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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Claude Bariteau (1943- ), De la cueillette à l'échange sur le terrain.” Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Serge Genest, La passion de l'échange: terrains d'anthropologues du Québec, chapitre 13, pp. 269-291. Montréal: Gaëtan Morin, Éditeur, 1985, 309 pp. [Autorisation de l'auteur accordée le 24 juin 2007.]

Claude Bariteau 

De la cueillette à l'échange sur le terrain”. 

Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Serge Genest, La passion de l’échange : terrains d’anthropologues du Québec, chapitre 13, pp. 269-291. Montréal : Gaëtan Morin, Éditeur, 1985, 309 pp. 

[Autorisation de l’auteur de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales accordée le 24 juin 2007.]
 

Introduction
 
Les embûches de l'après-terrain
La pratique de l'échange
 
Titres des textes publiés dans les journaux locaux
 
 
Illustration 1.  Les Îles... plus proches lorsqu'on s'en éloigne !
Illustration 2.  Îles-de-la-Madeleine

 

Introduction 

À Ignatius LaRusic de qui
j'ai appris le sens de l'autocritique.

 

Il y a environ quatorze ans, je venais de passer mon examen-synthèse de doctorat à l'Université McGill. Dans le corridor sans fenêtre du septième étage de l'édifice Stephen Leacock, j'attendais, anxieux mais surtout nerveux, le verdict final. 

Après quinze minutes d'attente, le professeur R.F. Salisbury, mon directeur de thèse, sort d'une salle de réunion et s'avance vers moi. L'expression de son visage et sa démarche le trahissent. C'est positif. Il me félicite. Je suis ému. Un peu fou. Troublé. Ignatius LaRusic, un copain au doctorat, me donne l'accolade. Je suis habilité à faire mon terrain. J'en vibre. J'aurais aimé crier. Je ris par saccades. Je me sens reconnu comme futur docteur en anthropologie. Mon rêve se colore.
 

Les Îles... plus proches lorsqu'on s'en éloigne ! 

 

 

Objectivement, cette reconnaissance représente peu. Ce n'est qu'un feu vert pour passer à l'étape de la cueillette des données sur le terrain. Si j'étais si excité, si agité, c'était probablement parce que j'avais le vif sentiment de jouer mon avenir d'anthropologue par ce nouveau terrain que l'on me permettait de réaliser. Du moins, c'est la seule explication qui me vient à l'esprit après le recul du temps. Dans ce moment d'euphorie, le passé n'existait plus. Mes recherches en Guadeloupe et aux Îles-de-la-Madeleine n'avaient servi qu'à préparer celle-ci. Récemment, j'ai vécu à peu de choses près de tels moments en obtenant des fonds pour mener une recherche dans trois villes québécoises. J'étais tout aussi euphorique à l'idée de faire du terrain. Lorsque je me rappelle mes recherches antérieures, je me souviens de sentiments identiques. Le terrain a un écho magique pour l'anthropologue. Il est tellement valorisé qu'en faire donne l'impression de devenir anthropologue. Dès lors, obtenir un accord officiel ou des fonds pour une recherche équivaut à une reconnaissance de notre capacité d'être anthropologue. 

En février 1971, en sortant d'un restaurant avec Ignatius LaRusic, j'étais totalement sous l'effet mystificateur du terrain et je m'apprêtais à vivre mon statut d'anthropologue en me rendant à Havre-aux-Maisons pour y amasser les informations nécessaires à la rédaction de ma thèse de doctorat. Être ainsi reconnu oblige. Je ne voulais surtout pas décevoir. Dans les jours qui suivirent, j'ai tout mis en oeuvre pour préparer mon terrain avec le plus de minutie possible. Même le moindre détail fut revu et corrigé en cherchant à tirer profit des discussions lors de mon examen. À cette époque, je ne pouvais pas savoir comment ce terrain se déroulerait, encore moins les tensions et les fréquents moments de découragement qui me traverseraient durant les phases d'analyse et de rédaction, surtout pas les événements déterminants qui me permettraient de finaliser le tout. En fait, j'abordais ce terrain avec l'assurance d'un initié et la confiance d'un novice. Je n'avais qu'une idée en tête : témoigner ma reconnaissance à mes examinateurs en réalisant un terrain de qualité afin de rédiger une thèse de qualité. 

Entre ce moment et la soutenance de ma thèse, huit ans plus tard, il ne m'est jamais venu à l'esprit qu'un jour je rendrais compte de ce vécu tout en ayant le statut de professeur d'université pour lui donner plus d'importance. Le faire maintenant, c'est évoquer et dévoiler des activités passées. C'est aussi recréer ce passé pour le présent que je vis, mais c'est surtout révéler une démarche que j'ai réalisée à l'occasion de ce terrain et que j'ai fait mienne depuis, à savoir la discussion sur le terrain des hypothèses de recherche et des esquisses d'explication que l'on entend formuler à la suite des données recueillies. À vrai dire, c'est à l'occasion de telles discussions que je me suis rapproché des gens du milieu et que je suis parvenu à identifier clairement le fil conducteur de toute la démonstration de ma thèse. En la présentant, je désire inviter les anthropologues d'aujourd'hui et de demain à intégrer de tels moments d'échange dans le processus de la recherche afin que le savoir qu'ils construisent se présente davantage comme un rapport dialectique avec les populations concernées. 

Selon cet objectif, ce texte s'adresse surtout à ceux et celles qui intègrent le terrain à leur démarche de recherche et qui travaillent principalement en anthropologie sociale et culturelle car, lorsque j'emploie le terme « terrain », je fais référence à un travail de recherche impliquant un contact prolongé avec des personnes dans un milieu précis pour y colliger des informations sur les activités de ces dernières. Aux yeux des anthropologues d'orientation universitaire ou de ceux qui oeuvrent dans d'autres secteurs d'activité, la réorientation que je propose peut paraître banale. À mon avis, il est fondamental pour l'avenir de la pratique du terrain en anthropologie. Pour ces raisons, il risque de paraître téméraire et utopiste pour les plus avertis. Je le livre sans prétention aucune, espérant seulement contribuer à susciter une réflexion sur la conception du terrain afin qu'il devienne autant un lieu d'échange que de cueillette, autant un moment de complicité qu'une phase de la recherche, autant une praxis sociale qu'un futur tremplin, fut-il d'ordre scientifique. 

Pour convaincre de la pertinence de cette idée, je ne ferai pas écho à la problématique de l'engagement de l'anthropologue. Elle est connue et la reprendre n'apporterait rien de neuf. Je me contenterai seulement d'évoquer l'importance déterminante des discussions que j'ai eues avec des Madelinots, lors de la rédaction de ma thèse, situant toute mon argumentation au niveau des intérêts et des problèmes de l'anthropologue qui fait un terrain. Au préalable, j'indiquerai ce qui caractérise la pratique la plus courante en soulignant certaines des embûches qu'elle soulève au moment de la mise en forme du rapport de recherche. À titre d'exemple, je ferai part des difficultés que j'ai rencontrées. À la suite de ces deux parties, j'avancerai certaines suggestions pratiques pour rendre la démarche proposée opérationnelle.

