RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Daniel Baril, “Tolérer ne veut pas dire se taire”. Communication présentée par Daniel Baril au débat-conférence « Kirpan, kippa, voile: la tolérance, jusqu'où ? » qu'organisait Tolerance.ca® www.tolerance.ca le 20 mai 2004, à la Maison des écrivains de Montréal. [Autorisation accordée par l'auteur le 5 septembre 2007 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Daniel Baril 

Journaliste, anthropologue, vice-président du mouvement laïque québécois
Professeur, Université de Montréal

Tolérer ne veut pas dire se taire”. 

Communication présentée par Daniel Baril au débat-conférence « Kirpan, kippa, voile: la tolérance, jusqu'où ? » qu'organisait Tolerance.ca® www.tolerance.ca le 20 mai 2004, à la Maison des écrivains de Montréal. 

Table des matières 
 
Le kirpan 
Le hidjab 
La kippa et l'érouv 
 
Conclusion 
 
Bibliographie

 

http://www.tolerance.ca/Article.aspx?ID=72 

 

Les symboles religieux ne posent habituellement aucun problème; c'est lorsqu'ils sont associés à des positions intégristes antimodernité qu'ils heurtent les fondements de la démocratie et qu'ils nécessitent une extrême vigilance de la part des groupes progressistes. Je considérerai ici le hidjab, le kirpan et la kippa (on aurait aussi pu discuter des crucifix et de la prière dans les hôtels de ville) séparément parce que ce sont trois objets différents ayant chacun ses implications particulières. 

 

Le kirpan 

 

Le kirpan est un poignard - avec une lame d'au moins 15 cm à un côté aiguisé que certains sikhs demandent à porter en permanence comme symbole religieux. Tous les sikhs ne portent toutefois pas le kirpan ; c'est le cas seulement de ceux qui choisissent le baptême ou l'initiation du Khalsa, soit le niveau de ferveur considéré comme le plus haut. Selon les règles orthodoxes, c'est le sikh qui porte le turban et la barbe non taillée qui peut porter le kirpan (Sikh Society). 

Le kirpan symbolise la volonté du sikh de défendre sa religion et de se sacrifier pour sa foi. Tous les textes sikhs précisent que le kirpan est un article de foi et non une arme. Tous les sikhs baptisés ne portent donc pas un véritable poignard en guise de kirpan. La plupart portent une représentation symbolique, soit un bijou, une médaille ou encore un minuscule kirpan de plastic. 

Voici le témoignage d'un ingénieur sikh français publié sur le site du quotidien Libération : 

« Le kirpan n'est porté que par les sikhs baptisés. Le baptême n'intervient qu'à la toute fin de l'adolescence. Donc il y a peu de chance qu'un lycéen sikh porte un poignard sur lui! La plupart des sikhs vivant en Europe comprennent bien que l'on n'est pas au Pendjab et portent un bijou en forme d'épée qui représente le kirpan, autour du cou ou dans le turban. Il ne s'agit pas de renoncer au kirpan mais de s'adapter dans la mesure du possible. »
(Ram Singh) 

Malgré ces règles, le cas d'un jeune sikh de 12 ans désirant porter le véritable poignard dans une école de l'ex-Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSMB) à Lasalle s'est rendu devant les tribunaux l'an dernier. La juge Louise Lemelin de la Cour d'appel s'est fondée sur le principe de la sécurité publique pour statuer que le port du kirpan, déjà interdit dans les avions, ne devait pas être permis à l'école : «  Je ne peux me convaincre, écrit-elle, que les impératifs de sécurité doivent être moindres à l'école que dans les cours de justice et les avions ». Le fait de placer le kirpan dans un fourreau comme le proposaient les parents de l'enfant ne le rend pas moins dangereux; cela ne fait qu'en retarder l'accès, a estimé la juge. 

La Cour a statué qu'il s'agit là d'une limite raisonnable imposée à la liberté de religion, limite commandée par la saine administration de l'école - on ne peut à la fois interdire une chose à certains élèves et l'accepter pour d'autres - et par la sécurité publique. Le jugement n'a ainsi rien à voir avec l'intolérance religieuse. 

L'histoire du sikhisme (mouvement politico-religieux fondé au 15e siècle au Panjab) est celle d'une théocratie militaire qui a dû mener des guerres incessantes pour s'affirmer : contre les Mongols, contre les musulmans, contre les Britanniques, contre les hindous. C'est donc dans un contexte où les autres religions sont des ennemies que le symbolisme du kirpan a pris forme. 

Dans le contexte québécois et canadien, les chartes des droits fondamentaux sont fondées sur une autre vision des choses : toutes les religions sont égales entre elles. Nous avons donc affaire à deux symboliques et à deux systèmes de valeurs qui s'opposent : d'une part, les religions s'équivalent entre elles et doivent évoluer dans le respect des lois; d'autre part, les autres religions sont des menaces potentielles. Dans le premier cas, la laïcité de l'espace public assure la coexistence harmonieuse des idéologies religieuses. Dans le second cas, le conflit est assuré. 

