Roger BASTIDE [1898-1974]
sociologue et anthropologue français,
spécialiste de sociologie et de la littérature brésilienne.
“La pensée obscure et confuse.”
Un article publié dans la revue Le Monde chrétien, no 75-76, juillet-décembre 1965, pp. 137-156. La revue a été renommée “Foi et vie”. Texte repris Bastidiana, n° 2, avril-juin 1993, pp. 77-89.
Leenhardt n'a pas fini de nous faire parler de lui. Le numéro 71-72 du Monde non Chrétien nous montrait sa pensée toujours en action, soit qu'on l'utilise dans un sens polémique, contre Lévi-Strauss, soit qu'on essaie de faire de ces deux « ethnologies », des ethnologies plus complémentaires qu'opposées. Et certes, elles sont complémentaires, en ce sens que ce sont deux branches qui sortent d'un même tronc, français. Mais il ne faut pas se faire d'illusion : ce sont bien deux branches divergentes.
Le problème de la confrontation entre Leenhardt et Lévi-Strauss est de même nature que celui de la confrontation entre Durkheim et Lévy-Bruhl. De même nature, car, à travers tous les cheminements et toutes les modifications des pensées, Lévi-Strauss rejoint Durkheim par l'intermédiaire de Marcel Mauss (le mérite de l'ethnologie, en nous faisant étudier des réalités éloignées des nôtres, nous permet de considérer les faits sociaux comme des choses) tandis que de son côté Leenhardt, lui, rejoint Lévy-Bruhl (en substituant seulement à la « pensée mystique » la « pensée mythique »). Et certes Durkheim et Lévy-Bruhl se situent dans la même école, celle de la sociologie dite française. Mais Durkheim ne veut voir que l'unité de la raison, car la raison est d'origine sociale et tout homme appartient à la société - alors que Lévy-Bruhl, lui, ne veut voir que la multiplicité des raisons, car l'intelligence humaine est toujours façonnée par la culture du milieu environnant, et il y a une multiplicité de cultures. Durkheim veut expliquer ; son œuvre prend place dans le grand courant du positivisme. Lévy-Bruhl veut comprendre (ou plus exactement attirer notre attention sur le danger de comprendre les « primitifs » à travers une autre mentalité, la nôtre celle qui a été façonnée par des siècles de culture occidentale) ; il ouvre la voie d'une sociologie nouvelle que l'on appellera, par la suite, la « sociologie de la compréhension ». Il suffit de se rappeler ces deux possibles relations entre la raison et le social pour saisir combien Durkheim et Lévy-Briihl, tout en faisant partie d'une même école, et étant cités côte à côte dans les manuels, se tournaient au fond le dos.
Nous pensons cependant que pour bien comprendre l'opposition des deux « ethnologies », nous ne devons pas nous arrêter trop longuement sur le conflit de Durkheim et de Lévy-Bruhl. Car Lévi-Strauss et Leenhardt ont fait subir à la pensée de Durkheim et à celle de Lévy-Bruhl des changements radicaux. Nous avons bien parlé de cheminements, mais aussi de modifications ; il faudrait peut-être dire : de métamorphoses. Et nous devons insister sur elles. Durkheim reste sociologue, il va bien, dans son article écrit d'ailleurs en collaboration avec M. Mauss, sur les classifications primitives, jusqu'au problème de la structure de la raison, mais cette structure reste encore une structure matérielle, saisie en quelque sorte empiriquement ; il va bien aussi, dans Les formes élémentaires de la vie religieuse jusqu'au symbolisme, mais il s'arrête aux manifestations de ce symbolisme, sans aller jusqu'à définir l'homme par son activité symbolique ; bref, il est au seuil de l'Anthropologie, mais il ne le franchit pas. Lévi-Strauss au contraire ne se sert de l'ethnologie que comme d'un matériel, d'une inépuisable richesse, pour arriver à définir l'homme ; les cultures si nombreuses soit-elles, si complexes et multiformes, étant toutes l'œuvre de l'homme, on peut saisir à travers elles la nature de l'esprit qui y laisse toujours sa « cicatrice » . Le seuil de l'Anthropologie est franchi. Lévy-Bruhl croyait à une opposition radicale entre la mentalité primitive et la mentalité scientifique ; Leenhardt était un missionnaire, il ne pouvait donc accepter cette opposition, qui allait contre sa foi et aurait rendu inopérante la conversion des âmes ; sans nier les difficultés de l'évangélisation, il sentait battre dans le cœur d'un Canaque le même cœur qui battait dans sa poitrine, il rétablissait l'unité niée. Ce qui fait qu'en définitive, tout en situant nos deux auteurs dans des courants qui leur sont antérieurs, on peut bien dire que l'opposition Durkheim-Lévy-Bruhl n'est pas suffisante pour comprendre l'opposition Lévi-Strauss-Leenhardt. Elle ne va pas jusqu'au tuf de leurs pensées respectives.
