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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Claude Bariteau, “Le nationalisme ethnoculturel comme obstacle à la démocratie.” Un texte publié dans le livre sous la direction de Micheline Labelle, Rachad Antonius et Pierre Toussaint, LES NATIONALISMES QUÉBÉCOIS FACE À LA DIVERSITÉ ETHNOCULTURELLE. Actes du colloque annuel de la Chaire de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté, pp. 214-227. Conférence d’ouverture du colloque. Montréal, Éditions de l’Institut d’Études Internationales de Montréal, 2014, 2e édition, 319 pp. [Les auteurs, Micheline Labelle, Rachad Antonius et Pierre Toussaint, conjointement avec l’éditeur, Les Éditions IEIM, nous ont accordé le 4 novembre 2015 leur autorisation de diffuser électroniquement ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[214]

LES ENJEUX DE LA CITOYENNETÉ

Le nationalisme ethnoculturel
comme obstacle à la démocratie
.”

Claude Bariteau

Professeur associé,
Département d'anthropologie, Université Laval


[271]

RÉSUMÉ

Au Québec, la diversité culturelle est rarement abordée indépendamment d'une conception culturelle du nationalisme. Comme celle-ci suppose l'existence d'une nation préexistante, elle fait l'impasse sur la notion de citoyenneté comme fondement de tout État de droit puisqu'elle annihile l'égalité entre les citoyens et les citoyennes. Dès lors, si les promoteurs de ce nationalisme priorisent l'accès démocratique au statut d'État indépendant, ils en faussent le processus au point tel que nombre de futurs citoyens et de futures citoyennes ne se perçoivent pas sur un pied d'égalité [272] avec les membres de cette « nation ». Pour contrer cette impasse, il importe de mettre de l'avant un projet d'État indépendant basé sur l'égalité entre les citoyens et citoyennes et, comme l'a souligné Charles Tilly (1996), faire de la citoyenneté une catégorie exclusive, indépendante de toutes autres catégories et fondatrice d'une culture politique commune.


[214]

Introduction

Le nationalisme ethnoculturel, auquel réfère le titre de mon exposé, s'applique à un regroupement, parfois politique, d'individus qui s'estiment une communauté nationale en raison des liens qui les rattachent à des ancêtres communs.

Dans tout État de droit démocratique incorporant une diversité ethnoculturelle, ce type de nationalisme est en porte-à-faux, car, par définition, il détruit l'idée de démocratie en reléguant les autres membres de cet État à la marge du groupe national et force ces derniers à se définir culturellement, ce qui banalise d'autant plus la démocratie.

Il y a bientôt vingt ans, j'ai opposé à ce nationalisme une conception politique et civique dont l'idée de base, inspirée de Charles Tilly [1], fait de la citoyenneté une catégorie inclusive, indépendante de toutes les autres catégories imaginables et fondatrice d'une culture politique commune.

[216]

Ça m'a valu des volées de bois vert. La dernière, de Robert Laplante [2], me reproche d'avoir déshabité ma dénomination de Québécois et produit une utopie nourricière de l’indirect rule alors que la conception que j'ai formulée attaque de front cette pratique de gouvernance chère aux Britanniques, aux fédéralistes canadiens et à ceux qui prônent un nationalisme ethnoculturel.

Je n'entends pas revenir là-dessus. Il m'est apparu plus pertinent de développer des points additionnels pour faire valoir l'importance d'une conception politique de la nation si l'objectif recherché est la création d'un État de droit québécois foncièrement démocratique et indépendant du Canada.

La première partie de mon exposé contextualise le concept de « nation ». La seconde rappelle, à l'aide de Jason Sorens [3], les facteurs favorables à la réalisation d'une sécession. La troisième cible deux voies pour instituer au Québec un pouvoir différent de celui, insignifiant [4] parce que provincial, élitiste et dissocié du peuple, qui fut octroyé à la Province de Québec depuis 1763 par les autorités britanniques et canadiennes.

