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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Gabriella Battaini-Dragoni, “Vivre ensemble dans l’égale dignité.” Conférence d’ouverture publiée dans l’ouvrage sous la direction de Gérard Bouchard, Gabriella Battaini-Dragoni, Céline Saint-Pierre, Geneviève Nootens et François Fournier, L’interculturalisme. Dialogue Québec-Europe. Actes du Symposium international sur l’interculturalisme. Montréal : 25-27 mai 2011. Montréal: L’Interculturalisme, 2011, 611 pp. [Le 14 juillet 2003, Mme Céline Saint-Pierre accordait aux Classiques des sciences sociales sa permission de diffuser, en accès libre et gratuit à tous, toutes ses publications.].

[2]

Gabriella Battaini-Dragoni

Directrice Générale de l’Éducation, de la Culture et du Patrimoine, de la Jeunesse et du Sport
Coordinatrice du dialogue interculturel, Conseil de l’Europe, Strasbourg, France

Vivre ensemble
dans l’égale dignité
.”

Conférence d’ouverture publiée dans l’ouvrage sous la direction de Gérard Bouchard, Gabriella Battaini-Dragoni, Céline Saint-Pierre, Geneviève Nootens et François Fournier, L’interculturalisme. Dialogue Québec-Europe. Actes du Symposium international sur l’interculturalisme. Montréal : 25-27 mai 2011. Montréal : L’Interculturalisme, 2011, 611 pp.

Notice biographiques
Résumé
Introduction
Multiculturalité et multiculturalisme
Les sources de la diversité culturelle
Les débuts du débat sur le dialogue interculturel
Le Livre blanc du Conseil de l’Europe
La gouvernance démocratique
Citoyenneté démocratique et participation
Les compétences interculturelles
Espaces du dialogue
Le dialogue interculturel dans les relations internationales
De la théorie à l’action interculturelle
Conclusion


Notice biographique

Responsable-adjointe pour l'Europe d'Interculturalisme 2011, Gabriella Battaini-Dragoni est Directrice Générale de l'Éducation, de la Culture et du Patrimoine, de la Jeunesse et du Sport au Conseil de l'Europe. En 2005, Madame Battaini-Dragoni a été nommée Coordinatrice pour le Dialogue Interculturel et, à ce titre, a été responsable de la préparation du Livre Blanc du Conseil de l'Europe sur le dialogue interculturel, adopté le 7 mai 2008 au niveau ministériel, premier document de ce genre au niveau international, et de la campagne du Conseil de l'Europe « Dites NON à la discrimination ». Madame Battaini-Dragoni est régulièrement invitée comme intervenante aux Nations Unies, à l'OCDE, à l'OSCE et aux réunions de l'Union européenne. Le site Council of Europe présente de plus amples informations sur la Direction Générale de l'Éducation, de la Culture et du Patrimoine, de la Jeunesse et du Sport.

[3]

Résumé

Dans les débats politiques actuels en Europe, la diversité culturelle joue un rôle toujours plus important ; la « multiculturalité » est loin d'être acceptée par tous. Depuis les années 1990, les sociétés européennes se trouvent face à de nouveaux défis interculturels. Le concept du dialogue interculturel naquit d'abord dans le contexte des minorités nationales, ensuite dans le contexte de la diversité culturelle générée par l'immigration répandue. Le Livre blanc sur le dialogue interculturel, lancé en 2008 par le Conseil de l'Europe, essaye de clarifier le concept et introduit la distinction entre cinq aspects importants : la gouvernance démocratique de la diversité culturelle ; le préalable de la participation de tous ; les compétences interculturelles ; les espaces du dialogue ; et les aspects internationaux. Le Conseil de l'Europe a lancé plusieurs grands projets européens afin de promouvoir le dialogue interculturel, tels que les initiatives visant à améliorer la situation des Roms ; les « Cités interculturelles » ; la campagne « Dites non à la discrimination » ; les échanges sur la dimension religieuse du dialogue interculturel ; le « Centre Wergeland » ; et plusieurs projets jeunesse.

[4]

Introduction

« L'interculturalisme » et « l'interculturalité » - le titre de la soirée se prête parfaitement à l'ouverture d'un symposium transatlantique.