Il faut aller plus loin. Le débat, au fond, est philosophique. Ne nous imaginons donc pas qu'en retraçant, brièvement ici une certaine histoire de la pensée philosophique, nous nous éloignons de notre sujet. Derrière Do Kamo et La Pensée sauvage se profilent les ombres de Descartes et de Kant. Le passage du Cogito à « l'unité transcendantale du moi » nous permettra d'atteindre les bases - plus exactement le terreau dans lequel, sans s'en rendre compte peut-être, s'enracinent les conceptions de l'ethnologie contemporaine.
En partant du Cogito, Descartes fait de la philosophie une méditation sur la cogitatio : « les corps ne sont pas proprement connus par les sens, mais par le seul entendement », c'est-à-dire qu'en tant qu'idées claires et distinctes. Son idéal reste celui des mathématiques et il n'a de cesse que de modeler toutes les pensées sur le modèle des essences mathématiques. Il sait cependant que pour y arriver, il faut être « fort attentifs » et détacher son esprit « du commerce des sens ». C'est que son analyse de la cogitatio lui fait reconnaître, au dedans de l'esprit, à côté des idées claires et distinctes, une pensée obscure et confuse, pour employer ses propres termes ; obscure c'est-à-dire non analysée, et confuse ; c'est-à-dire aux idées pataugeant les unes dans les autres. C'est que notre âme reste unie à notre corps et par-delà notre corps, à tous les corps environnants, ce qui fait que nos sentiments ne sont « pas de pures pensées de l'âme, mais des perceptions confuses de cette âme qui est réellement unie au corps » . Spinoza dira, d'une façon analogue, que l'âme est l'idée du corps, qu'elle perçoit directement ses mouvements et affections et à travers lui les autres choses de la nature, car notre corps est parmi d'autres corps, qui agissent sans cesse sur lui et le modifient, au hasard des événements, ce qui fait que l'âme ne perçoit plus en elle qu'un « chaos confus ».
Le rôle de la philosophie est d'apprendre à passer de ces idées obscures et confuses aux idées claires et distinctes et cela en transformant le chaos en un enchaînement logique car ce qui rend une idée claire et distincte, c'est sa place dans une série, analogue aux séries des objets mathématiques, qui sortent les uns des autres, par voie déductive. Ne soyons donc pas étonné que Descartes, malgré le Traité sur les Passions, ne s'intéresse pas beaucoup à la pensée confuse, puisque tout son effort consiste à en sortir. Mais elle existe. Et si nous voulions donner une définition philosophique de l'œuvre de Leenhardt, nous dirons volontiers qu'il s'est attaché à faire ce que Descartes avait négligé de faire : de nous donner une analyse, ou plutôt de nous faire ressentir ce que c'est que cette pensée obscure et confuse. Nous y reviendrons. Signalons seulement ici que, pour Leenhardt comme pour Descartes, il n'y a pas dualité de la raison ; on peut passer des idées confuses et obscures aux idées claires et distinctes ; la conversion est toujours possible. Mais pour le moment bornons-nous à cette constatation que la pensée de Leenhardt se situe dans une définition du Cogito comme un ensemble de Cogitationes.
Cependant Descartes ne voulait pas en rester là ; il voulait tirer, on le sait, le Cogito en dehors de la cogitatio. C'était ce qui restait en lui de la scolastique. Malebranche lui dénie à juste titre ce droit, en montrant que nous n'avons pas de notre âme une notion claire. Qu'était alors ce Cogito, séparé de sa cogitatio ? On ne pouvait en faire qu'une pure forme, vide, et ce sera l'œuvre de Kant. Le moi, le « je pense », n'est pas une représentation empirique, c'est le principe de la déduction transcendentale, c'est l'ensemble des formes a priori de la sensibilité et des catégories de l'esprit, c'est la forme des formes. Certes Kant le prend comme une sorte de fait (le « je » n'est pas lui-même sujet à déduction), mais ce n'est pas un fait d'expérience, c'est ce qui unifie l'expérience. C'est donc une réalité en elle-même inconsciente, et qu'on ne peut saisir qu'indirectement, parce qu'il met de l'ordre dans la multiplicité chaotique des sensations. Les cultures, qu'étudie l'ethnologue, s'offrent à lui aussi avec cette même multiplicité chaotique. Lévi-Strauss se demande comment on peut arriver à ordonner les 200 ou 300 systèmes de parenté que l'on connaît actuellement, à travers le monde ? On ne peut mettre de l'ordre en comparant entre eux les seuls contenus de ces systèmes ; toutes les tentatives faites en ce sens ont échoué ; c'est que l'ordre - qui les rejoint - est extérieur, il vient de l'esprit. Anthropologie structurale, qu'est-ce que cela veut dire ? Qu'on découvre sans doute des structures dans les œuvres culturelles, mais ces structures sont la marque, en elles, de la structure de l'esprit qui les crée, ou, si l'on préfère, de la nature de l'homme. Et cette nature, ce n'est ni l'analyse des cogitationes qui pourra nous la donner (critique des idées de Mana, de Hau, etc, comme explications des phénomènes culturels), ni la descente dans les profondeurs (critique du freudisme). Comme chez Kant, bien que par d'autres voies, l'homme est saisi comme forme des formes, comme forme informante.