Sur le concept de « nation »

Dans L 'Imaginaire national[5] Benedict Anderson soutient que le nationalisme est l'outil choyé pour transformer l'État en État-nation en le modelant dans le sillage des nations nées à la suite de l'indépendance des États-Unis et de la Révolution française.

Pour cet auteur, ces deux pays ont inspiré la première vague nationaliste, qui fut d'ordre civique. Une seconde, d'ordre ethnique, suit avec la dissolution des empires austro-hongrois et ottoman après la Première Guerre mondiale. Quant aux vagues suscitées par la décolonisation et l'effondrement du [216] Bloc communiste, elles ont reproduit ces modèles avec des variantes.

L'idée de base d'Anderson se retrouve chez Ernest Gellner [6] et Eric Hobsbawm [7]. Tous les trois voient les nations modernes comme autant de communautés imaginées auto-définies, reconnues souveraines sur un territoire circonscrit et détentrices d'une autorité ayant la capacité exclusive d'adopter des lois, de lever des impôts et d'agir sur la scène internationale. Et, parce qu'elles sont des communautés imaginées, le nationalisme sert à l'État de tremplin pour édifier une nation singulière.

De l'avis de ces auteurs, la genèse de ces nations s'inscrit dans un contexte historique caractérisé par une baisse importante des accès privilégiés aux langues écrites avec l'apparition de l'imprimerie, un mouvement en faveur de l'abolition des règles divines comme cadre référentiel, une charge contre les pouvoirs monarchistes et l'essor du capitalisme.

Pour Anderson, si les États-nations émergent au Siècle des Lumières, leur généralisation en Europe est principalement une réponse aux poussées nationalistes, d'ordre civique, qui ont alors cours dans les Amériques.

Gellner ne partage pas cette lecture. Pour lui, leur multiplication ne peut pas être dissociée de l'industrialisation galopante dans l'Europe de l'Ouest et du protectionnisme qui en découle avec, conséquemment, un contrôle accentué des frontières et un renforcement militaire. Comme cette industrialisation nécessite une main-d'œuvre ayant une formation adéquate, il en découla une homogénéisation des apprentissages, dont ceux de la langue et des métiers.

Quant à l'expansion de ce modèle dans les régions non-industrialisées de l'Europe de l'Est, ce que Gellner n'aborde [217] guère, elle serait plus le fait d'entités ethnoculturelles ayant acquis une autonomie linguistique et culturelle au sein d'empires en dissolution, ce qui explique l'importance accordée à l'identité.

Chose certaine, comme l'a rappelé Keroudie [8], avec l'État-nation, la souveraineté devient l'affaire de la nation, c'est-à-dire de la volonté du peuple. En clair, cela signifie qu'elle n'est plus une prérogative royale. Dorénavant, seul le peuple peut remettre en question la légitimité des élus et les remplacer.

Hobsbawm a raffiné cette idée. Si le nationalisme crée un devoir politique et des obligations au cours des siècles postérieurs à celui des Lumières, il identifie 4 phases : L’Ère des révolutions (1789-1848), L'Ère du capital (1848-1875), L'Ère des empires (1875-1914) et L'Âge des extrêmes (1915-1991 [9].

De son analyse, le nationalisme ressort historiquement ancré et socialement enraciné. Aussi, pour cet auteur, les nations n'ont rien de naturel et leurs assises ont tout de mythes qui en font des produits de cultures préexistantes ou de cultures inventées qui intègrent ces dernières. Hobsbawm avance même que le nationalisme constitutif de la nation précède celle-ci telle qu'elle s'exprime dans les États-nations.

Ce point est très important. Cette antériorité, pour Hobsbawm, s'explique du fait que le nationalisme est mis en forme, comme l'a montré Miroslav Hroch, par une « minorité agissante » qui impulse la création d'un État-nation souverain [10]. Dans ce processus, note Hobsbawm, les gens ordinaires sont les derniers mobilisés de telle sorte que leur vécu social et leurs aspirations sont peu connus, incités qu'ils sont à composer avec les dirigeants des minorités agissantes.