Le titre est parfait parce qu'il s'agit là de deux concepts qui, depuis quelques années, n'ont cessé de soulever, partout dans le monde, des controverses politiques et académiques acharnées. Deux concepts dont la définition courante est suffisamment vague pour donner lieu à des malentendus tenaces. Bref, deux concepts qui méritent pleinement ce débat international et intense, entre les éminents experts rassemblés ici ce soir.

Multiculturalité et multiculturalisme

Il y a quelques semaines, dans son discours à la Conférence sur la sécurité à Munich, le Premier ministre britannique, M. Cameron, a parlé des racines du terrorisme. Une des raisons fondamentales, disait-il, est celle que « sous la doctrine du multiculturalisme d'Etat, nous avons encouragé différentes cultures à vivre des vies séparées, indépendamment les unes des autres, et indépendamment du courant majoritaire. Nous n'avons pas développé une vision de la société à laquelle ces communautés jugent qu'elles veulent appartenir. »

M. Cameron n'est pas le seul à formuler une telle critique fondamentale. Partout en Europe, il y a des hommes et des femmes politiques qui expriment leurs doutes, leurs angoisses face à l'intégration parfois lente et incomplète des migrants ou d'autres minorités. La ghettoïsation, l'échec éducatif, le chômage, la discrimination, la marginalisation, les stéréotypes sont d'autres symptômes de ce problème.

Ceci dit, il est important de distinguer — comme M. Cameron l'a fait ajuste titre dans son discours de Munich — deux notions différentes d'une part, la [5] « multiculturalité » de nos sociétés, un fait indiscutable dans l'ensemble de l'Europe ; et, d'autre part, l'approche politique que nous appelons le « multiculturalisme ».

L'organisation intergouvernementale paneuropéenne pour laquelle je travaille, le Conseil de l'Europe, a insisté ces dernières années à plusieurs reprises sur cette distinction très importante. La multiculturalité, ou la diversité culturelle, est une réalité et le restera que cela nous plaise ou non. Pour certains pays c'est une situation nouvelle, comme pour l'Irlande, un pays qui pendant des siècles a été une région d'émigration et non pas d'immigration. Pour d'autres — comme la Fédération de Russie avec environ 160 ethnies différentes vivant au sein de ses frontières — c'est une situation plutôt habituelle, bien que l'immigration issue de l'Asie centrale pose de nouveaux défis.

La « multiculturalité » est un fait social. Le « multiculturalisme » est une approche politique - une approche périmée. Après quelques décennies de stratégies « multiculturalistes » dans plusieurs pays européens — pas tous, force est de le constater —, nous sommes arrivés à la conclusion que le multiculturalisme est un concept insuffisant. Critiquer le multiculturalisme ne signifie pas pour autant que l'on soit opposé à la diversité culturelle et religieuse du continent. Les sociétés européennes se caractérisent par leur diversité, c'est un fait, mais quelque chose n'a pas fonctionné et les communautés vivent de manière séparée, parallèle. Certaines minorités, telles que les Roms, aujourd'hui très isolés, ont été stigmatisées et les partis xénophobes ont le vent en poupe dans de nombreux pays. « Un vent froid souffle sur l'Europe », disait récemment le Secrétaire général de mon organisation.

Le concept du « multiculturalisme » est basé sur une opposition schématique de majorité et de minorité. Une approche basée aussi, au nom des traditions et des identités collectives, sur l'acceptation de la séparation entre les communautés. C'est un concept qui favorise la rupture, au lieu du dialogue, de l'interaction et de valeurs partagées. Un concept qui sape la cohésion sociale, et qui à la longue mène à l'échec.

[6]

Les sources de la diversité culturelle

Les faiblesses pratiques et stratégiques du « multiculturalisme » sont devenues si évidentes que, pendant les années 1990, les politiques ont commencé à rechercher des alternatives.

Or, en Europe, les années 1990 ont été marquées par deux tendances parallèles, et potentiellement porteuses de conflits.

D'abord, outre la fin de la Guerre froide, la chute du mur de Berlin a marqué la relance massive d'une question de l'histoire européenne bien connue pour sa complexité et son potentiel de déstabilisation destructeur — la question des minorités nationales. La désintégration de l'Union soviétique et de la Yougoslavie a mis en lumière, pratiquement d'un jour à l'autre, des minorités ethniques importantes vivant dans les « nouveaux » états. Trouver une vision commune, pacifique et constructive, et développer un concept de cohésion nationale, constituaient un impératif politique absolument vital. L'inactivité n'était pas une option.