C'est pourquoi l'anthropologie doit se détourner des idées confuses et obscures. C'est qu'il n'y a pas, pour un Lévi-Strauss, de chemin qui puisse, comme chez Descartes, acheminer la confusion à la distinction et l'obscurité à la clarté. Non que Lévi-Strauss nie cette portion sombre ; il est bien obligé de la constater, mais il s'en débarrasse en la rejetant à l'historien, c'est la part de l'événement, du non-humain ; en d'autres mots, pour lui, le donné pur peut se décrire, il ne peut s'analyser, il n'est pas susceptible d'ordre.
Il est évident qu'entre ces deux conceptions, que nous appellerons en gros cartésienne et kantienne, il n'y a pas de compromis possible. Il nous reste à voir - ce qui est le plus important - à quelles conséquences elles conduisent, chacune, par une espèce de nécessité interne, dans le domaine de l'ethnologie.
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Le premier livre de Lévi-Strauss semble poser le problème des valeurs comme problème central de l'ethnologie, puisqu'il fait sortir la culture de la nature avec la règle - et qu'il n'y a pas de règle sans valeur. Cependant déjà tout le Lévi-Strauss qui suivra, se dessine dans Les Structures Elémentaires de la Parenté. Cette règle en effet qu'il y étudie, c'est le tabou de l'inceste ; mais l'auteur, en substituant au caractère négatif du tabou (ce qu'il interdit), son caractère positif (les femmes qu'il est recommandé d'échanger), montre bien qu'il se méfie de tout ce qui est irrationnel, dans l'interdiction, de ce qu'il y a en elle de sacré, le lieu de craintes et de désirs, en un mot il élimine le monde des sentiments (de l'obscur et du confus). Mais ce n'est pas tout ; au fur et à mesure que le lecteur avance dans le livre, il découvrira que la règle est moins un commandement, qui ordonne la praxis, qu'une loi, celle de l'existence même des sociétés ; une loi qui détermine des formes, c'est-à-dire des agencements de parties (un peu comme dans la théorie de la Gestalt, avec cette différence que ce sont ici les « mauvaises » formes, celles qui sont ouvertes, qui sont les plus susceptibles d'élargir la solidarité sociale) ; ainsi, le chemin qui exorcise les valeurs (humaines, trop humaines) de l'ethnologie, pour leur substituer une loi interne d'organisation (formelle) est ouvert. La conclusion fait le bilan de ce que cette conception est obligée de rejeter : la femme, comme objet de désirs - le mot, comme puissance incantatoire - les biens économiques, comme matérialisation du prestige, pour ne laisser subsister que les manières obligatoires dont ils sont échangés. L'ethnologie ne pourra donc jamais se confondre avec l'ethnographie, qui est un inventaire, le plus complet possible, d'objets culturels, et où les règles de parenté sont considérées comme de véritables objets, au même titre que les haches de pierre ou les boomerangs ; avec la méthode comparative, on entre dans un domaine entièrement nouveau, où ce sont les relations entre les objets qui comptent, au point que ces objets peuvent être interchangeables, les relations ne se modifient pas pour cela ; on peut remplacer les mots par des femmes, ou des femmes par des colliers de jade, les lois de leur distribution restent les mêmes.