[218]

De tout cela, force est d'admettre que le concept moderne de nation diffère de celui utilisé pour définir des regroupements d'humains selon des origines communes, des caractéristiques propres et un univers référentiel commun. Si cette définition était la règle avant l'apparition des États-nations, elle s'apparente depuis aux concepts d'ethnie et de communautés culturelles.

Autre point : le concept moderne de nation n'a rien d'absolu. Produit de l'histoire, il se modèle selon les contextes et a, comme moteur, des pratiques politiques qui structurent des entités nationales reconnues sur la scène internationale et encadrées par des règles qui assurent le respect des droits individuels et des minorités.

Facteurs favorables à une sécession

Les États-nations sont passés de 19 à la fin du XVIIIe siècle à 193, aujourd'hui membres des Nations Unies. C'est une tendance que favorisent divers facteurs, les principaux, selon Jason Sorens, étant la dissolution et l'effondrement d'entités politiques au sein desquelles se retrouvent des groupes distincts [11].

Pour Sorens, ces groupes promeuvent une identité définie selon des assises ethniques ou des éléments référant à une nationalité civique. Les assises ethniques renvoient à des mythes glorifiant des origines ancestrales communes ; les assises civiques, à des mythes valorisant un passé politique analogue et une idéologie fondamentale partagée.

Selon Sorens, les groupes aux origines ancestrales communes sont peu nombreux et s'inscrivent presque tous dans la logique des minorités qui revendiquent une certaine autonomie. Classant à part les cas issus de la décolonisation auxquels les Nations Unies ont reconnu un droit à la souveraineté et ceux où la violence est utilisée, il analyse au [219] chapitre trois les mouvements sécessionnistes dans les démocraties avancées [12].

De son analyse détaillée, il conclut que peu d'entre eux déboucheront sur la création d'un nouvel État souverain. À l'appui de sa thèse, il y a le fait, incontournable à ses yeux, que deux prérequis sont nécessaires : la concentration d'un groupe identifiable sur un territoire précis et l'absence de contrôle de la part de ce groupe sur l'État dominant.

À ces prérequis s'ajoutent des facteurs favorables et défavorables. La perte d'autonomie, la séparation géographique de l'État central, l'accès à la mer, une parentèle sécessionniste, l'existence de mouvements analogues au sein de l'État central, des ressources minières et un gouvernement central discriminatoire sont des facteurs favorables. Les défavorables concernent l'importance relative du groupe, la présence d'autres groupes sur le territoire circonscrit et l'interdit de la sécession.

Pour Sorens, il y a aussi des imprévisibles. Des gouvernements centraux peuvent exercer des pressions pour amener les promoteurs de sécession à négocier des arrangements qui assurent une certaine sécurité et des pouvoirs subalternes. Chez les promoteurs, ce serait leur propension à limiter les risques en adoptant des approches favorables à des ententes conjoncturelles sans pour autant évacuer la reprise d'une démarche sécessionniste.

Pour Sorens, l'ensemble de ces points limite l'augmentation du nombre d'États souverains dans les démocraties avancées. Il favorise plutôt la dévolution de pouvoirs dont la conséquence est de transformer en accidents de parcours les sécessions qui débouchent sur une reconnaissance internationale.

Dans son analyse, données à l'appui, Sorens soutient en conclusion que les différences culturelles, pour importantes [220] qu'elles soient, ne suffisent pas [13]. L'analyse des coûts et des bénéfices joue un rôle crucial. Selon lui, pour qu'il y ait un support populaire en faveur d'une sécession, il faut qu'elle soit économiquement et politiquement attrayante et s'inscrive dans un processus historique révélant l'existence de différences irréconciliables entre la politique du gouvernement central et les attentes des minorités régionales.

De son analyse, les mouvements sécessionnistes dans les démocraties avancées n'ont rien d'irréversibles. Fussent-ils promus par des chefs charismatiques, ils peuvent aboutir seulement lorsque des facteurs géopolitiques et conjoncturels sont présents et que les groupes en cause reçoivent une reconnaissance internationale.