 

Les embûches de l'après-terrain

 

En anthropologie, dans la plupart des manuels de recherche, la phase de l'après-terrain est peu développée. Il en est de même de celle de la rédaction. Seuls le terrain et sa préparation semblent exister. L'on parle même de pré-terrain. Jamais je n'ai lu un texte traitant de post-rédaction. Cette atrophie surprend car, dans la majorité des recherches, l'analyse des données et la rédaction constituent les moments qui exigent le plus de temps. Personnellement, c'est ainsi que j'ai vécu toutes mes recherches. À regarder évoluer mes collègues et à superviser le travail d'étudiants et d'étudiantes, je constate régulièrement que mon cas n'est pas unique. Il fait plutôt partie de ce qu'il y a de plus commun. 

Le terrain et sa préparation comptent au plus pour le tiers de l'investissement en temps pour mener une recherche à terme. Le terrain proprement dit dépasse rarement le cinquième du temps investi. Pourtant, c'est toujours la phase choyée de la recherche. Évidemment, sans cueillette systématique de données, il est difficile de rédiger un rapport. Cependant, en misant trop sur le terrain, on oublie que c'est principalement au cours de l'analyse et de la rédaction que se matérialise le produit de la recherche, que s'agencent et se conjuguent les données amassées, que se révèle le savoir emmagasiné sur le terrain, que se construit la réalité sociale que l'on a photographiée à l'aide de techniques diverses, de concepts plus ou moins précis et d'un appareil, le chercheur, tout imbu d'une subjectivité qu'il essaie de neutraliser afin d'être perméable à la différence d'autrui puisque toute sa formation a été ainsi orientée. 

Au risque de commettre une hérésie, j'affirme que l'analyse et la rédaction sont les phases les plus cruciales de la recherche. Beaucoup plus que le terrain car, durant ces phases, le chercheur est en situation de création. Il fabrique un produit anthropologique à l'aide des renseignements obtenus et des observations réalisées. Il façonne un objet dont la particularité sera de témoigner du vécu des personnes côtoyées sur le terrain. C'est ce produit qui sera l'acte le plus significatif pour l'anthropologue. Certes, la qualité du travail de terrain se reflétera dans ce produit. Cependant, en livrant la marchandise, l'anthropologue sera beaucoup plus interrogé sur la façon dont il a utilisé ses matériaux que sur l'état de ceux-ci, sur la consistance de son argumentation que sur la qualité de ses informations. Lorsque l'objet est livré, les secrets du terrain s'évanouissent. Disparaissent aussi avec l'écrit toutes les attentes créées autour des données recueillies. L'objet révèle l'anthropologue. Il le crée publiquement. Il le dépossède aussi tout en le plaçant en situation d'affirmation. Il lui enlève l'anonymat. Le terrain n'est pas une véritable phase d'affirmation. C'est seulement le dévoilement du produit qui en tient lieu. C'est ce dernier qui rend la démarche globale de l'anthropologue plus accessible aux informateurs et aux personnes rencontrés sur le terrain. C'est aussi ce produit qui lui permettra ou non l'accès à la reconnaissance de collègues. 

C'est probablement pour ces raisons que les phases d'analyse et de rédaction génèrent des tourments de toutes sortes et sont empreintes de difficultés parfois insurmontables. Quiconque côtoie les milieux universitaires de la recherche anthropologique partagera une telle constatation. Faire du terrain pare d'une auréole et alimente la curiosité d'autrui et des autres chercheurs. Produire l'objet déchire et angoisse. Dans un cas, le chercheur est placé en situation de pouvoir ; dans l'autre, c'est une mise à nu. Cependant, c'est cette mise à nu qui lui permet d'être anthropologue. Toute la production anthropologique a été ainsi conçue. Faire un terrain ne crée donc pas l'anthropologue. Par contre, une telle activité produit un conditionnement particulier sur l'affirmation à venir en augmentant la visibilité future du producteur, ce qui peut n'avoir que des effets sur le contenu et la forme de la marchandise livrée. 

En anthropologie, on a largement discuté de la nécessité pour le chercheur d'être ouvert à autrui pour mieux le comprendre. On a toutefois peu échangé sur les effets de la visibilité à autrui sur la production anthropologique. Pourtant, le chercheur qui a réalisé un terrain en anthropologie sociale et culturelle est foncièrement aux prises avec ce problème dès qu'il entrevoit la phase de rédaction. En plus des futurs examinateurs auxquels il doit nécessairement penser, une bonne partie de ses préoccupations provient de la connaissance éventuelle que les populations concernées auront de son produit [1]. 

Cette dernière préoccupation est fondamentale car, contrairement à la première, il n'y a, pas de balises précises qui permettent de la maîtriser. En effet, s'il existe des normes pour rédiger un rapport de recherche et pour apprécier un texte, peu de repères sont disponibles à quiconque cherche des modalités d'affirmation en regard des populations concernées. Dès lors, sans autre refuge que le conditionnement à la neutralité qui lui a été inculqué, le jeune chercheur peut souvent devenir improductif, préférant parfois se taire plutôt que de déranger, ou chercher des voies qui enlèvent toute emprise d'autrui sur le producteur, telles la fabrication d'un produit édulcoré ou une élaboration théorique faiblement appuyée par des données. La rédaction, cette phase si peu exotique de la pratique anthropologique, se transforme alors en un véritable cauchemar car, en l'absence d'une initiation appropriée et d'une pratique sociale reconnue, le chercheur n'arrive pas à situer socialement sa production par rapport aux informateurs et aux personnes rencontrées sur le terrain. 

La visibilité du chercheur par rapport à la population étudiée ne se cerne pas facilement. Elle est liée à la possibilité d'être lu et se module autour de plusieurs éléments variables tels que le type et le nombre de relations développées sur le terrain, le lieu de réalisation de celui-ci, le genre de données recueillies, la durée du terrain, les attentes suscitées, les relations conservées au retour du terrain de même que celles anticipées, le temps écoulé entre le terrain et le dévoilement de l'objet. Par ailleurs, elle est génératrice d'une conscience présentant des degrés divers d'intensité. Par exemple, un séjour de longue durée sur le terrain accroîtra davantage la conscience de cette visibilité qu'un travail d'une courte durée, L'éloignement du lieu de la recherche et l'existence de contacts limités entre ce lieu et celui du chercheur contribueront à minimiser cette conscience. L'inverse aura des effets contraires. 

Personnellement, en cours de rédaction je sentais cette visibilité future comme une constante. Aujourd'hui, je suis en mesure d'affirmer qu'elle a influencé, en partie, le déploiement de mon argumentation en termes de « développement dépendant ». Son poids a en quelque sorte conditionné l'explication des phénomènes observés, même si celle-ci concordait avec une argumentation scientifique. En supervisant les travaux de rédaction d'étudiants et d'étudiantes qui ont fait du terrain, je découvre de plus en plus jusqu'à quel point cette conscience de l'autre s'incruste partout et provoque des malaises profonds semblables à ceux que j'ai connus. 