Cependant, dans ce premier livre, la nature de cette loi reste équivoque. Qu'elle détermine des structures, c'est évident, mais est-ce que ce sont des structures uniquement sociales ou sont-elles psychologiques ? S'agit-il d'une règle inhérente à l'organisation ou une information du réel par quelque « forme a priori », à la manière Kantienne, qui vient de l'esprit ? L'intégration aux Structures Elémentaires de la Parenté d'un chapitre d'A. Weil sur la logique des groupes, semble indiquer que c'est la seconde solution qui doit être la bonne, puisque l'ordre du réel ne peut manifester que l'ordre des pensées. L'équivoque, en tout cas, disparaît avec La Pensée sauvage. Pensée sauvage, et non pensée du sauvage. C'est-à-dire non étude du totémisme comme système culturel, parmi d'autres systèmes possibles ; mais étude de la classification du réel, comme exigence de l'esprit humain. Nous sommes passés définitivement de l'ethnologie (qui reste encore essentiellement une sociologie des peuples anciennement dits « primitifs ») à l'anthropologie. Et c'est probablement le sens que donne Lévi-Strauss à cette phrase que l'on trouve dans ce livre, que l'ethnologie n'est pas historique, mais psychologique ; il veut dire par là qu'elle ne s'intéresse pas aux ethnies, qui ont une histoire, mais à la découverte des structures formelles de la raison transcendentale. La multiplicité des cultures cache un petit nombre de lois fondamentales, qui sont partout et toujours les mêmes, et qui définissent la nature humaine. Cependant, comme nous l'avons dit ailleurs, Lévi-Strauss ne complète pas sa « Critique de la Raison pure » par une « Critique de la Raison Pratique ». On pourrait trouver, si l'on voulait faire la biographie spirituelle de Lévi-Strauss, les raisons de cette lacune dans certaines de ces expériences enfantines, qu'il nous raconte dans Tristes Tropiques. Mais ce n'est pas l'homme qui nous intéresse ici, mais le savant. Et, scientifiquement, ce qui frappe le lecteur, à partir de Y Anthropologie Structurale, c'est cet intellectualisme, sans cesse grandissant, cette passion de la découverte des règles de l'intelligence pure, en éliminant ce qui peut la contaminer du dehors, que ce soit le mythe ou que ce soit la science, car la science est chose culturelle au même titre que le mythe. Pensée sauvage, encore une fois, c'est-à-dire déculturalisée. On voit que nous sommes bien ici au contrepied de Lévy-Bruhl ; ce qui intéressait ce dernier, c'étaient ces variations culturelles, ces oppositions de mentalités, qui traduisent des moments historiques. Lévi-Strauss s'intéresse bien aux mythes, mais pour les détruire, n'y voir que le décalque de la raison, et de ses lois de constitution : il ne se penche jamais sur les gouffres, il se refuse aux vertiges des symboles, aux tentations des sentiments collectifs. Durkheimien, il chosifie les différences, comme le chirurgien qui endort les corps sur lesquels il veut opérer, pour mieux discerner, sous son scalpel, les réseaux des liaisons ligamenteuses. On peut certes se demander si le dernier livre de Lévi-Strauss, Le Cru et le Cuit, ne commence pas cependant à introduire des valeurs dans le système ; ce n'est peut-être pas impunément que son auteur en relie les parties par des considérations musicales. Cependant cette musique n'a rien de wagnérien, elle n'est pas « enchantement », mais architecture avant tout, ensemble de répétitions, d'oppositions, de mélanges de thèmes ; ainsi ce qui compte en elle, ce n'est pas le thème en tant qu'évocation d'un sentiment, ou expression de l'âme, mais encore une fois, l'agencement des parties. Si la mythologie se compare à la musique, ce n'est que parce que la musique ne signifie rien. Sous une forme détournée, c'est le même mécanisme de défense contre l'irrationnel - plus exactement, contre l'irruption possible du sacré - qui est en jeu. Personnellement, pour moi qui ne suis point musicien, Le Cru et le Cuit m'ont donné l'image de ces baraques foraines de mon enfance, de ces labyrinthes faits de jeux de miroirs, où les reflets se renvoient, se recoupent, s'organisent, mais où, de morceaux d'images en morceaux d'images, c'est une même réalité qui transparaît toujours, celle de l'esprit humain.
Mais on peut se demander alors si pour connaître cet esprit, le détour par l'ethnologie est bien nécessaire. Et c'est le paradoxe de l'explication du totémisme par Rousseau, avant qu'on eût découvert même une première société totémique, c'est au-dedans de moi que je trouve les racines structurelles de l'altérité : « Insensé, qui crois que je ne suis pas toi ». Mais le texte sur Rousseau du Totémisme aujourd'hui se laisse déjà pressentir dans certaines phrases de l'Introduction à l'œuvre de M. Mauss. C'est dire qu'il ne constitue pas une nouveauté, mais une constance de la pensée de Lévi-Strauss. L'altérité n'est pas niée à proprement parler, mais elle est surmontée.
Nous ne prétendons pas vouloir enfermer l'œuvre de Lévi-Strauss dans ce schéma. Nul plus que nous n'a au contraire le sentiment de la richesse d'idées, de ce foisonnement de suggestions, de ce débroussaillement de maquis que présentent ses livres. Mais nous avons voulu dégager seulement ce que j'appellerai : les lignes de force de l'ethnologie (ou anthropologie) structurale :
- - rejet des valeurs qui donnent des buts aux règles, pour n'envisager la règle que comme loi informative des Faits (Cf. le schématisme Kantien) ;
- - rejet des significations, qui ne sont que des idéologies, ou des super-structures, pour n'envisager que la fonction symbolique en tant que pure fonction ;
- - distanciation par rapport à tout ce qui est sentiment, religiosité, contenus manifestes de la pensée, pour saisir la pensée en tant que structure structurante ;
- - mise à l'écart des objets culturels pour n'étudier que les modes de relations entre ces objets ;
- - dé-réalisation à son tour du rapport qui ne doit pas être conçu ontologiquement, mais algébriquement ;
- - à la limite enfin, déduction transcendentale de l'altérité à partir de l'identité humaine.