En ce sens, une sécession ne relève pas de la normalité. Elle est plutôt le résultat d'un ensemble de facteurs qui incitent, pour des motifs historiques et politiques, la majorité des membres d'une communauté politique localisée sur un territoire à s'inscrire dans un univers différent de celui qui caractérise les minorités culturelles ou régionales.

Je souscris à la conception civique de la nation définie par Sorens et aux éléments conjoncturels qui rendent attrayants les aspects économiques et politiques en faveur d'une sécession. Par contre, je partage moins son analyse des stratégies et je trouve que le peu d'attention qu'il accorde à l'histoire affaiblit la portée de ses généralisations.

S'agissant des stratégies, Sorens minimise les contextes où les sécessionnistes sont en position avantageuse du fait que le gouvernement central ne peut ni interdire la sécession, ni octroyer plus de pouvoir, ni empêcher le groupe en question de se redéfinir politiquement. Concernant l'histoire, s'il la prend en considération, il fait peu écho à la dimension historique des luttes contre les gouvernements centraux. J'aborde ce point [221] avec le cas québécois en recourant à Dechêne [14], Lamonde et Livernois [15], et Bariteau [16].

Idéologie distincte
et contrôle citoyen du pouvoir législatif :
des atouts pour la sécession du Québec

Sorens se sert de régressions pour cerner les facteurs qui influencent les mouvements sécessionnistes. Ce genre d'analyse intègre difficilement des données historiques et sous-estime l'état de la conscientisation des groupes concernés. Or, ces deux points ne sont pas sans incidence lorsqu'on fait écho à l'idéologie et aux origines politiques partagées pour qualifier les groupes sécessionnistes.

Quels que soient ces groupes, ces facteurs, aucunement dissociables l'un de l'autre, influencent leurs démarches. Dans son étude du cas québécois, si Sorens réfère aux référendums de 1980 et de 1995, il évoque peu ce qui conduit à l'élaboration d'une idéologie distincte et d'une conception politique qui privilégie l'expression du peuple plutôt que celle des élus.

Or, dans l'histoire du Québec, ces points révèlent des divergences fondamentales entre les ressortissants français avant et après la conquête du territoire de la Nouvelle-France par les Britanniques. Les minimiser au nom d'une union sacrée mythique, comme le font nombre de nationalistes, brouille le sens et la portée des luttes déployées, lénifie les alliances et occulte les oppositions idéologiques.

Avant la conquête, il existe des oppositions entre les ressortissants français établis depuis 2 même 3 générations et les dirigeants localisés à Québec, ce que Louise Dechêne a brillamment mis en relief. En 1762-1763, des ressortissants français de longue date se lient à Pontiac et ses alliés contre les Britanniques au moment où seigneurs, commerçants et membres du clergé négocient un espace de survie. Insatisfaits [222] du Traité de Paris, ces derniers font par la suite des pétitions et obtiennent le support de représentants britanniques localisés à Québec alors que les Patriots américains s'annoncent pour chasser les Britanniques de la Province of Québec.

En retour de leur loyauté, la Grande-Bretagne avantage les seigneurs, des commerçants et les membres du clergé avec l’Acte de Québec de 1774. Tout ça se concrétise quand des colons, des voyageurs et des artisans, sympathiques aux idées républicaines, se liguent aux Patriots américains. Les batailles pour contrôler les forts du Richelieu et les villes de Montréal et de Québec en témoignent.

Les Patriots américains repoussés, des colons, des voyageurs et des artisans sont objets de représailles. Puis, 15 ans plus tard, Y Acte constitutionnel de 1791 renoue les avantages accordés en 1774 et accommode les immigrants loyalistes.

Ces mêmes oppositions se manifestent en 1812. Des colons et des artisans refusent de s'allier aux Britanniques pour contrer les Américains désireux d'avoir accès à l'océan Atlantique pour leurs activités commerciales et aux territoires amérindiens des Grands Lacs et des États du Sud que protègent les Britanniques.

En 1834, ces oppositions s'expriment avec force avec l'adoption des 92 résolutions à l'Assemblée législative. Les points majeurs sont l'élection des membres du Conseil législatif et l'adoption des lois par ces derniers et les députés de l'Assemblée législative, le Conseil exécutif devenant de facto un service sous le contrôle du peuple via les élus.

