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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

MYTHES ET RITES chez les Indiens Montagnais. (Innus-Québec-Labrador). (1971)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre d'Yvette Barriault, MYTHES ET RITES chez les Indiens Montagnais. (Innus-Québec-Labrador). Hauterive, Québec: La Société historique de la Côte-Nord, 1971, 165 pp. Une édition numérique réalisée par Camil Girard, bénévole, historien, UQAC. [Autorisation formelle accordée par l’auteure confirmée par Camil Girard, historien à l’Université du Québec à Chicoutimi, le 20 septembre 2010 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction


Les premières pages de nos manuels d'Histoire du Canada sont assez souvent injustes envers les Indiens. Elles décrivent habituellement avec assez de détails les modes de faire et les instruments utilisés par les aborigènes pour le contrôle du milieu géo-physique et pour la satisfaction de leurs besoins ; mais elles laissent croire que la technologie d'alors, plutôt rudimentaire, était le signe d'une infériorité dans tous les domaines. Heureusement, les récits des premiers explorateurs canadiens se font très révélateurs sur la situation politique, sociale et culturelle de l'époque, et nous aident à mieux comprendre, grâce à ces différents points de vue, l'Indien tel qu'il se présentait au moment des découvertes.

Lors de l'arrivée des Blancs, l'organisation politique semblait, il est vrai, assez pauvre. En effet, l'éparpillement des tribus en petites bandes, éparpillement exigé par l'économie de chasse et de pêche, nécessitait une organisation politique plutôt élémentaire. De là, conclure à un rachitisme social dans tous les domaines c'est, pour le moins, généraliser trop rapidement.

En l'absence de loi écrite et de constitution politique, nos prédécesseurs sur le sol canadien étaient soumis à un régime communautaire favorisant l'aspect social de leur personnalité. Les activités économiques et sociales traditionnelles avaient engendré chez l'Indien, entre autres traits caractéristiques, une maîtrise de lui-même qui fait encore l'admiration des étrangers.

Les communautés indiennes du Canada étaient trop près de la nature, et furent trop longtemps immobilisées par le guet constant de l'animal à tuer ou par l'attente des changements saisonniers propices, pour ne pas développer la réflexion, voire même la contemplation. Aussi avaient-elles élaboré au cours des siècles non seulement une explication du monde visible et invisible, mais aussi une philosophie de la vie dont les connaisseurs devinent la perspicacité.

Voilà, trop sommairement énumérés, quelques oublis sérieux des débuts de nos manuels d'histoire du Canada. Les dernières pages ne nous semblent pas moins impeccables : il est ordinairement question des luttes [x] des Canadiens-Français pour leur survie, et l'on semble complètement ignorer les populations aborigènes. On ne peut tout de même pas s'imaginer que des milliers d'Indiens soient disparus sans ne laisser aucune trace.

En fait, les Indiens ne sont pas disparus, ni biologiquement, ni culturellement. Ils ont énormément souffert et dans leur santé physique et dans leur personnalité sociale ; mais ils ont tenu le coup.

L'auteur de ce travail a passé les premières années de sa vie à Havre-Saint-Pierre à quelque vingt milles de la réserve indienne de Mingan. C'était au moment où la ségrégation raciale sévissait dans la région. Aux yeux du Canadien-Français marqué par son Histoire, l’Indien était un être barbare, étrange, pouilleux, malpropre qu'il fallait fuir à tout prix. Les Montagnais, pour leur part, souffraient d'un complexe d'infériorité sentant bien que les Blancs ne les aimaient pas. Ironie du sort il nous a fallu, vingt ans plus tard, retourner vivre sur les réserves indiennes de la Côte Nord pour apprendre à apprécier à leur juste valeur ces voisins de jadis. La tâche, il faut l'avouer, n'a pas été exempte de toute difficulté. L'histoire de l'étude des religions révèle bien les ambigüités méthodologiques inhérentes à la compréhension du phénomène religieux quel qu'il soit. Et lorsque l'objet de la recherche devient l'univers mythique d'un peuple “ sans écriture ” le travail se complique encore davantage.

En effet, se placer au niveau de l'Indien, arriver à saisir son schème de pensée, non pas inférieur au nôtre mais très différent, c'est un travail complexe et ardu. C'était pourtant un pré-requis à cette étude scientifique.

Les Montagnais de la Côte Nord sont de grands diplomates ; leurs réponses souvent vagues ou évasives visent, semble-t-il, à les exempter de toute compromission. La difficulté de savoir ce qui se passe dans leur esprit augmente par le fait même la difficulté de communication, et peut, par la suite, devenir cause d'erreur dans l'interprétation de leurs idées. De plus, ces gens aiment peu contredire : leur approbation ne signifie pas nécessairement acquiescement. Un dernier obstacle, et non pas le moindre, complique énormément la tâche : l'esprit indien se fatigue très facilement - quand un interrogatoire se prolonge, l'Indien suggère de clore la conversation ; ou encore, il répond à tort et à travers sans trop se donner la peine de réfléchir. Il fait cependant exception pour les mythes sérieux qu'il peut réciter sans interruption durant des heures entières.