Dans le cas de la CSMB, la juge Lemelin a pris acte du fait qu'il existe des interprétations du sikhisme mieux adaptées à nos sociétés que celle mise de l'avant par la famille concernée. Ces interprétations moins intégristes sont reconnues comme étant tout aussi adéquates par la communauté sikh. Le fait que l'enfant avait 12 ans (plutôt que 18) et que les parents s'obstinaient à vouloir lui faire porter une arme plutôt qu'un symbole montrent que nous sommes en présence de religieux intégristes (rappelons que l'intégrisme, selon le Robert, est une « attitude des croyants qui refusent toute évolution »). On ne peut ignorer cette dimension du conflit. Conformément à la pratique courante en pareil cas, la juge a toutefois refusé de tenir compte de cet argument. 

Si les juges n'ont pas à faire de la théologie, leur refus, au nom de la neutralité, de tenir compte de la variété des interprétations religieuses au sein d'une même communauté de croyants les conduit, dans les faits, à prendre partie pour l'interprétation la plus orthodoxe. La position complaisante affichée par les tribunaux consolide la position intégriste et force la Cour à statuer qu'il y a atteinte à la liberté de religion là où les modernistes ne rencontrent pas de problème. La prise en compte d'interprétations mieux adaptées à notre contexte social et juridique pourrait dans bien des cas rendre inutile la recherche d'accommodements raisonnables qui peuvent constituer de dangereux précédents et qui, avec le nombre, peuvent finir par annuler la portée même de nos chartes. 

Par ailleurs, la charge de l'accommodement ne peut toujours incomber à la seule société d'accueil. Le refus de la part de certains groupes de s'adapter à la modernité et d'accepter nos normes sociales, nos lois et les valeurs fondamentales de nos démocraties est porteur de conflits potentiels. C'est en toute connaissance de cause que la famille sikh en question a contesté les normes et règles en usage - et elle continue de le faire en portant la cause en cour suprême avec l'appui de Me Julius Grey -, et elle doit endosser les responsabilités découlant de son action. 

Le hidjab

 

L'imposition d'un voile pour les femmes est loin d'être une exclusivité de l'islam. En fait, le voile n'a rien à voir avec l'islam. On le retrouvait chez les Grecs et les Romains de l'Antiquité, on le retrouve encore, notamment, chez certains groupes juifs, chrétiens et hindous. Déjà au 12e siècle avant notre ère (soit 1700 ans avant Mahomet), Teglat Phalazar 1er, roi d'Assyrie, obligeait les femmes à porter un voile : « Les femmes mariées n'auront pas leur tête découverte. Les prostituées ne seront pas voilées », disait la loi (Kacimi). 

On ne retrouve rien concernant le voile dans la Bible hébraïque mais la tradition juive commandait aux femmes de se couvrir la tête en signe de soumission. C'est le christianisme qui en fait un précepte religieux. Paul de Tarse, dans sa 1ère épître aux Corinthiens (XI, 2-16), dit : 

« Le chef de tout homme, c'est le Christ; le chef de la femme, c'est l'homme ; le chef du Christ, c'est Dieu. Tout homme qui prie ou prophétise la tête couverte fait affront à son chef. Mais toute femme qui prie ou prophétise tête nue fait affront à son chef; car c'est exactement comme si elle était rasée. Si la femme ne porte pas de voile, qu'elle se fasse tondre! Mais si c'est une honte pour une femme d'être tondue ou rasée, qu'elle porte un voile! L'homme lui ne doit pas se voiler la tête : il est l'image et la gloire de Dieu; mais la femme est la gloire de l'homme. L'homme n'a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l'homme. Voilà pourquoi la femme doit porter sur la tête la marque de sa dépendance. » 

Pour un homme, avoir la tête couverte était la marque de l'esclavage. Mais un chrétien ne devait être assujetti qu'à son Dieu; c'est pourquoi il ne devait pas montrer de signe d'assujettissement à un autre homme dans les lieux de prière et devait se découvrir la tête. Mais une femme appartient à l'homme; elle doit donc le montrer même devant son Dieu. 

Dans le Coran, on trouve deux passages qui parlent de l'habillement des femmes : 

« Commande aux croyantes de baisser les yeux et d'être chastes, de ne découvrir de leurs formes que ce qui est en évidence, de couvrir leur poitrine, de ne faire voir leurs charmes qu'à leur mari ou à leur père, ou au père de leur mari, à leurs fils ou aux fils de leur maris […] » (sourate XXIV, v. 31)
 
« Un autre verset dit : Prescrit à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants, d'abaisser un voile [« jalabib », un manteau ou survêtement] sur leur visage. Il sera la marque de leur vertu et un frein contre les propos des hommes. » (sourate XXXIII, v. 57) 

Ce verset a été écrit dans un contexte de guerre civile où des clans rivaux s'attaquaient aux femmes libres pour les capturer et les violer en prétextant qu'on ne pouvait pas les distinguer des esclaves. Le rabattement du jalabib servait donc à distinguer le statut social des femmes (libres par rapport à esclaves). Les historiens reconnaissent que cette pratique était antérieure à l'islam. 