Plusieurs autres facteurs peuvent interférer dans la réalisation des phases de l'après-terrain et provoquer des retards ou des abandons. On peut penser à des changements importants dans la carrière des chercheurs, à des problèmes théoriques majeurs, à un refus d'écrire pour des raisons d'éthique personnelle, aux relations entre le chercheur et son superviseur, à des revenus trop modestes, à l'isolement qui étouffe la créativité chez certains, à l'incertitude quant aux activités postérieures à la remise du rapport ou, encore, aux difficultés rencontrées sur le terrain pour divers motifs : problème de communication, d'intégration, peu de disponibilité des informateurs recherchés. La liste pourrait facilement être allongée. Le souci de perfectionnement de certains chercheurs, le caractère plus ou moins étanche de la démonstration, la nécessité d'approfondir certaines découvertes imprévues, l'incertitude ou l'excès de prudence, la méconnaissance de techniques d'analyse, le maniement difficile de l'écriture sont autant de facteurs susceptibles d'avoir des incidences sur la réalisation des phases d'analyse et de rédaction. On pourrait ajouter la situation sociale du chercheur, le milieu dans lequel il vit, les attentes à son égard, la plus ou moins grande importance que peut revêtir le produit dans son cheminement professionnel. 

Une recherche approfondie compléterait et pondérerait cette énumération. À mort avis, la majorité des facteurs énumérés peuvent être corrigés si c'est nécessaire. C'est le cas notamment des facteurs ayant des incidences matérielles ou intellectuelles. Il est possible de neutraliser des lacunes au niveau des connaissances et d'avoir des conditions acceptables pour réaliser les phases d'analyse et de rédaction. De tels correctifs modifient rarement la trajectoire du chercheur. Ils en assouplissent seulement l'exécution ou en raccourcissent le parcours. S'ils permettent une moins grande vulnérabilité envers les collègues, en particulier grâce à des améliorations du produit, ils n'éliminent pas pour autant sa présence. Quant à la visibilité par rapport aux personnes concernées directement par le produit, elle n'est d'aucune façon touchée par de tels correctifs. Elle demeure toute aussi présente et tourmentera le chercheur jour après jour, inlassablement. 

En d'autres termes, on ne peut échapper à la visibilité future. Pour préparer celle des futurs anthropologues, différentes formules existent : présentation de rapports d'étape, exposé préliminaire des résultats, séminaire, participation à des colloques, rédaction de notes de recherche. Elles favorisent la réception de commentaires divers comme la construction de l'assurance du chercheur. Personnellement, j'en ai utilisé quelques-unes durant la rédaction, ce qui m'a aidé grandement. Je dois toutefois souligner que la pratique de l'enseignement au niveau universitaire a été, de loin, la formule la plus rassurante. Évidemment, on ne peut pas tous devenir professeur pour rédiger un rapport de recherche. Cependant, un développement accentué des formules mentionnées contribuerait certainement à rendre la visibilité auprès des collègues moins obligeante. En milieu universitaire, elles existent et leur accès n'est pas tellement compliqué. Quant aux autres milieux de recherche, des formules mieux adaptées sont à envisager. Les associations professionnelles devraient y réfléchir car ce sont ces moyens, à mon avis, qui bonifient l'activité du chercheur durant les phases d'analyse et de rédaction. À plusieurs reprises, j'en fus témoin. J'ai vu des étudiants, des étudiantes, des chercheurs et des chercheuses progresser considérablement dans leur cheminement après une présentation de leurs travaux.

 

Îles-de-la-Madeleine 

 

 

En ce qui concerne la présentation des résultats de recherche aux populations concernées, les moyens de se familiariser avec ces procédures et d'en assumer les conséquences sont des plus restreints et leur mise en action est laissée au libre arbitre de chacun. C'est une lacune à l'intérieur de la pratique anthropologique. Du moins, l'ai-je sentie. Plusieurs chercheurs ont expérimenté certaines formules comme la publication dans les journaux locaux, la conception de documents audio-visuels ou la diffusion restreinte de textes écrits. Pour les chercheurs qui réalisent un terrain à l'intérieur de leur propre société, de telles expérimentations sont quasi nécessaires dans la mesure où les attentes créées doivent un jour ou l'autre recevoir une réponse adéquate. Les mettre en oeuvre, c'est une façon de révéler le produit qui découlera de la recherche effectuée et d'obtenir des commentaires sur la forme et le contenu. Durant la phase d'analyse et de rédaction de ma thèse, je me suis astreint à de telles activités. Je m'y arrêterai un peu car, en côtoyant d'autres chercheurs aux prises avec les mêmes attentes et les mêmes déchirements, je me suis rendu compte qu'elles sont une façon de vivre et de se préparer à vivre en rendant le fruit de son travail accessible au regard critique d'autrui. 

J'ai réalisé mon terrain [2] de mars à décembre 1971 à Havre-aux-Maisons, aux Îles-de-la-Madeleine. Je connaissais déjà ce milieu. En 1968, j'y avais fait un terrain de quatre mois. Entre janvier 1972 et le dépôt de ma thèse en septembre 1978, j'ai analysé les données amassées et procédé à la rédaction. Comme la majorité des étudiants, j'ai dû trouver un emploi pour subvenir à mes besoins. Du mois d'août 1973 au mois de juin 1976, après un bref séjour aux Îles-de-la-Madeleine, j'ai travaillé pour le gouvernement du Québec au Service des associations coopératives. Par la suite, j'ai été engagé comme professeur à l'Université Laval. J'y suis encore. Mon travail d'analyse et de rédaction s'est donc réalisé dans trois contextes différents et à des moments différents dans mon cheminement intellectuel. 

Lorsque j'étais encore étudiant, j'ai surtout investi dans l'analyse des données pour constater qu'elles infirmaient les hypothèses construites à l'intérieur d'une orientation théorique à partir d'une approche dont l'idée essentielle a servi de base à l'argumentation de ma thèse. Cette démarche a été consolidée peu avant mon implication dans le développement de coopératives. C'est d'ailleurs en travaillant à l'essor de celles-ci que j'ai commencé la première version de ma thèse. J'ai terminé ce travail tout en participant activement, à titre de professeur, à la grève du Syndicat des professeurs de l'Université Laval à l'automne de 1976. Par la suite, j'ai affiné cette version tout en préparant un projet de recherche. 

Durant cette période, j'ai vérifié la valeur de mes propos en participant à un colloque et en publiant deux articles dans des revues. D'ailleurs, j'ai mis peu d'énergie dans cette voie, car j'étais quelque peu éloigné du milieu universitaire jusqu'en 1976. Par contre, j'ai multiplié mes efforts pour rendre mon travail visible aux habitants de Havre-aux-Maisons et des Îles-de-la-Madeleine via des journaux locaux en leur faisant parvenir différents textes traitant de la pêche, des coopératives, de l'activité municipale et des projets de développement en cours. Ils furent publiés [3]. La majorité des articles présentent l'état de la situation et suggèrent quelques pistes à développer localement. Ce sont des textes sans prétention théorique qui restituent en quelque sorte des données localement amassées en les présentant à travers la lunette du chercheur extérieur au milieu qui se permet des commentaires. 