Parallèlement à ce processus, la mondialisation de l'économie, la révolution des moyens de transport et des moyens de communication ont profondément changé notre manière de produire, notre manière de voir le monde — et, par le biais de la migration internationale croissante, la composition de nos sociétés.

Ces deux développements ont aussi transformé notre approche de la diversité culturelle.

Les débuts du débat sur le dialogue interculturel

À peu près à ce moment de l'histoire, la notion du « dialogue interculturel » a fait son apparition sur la scène internationale.

[7]

La première fois que le concept s'est glissé dans un texte légal international fut en 1995. La Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, développée par le Conseil de l'Europe, oblige les Etats signataires à promouvoir « l'esprit de tolérance et le dialogue interculturel », afin de favoriser « le respect et la compréhension mutuels et la coopération entre toutes les personnes vivant sur leur territoire, quelle que soit leur identité ethnique, culturelle, linguistique ou religieuse, notamment dans les domaines de l'éducation, de la culture et des médias. »

Ce petit fait historique n'est pas anodin. Je le mentionne exprès pour souligner que le concept du dialogue interculturel dépasse largement le cadre politique des relations entre le monde musulman et l'Occident, qui est trop souvent cité comme unique référence dans ce contexte.

Le Livre blanc du Conseil de l'Europe

Revenons à l'Europe.

Afin de développer des réponses aux questions soulevées par la diversité croissante, les chefs d'Etat et de gouvernement des États membres du Conseil de l'Europe ont d'abord décidé, lors du Sommet de Varsovie en 2005, de se pencher sur la pratique du dialogue interculturel. Quelques mois plus tard, les ministres de la Culture ont appelé à l'élaboration d'un « Livre blanc » sur ce thème, en vue de tracer les grandes lignes de la politique et des bons usages applicables en la matière.

Le Conseil de l'Europe était bien placé pour prendre une telle initiative. Créé en 1949 après les ravages infligés au continent par un nationalisme, un antisémitisme et un totalitarisme agressifs, le Conseil de l'Europe a incarné dès le départ les normes universelles de la démocratie, de l'État de droit et des droits de l'homme.

Pour élaborer ce livre blanc sur le dialogue interculturel, le Conseil de l'Europe a tout de suite engagé une longue consultation. Ce document sur le dialogue est né dans le [8] dialogue. La consultation fut une vaste entreprise, à laquelle ont participé les États membres ; des centaines d'associations non gouvernementales ; autant de représentants de communautés religieuses ; des experts et des spécialistes ; ainsi que les diverses composantes du Conseil de l'Europe lui-même.

Il est intéressant de noter que l'un des grands enseignements tirés de cette consultation est d'ordre conceptuel. Elle a en effet montré que la difficulté des gouvernements à faire face aux événements de ces dernières années tenait au caractère inadapté des deux manières dont la diversité culturelle a été historiquement abordée : la première étant l'assimilation — l'idée selon laquelle les membres des communautés minoritaires devraient assimiler la philosophie dominante de l'État dans lequel ils résident ; la deuxième, justement, étant celle du « multiculturalisme ».

La réponse aux échecs de ces deux approches est le nouveau paradigme de « l'interculturalisme », du dialogue interculturel. Il a emprunté à l'assimilation son meilleur élément : l'accent mis sur l'universalité et l'égalité des citoyens, associées à l'exercice impartial de l'autorité par les pouvoirs publics. Il a par ailleurs emprunté au multiculturalisme sa prise de conscience de la réalité de la diversité culturelle et de son potentiel d'enrichissement culturel.

Mais au lieu de privilégier le rapport entre l'individu ou la communauté et l'État, le dialogue interculturel souligne la nécessité d'établir un dialogue par-delà les barrières communautaires. Il est imprégné d'une culture de l'ouverture d'esprit, qui reconnaît la fluidité des identités et juge indispensable de ne pas refuser de s'adapter à la mondialisation.