Lignes de force, plus ou moins poussées, mais qui toutes manifestent une même volonté d'exorciser le sacré d'une mentalité que l'on définissait comme toute pénétrée de sacré - non pas par le passage des idées confuses et obscures aux idées claires et distinctes, de peur qu'elles ne gardent encore, à leurs limites, une frange religieuse (Descartes trouvait Dieu à l'intérieur du Cogito) - mais en passant résolument de l'intelligible à l'intelligence elle-même, à travers la recherche passionnée des formes, et des formes des formes, sans s'arrêter aux choses informées, comme si elles pouvaient garder en elles quelque risque de contagion.
Le petit garçon des Tristes Tropiques auquel nous faisions allusion, un peu plus haut, est allé jusqu'au bout du couloir qui l'éloigné du sanctuaire où son oncle parle, sur le mont Sinaï, et qu'il a voulu, dès son enfance, à tout jamais rejeter.
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Leenhardt est au contraire l'homme qui a appris, tout petit, à converser avec Dieu. Ne nous étonnons donc pas que son ethnologie prenne le contre-pied de celle que nous venons d'analyser.
Certes Leenhardt est un homme d'occident, c'est-à-dire des idées claires et distinctes. Le christianisme transcende toute civilisation, mais il ne peut vivre qu'en s'incarnant en chacune d'elles, et le nôtre est tout pénétré, à côté du judaïsme, par la pensée gréco-romaine, celle des inventeurs des systèmes de concepts et des inventeurs des systèmes juridiques. Il s'en est bien rendu compte, le jour où un Canaque lui dit, à son grand étonnement, que c'était le christianisme qui lui avait appris qu'il avait un corps. Un corps, c'est-à-dire d'abord un objet qui était séparé de l'âme, au lieu d'engluer l'esprit dans la matière - un corps, c'est-à-dire aussi un objet séparé des autres objets de la nature, des pierres totémiques, des animaux et des végétaux, comme du nom qu'on lui donne, de toutes ses appartenances. Le canaque, en se christianisant, ne sortait pas de son monde, mais il avait appris à transformer des idées obscures et confuses en idées claires et distinctes. Il retrouvait, à trois siècles de distance, la phrase de Malebranche : « Nous connaissons les corps d'abord confusément, puis clairement, par idées. ».
Mais si Leenhardt, missionnaire, voulait apporter le christianisme aux Canaques, il lui fallait faire le chemin inverse à celui de ce converti. Il lui fallait remonter des idées claires et distinctes aux idées obscures et confuses - de la connaissance « par idées » à la connaissance par la chair. Et c'est ce qu'il a fait. Ce faisant, il a découvert le monde de la confusion et de l'obscurité, que notre civilisation cartésienne rejette, ou plus exactement considère comme une connaissance inférieure, inadéquate, une connaissance de deuxième ordre, par conséquent peu digne de nous retenir. Que ce soit une autre forme du savoir, c'est évident, bien que l'on puisse toujours transformer l'une en l'autre, mais ce n'est pas une forme inférieure - c'est une connaissance d'un autre genre. Le missionnaire Leenhardt échappe à cet article. Mais il fallait bien partir de lui. Car c'est parce qu'il s'est fait pêcheur d'hommes qu'il est devenu savant. Qu'il nous a donné cette description d'une terra incognita, pressentie par Lévy-Bruhl, mais que Lévy-Bruhl avait mal explorée, d'abord sans doute parce qu'il l'avait explorée à travers les livres de sa bibliothèque au lieu de la saisir en acte sur le terrain - mais aussi parce que Lévy-Bruhl n'était pas arrivé entièrement à se défaire de son ethnocentrisme, de son éducation occidentale, et qu'il voulait donner une définition claire de l'obscurité, une description distincte de la confusion. Leenhardt, pour planter le Christ, en Nouvelle-Calédonie, a été obligé de se dépouiller de la civilisation qu'il avait apprise, pour se jeter dans les ténèbres de l'altérité. Et sans doute, bien qu'il multiplie les expressions canaques, qu'il insiste sur les particularités de ce langage pour mieux nous dépayser, est-il obligé de traduire finalement ses découvertes en mots et en concepts français (de remonter à la limpidité, à la transparence), il n'en reste pas moins qu'il nous a donné la seule description valable de la connaissance du second genre. Il nous faut maintenant voir ce que Leenhardt à partir de ce renversement apporte à l'ethnologie. Il nous suffit pour cela de reprendre les lignes de force de la pensée de Lévi-Strauss, que nous avons énumérées ci-dessus, pour les inverser.