Progressivement, par ces textes, j'ai révélé mon point de vue et ma pensée aux gens des Îles-de-la-Madeleine, en indiquant même des aspects que je considérais comme fondamentaux, notamment tout ce qui favorisait une plus grande socialisation du pouvoir. D'une certaine façon, s'ils m'exposaient, ces textes m'ont surtout permis de dialoguer avec les gens de Havreaux-Maisons et des Îles-de-la-Madeleine. Ils ont été à la base d'un échange qui m'a fait découvrir des aspects inconnus ou des dimensions négligées lors de mon terrain. Ils ont enclenché une dynamique qui a contribué, avec d'autres événements, au polissage de certains contours mal définis et à l'ajout de reliefs à peine ébauchés dans la première version de ma thèse. Du coup, ma connaissance des Madelinots s'est enrichie. Toutefois, ce dialogue m'a surtout appris à me départir de l'anonymat étriqué du scientifique et à vivre normalement ma situation de chercheur avec la population concernée. 

Cette expérience de visibilité n'est Pas unique. D'autres l'ont réalisée avec autant, sinon plus de constance. Avec le recul des années, j'en suis arrivé à la conviction que l'on devrait institutionnaliser des moyens pour la favoriser, car c'est la seule façon de briser la coquille à l'intérieur de laquelle S'enferme l'anthropologue après le terrain, de maintenir un dialogue avec les populations directement impliquées par nos recherches. En avançant cette idée, je ne prétends pas qu'il faille soutenir sa thèse ou défendre son rapport de recherche devant les populations concernées. Mon seul but est celui d'inciter la recherche du regard critique de populations, parce que je suis assuré que les effets de cette démarche seront positifs tant pour elles que pour le chercheur. 

Pour moi, cette expérience, si elle me grugeait du temps et des énergies, a surtout été un stimulant. Elle est même devenue la principale contrainte qui m'encourageait à continuer, car elle créait constamment une attente du produit fini parmi les Madelinots. Évidemment, je me suis fourvoyé comme tous les autres en pensant que ce dernier était espéré et que les examinateurs les plus appropriés étaient les Madelinots de Havre-aux-Maisons. Quoi qu'il en soit, cette contrainte a eu des effets positifs, ne serait-ce que la nécessité de la soutenance pour conserver mon poste de professeur ou encore les dates limites de tolérance quant à mon inscription à l'Université McGill. Chose certaine, elle a contribué de façon constructive au contenu du produit livré. 

En anthropologie, la création s'effectue principalement après le terrain dans un contexte fondamentalement faussé si le créateur est éloigné de son objet et s'il n'a comme futur public que des spécialistes reconnus comme tels. Il risque alors de plonger dans l'imaginaire ou de succomber à l'esthétisme intellectuel. Aussi, faut-il inventer des moyens pour parer à de tels aboutissements tout en développant davantage l'apprentissage de cette activité cruciale dans la construction de produits anthropologiques. L'une des façons pour y parvenir, à mon avis, est de chercher à revaloriser la dimension sociale du terrain, à replacer en quelque sorte celui-ci dans une perspective d'échange plutôt que de cueillette. C'est du moins ce que j'ai appris de plus précieux auprès des Madelinots. 

 

La pratique de l'échange

 

Mon dialogue avec les Madelinots ne s'est pas enclenché spontanément en cours de rédaction. Certes, j'ai toujours été en faveur du retour des résultats d'enquête auprès des personnes directement impliquées. Mais, de là à passer à l'action, il y a des étapes difficiles à franchir. À vrai dire, j'ai développé cette approche tout simplement parce qu'elle s'est présentée comme la Poursuite d'activités similaires alors que j'étais sur le terrain. En quelque sorte, elle s'est inscrite en continuité avec une pratique d'échange sur le terrain grâce à laquelle j'ai pu pénétrer davantage la réalité madelinienne et obtenir des commentaires de plusieurs résidents sur ma façon d'aborder les problèmes ainsi que sur l'explication que j'en donnais. 

Mon plan de terrain n'envisageait pas la mise en oeuvre d'une telle pratique. Ce genre d'activités ne fait pas partie du répertoire du terrain, sauf si l'anthropologue en fait le centre de sa recherche dans le cadre d'une démarche visant à mesurer l'écart qui existe entre les conceptions de la réalité sociale offertes par les observés et celles que présente l'observateur. Pourtant, c'est par ces échanges que j'ai appris à mieux connaître les habitants de Havre-aux-Maisons, à saisir le sens et la portée des informations recueillies et à les ordonner selon les éléments qu'ils considéraient déterminants. 

En anthropologie sociale et culturelle, le terrain est fondamentalement un acte d'échange. Même si, parfois, le chercheur se prend pour un espion venu glaner des renseignements ou pour un collectionneur de pièces rares comme le sont certains archéologues et paléontologues, son insertion dans un milieu ainsi que son travail d'observation et de compilation de données ne peuvent se concrétiser sans un minimum de gestes fondés sur la réciprocité. Plus sa recherche impliquera l'accès à des informations secrètes, plus il sera invité à tenir secret ce qu'il a appris. Plus il rencontrera et dérangera de personnes, plus à son tour il devra accepter d'être dérangé. Plus il voudra plonger en deçà des rapports superficiels, plus il devra être perméable à un questionnement, parfois très subtil, sur sa propre façon d'être. Il y a, dans l'acte du terrain, une espèce de complicité mutuelle qui s'installe entre le chercheur et les personnes concernées. Autant celui-ci observe autrui, autant il est observé, analysé, replacé dans l'univers des gens du milieu. Autant il exprime des idées, pose des questions, explique son point de vue, autant on lui rend la pareille. S'il est avare de commentaires sur ce qu'il fait il en sera de même pour ses hôtes. S'il adopte le comportement d'un personnage bizarre, il a de fortes chances de se retrouver avec des citoyens marginaux ayant localement une allure semblable à la sienne. 

Dans les manuels de formation au terrain, le chercheur est invité à se transformer en prédateur à la poursuite de prises inédites, à se transformer en fantôme ayant pour seule vie une mémoire de ce qui se déroule, à n'être qu'un objectif de caméra jumelé à un magnétophone. Sur le terrain, ça ne se déroule pas ainsi. Le chercheur développe des relations avec des personnes et vit socialement avec celles-ci. Il crée des amitiés. Il participe à des rencontres privées. Il collabore à diverses activités. C'est dans ce contexte de vie qu'il obtient des informations, Il ne procède pas à des vols à l'étalage. Ce qu'il apprend, il le doit aux liaisons sociales qu'il a développées. Lorsqu'il revient du terrain, les données qu'il possède en sont toutes imbues. Dans certains cas, elles le sont à un point tel que le chercheur désire en masquer l'origine. Cette attitude est courante et très saine, mais n'a peu de chose en commun avec l'éthique professionnelle. Elle renvoie aux conditions mêmes de l'obtention des données. Plus le chercheur a investi socialement pour avoir accès à des informations, plus il aura des réticences à dévoiler des aspects qui peuvent faciliter l'identification de ses sources, car cela équivaudrait à briser un contrat social tacite. En ce sens, l'observation n'est que « participante ». Faire de cette activité une méthode, c'est en quelque sorte se donner bonne conscience et avaliser la participation afin d'être voyeur. 