Les plus aptes à fournir des renseignements intéressants seraient, certes, les Indiens cultivés. Hélas, ils sont saturés d'enquêtes de tous genres. L'idée d'être étudiés comme des êtres étrangers, des marginaux, [xi] leur répugne énormément. Ils sont intelligents, et souffrent d'avoir été, sur bien des points, les victimes d'une situation historique qu'ils ne se rappellent qu'avec amertume.

La participation seulement toute récente de l'Indien montagnais à l'évolution technique, industrielle et intellectuelle, explique que la médecine, la religion, l'astronomie, etc., ont pris pour lui pendant des siècles un caractère de magie. Chaque village montagnais possède encore son chamane qui peut voyager au-delà des esprits non terrestres, les appeler, leur commander. Cet homme est omniscient, il sait interpréter les songes, il connait et conserve tous les mythes sacrés et pour ces raisons il est le guide spirituel et souvent politique de son peuple. Nous démontrerons plus loin que le chamane ne parvient pas à ces résultats uniquement par des moyens psychotechniques, mais qu'il a été initié à la concentration spirituelle par des épreuves calquées sur un prototype mythique. Les mythes montagnais décrivent une contexture du monde que ces Indiens reconnaissent pour vraie et qui les oblige à s'intégrer exactement dans la réalité qui les entoure par l'imitation des faits décrits dans le mythe.

Cette mythologie montagnaise vient à peine de susciter l'intérêt des ethnologues. Au XVIe siècle, Samuel de Champlain et le Père Lejeune avaient, il est vrai, souligné l'existence de certains mythes, mais leurs brèves allusions ou leurs versions abrégées visaient surtout à clarifier les croyances religieuses des Montagnais. Au début du XXe siècle, Frank Speck a accumulé une large collection de mythes montagnais ; nous avons tenu à utiliser le fruit de ces recherches sérieuses. Actuellement les étudiants de la faculté d'Anthropologie de l'Université de Montréal œuvrent dans ce domaine sous la direction de Monsieur Rémi Savard, et doivent même publier sous peu. Il nous fut impossible d'accéder à ces documents.

En fait, le problème des sources fut pour nous très réel. Entre les études systématiques de Mircea Eliade, de Paul Radin, de Claude Lévi-Strauss et autres, sur la structure de l'univers mythique des peuples “ primitifs ” et les notes ethnographiques de Speck, de Jacques Rousseau, de Ake Hultkrantz, et autres ethnologues qui n'ont qu'essayé de se frayer un chemin dans un univers tout nouveau, tout semblait à faire. Les écrits publiés à date sur les Montagnais de la Côte Nord traitent surtout de leur vie économique et sociale. En général, les études sur la vie religieuse de ce peuple ne nous ont pas semblé faire suffisamment, abstraction d'une vision particulière du monde religieux, en l'occurrence la vision chrétienne. Nous étions loin d'entrer dans des sentiers battus : le langage même était à inventer dans ce domaine. Nous avons tout de même tenu à épuiser les sources primaires même si elles sont, il faut le dire, d'inégale valeur.

[xii]

En tenant compte des différentes versions des mythes montagnais recueillis depuis l'arrivée des Européens nous avons pu cependant constater une étonnante continuité quant aux thèmes et aux symboles essentiels.

Dans notre démarche de compréhension, nous avons eu le souci de garder comme arrière fond de tableau le contexte culturel général qui façonne quotidiennement les Montagnais. Tout ceci nous semblait indispensable à la compréhension du monde mythique de ce peuple.

En plus de recourir largement aux ouvrages déjà publiés, nous avons séjourné nous-mêmes dans les réserves indiennes de la Côte Nord du fleuve Saint-Laurent. Ceci nous a permis de vérifier l'existence de certains mythes et la survie de nombreux rites.

Un fait nous a paru particulièrement intéressant : les droits d'auteur sont respectés scrupuleusement dans la littérature orale. Normalement une histoire ou un mythe raconté par un individu est considéré comme étant sa propriété [1]. Inutile de questionner les voisins à ce propos, ils disent qu'ils n'en savent rien. Après la mort de l’auteur un membre de la famille devient héritier de droit. Chez les Montagnais de la Côte Nord, il existe un conteur de mythes par village ; c'est le chamane dont nous aurons l'occasion de décrire les pouvoirs et les devoirs.