Leenhardt n'ignore pas les systèmes de parenté. Il a mis particulièrement en relief les structures duales : oncle maternel et neveu utérin - cousin et cousine croisés - gendre et belle-mère - le père-chef et le fils, héritier de sa « parole » - le grand-père et son petit-fils. Mais ces dualités sont corporifiées ; il fait passer le sang dans les veines, il fait reverdir les ossements desséchés. Les structures ne sont plus conçues, comme chez Lévi-Strauss, sous une forme en quelque sorte minéralogique (où l'ethnologue retrouve ses jeux de collectionneur de pierres -de belles formes immobiles - durant ses vacances dans les Cévennes) - mais, sous la suggestion même du langage canaque - comme des organisations végétales, comme des lianes vivantes, plus vivantes que les troncs d'arbres qu'elles embrassent de leurs tiges serpentines. Et déjà une première loi de la pensée confuse se distingue : nous découpons ce qui est uni, ainsi notre pensée va à rencontre de la réalité, où le tout est antérieur aux parties, et détermine les comportements des parties. La pensée confuse n'est pas une pensée inadéquate, c'est la nôtre qui l'est, en substituant à la réalité une image qui est l'œuvre de notre pur esprit. De la même façon, Leenhardt, comme Lévi-Strauss, s'est intéressé au totémisme. Mais Lévi-Strauss (qui, notons-le, ne cite pas une seule fois Leenhardt, tellement il se sent loin de lui) ne veut voir dans le totémisme qu'un système de classification des choses ; pour ce faire, il l'arrache à la réalité où il prend racine, il le lave de ce qu'il considère comme des impuretés, il le nettoie de façon à n'en laisser qu'une image qui soit translucide à notre raison. Et que le totémisme soit un système de classification, Lévi-Strauss l'a bien montré. Mais n'est-il que cela ? En lui enlevant ses « impuretés », ne lui a-t-on pas enlevé aussi des morceaux de son être ? En le lavant, n'a-t-on pas fait partir ses couleurs propres ? Le totem est « tabou ». Lévi-Strauss élimine ce caractère ; plus exactement, il n'en tient pas compte car le tabou le conduirait au sacré, et à ses gouffres obscurs, contre lesquels Lévi-Strauss s'entoure de barrières. Le totem est organe sexuel, matrice humide et chaude, sang tiède, qui s'écoule de la mère vers l'enfant ; il est le lieu de passage de la « vie », tandis que la parole, sèche, lumineuse, rayonnante comme les dieux, passe du père au fils. Leenhardt récorporifie, revivifie, ce totémisme « idée », ce totémisme « essence », ce totémisme « nature simple », pour employer les termes cartésiens, il lui redonne odeur, chaleur, ombres secrètes. Ainsi Lévi-Strauss, pour montrer les formes, les détache de la matière. Leenhardt nous montre la palpitation de ces formes dans la matière, c'est-à-dire les formes dans leur état confus et obscur, c'est-à-dire encore : les formes comme cogitationes et non comme conditions « transcendentales » de l'expérience.
Nous pouvons aller encore plus loin. Lévi-Strauss et Leenhardt ont été également des disciples de M. Mauss et M. Mauss avait mis au centre de son œuvre la notion de l'échange. Mais Lévi-Strauss « distingue » entre l'échange des biens, celui des mots et celui des femmes ; ces trois échanges peuvent suivre les mêmes lois générales, qui sont les lois de la communication, et on peut toujours trouver des procédés de transformation qui peuvent nous permettre de passer de l'un à l'autre ; mais la généralité ne se trouve que dans l'algèbre de ces mécanismes, non dans ce qui est échangé. Leenhardt, au contraire, nous montre l'identité de la monnaie, de la femme et du mot ; la femme est une parole, qui peut être « bonne » ou « mauvaise » et les mots aussi, comme les humains, ont un sexe. Lorsque l'enfant vient de naître, on apporte à son oncle la monnaie qui le signifie et il faudra rendre cette monnaie lorsqu'il mourra ; ne jugeons pas ce collier de coquillage à travers notre pensée, comme un simple symbole, une pure image, la monnaie est la vie du garçon. Ce qui caractérise la pensée confuse, ce n'est pas l'identité (c'est là l'erreur de Lévy-Bruhl quand il dit que le primitif unit ce qui est différent et distingue ce qui est un), c'est ce jeu subtil entre le différent et l'identique, c'est cette absence de frontière, c'est cet engluement de l'un dans l'autre et de l'autre dans l'un. Or cette constatation pose au savant un grave problème : si Lévi-Strauss a raison, si les lois de la communication sont les mêmes, est-ce que cela tient à la nature de l'esprit humain, à un déterminisme « interne » de l'a priori ? ou est-ce que cela ne tiendrait pas plutôt à ce que, dans la pensée obscure et confuse, femmes, biens, et paroles sont une seule et même réalité, sous des apparences diverses, bref que nous nous trouvons en présence d'un modèle « culturel » et non d'une « structure mentale » ? Pour répondre à cette question, il faudrait naturellement sortir du sujet de cet article, pour utiliser la méthode comparative, et en particulier pour analyser un autre modèle « culturel » bien connu, celui des Dogon et des Bambara, qui est à mi-chemin entre la pensée canaque et la pensée occidentale, puisque nous y passons de la « participation » au « symbolisme » de l'engluement aux « correspondances », d'une réalité aplatie à une réalité stratifiée.