À divers titres, le terrain est un vaste lieu d'échanges entre un chercheur et une population donnée. Cette dimension fondamentale de la recherche anthropologique ne m'était pas apparue comme telle lors de la mise au point de mon projet de thèse de doctorat. J'avais pourtant déjà réalisé deux terrains avec tout ce que cela implique en termes d'intensité de relations sociales. Malgré cela, j'ai rédigé un projet répondant aux critères de la recherche universitaire dont l'objectif était de voir en quoi les changements en cours à Havre-aux-Maisons ajoutaient à la connaissance que l'on a du développement des sociétés. Diverses hypothèses orientaient ma recherche d'informations et une description relative à la cueillette de données accompagnait le tout. En aucun temps, je ne faisais allusion à des échanges avec les gens du milieu, à une discussion de toute cette problématique. 

Dès mon arrivée à Havre-aux-Maisons, mes premières conversations ont pourtant été axées sur ces aspects négligés. Les gens voulaient connaître l'objet spécifique de ma venue, la signification de ma présence parmi eux. J'ai fourni des explications sans trop de précisions de crainte peut-être d'être démasqué. On m'a dirigé là où j'avais le plus de chance d'obtenir les informations recherchées et vers les archives que je voulais consulter. Sur le coup, de telles sollicitudes enchantent. J'ai eu l'impression très vive d'avoir ,réussi à pénétrer sans bruit dans des lieux susceptibles de me révéler ce que je cherchais. Certes, je bénéficiais de certains atouts. Je connaissais des citoyens de Havre-aux-Maisons pour les avoir côtoyés lors d'un premier séjour en 1968 et j'avais poussé ma réflexion de manière à justifier le choix de cette municipalité plutôt que d'autres. De plus, je connaissais la teneur des archives locales pour en avoir vérifié, au préalable, l'existence et le contenu. 

Après quatre mois de séjour, mon travail de terrain commença a plafonner, à devenir de plus en plus problématique. Quotidiennement, je vivais avec des gens très au courant de ce que je recherchais et qui manifestaient beaucoup d'attention à mon égard. Je partageais leurs moments de loisir en allant aux soirées de danse et en m'adonnant aux jeux de cartes en vigueur aux Îles-de-la-Madeleine. Je suis même devenu un spécialiste de la « mitaine ». À l'occasion, je débattais certains problèmes. Souvent, j'étais invité pour parier des Îles-de-la-Madeleine et de Havre-aux-Maisons. Durant le jour, j'avais accès aux livres des organismes et entreprises du milieu, même les plus secrets. J'assistais à toutes les réunions possibles qui se tenaient à Havre-aux-Maisons et, à ma demande, divers informateurs me fournissaient des explications sur les points que je n'arrivais pas à saisir correctement. Mes conditions de recherche étaient donc excellentes. J'étais cependant inquiet. J'avais nettement l'impression de ne pas avancer, de figer sur place et de passer à côté de l'essentiel. 

Petit à petit, cette impression s'est accentuée. Le doute commença à m'accabler. Était-ce le découpage de mon objet de recherche qui était erroné ? Mes hypothèses avaient-elles réellement du sens ? L'idée de chercher à comprendre le développement local par l'analyse de la compétition entre des entreprises privées et des entreprises coopératives était-elle justifiée ? L'essor du village de Cap-aux-Meules, tout près de Havre-aux-Maisons, grâce à la présence d'une firme multinationale, de plusieurs firmes privées à capital étranger au milieu d'institutions gouvernementales ou fortement subventionnées par des fonds publics, n'était-il pas plus déterminant sur le développement de cette communauté que la présumée concurrence locale ? En prenant pour cible la municipalité de Havre-aux-Maisons et les périodes des années 30 à celles des années 70 pour comprendre les assises économiques de la société madelinienne, n'avais-je pas, à mon insu, rédigé un plan de recherche erroné ? Ce que je constatais et ce que j'apprenais m'invitaient du moins à un tel questionnement. 

Il est fort possible que l'ouverture d'esprit des personnes rencontrées et la sollicitude manifestée à mon égard aient contribué à l'émergence de ces interrogations. Par elles, j'entrais en contact avec une réalité, présente et passée, qui ne correspondait guère à mon schéma d'analyse. Après un échange, par correspondance, avec mon directeur de thèse, j'ai décidé de réorienter mon tir en ouvrant considérablement mon angle d'approche. Mais, voilà, un tel changement oblige à une remise à jour de toute l'activité prévue sur le terrain et force à modifier le réseau social à l'intérieur duquel on s'est inséré. Cela ne se fait pas facilement. Aussi, cette période fut de loin la plus déchirante du terrain. J'étais excessivement tendu, légèrement distrait et très tourmenté. De plus, les relations que j'avais entretenues depuis mon arrivée se sont progressivement amoindries à la faveur d'un bourgeonnement d'activités qui perturbent tous les réseaux sociaux dès le début du printemps aux Îles-de-la-Madeleine. La chasse aux loups-marins, l'ouverture de la maison de la pêche et, surtout, l'arrivée des visiteurs, en majorité des parents, provoquent un remodelage des relations sociales. Dans ce contexte, je me suis senti isolé. Déjà en porte-à-faux en ce qui concerne mon plan de travail j'avais le sentiment d'être rejeté, d'être en train de rater un terrain. 

L'arrivée de mon épouse sur place pour la période estivale a contribué à minimiser cette impression. Elle m'a permis d'échanger, de retourner vers les personnes contactées dès le début et de générer d'autres relations. Grâce à sa présence, une nouvelle percée sociale s'est concrétisée, atténuant par le fait même mes inquiétudes et comblant mes attentes au cours de cette période de remise en cause durant laquelle j'ai recherché une certaine sécurité. 

Au cours de ces moments angoissants, je me suis littéralement plongé dans les archives et j'ai fait un dépouillement minutieux de ce qui m'apparaissait intéressant. Tout fut consulté, même les archives des organismes et entreprises localisés à l'extérieur de Havre-aux-Maisons. J'ai procédé à un recensement de la population à l'aide d'un informateur spécialisé dans la généalogie locale. J'ai aussi recueilli un nombre d'informations sur la situation des années 70 tout en fouillant à fond ce qui caractérisait les activités du conseil municipal, de la caisse populaire, de la commission scolaire, des coopératives. Parallèlement à ces activités, j'ai discuté de mes hypothèses initiales de recherche avec des citoyens du milieu, notamment des pêcheurs et le secrétaire de la Coopérative régionale des pêcheurs. À mon sens, ce fut le geste le plus fécond de cette période. 