Les élections de novembre 1834 confirment l'appui du peuple. Londres s'oppose. Il s'ensuit la dissolution du parlement, la création d'un Conseil spécial et les affrontements de 1837 et de 1838. Lors de ces affrontements, les Britanniques et leur armée ont l'appui des loyalistes, des bureaucrates, des membres du haut clergé et de patriotes modérés. À l'issue de ces affrontements, des Patriotes sont condamnés ou exilés et le [223] Conseil spécial appuie le projet d'unir les Bas et Haut Canada, ce qu'ont proposé en 1823 des commerçants britanniques localisés à Montréal.

Lorsque le gouvernement d'Union obtient la responsabilité ministérielle, des patriotes modérés et des membres du clergé y voient erronément, comme l'ont rappelé Yvan Lamonde et Jonathan Livernois, l'aboutissement des luttes menées en 1834 pour le contrôle du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif. Ces ex-patriotes, devenus conservateurs et monarchistes à l'instar de Georges-Étienne Cartier, supportent sans mandat le projet britannique de fédérer les colonies des Maritimes avec celle du Canada et s'opposent à une consultation populaire revendiquée par le chef du Parti rouge.

Après 1867, les habitants du Québec se retrouvent alors intégrés dans deux entités politiques [17]. L'une, le Dominion of Canada, qu'ils ont combattue, fut instituée à l'arrachée pour éviter une charge de l'armée américaine contre la Grande-Bretagne qui appuya les sudistes lors de la Guerre de sécession (1861-1865). L'autre, provinciale, que les Patriotes voulaient affranchir de la tutelle britannique et refusaient, lors des débats sur la création du Dominion of Canada, que celui-ci prenne la relève.

De ce rappel, se révèlent autant une opposition locale aux alliés locaux des Britanniques que les assises citoyennes de la nation qu'entendaient instituer leurs adversaires. Après la Deuxième Guerre mondiale, ces oppositions se sont exprimées en revendications souverainistes, l'indépendance étant une option en cas de refus du Canada. Des référendums se tinrent en 1980 et en 1995, car, pour ses promoteurs, il revenait aux résidants du Québec de trancher.

Conclusion

Voilà qui introduit à ma conclusion. Le référendum de 1995 terminé, le Canada s'octroie un droit de regard sur tout futur référendum. Depuis, au Québec, c'est l'impasse. Pour la [224] contourner, il importe de revoir la stratégie référendaire en y adjoignant une entente avec le Canada, nécessaire selon des juristes internationaux, en vue de minimiser tout brouillamini éventuel.

Une telle entente est toutefois hautement problématique. En cas d'échec, il faudrait revenir à l'approche mise de l'avant par les Patriotes non sous forme de revendication, mais en instituant un ordre politique qui, pour l'essentiel, octroierait au peuple québécois un contrôle direct sur le pouvoir législatif.

Le système parlementaire du Québec est un héritage britannique. En aucune façon, il s'inspire des valeurs partagées et des idées prônées par les Patriotes. Actuellement, avec la multiplication des partis politiques, un parti ayant une majorité d'élus peut légiférer indépendamment du support majoritaire de l'électorat, ce qui est une aberration. Est aussi aberrant qu'un parti minoritaire détenant le pouvoir exécutif puisse utiliser les commissions parlementaires et l'Assemblée nationale comme tremplin à sa réélection.

Une révision du mode de scrutin peut corriger en partie cette aberration. Seule peut y parvenir l'introduction d'une mesure qui attaque de front les abus. Inédite, elle consiste à prendre en compte le support électoral obtenu par les élus dans le décompte de ces derniers en faveur ou en défaveur d'un projet de loi.

Avec elle, les lois votées à l'Assemblée nationale respecteront les choix exprimés par l'électorat, auquel les élus et les partis devront rendre compte. En vue de respecter le libre arbitre des élus, à cette mesure peut se greffer la possibilité que tout élu vote en toute conscience pour ou contre une loi indépendamment de l'alignement de son parti.