L'interculturalisme offre ainsi une nouvelle réponse à la question de l'intégration sociale. Alors que l'assimilation considérait qu'il incombait aux communautés minoritaires de s'intégrer totalement, tandis que le multiculturalisme traitait cavalièrement la nécessité de s'intégrer, le dialogue interculturel redéfinit l'intégration [9] comme une voie à double sens,  dans laquelle  chacun a un rôle à jouer et des responsabilités à assumer.

Comme l'avaient demandé les États membres en 2005, le Livre blanc publié en mai 2008 par quarante-sept ministres des Affaires étrangères, traduit cette idée de manière théorique et pratique. Sur le plan théorique, il examine la nécessité d'une gouvernance démocratique de la diversité culturelle, marquée par une culture de la citoyenneté et de la participation. Sur le plan pratique, il résume les normes juridiques et politiques approuvées par la communauté internationale, et énumère les actions qui peuvent en découler à tous les niveaux.

Permettez-moi d'accentuer brièvement certaines des considérations principales qu'on trouve dans le Livre blanc.

La gouvernance démocratique

En premier lieu, le Livre blanc discute en détail ce que signifie la notion de la « gouvernance démocratique » de la diversité culturelle. Le Livre blanc insiste sur le fait que le dialogue interculturel doit être ancré dans une culture politique et juridique qui valorise la diversité, qui l'encourage et ne la traite pas comme une anomalie.

Le dialogue doit aussi être basé sur des valeurs partagées par tous. Les droits de l'homme universels, la démocratie et la primauté du droit sont ces valeurs qui priment sur toute autre valeur, tout autre aspect de notre identité culturelle, tout autre trait de notre culture et identité. Ces valeurs partagées sont la condition indispensable pour notre vivre-ensemble en égale dignité et pour la confiance sociale.

Quant aux droits de l'homme, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme nous fournit des orientations détaillées. La Cour européenne est une juridiction internationale compétente pour statuer sur des requêtes individuelles ou étatiques alléguant des violations des droits civils et politiques énoncés par la Convention [10] européenne des droits de l'homme. Sous l'aspect de la diversité culturelle, la jurisprudence de la Cour sur la liberté de pensée, de conscience et de religion, sur la liberté d'expression et sur la liberté de réunion et d'association est particulièrement importante.

On peut dire que l'ancrage du dialogue interculturel dans les droits de l'homme assure d'abord l'absence de discrimination sous toutes ses formes. La réalité est pourtant plus complexe. Pour assurer la jouissance effective et non discriminatoire de tous les droits de l'homme par chacun, indépendamment des racines et des identités culturelles, des mesures complémentaires sont souvent nécessaires.

Pour le contexte européen, le Livre blanc énumère quelques critères plutôt généraux mais fait référence surtout à la jurisprudence de la Cour, qui a constaté en 2007 que la Convention européenne des droits de l'homme « n'interdit pas à un Etat membre de traiter des groupes de manière différenciée pour corriger des 'inégalités factuelles' entre eux ; de fait, dans certaines circonstances, c'est l'absence d'un traitement différencié pour corriger une inégalité qui peut, sans justification objective et raisonnable, emporter violation de la disposition en cause. [1] ». Il peut s'avérer nécessaire de prendre dans certaines limites, des mesures pratiques afin de tenir compte de la diversité [2]. De telles mesures d'accommodement ne doivent pas porter atteinte aux droits d'autrui, ni entraîner des difficultés organisationnelles disproportionnées ou occasionner des coûts excessifs.

[11]

Citoyenneté démocratique et participation

Voici le deuxième message : la citoyenneté, au sens le plus large du terme, désigne un droit et même une responsabilité de participer avec les autres à la vie sociale et économique, ainsi qu'aux affaires publiques de la communauté. La démocratie exige la participation active de l'individu aux affaires publiques.

Or, l'exclusion de quiconque de la vie de la communauté est injustifiable et constituerait un grave obstacle au dialogue interculturel. Le dialogue interculturel repose sur l'égale dignité de chacun ; l'exclusion de la vie de la communauté serait une atteinte grave à la dignité.

La mise en place de formes durables de dialogue - par exemple, des organes consultatifs chargés de représenter les résidents étrangers auprès des pouvoirs publics et des « comités locaux pour l'intégration » - pourrait s'avérer particulièrement utile.