Grâce à ces échanges, j'ai progressivement découvert ce qui imprégnait l'activité présente des gens du milieu, en quoi celle-ci ne reflétait plus les contraintes des années 30 ou des années 50, comment la vie locale, au début du siècle, n'était pas en conformité à un modèle similaire de celui des années 50, et ainsi de suite. Parti avec un cadre d'interprétation transhistorique, j'ai appris, sur place, à saisir le sens de l'histoire, à voir celle-ci se dérouler dans le temps pour mieux lire le présent. Ce fut un choc. Ce fut aussi un tournant dans ma recherche, car je n'ai pas perçu toutes ses implications sur-le-champ. Ce n'est qu'en cours de rédaction que je m'en suis réellement rendu compte, étant incapable d'interpréter les faits à partir du modèle utilisé pour les colliger. 

Sur place, ces discussions m'ont amené à pénétrer davantage l'intimité locale. Si, au début de mon terrain, je n'arrivais pas à bien saisir ce qui se déroulait autour de moi, en me confiant et en me révélant par ces discussions sur le fond même de mon projet de recherche, d'autres portes se sont ouvertes et j'ai pu me rapprocher davantage des Madelinots. Cet apprentissage, je l'ai fait principalement grâce à un personnage des plus avenants et des plus avertis qui m'a initié à une lecture de la réalité présente et guidé dans mes démarches ultérieures pour cerner davantage les pistes qui s'offraient. J'ai pu alors m'infiltrer dans les interstices de la société madelinienne, être à l'écoute de ce que les gens considéraient comme important, révélateur de leur façon d'être, poser des questions cette fois pertinentes et, surtout, parfaire mes connaissances en laissant libre cours à ma curiosité. 

Plusieurs résidents de Havre-aux-Maisons ont été mis à contribution : des pêcheurs et des ouvrières d'usine, des dirigeants locaux, des retraités, des chômeurs, des entrepreneurs du milieu, des chauffeurs de camion, des étudiants, des ménagères, des directeurs d'organismes et d'autres. Plus je me révélais, plus les occasions d'échanges se multipliaient. Je me souviens, entre autres, d'un samedi après-midi. En compagnie du propriétaire de la maison que j'habitais, un pêcheur d'une soixantaine d'années, et de son neveu, commis à la coopérative locale, j'ai appris à comprendre le sens des oppositions économiques locales. Debout sur la véranda, un verre à la main et, devant nous, le paysage tout en douceur de la Pointe, nous avons longuement discuté. Déjà, j'avais eu l'occasion de converser à plusieurs reprises avec ce pêcheur. Ce jour-là, ce fut différent. Par ses gestes et par ses paroles, il a expliqué, avec un regard qui fixait la mer, comment les oppositions économiques locales étaient un jeu nécessaire. Plusieurs exemples appuyaient son point de vue. Aux questions que je posais ou aux commentaires de son neveu, il avait toujours la réplique appropriée venant appuyer sa vision des choses. 

Durant mon séjour, j'ai vécu différents moments d'intense communication. Tantôt, ce fut à l'occasion de soirées où j'étais invité en compagnie de mon épouse, tantôt d'une manière fortuite. Ils se sont rarement produits durant une entrevue prévue depuis un certain temps. Un jour, en « faisant du pouce » pour me rendre à Cap-aux-Meules, je me suis retrouvé au restaurant en compagnie d'un chômeur, dans la trentaine, qui me parla de ses problèmes d'emploi. Il s'est livré à moi comme s'il voulait me sensibiliser à une réalité cachée du milieu, mais qui somme toute est à la base. du départ des jeunes, de leurs angoisses et de leurs inquiétudes. Ce jour-là, le pouvoir local m'a été présenté sous un angle différent et j'ai appris comment il était lourd de conséquences pour plusieurs Madelinots et si important pour d'autres. Les explications de ce chômeur m'ont aussi fait comprendre ce que m'avaient dit, à mots couverts, deux autres personnes quant au contrôle qu'exercent quelques personnages clés du milieu. 

Ma quête d'information ne s'est pas seulement concrétisée de cette façon. Il y avait une foule d'activités qui alimentaient mon désir de comprendre ce qui se passait. Chose certaine, le fait de m'être confié et d'avoir échangé ouvertement avec les gens de Havre-aux-Maisons a grandement contribué à mon approfondissement du milieu. En se livrant ainsi, on reçoit beaucoup, mais malheureusement, on rend très peu. Le chercheur, l'instrus qui veut tout savoir est constamment placé en situation de dette. Avec le secrétaire de la coopérative, je pouvais compenser partiellement par diverses activités reliées à la parution d'un journal à l'intention des pêcheurs et des discussions sur la situation des coopératives. Une certaine réciprocité s'est établie entre nous sans que je puisse totalement rendre ce que j'avais reçu. Avec la majorité des autres personnes, ce fut différent. Ma dette demeure très grande et dépasse de beaucoup tout ce qui est comptabilisable. Ces personnes m'ont transmis un savoir que j'ai assimilé sans pouvoir leur rendre la pareille. 

Le chercheur est dans une position sociale très singulière sur le terrain. Ce qu'il apprend lui sera toujours davantage profitable qu'il ne le sera à autrui [4]. Il vit en quelque sorte un rapport qui l'avantage de telle façon qu'il doit presque s'excuser d'être là, de manifester son désir de ne pas déranger. Lorsque ce rapport n'interfère plus, c'est inouï comme l'échange prend une dimension nouvelle. Dans mes relations avec des Madelinots, à certaines occasions, j'ai vraiment eu l'impression de franchir cette frontière. L'une d'elles en particulier m'a profondément marqué. C'était vers la fin de mon terrain, à l'automne 1971. Les échanges dont j'ai alors bénéficié sont venus confirmer la nouvelle orientation de ma démarche. 

Le contexte se prêtait à des rapports égalitaires. Avec trois Madelinots de Havre-aux-Maisons, j'eus la possibilité de faire un séjour d'une semaine à Montréal. De retour vers les Îles-de-la-Madeleine à bord du traversier de l'époque, j'ai pu traiter à fond une série de problèmes avec un pêcheur côtier. Sur le pont arrière du traversier, un peu à l'abri du vent, nous avons discuté de la problématique de la pêche aux Îles-de-la-Madeleine. C'est à cette occasion que j'ai véritablement compris les retombées de la pêche sur la vie des gens. Presque tout fut abordé : les lieux de pêche et l'organisation des pêcheurs ; les firmes acheteuses et le pouvoir limité des coopératives ; la pratique du métier et la dépendance des Madelinots dans la vente des produits de la mer. Ce fut, pour moi, un moment aigu de révélation quant aux contraintes réelles de la vie aux Îles-de-la-Madeleine. 

Être sur un bateau ne crée pas seulement un lieu propice à l'échange. Les interlocuteurs sont comme dans un monde à part. Leurs points de référence ne sont plus les mêmes. Ils sont légèrement distants de leurs préoccupations quotidiennes et ce suffisamment pour donner un certain recul à leurs propos. Les discussions prennent alors une signification différente. Du moins, j'ai nettement eu cette impression. Deux ans plus tard, à bord-du même traversier, j'ai vécu des moments semblables en compagnie de trois autres citoyens de Havre-aux-Maisons. Cette fois-là, j'ai pu vérifier l'orientation générale de ma thèse, le fil conducteur du plan dont j'avais en tête les principales composantes. Pour moi, ce moment est demeuré inoubliable. Je m'y arrêterai brièvement. 