Si cette mesure stoppe les abus, elle n'assure toutefois pas la souveraineté du peuple. À cette fin, une refonte du système parlementaire s'impose pour : 1) que le pouvoir législatif, produit d'une ou deux chambres, relève des élus selon [225] le support qu'ils obtiennent et 2) que le pouvoir exécutif, s'il propose des lois, doive obtenir l'aval du pouvoir législatif pour les mettre en application.

Avec ce contrôle, le peuple québécois aura un droit de regard sur toutes les lois votées par les parlementaires, s'affirmera enfin démocratiquement comme peuple et, le moment qu'il estimera approprié, fera de l'indépendance son affaire, ce qu'ont fait les pays baltes 6 ans après la glasnot introduite par Gorbatchev. Au Québec, il faut seulement agir en conséquence, car c'est en changeant l'ordre politique que s'institue un État souverain. C'est dans cette direction qu'une minorité agissante doit s'affirmer.

Références

Anderson, Benedict. (1996). L'imaginaire national, Paris, La Découverte. Bariteau, Claude. (2013). « Le Québec de la Cour suprême : une entité insignifiante », Le Devoir, 19 avril, p. A9.

Bariteau, Claude. (1998). Québec, 18 septembre 2001, Montréal, Québec Amérique.

Dechêne, Louise. (2008). Le Peuple, l'État et la guerre au Canada sous le régime français, Montréal, Éditions du Boréal.

Gellner, Ernest. (1989). Nations et nationalisme, Paris, Payot.

Hobsbawm, Eric. (1970). L'Ère des révolutions : 1789-1848, Paris, Fayard.

Hobsbawm, Eric. (1978). L'Ère du capital : 1848-1875, Paris, Fayard.

Hobsbawm, Eric. (1989). L’Ère des empires : 1875-1914, Paris, Hachette.

Hobsbawm, Eric. (1993). Nations et nationalisme depuis 1780. Programme, mythe et réalité, Paris, Gallimard.

Hobsbawm, Eric. (1999). L 'Âge des extrêmes : le court XXe siècle 1914-1991, Paris, Le Monde Diplomatique-Éditions Complexe.

Hroch, Miroslav. (1995). « De l'ethnicité à la nation. Un chemin oublié vers la modernité », Anthropologie et sociétés, vol. 19, n° 3, p. 71-86.

[226]

Kedourie, Elie. (1993). Nationalism, 4e édition, Oxford et Cambridge, Blackwell.

Lamonde, Yvan. et Livernois, Jonathan. (2012). Papineau, Montréal, Éditions du Boréal.

Laplante, Robert. (2012). « Claude Bariteau 1998 », dans R. Comeau, C.-P. Courtois et D. Monière (dir.), Histoire intellectuelle de l'indépendantisme québécois. Tome II. 1968-2012, Montréal, VLB éditeur, p. 271-82.

Sorens, Jason. (2012). Secessionism, Identity, Interest, and Strategy, Montréal-Kingston, McGill-Queen's University Press.

Tilly, Charles. (1996). « Citizenship, Identity and Social History », dans C. Tilly (dir.), Citizenship, Identity and Social History p. 1-17.

[227]



[1] Tilly, 1996, p. 1-17.

[2] Laplante, 2012, p. 271-182.

[3] Sorens, 2012.

[4] Bariteau, 2013.

[5] Anderson, 1996.

[6] Gellner, 1989.

[7] Hobsbawm, 1993.

[8] Kedourie, 1993.

[9] Hobsbawm, 1970 ; Hobsbawm, 1978 ; Hobsbawm, 1989 ; Hobsbawm, 1999.

[10] Hroch, 1995, p. 71-86.

[11] Sorens, 2012.

[12] Ibid., p. 74-111.

[13] Ibid., p. 153-161.

[14] Dechêne, 2008.

[15] Lamonde et Livernois, 2012.

[16] Bariteau, 1998.

[17] Voir Bariteau, 1998.


Retour au texte de l'auteur: Claude Bariteau, anthropologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le samedi 27 février 2016 10:11
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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