En Europe, nous observons avec inquiétude le désengagement politique et civique croissant, le manque de confiance dans les institutions démocratiques et les actes de racisme et de xénophobie de plus en plus nombreux. Toutes ces tendances vont à l'encontre de la participation.

Il y a quelques jours, le Conseil de l'Europe a publié le rapport d'un groupe d'éminentes personnalités sur les risques actuels de l'intolérance croissante sur notre continent, et ses racines. Dans ce rapport, intitulé Vivre ensemble Conjuguer diversité et liberté dans l'Europe du XXIe siècle, les auteurs se déclarent préoccupés. Parlant de l'intolérance croissante, ils disent que « ce phénomène est celui qui nous a le plus alarmés, et qui nous semble se manifester dans le traitement hostile et discriminatoire auquel les membres de divers groupes de population sont soumis aujourd'hui en Europe. »

[12]

Et ailleurs dans le rapport, ils affirment que « la diversité est... là pour durer. Elle façonne l'avenir de l'Europe dans un monde qui évolue rapidement, et qui continuera de le faire. Il est dès lors vital que les Européens relèvent le défi de la diversité de manière plus efficace et plus déterminée - et, pour dire les choses sans fard, beaucoup mieux qu'ils ne l'ont fait jusqu'ici. » [3]

Les compétences interculturelles

Troisième point : le Livre blanc insiste sur le fait que les compétences nécessaires au dialogue interculturel ne sont pas automatiquement maîtrisées. Elles doivent être acquises, pratiquées et entretenues tout au long de la vie.

Selon notre analyse, trois domaines de compétences ont un rôle exceptionnellement important pour le dialogue interculturel la citoyenneté démocratique ; l'apprentissage des langues ; et l'apprentissage de l'histoire. La connaissance des « faits religieux » — et pas uniquement de notre propre religion, mais aussi des religions pratiquées par nos co-citoyens — est également propice à la compréhension mutuelle et au dialogue.

Dans ce contexte, l'éducation à la citoyenneté démocratique est peut-être la plus essentielle de tous. Elle est orientée vers une société libre, tolérante, juste, ouverte et inclusive ; orientée vers une cohésion sociale accrue ; vers la compréhension mutuelle, la solidarité et vers l'égalité entre les femmes et les hommes. Elle englobe toutes les actions éducatives, soit formelles, soit non formelles ou informelles à tous les niveaux, du primaire et secondaire au tertiaire et à la recherche.

L'éducation à la citoyenneté démocratique couvre, entre autres, l'éducation civique, historique, politique et aux droits de l'homme, ainsi que l'éducation au contexte mondial des sociétés et au patrimoine culturel. Elle encourage des approches [13] pluridisciplinaires et combine l'acquisition de connaissances, de compétences et de comportements. La capacité de réflexion et la disposition à l'autocritique sont particulièrement nécessaires à la vie au sein de sociétés culturellement diverses.

Espaces du dialogue

La quatrième réflexion du Livre blanc concerne les espaces nécessaires pour l'épanouissement du dialogue.

Les lieux sociaux du dialogue interculturel sont innombrables, tout comme les organismes chargés de sa promotion, dont les organisations non gouvernementales et les instances administratives et internationales. Il est difficile d'imaginer un espace ou un acteur social qui ne soit pas concerné par le dialogue interculturel.

Évidemment, la réussite de la gouvernance interculturelle dépend largement de la multiplication de tels espaces : espaces physiques tels que rues, marchés et magasins, jardins d'enfants, écoles et universités, centres socioculturels, clubs de jeunesse, églises, synagogues et mosquées, salles de réunions dans les entreprises et lieux de travail, musées, bibliothèques et autres équipements de loisirs ; ou espaces virtuels comme l'internet et les médias de masse.

La création d'espaces de dialogue interculturel est une tâche collective. Sans espaces appropriés, accessibles et attrayants, le dialogue interculturel ne peut avoir lieu et encore moins prospérer. La planification urbaine peut aboutir à des banlieues de type traditionnel avec des lotissements, des zones industrielles, des stationnements et des routes périphériques. Ou alors la planification peut prévoir des places vivantes, des parcs, des rues animées, des terrasses de café et des marchés, mettant en contact des couches différentes de la société et favorisant le développement d'un esprit de tolérance.