À la fin de juillet 1973, je revenais des Îles-de-la-Madeleine avec mon épouse après y avoir séjourné un mois afin de clarifier certaines données, mais surtout, d'échanger sur ma façon de les expliquer. Je voulais en quelque sorte vérifier mon explication du développement historique de Havre-aux-Maisons. Cela faisait un an et demi que je travaillais à la façonner. Ce travail de maturation s'était accompli de façon concomitante avec la production de textes diffusés aux Îles-de-la-Madeleine et avait été soutenu en partie grâce aux échanges de lettres et aux brefs contacts que j'avais eus avec le secrétaire de la coopérative régionale. Comment, cependant, être certain de son résultat ? Comment parvenir à autre chose qu'une certitude purement théorique ? Comment être convaincu de la pertinence de cette nouvelle démonstration dans l'explication des phénomènes observés ? Si j'avais pu constater la pertinence de ma nouvelle démarche, il n'en était pas ainsi au sujet des relations entre les différentes données recueillies. J'étais inquiet. Certes, j'étais convaincu que je cernais l'essentiel, car les comportements locaux s'apparentaient à ceux identifiés au sein de populations vivant des contraintes analogues. Toutefois, je n'étais pas sûr du dosage de chaque élément, de l'équilibre à créer entre eux pour que la base demeure stable. J'avais une certaine certitude intellectuelle, rien de plus. 

Durant ce bref séjour aux Îles-de-la-Madeleine, j'ai tenté par divers moyens de cerner cet équilibre en discutant avec des gens de Havre-aux-Maisons. Les occasions furent multiples. En très peu de temps, j'ai rencontré plusieurs personnes. Le fait d'habiter un chalet à la Martinique, près de Cap-aux-Meules, là où certains résidents de Havre-aux-Maisons ont leur maison d'été, a facilité les choses. Il en fut de même lorsque j'ai séjourné dans la maison d'un pêcheur, d'ailleurs la même que celle louée en 1971. Le fait de maîtriser les données recueillies, d'être capable de resituer certains faits, de comprendre rapidement telle ou telle allusion a grandement contribué à des échanges stimulants quant à ma façon d'expliquer le développement de Havre-aux-Maisons. Je n'étais plus un observateur indiscret. Je discutais des faits, des événements, leur attribuais des sens parfois nouveaux dont les gens n'avaient pas pris conscience jusqu'à ce moment. J'étais devenu un « acteur » qui a un point de vue qui se discute. Je pouvais donc en discuter mais, souvent, tout cela se faisait en pièces détachées. En réalité, ce n'est qu'en quittant les Îles-de-la-Madeleine, un peu triste, que j'ai pu véritablement évaluer la portée exacte des diverses esquisses d'explication que j'avais en tête. 

C'était à l'heure du dîner. En compagnie de mon épouse, j'étais assis à la même table que le maire de Havre-aux-Maisons dans la salle à manger du traversier. Je connaissais ce dernier depuis longtemps. Il avait même été un informateur concernant certains sujets. Jamais, cependant, je n'avais eu l'occasion d'échanger longuement avec lui. Homme très affairé et entreprenant, il était difficile d'accès. Ce jour-là, le temps n'avait plus le même sens. Nous naviguions sur une mer calme. Le ciel était clair et le soleil envahissait notre table. Durant ce repas, les propos de cet homme vinrent confirmer mes idées sans que j'eus à procéder à un questionnaire détaillé. Les explications qu'il formulait à l'égard de la vie aux Îles-de-la-Madeleine et à Havre-aux-Maisons correspondaient, à quelques nuances près, à celles auxquelles j'étais arrivé. Certes, sa vision était imprégnée de sa position sociale et son vocabulaire différait du mien. Toutefois, j'ai senti que nous étions sur la même longueur d'ondes. Un peu plus tard, après le dîner, en discutant avec le capitaine du bateau et le premier-maître, deux résidents de Havre-aux-Maisons, j'eus la même impression. Leurs explications concernant la pratique de la pêche - le premier-maître venait de quitter la pêche hauturière - et les conditions de vie des gens des Îles-de-la-Madeleine rejoignaient celles auxquelles j'étais péniblement arrivé avec hésitations et tâtonnements. Ces deux échanges, excessivement courts comparativement à tout un terrain, ont été importants dans la rédaction de ma thèse. Ils sont venus dissiper mes doutes quant à l'agencement des idées que je voulais développer et confirmer le fil conducteur que j'avais identifié. De plus, grâce à eux, j'ai saisi comment présenter ces idées de façon à ce que les gens s'y retrouvent. 

Sans ces échanges et sans ceux de l'été 1973, je serais demeuré sceptique quant à la valeur et à la cohérence de la démonstration que j'ai fait mienne. Il m'arrive même de penser qu'il m'aurait été difficile de rendre public ma démarche académique sans les retouches que ces interlocuteurs rd ont indirectement suggérées. Chose certaine, mes écrits dans les journaux locaux auraient été différents. Je n'aurais pas insisté autant sur le pouvoir économique et politique. Toutes ces discussions ont en quelque sorte allégé le poids lié à la présentation de ces résultats d'enquête à la population concernée. À la suite de ces rencontres, je savais que je ne faisais pas fausse route. Bien que ma façon d'expliquer le développement historique de Havreaux-Maisons se soit articulée à un cadre scientifique marxiste, la trame de cette explication rejoignait les analyses des gens du milieu. Si mon travail venait confirmer des thèses sur le développement dépendant, les gens du milieu pouvaient s'y reconnaître. J'en étais assuré. 

Les anthropologues qui font du terrain n'ont pas tous la chance de voyager en bateau et d'échanger de façon privilégiée avec des informateurs sans avoir l'impression de leur prendre du temps. Leurs activités de recherche se déroulent habituellement dans un contexte différent. À moins qu'ils aient prévu des mécanismes compensatoires fondés sur un échange de temps ou sur d'autres modalités, il y a de fortes chances qu'elles correspondent à une simple saisie de données à des fins de rédaction de rapports visant tantôt à contribuer à l'avancement des connaissances - c'est le beau côté de la chose -, tantôt à informer sur ce qui se passe dans la quotidienneté des gens. Pourquoi en serait-il autrement ? Pourquoi modifier des habitudes qui ont si bien servi les anthropologues ? 

Lorsqu'on parcourt les écrits traitant de l'éthique professionnelle, on peut difficilement trouver une justification concernant des changements majeurs de notre façon de faire, puisque seuls les cas flagrants sont discrédités. Quant à la réflexion relative à l'engagement social, elle a des connotations idéologiques trop fortes pour soulever l'enthousiasme de tous, de telle sorte qu'elle sert davantage à faire l'examen critique des erreurs de parcours plutôt qu'à tracer celui qui rencontre l'assentiment de tous. Aussi, faut-il chercher ailleurs, au-delà de l'éthique et de l'engagement, au coeur même de la pratique anthropologique concrète liée à l'activité du terrain, pour trouver cette justification. Du moins, est-ce le message de ce texte dont l'objectif visait à décanter la pratique du terrain des illusions qui l'entourent pour la révéler dans ses contraintes, pour en extirper les rapports qu'elle sous-tend, pour en cerner les enjeux. 