Nous ne sommes pas encore arrivés au bout. Car Lévi-Strauss élimine aussi de son œuvre la nature, pour lui substituer les observations empiriques (il a noté leur finesse et leur précision) ou les idées (classifiables en genres, espèces et individus, l'individu n'étant d'ailleurs qu'une espèce réduite à un seul exemplaire) que l'homme se fait des choses. Bref il nous introduit dès le début dans le monde des « artefacts » et du « maniable ». Et certes, toute culture est « œuvre » de l'esprit. Mais cet esprit, qui crée, est uni par le corps, auquel il est organiquement lié (et par corps, nous n'entendons pas seulement le cerveau et les organes des sens, mais les viscères, les muscles et la peau) aux autres corps qui l'entourent et agissent sur lui. Le Canaque n'exorcise pas, comme l'occidental, ces influences subtiles, ces échanges charnels ; c'est bien ici qu'une analyse de la pensée obscure et confuse, qui se définit justement comme « pensée corporelle » chez Descartes et ses disciples, est d'une extrême urgence et c'est cette analyse que Leenhardt a su, malgré toutes les difficultés qu'elle présente, nous donner dans ses œuvres. Lévy-Brùhl avait bien pressenti ce point, lorsqu'il avait parlé de « participation » , mais il s'était trompé en en faisant une catégorie de l'affectivité (dans une philosophie dualiste qui sépare l'affectivité de l'intelligence, et qui est un reste en lui de la vieille théorie des « facultés »). La participation est de la « pensée », au même titre que l'idée, et ce que nous appelons l'affectivité n'est que sa résonance dans cet ébranlement du corps qui accompagne l'ébranlement de l'esprit ; de toute façon, il ne faut pas séparer l'affectif de la pensée - il vaut donc mieux, je crois, garder les termes cartésiens, « pensée obscure et confuse », « passivité de l'âme ». Leenhardt a, sous la dictée du langage canaque et de ses lois grammaticales, employé le plus souvent un autre terme, celui « d'appartenances », pour rendre une idée analogue. Le mot risque d'être mal compris : il ne s'agit pas de la catégorie de l'avoir, mais de la catégorie de l'être. La personnalité déborde les limites du corps, pour s'étendre, comme des pseudopodes, sur les autres personnes du groupe, sur des pierres, des animaux, des végétaux en même temps que le groupe, la pierre, l'animal et le végétal entrent dans la personnalité. Non pas dialogue, mais unité substantielle. Lévi-Strauss s'est arrêté sur un des principes de la pensée sauvage, le principe que j'ai appelé de coupure ; mais il y a un autre principe, qui relie ce qui est coupé, puisque toute connaissance consiste dans une dialectique entre l'Un et l'Autre.
Il nous reste une dernière opposition doctrinale à souligner. Lévi-Strauss abandonne - à la limite - l'étude des sens pour celle du signifiant. Mais si le mot vidé de sa substance, simple signe ou monnaie d'échange, nous ramène à l'homme, dans sa généralité, ce n'est qu'en éliminant ce qui est l'objet essentiel de l'ethnologie : les civilisations. Il se trouve que j'écris cet article au moment même où je lis le beau livre de Poulat, Naissance des Prêtres-Ouvriers ; la grande expérience de ces prêtres, jetés dans la classe prolétarienne, c'est qu'il leur faut apprendre une autre langue ; les mêmes mots n'ont pas les mêmes significations pour eux et pour leurs compagnons d'usine. Qu'est-ce à dire sinon que le mot n'est instrument de communication qu'en tant qu'il se charge de son poids des choses ? Le signifié et le signifiant ne peuvent se séparer. Il faut donc réintroduire le monde des valeurs. Or on ne peut faire sortir les valeurs de la forme, comme le prestidigitateur fait sortir des lapins d'un chapeau haut de forme : s'il a l'air d'en faire sortir des lapins, c'est qu'il les a déjà dissimulés dans une cachette du chapeau. Et avec l'introduction du monde des valeurs, nous sommes bien conduits au transcendant, c'est-à-dire au sacré, car c'est par référence à ce qui dépasse l'homme, que les choses se chargent de significations. Kant d'ailleurs l'avait bien vu, lorsqu'il est passé de la raison théorique à la raison pratique et que l'étude de la praxis l'a conduit au postulat de l'existence de Dieu. Lévi-Strauss frôle à plusieurs reprises, dans son œuvre, le problème de la praxis humaine, mais comme s'il en pressentait les dangers, il se borne à déclarer (par exemple dans les quelques pages qu'il consacre au sacrifice) que nous sommes alors dans un autre monde que celui de la « pensée sauvage ». Mais la praxis n'est-elle pas, au même titre que la pensée, une caractéristique de l'homme ? Et faut-il l'éliminer, sous prétexte qu'elle nous forcera à nous plonger dans l'obscur et dans le confus ?