Il est crucial que les populations de migrants ne soient pas, comme c'est souvent le cas, concentrées dans des zones d'habitation sans âme et stigmatisées, isolées et [14] exclues de la vie citadine. Plusieurs pays d'Europe ont payé un prix fort pour cette forme de marginalisation de leurs migrants.

Les médias jouent également un rôle déterminant. Ils peuvent attiser les flammes de l'insécurité et de la méfiance — ou ils peuvent promouvoir les voix minoritaires, le dialogue interculturel et le respect mutuel. Les entreprises des médias doivent être elles-mêmes le reflet de la diversité de la société au service de laquelle elles sont, par exemple dans les émissions qu'elles destinent aux minorités et dans la constitution de leurs équipes de journalistes.

Le dialogue interculturel
dans les relations internationales


Finalement, quelques mots sur le dialogue interculturel dans les relations internationales.

L'engagement pour le dialogue interculturel ne s'arrête pas aux frontières des États-nations. Nous sommes convaincus que l'action multilatérale fondée sur le droit international et la promotion des droits de l'homme, la démocratie et la primauté du droit sont les bases du dialogue interculturel à l'échelle internationale.

Ainsi, le Livre blanc se réfère également à l'action que le Conseil de l'Europe pourrait mener avec ses partenaires internationaux pour promouvoir le dialogue au-delà du continent. Dans le contexte actuel, cette démarche s'impose tout particulièrement à l'égard du monde arabe et musulman.

Le Conseil de l'Europe bénéficie dans ce domaine des relations qu'il entretient non seulement avec l'Unesco, mais également, plus spécifiquement, avec les organisations culturelles de la Ligue arabe (ALECSO) et de l'Organisation de la Conférence islamique (ISESCO). Le Centre Nord-Sud du Conseil de l'Europe a également un rôle à jouer en la matière, tout comme la Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh et l'Alliance des civilisations des Nations Unies.

[15]

De la théorie à l'action interculturelle

Le Livre blanc sur le dialogue interculturel offre de multiples réponses aux questions auxquelles les gouvernements ont été confrontés ces dernières années et qui visaient toutes à permettre à des individus différents de vivre ensemble.

Que fait-on en Europe pour faire avancer le dialogue interculturel ? Le Conseil de l'Europe — d'ailleurs en étroite coopération avec les autres grandes institutions internationales actives dans notre région, l'Union européenne et l'OSCE — a lancé ces dernières années un grand nombre d'initiatives politiques pour traduire notre volonté politique en action.

Voici quelques exemples.

* J'ai déjà mentionné la situation extrêmement difficile des Roms et des Gens de voyage, deux « minorités itinérantes » en Europe. Depuis quelques années déjà, on avait organisé des campagnes de sensibilisation, et des projets de formation visant ces minorités elles-mêmes, mais aussi des éducateurs. L'année dernière, sous le choc d'une discrimination accrue dans quelques pays, le Conseil de l'Europe a commencé de renforcer ces initiatives, et de les élargir au domaine de la médiation au niveau municipal.

* Les « Cités interculturelles » est probablement le projet le plus intéressant. Co-organisé avec la Commission européenne, le projet vise à aider des villes à travers le continent à exceller comme espaces du dialogue interculturel, et à mettre en œuvre des stratégies urbaines pour le dialogue interculturel avec les autorités locales, les médias, les institutions urbaines et la société civile. Les domaines couverts par le projet sont la gouvernance participative, le discours médiatique, la médiation, les politiques et les actions culturelles. Le réseau a commencé avec une douzaine de villes, mais est en train de s'élargir en Europe — déjà en Italie et Ukraine avec des réseaux nationaux— et sur d'autres continents.

[16]

* Nous avons également lancé la campagne « Dites non à la discrimination », destinée principalement aux professionnels des médias. La campagne avait pour mission de former les professionnels des médias au traitement de l'actualité relative à la discrimination et au dialogue interculturel ; d'aider les personnes issues de minorités à faire entendre leur voix en facilitant leur accès aux métiers des médias et à la production médiatique ; et d'informer l'opinion publique sur les politiques de lutte contre la discrimination.