En abordant cette pratique par le truchement de mon expérience, je voulais démontrer jusqu'à quel point ma visibilité postérieure au terrain a été influencée par celui-ci. Je voulais également démontrer combien ma production d'anthropologue fut intimement liée au rapport social privilégié sur le terrain. De plus, c'est l'analyse proprement dite qui m'a révélé l'existence de ce rapport et qui m'a, en quelque sorte, permis de lui donner son véritable sens. 

Pour ces raisons simples, la phase d'analyse et celle de la rédaction devraient comprendre des moments d'échange avec les personnes concernées quant au produit à venir. Personnellement, j'en ai grandement tiré avantage. Mon produit final en fut nettement bonifié, et lorsque j'en ai présenté le contenu sur place, même si par ma façon de lire et de dire les choses je n'obtenais pas l'assentiment de tous, les gens de Havre-aux-Maisons s'y sont reconnus. 

Contrairement à ce que plusieurs peuvent penser, de telles pratiques ne modifieront pas, du moins à mes yeux, la dimension strictement professionnelle du travail de l'anthropologue. Elles en moduleront seulement l'exercice un peu différemment puisqu'elles rendront l'anthropologue davantage visible. Rien n'empêche par ailleurs l'anthropologue d'écrire pour la communauté scientifique. La seule différence résidera dans le fait que les populations concernées auront eu la possibilité de comprendre ce que l'anthropologue vient faire et ce qu'il dit ou dira de ce qu'il a appris. En ce sens, il se situera peut-être dans un rapport social moins voilé, ce qui contribuera sûrement à une perception plus précise de sa pratique de même que celle de l'anthropologie. 

La mise en application de telles pratiques n'est pas tellement compliquée. Il n'est pas nécessaire de rechercher les moments privilégiés qui me les ont fait découvrir. Il s'agit plutôt de prévoir, après le terrain et avant la finalisation du produit, des moments précis destinés à échanger avec les populations concernées. L'un d'eux devrait se situer peu avant la phase de rédaction proprement dite et il devrait même être obligatoire. Quant aux autres, ils peuvent être étalés entre le départ du terrain et le début de la rédaction obligatoire, par exemple, entre cette dernière phase et la présentation du produit. Les modalités de cette pratique peuvent varier selon les cas. Pour des populations de petite taille, l'échange sur place peut être privilégié auprès de personnes intéressées au débat. Lorsque les populations sont plus denses, on peut alors considérer l'écrit ou des moyens de communication plus sophistiqués. Sans aucun doute, on devrait rendre obligatoire le retour des résultats d'analyse sous une forme quelconque pour faire connaître aux populations concernées au moins l'essentiel de ce que l'on veut dire. Quant aux contraintes monétaires d'une telle démarche, on devrait en tenir compte dans les prévisions budgétaires au même titre que les autres activités de recherche. Qui plus est, cette démarche devrait être une contrainte à l'exercice du métier d'anthropologue sur le terrain. 

Cette façon de procéder sera plus facile à mettre en pratique si, dès le début du terrain, on énonce clairement ses intentions et si on discute avec les personnes concernées de ce qu'on cherche à comprendre et sur quoi s'appuie notre questionnement, quitte à devoir remettre en cause nos hypothèses et notre plan de recherche. Évidemment, ceci exige beaucoup du chercheur puisqu'il devra éventuellement modifier son approche. Mais c'est un moindre risque en regard des économies de temps dont il bénéficiera. Si j'avais agi de la sorte, j'aurais probablement épargné beaucoup de dérangements et atteint mes objectifs avec des « coûts sociaux » moins élevés. La mise en application d'une telle marche à suivre est beaucoup moins compliquée que la précédente tout en ayant des modalités similaires. Quant aux coûts, encore là, ils devraient faire partie des prévisions budgétaires. 

Personnellement, j'ai appris à vivre de tels rapports et j'en ai fait les fondements mêmes de ma pratique, comme bien d'autres l'ont fait ou le font de plus en plus. Je l'ai également fait parce que je suis convaincu de la nécessité de cette ouverture aux autres et que cette dernière ne s'obtient pas grâce à un conditionnement mental visant à annihiler son ego, mais qu'elle est davantage le fruit d'un rapport social clairement assumé dont le terrain est le lieu de prédilection. Si de telles pratiques se généralisent, l'anthropologue en tirera profit autant dans sa relation avec la population que dans la présentation de son produit de travail. Encore plus, la pratique anthropologique permettra le dépassement de la connaissance d'autrui acquise sur le terrain, car celle-ci se façonnera à partir de la participation active d'autrui au produit final.

 

Titres des textes publiés
dans les journaux locaux

 

« À propos du parc maritime », dans Le Madelinot, G-18 : 3,8 et 9, 1971. 

« Le mouvement coopératif aux Îles-de-la-Madeleine », dans Le Côtier, 2-3 : 10-12 ; 2-4 : 11-12 ; 2-5 : 11-12 ; 2-6 : 10-12 ; 2-7 : 6-8, 1972. 

« Le développement coopératif aux Îles-de-la-Madeleine », dans Le Radar, 1-1 : 4-8, 1973. 

« Histoire des pêcheries des Îles-de-la-Madeleine », dans Le Côtier, 3-1 : 2-8, 1973. 

« Les pêcheries des Îles et les Madelinots », Le Côtier, 3-2 : 7-11, 1973. 

« L'histoire de Havre-aux-Maisons », texte photocopié et diffusé localement à l'occasion du centenaire de la municipalité, 1978, 18 p. 

« La visite du ministre Leblanc : un exercice de conditionnement », dans Le Radar, 1-7-76 : 12-13. 

« L'avenir de la pêche hauturière aux Îles », dans Le Radar, 12-8-76 : 5. 

« La vente de la Gorton à cinq héros », dans Le Radar, 9-9-76 : 10-11. 

« Sur la gestion de feu Gorton's Pew », dans Le Radar, 21-4-77 : 5-6. 

« Un sondage trop orienté », dans Le Radar, 11-1-78 : 3-5. 

« Les travailleurs d'usine ne sont pas des poissons, quand même », dans Le Radar, 12-2-78 : 5.


[1]    Les chercheurs qui ne font pas de terrain n'ont évidemment pas cette pression, ce qui peut expliquer partiellement le contenu de leurs propos, la sophistication théorique qu'ils développent et la relative rapidité de leur production.

[2]    Le terrain proprement dit a été complété par des recherches en bibliothèque qui ont duré presque quatre mois.

[3]    Voir la bibliographie.

[4]    Le secrétaire de la coopérative le savait très bien. Il savait aussi me narguer au sujet de ce que nos échanges me rapporteraient un jour. J'avais beau lui dire que les diplômes ne m'intéressaient guère, que je ne faisais pas cela pour mon avenir, il n'en croyait pas un mot. Avec raison d'ailleurs puisque, en dépit de mes bonnes intentions, c'est ce qui s'est produit.



Retour au texte de l'auteur: Claude Bariteau, anthropologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le lundi 3 mars 2008 15:26
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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