec les contraintes inhérentes à une entreprise de transformation, peut se permettre beaucoup plus de pressions et d'actions publiques que la coopération. Le syndicalisme a aussi beaucoup plus de temps et de moyens pour s'attaquer à la coopération que cette dernière n'en a pour s'en prendre à lui. La coopération se défend plus ou moins lorsqu'elle est attaquée, mais cela se fait souvent aux dépens de l'entreprise.

La conjoncture

Autant les coopératives peuvent lutter avec succès dans le domaine économique et obtenir ainsi des revenus intéressants pour leurs membres et aussi, souvent, pour l'ensemble des agriculteurs parce que les entreprises capitalistes sont obligées de s'ajuster à la politique des coopératives, autant les coopératives sont mal préparées à réagir contre l'action syndicale ou l'action politique.

Le syndicalisme agricole est devenu un groupe de pression puissant et il s'est donné les moyens de le demeurer. Aucun gouvernement ne peut l'ignorer longtemps, aussi réussit-il habituellement à obtenir ce qu'il souhaite.

[201]

C'est dans cette perspective qu'il faut placer le débat sur la loi 116. Il faut cependant ajouter un élément conjoncturel. En effet, comme l'U.C.C. et maintenant l'U.P.A. ont toujours été plus nationalistes que les coopératives agricoles et comme la souveraineté est très importante pour le gouvernement actuel et qu'elle est essentielle et prioritaire pour le ministre de l'Agriculture Jean Garon, on était encore plus enclin à satisfaire les demandes syndicales et à accorder au syndicalisme plus de pouvoir dans l'application des plans conjoints.

Fonction manifeste, fonction latente

De plus en plus d'agriculteurs se plaignent de ces éternelles querelles entre la coopération et le syndicalisme agricoles. Chaque association dit que c'est pour le bien des agriculteurs, mais est-ce si certain quand on pense à ce que ces querelles coûtent en temps, en énergies et en argent ? Améliorer les conditions socio-économiques des agriculteurs, c'est la fonction manifeste. Ces querelles n'auraient-elles pas aussi comme fonction latente d'assurer à tel ou tel groupe de dirigeants la suprématie sur l'autre, et il nous semble que c'est davantage recherché par le syndicalisme, pour asseoir son pouvoir. Dans ce sens, le syndicalisme se sent obligé d'exercer une action économique, d'où sa volonté d'implanter et d'administrer des plans conjoints, parce qu'il juge que les agriculteurs sont plus sensibles aux grandes déclarations si elles s'accompagnent de gestes ayant une signification économique plus immédiate.

Conclusion

Comme nous l'avons dit au début de cet exposé, il s'agit là des premiers éléments d'une problématique pour expliquer les tensions entre la coopération et le syndicalisme agricoles. Nous avons construit ces éléments à partir d'un premier survol du problème, en dépouillant rapidement la documentation disponible, en effectuant quelques entrevues et en faisant un peu d'observation. Nous en sommes donc encore à la phase exploratoire, mais nous croyons utile [202] de livrer les premiers fruits de cette recherche, ne serait-ce que pour aider à comprendre un peu mieux ce qui se passe entre les associations agricoles.

Claude Beauchamp

Département de sociologie
Université Laval



[1] Lettre du ministre Caron au président du comité des congrès, reproduite dans Rapport de la fondation et de toutes les assemblées annuelles, 1924-1927, Montréal, Union catholique des cultivateurs, 1928, pp. 25-26.

[2] Pour plus de détails sur la période 1900-1930, voir ma thèse de doctorat de 3e cycle, Coopération et syndicalisme agricoles au Québec (1900-1939), Paris, E.P.H.E., 1975.

[3] L'Union catholique des cultivateurs et le Conseil supérieur de la coopération, mémoire des aumôniers de l'U.C.C. aux archevêques et évêques du Québec, mai 1951.

[4] Le texte de ce mémoire est publié dans Ensemble, vol. XV, n° 7, août-septembre 1954, pp. 2-9.

[5] Semaines sociales du Canada, La Coopération, Montréal, Secrétariat des Semaines sociales du Canada, École sociale populaire, 1937, p. 232.

[6] La Terre de chez nous, 9 janvier 1952, p. 15.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 26 novembre 2019 9:57
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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