En résumé, il n'y a pas, croyons-nous, complémentarité possible entre les deux conceptions que nous venons rapidement d'analyser. Elles suivent des voies opposées. Il nous faut, entre elles, choisir.
Et puisque, comme nous l'avons dit en commençant, le débat est philosophique, le choix ne peut être fait qu'à partir d'une critique de Descartes et de Kant. Et cette critique ne peut être valable, croyons-nous, que si elle se fait selon les critères de la sociologie de la connaissance. En un mot, si jusqu'à présent, nous avons montré les postulations philosophiques des doctrines ethnologiques (Cogito comme ensemble de cogitationes, on réduit au principe de la déduction transcendentale), il nous faut maintenant suivre le chemin inverse, étudier « ethnologi-quement » les philosophies, c'est-à-dire en faire des produits culturels.
De ce point de vue, le passage de Descartes à Kant suit le mouvement même de la culture occidentale, en tant que produit de la société industrielle capitaliste. Descartes veut éliminer la pensée corporelle en transformant les idées obscures et confuses en idées claires et distinctes, les seules sur lesquelles peut vivre ou prospérer une entreprise, se développer une cité, se tisser un réseau de transports. Nous sommes déjà, avec la mathématique universelle, sur la voie qui désincarnera le réel, puisque la clarté et la distinction d'une idée reposent en dernière analyse sur sa place dans une chaîne logique. Le monde qui naît, avec le développement du capitalisme, est un monde comptable, où les choses ne valent que comme des signes d'échanges, où tout est transcrit en colonnes de « doit » et « avoir ». Mais il reste encore « l'avoir ». Le capitalisme n'a pas à l'époque détruit la société paysanne, où l'homme est marié avec la terre, et dont le Cogito englobe avec l'homme sa participation avec la nature, en une seule réalité ; et le capitalisme urbain reste encore aussi, en grande partie, un capitalisme bourgeois et familial, où l'argent a une valeur affective, ontologique, draînant derrière lui les drames d'amour étouffé, la réalité charnelle de la « maison ». C'est pourquoi si Descartes et ses disciples font l'apologie de la pensée claire et distincte, ils sont bien obligés de laisser une place à une connaissance d'un autre genre, inadéquate (puisqu'elle freine la marche du capitalisme) mais réelle.
Avec l'urbanisation, l'industrialisation, le monde des avoirs va peu à peu disparaître. Kant a le pressentiment de ce moment et en donne la première traduction philosophique avec son formalisme. Mais l'expérience actuelle - l'analyse de notre culture occidentale - ne peut que lui donner raison. Notre moi s'est peu à peu vidé, non seulement du monde environnant, car c'est nous qui le construisons avec la science de toutes pièces, mais encore de notre corps (on remplace le cœur, les reins, on vend ses yeux, on modifie la teneur de son sang), ce qui fait qu'il ne reste plus aujourd'hui, de l'ancien cogito, que la forme pure de moi, qu'un "Je" vide et dont on ne peut même pas avoir l'intuition, puisque la forme est inconsciente ; mais aussi, et en dernier ressort, de nos idées, cristallisées en sons, et qui ne sont plus que des symboles. On parle beaucoup de « démystification » aujourd'hui. Or qu'entend-on par là ? En fait, l'élimination des valeurs, des significations, la désincarnation des mots, de telle sorte qu'à la limite, on ne parle que pour ne rien dire.
Lévi-Strauss a fait l'ethnologie de notre époque. Et si nous avons trouvé tant de points de coïncidence de sa pensée avec celle de Kant, ce n'est peut-être pas parce qu'il s'est nourri de sa philosophie, nous n'en savons rien ; mais c'est parce que l'un et l'autre expriment une même culture, maintenant (avec l'industrialisation de l'agriculture, la transformation du paysan en agriculteur, la rupture avec la terre pour en penser les produits en termes de productivité et d'échange) arrivée à son apogée. Mais le moment n'est-il pas venu de démystifier à son tour la mystification ? La sociologie de la connaissance, en suggérant le caractère relatif de notre pensée, en montrant le philosophe ou l'anthropologue suivant les tendances qui leur viennent de leur milieu, traduisant seulement en un autre langage les lois de la vie urbaine, ou de l'entreprise capitaliste, nous invite à aller plus avant. Et l'ethnologie, elle, telle que la conçoit Leenhardt, en nous faisant faire le chemin inverse au développement des cités et du monde marchand en remontant du moi transcendental aux cogitationes (les cultures ne sont en effet qu'un archipel de cogitationes baignant dans le même océan, mais constitué par une multiplicité d'îles séparées) nous évite les pièges de l'ultime mystification. Là réside, pour moi, sa valeur d'enseignement.
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