* Le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a organisé plusieurs échanges de vues sur la dimension religieuse du dialogue interculturel, se concentrant en particulier sur ses aspects éducatifs et sur la réflexion sur ce thème dans les médias. Ces échanges ont impliqué des représentants de communautés religieuses, des experts indépendants, et des organismes de la société civile y compris des convictions humanistes, athées, agnostiques et sceptiques.

* Enseignement de l'histoire : « l'image de l'autre dans l'enseignement de l'histoire ».
* Avec le soutien du gouvernement norvégien, nous avons créé un nouveau « Centre européen pour l'éducation à la compréhension interculturelle, aux droits de l'homme et à la citoyenneté démocratique », situé à Oslo. Le but est de jeter des ponts entre la recherche, la politique et la pratique du dialogue interculturel dans le domaine de l'éducation. Le « Centre Wergeland » (son autre nom, plus simple) offre ses conseils aux éducateurs et aux autorités publiques et s'engage dans la recherche internationale.

* Dans le domaine de la politique destinée à la jeunesse, nous avons intensifié notre programme sur l'éducation aux droits de l'homme, à la citoyenneté démocratique et au dialogue inter culturel. Parmi les approches les plus avancées, on peut citer notre « Chantier de paix », organisé chaque année avec des jeunes militants venant des [17] situations les plus tendues, les plus conflictuelles comme au Kosovo [4], en Arménie et en Azerbaïdjan (dont l'un -l'Arménie- occupe une partie du territoire de l'autre depuis le début des années 1990), ou encore en Israël et en Palestine. Nous sommes actuellement en train de préparer un projet de formation de « jeunes ambassadeurs de la paix », des jeunes pouvant agir comme moteurs d'un dialogue au niveau national et local ; et d'un autre projet, visant à combattre avec des jeunes bloggeurs, les discours de haine dans la « blogosphère ».

Conclusion

Ce symposium est placé sous le titre de « l'interculturalisme ». Dans mes réflexions j'ai d'abord essayé de traduire la notion « d'interculturalisme » en concept politique. Dans la communication politique en Europe, du moins, la notion « d'interculturalisme » n'est pas aussi répandue que celle de « dialogue interculturel ».

Je suis convaincue qu'il s'agit du même concept. Un concept moderne, qui évite les pièges de « l'assimilationisme » comme les pièges du « multiculturalisme ». Un concept qui assume pleinement les défis posés par le monde d'aujourd'hui, par la diversité culturelle croissante et irréversible qui marque toutes nos sociétés.

Ensuite, j'ai essayé de traduire la notion de dialogue interculturel dans la pratique, en citant quelques exemples de projets concrets menés en Europe par les autorités publiques, par la société civile, les médias, les communautés religieuses et d'autres parties prenantes.

Je suis intimement convaincue que le dialogue interculturel ne peut être prescrit par la loi. « L'interculturalisme » doit rester une invitation ouverte. Le dialogue doit rester flexible. Nous devons assurer que tous peuvent participer au débat sur la future [18] organisation de nos sociétés. Il est de notre responsabilité commune à tous de construire une société dans laquelle nous puissions vivre ensemble, dans l'égale dignité.



[1] D.H. et autres c. République Tchèque, Grand Chambre, Arrêt du 13 novembre 2007, §175.

[2] Voir la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (1995), article 4, paragraphes 2 et 3, ainsi que les paragraphes correspondants du rapport explicatif. D.H et autres c. République Tchèque, arrêt du 13 novembre 2007 (Grande Chambre). Le Comité européen des Droits sociaux a affirmé que « la différence dans une société démocratique doit non seulement être considérée positivement, mais doit également être prise en compte avec discernement afin de garantir une égalité véritable et effective » (Autism France c. France, réclamation n° 13/2002, décision sur le bien-fondé du 4 novembre 2003, paragraphe 52).

[3] Vivre ensemble Conjuguer diversité et liberté dans l'Europe du XXIe siècle. Rapport du Groupe d'éminentes personnalités du Conseil de l'Europe, pp. 10 et 8. LIEN.

[4] Toute référence au Kosovo mentionnée dans ce texte, que ce soit le territoire, les institutions ou la population, doit se comprendre en pleine conformité avec la Résolution 1244 du Conseil de Sécurité des Nations Unies et sans préjuger du statut du Kosovo.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 21 août 2014 13:35
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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