À propos de chaque mythe, aussi bien que de chaque rite des Montagnais concernés, il a été possible d'interroger les indigènes et d'apprendre, au moins en partie, la signification qu'ils leur accordent. Évidemment ces enquêtes menées sur place ne résolvent pas toutes les difficultés. Mais elles ont l'avantage considérable de nous aider à poser le problème aussi correctement que possible, c'est-à-dire à situer les mythes dans leur contexte socio-religieux originel.

La présente étude portera sur un mythe de tradition sacrée, qui semble encore bien vivace chez les Montagnais, et sur les rites qui le réactualisent. Dans cette révélation primordiale, nous avons découvert tout un ensemble de liens logiques. Nous avons essayé d'en saisir la signification.

En désirant comprendre la structure et la fonction des mythes montagnais, il ne s'agit pas seulement d'élucider une étape dans l'histoire de [xiii] la pensée humaine, mais aussi de mieux comprendre une catégorie de nos contemporains ; des voisins, des hommes qui ont des valeurs propres et des idéologies très valables.

Nous avons, autrefois, été frappée par certains rites d'apparence plutôt étrange. Nous pensons particulièrement à toutes ces festivités qu'occasionne, chez les Montagnais, la mort d'un ours. Plutôt que de les qualifier d'enfantines, de superstitieuses, nous préférons aujourd'hui chercher les antécédents mythiques qui les expliquent, les justifient et leur confèrent une valeur religieuse.

Dans une perspective historico-religieuse, certaines conduites, nous le verrons, se révèlent en tant que faits de culture ; et il est difficile d'interpréter certains agissements insolites sans faire appel à leur justification mythique. Beaucoup de façons d'être ou d'agir sont déterminées, dans leur fond et dans leur forme, par des vues mythiques. Bien plus, le mythe peut donner une signification à l'existence humaine tout entière.

Un volume ne suffirait pas à reproduire une analyse complète des mythes et des rites montagnais. Il fallait nous limiter. Alors à la suite d'une étude sérieuse, deux personnages nous sont apparus comme particulièrement importants dans la mythologie montagnaise : l'ours et le carcajou. Le présent travail a dû cependant se contenter d'analyser les mythes et les rites centrés sur l'ours. Bien que les mythes autour de “ Carcajou ” nous ont énormément intéressée, nous avons dû les exclure de nos analyses : à eux seuls ils auraient constitué un volume tout entier.

Les mythes centrés sur l'ours ont donné naissance à tout un ensemble de rites et de cérémonies qui ont largement influencé la vie religieuse et sociale de ce peuple. Les pouvoirs mystiques de cet animal, de même que les charmes qu'on lui attribue, sont connus par la tradition, c'est-à-dire, en général, par les mythes qui, à toute occasion, surgissent dans l'esprit, et dont l'autorité est indiscutable. En raison de leur grande importance, nous avons pensé traiter ces mythes dans un chapitre spécial.

La plus volumineuse partie de ce travail sera consacrée aux mythes centrés sur l'ours. Nous avons divisé en huit séquences un mythe conservé bien vivace sur la réserve indienne de Mingan et que nous considérons, dans la présente étude, comme mythe de base. Ce mythe fut recueilli de la bouche de Charles Dominique (Indien de quatre-vingt-sept ans) et enregistré sur ruban magnétique.

Nous essayerons d'abord d'analyser la structure interne de chaque mythe, puis de l'éclairer par d'autres mythes montagnais déjà publiés ; [xiv] dans cette étude les facteurs “ espace et temps ” joueront un rôle primordial. Élargissant progressivement notre travail, nous établirons des comparaisons avec les mythes des tribus voisines : indiennes et esquimaudes. Nous verrons comment ces mythes sont réactualisés par des rites typiquement montagnais. Ces rites feront l'objet d'un chapitre particulier.

Avant d'entreprendre cette étude, il nous a paru bon, cependant, de présenter en un résumé succinct le milieu géographique et historique dans lequel a évolué le peuple montagnais, visant ainsi à favoriser une meilleure compréhension de leurs mythes et de leurs rites.

Ce travail est forcément incomplet. Nous n'avons pas la prétention d'avoir saisi tout le symbolisme de la tradition sacrée montagnaise. Le champ reste ouvert à d'autres chercheurs. La mythologie montagnaise est caractéristique, originale, et vivante. Pour ces raisons, il vaut la peine, il nous semble, de nous y intéresser.



[1] Nombreux sont les écrits montrant la richesse de cette tradition orale chez les peuples sans écriture et le respect porté à la parole de celui qui conserve l'héritage sacré de ses ancêtres. Cf. Jan Vansina, Oral Tradition, Chicago, Aldine Publishing Company, 1965, 228 p, et J.L. Fischer, The Sociopsychological Analysis of Folktales, dans Current Anthropology, Vol. 4, no 3, juin 1963, pp. 235-296.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 16 mars 2011 8:18
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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