Rien dans ces deux versets ne concerne les cheveux. Quant aux charmes qu'il faut cacher, il est manifeste que les yeux et la bouche sont des charmes plus susceptibles de séduire que les cheveux et les oreilles! 

À toutes les époques, le port du voile a été contesté au sein même du monde musulman. À commencer par l'arrière-petite-fille de Mahomet, Sukaïna Bint El Hussein, qui refusait obstinément de porter le voile et affirmait que « si Dieu lui avait fait don de sa beauté », elle ne voyait pas pourquoi elle devrait la cacher sous un voile (Geadah). La franchise de cette affirmation est considérée comme significative de la résistance au port du voile. 

Au 9e siècle à Bagdad, soit en plein âge d'or de l'islam, un iman considérait que le Coran ne commandait le voile qu'aux femmes de Mahomet et que toute femme qui se voilait le visage commettait la faute de se prendre pour la femme de Mahomet et était passible de 80 coups de fouet (Kacimi). 

Au 19e siècle, un mouvement réformiste égyptien, la Nahdha, réclamait la scolarisation des filles et l'abandon du port du voile. À l'exemple de la leader féministe Hoda Charaoui, fondatrice de la Ligue des femmes égyptiennes, les Égyptiennes abandonnaient le voile dans les années 1920. En 1924, la Turquie interdit le voile et l'Iran fait de même en 1935. 

Ce n'est qu'avec la révolution khomeyniste de 1979 en Iran que le voile est devenu une véritable obsession de la part des musulmans intégristes. Cette fois c'est le tchador iranien qui s'impose à tout le monde arabe, même au Maghreb où ce revêtement total était inconnu. 

Quant au hidjab, portée par les musulmanes occidentales, il n'existe dans aucune tradition vestimentaire. Il est une création des islamistes égyptiens des années 70. 

En France, alors que l'on comptait déjà entre 2,5 et 3 millions de musulmans à la fin des années 70, ce n'est qu'en 1989 que le premier cas de revendication du port du hidjab à l'école s'est présenté. 1989, c'est l'année où le Front islamique du salut (FIS) a lancé sa campagne d'interdits en Algérie, appuyé par le Groupe islamique armé (GIA). Dans les années qui ont suivi, de l'Algérie à l'Afghanistan en passant par l'Arabie et l'Iran, des milliers de femmes ont été battues, fouettées, violées, défigurées au vitriol, assassinées (on se souvient des centaines des jeunes algériennes égorgées) pour avoir exposé trop de cheveux ou trop d'épiderme au goût des milices intégristes. 

Pour la psychanalyste française d'origine tunisienne, Fethi Benslama, le voile « ne relève pas du langage sur l'identité mais d'un système d'interdit ». C'est un discours régissant les rapports entre les sexes et affirmant de façon tangible, ostentatoire, l'assujettissement des femmes. Il est un instrument de contrôle du désir masculin. 

Chahdortt Djavann, auteure de Bas les voiles!, rappelle pour sa part qu'en Iran le voile est associé à la sharia. Elle-même d'origine iranienne, elle raconte qu'elle a porté le voile pendant 10 ans : « C'était ça ou la mort », affirme-t-elle. Elle invite les musulmanes française qui se disent « libérées par le voile » à aller faire un séjour en Afghanistan. « Elles ne peuvent prétendre, dit-elle, qu'ici et là il ne s'agit pas du même voile ». D'ailleurs, le mouvement des femmes voilées qui s'oppose au rapport Stasi en France a reçu l'appui de la dictature islamiste iranienne qui pratique la lapidation des apostats et des homosexuels, qui ordonne l'amputation des membres et l'arrachage des yeux comme peines judiciaires, qui fouette les femmes qui dévoilent trop de leur chevelure. 

Pour Djavann, le voile n'est rien d'autre qu'un « symbole pornographique qui autorise toute forme de violence à l'endroit des femmes et les place dans le non-droit. » Il n'est pas un signe du droit à la différence mais le signe d'une différence de droit. 

Et le hidjab ne vient jamais seul. Comme l'affirme le philosophe et auteur Raphaël Lellouche :

 

« Si l'on tire le fil du tricot du voile, c'est tout le système anthropologique, juridique, culturel et politique de l'islam qui se dévide. Le voile est une métonymie de tout l'islam intégriste. Ce n'est que la partie d'un tout. Derrière le voile, il y a la supériorité du musulman sur l'infidèle, l'interdiction de l'apostasie, le refus de la liberté de conscience, le code de la famille, la polygamie, les mariages arrangés, le refus des mariages interreligieux, le statut de minorité des femmes, leur inégalité dans la succession et le témoignage, la répudiation, la lapidation, l'homophobie, l'intolérance, l'antisémitisme, etc. Bref, c'est toute la sharia qui vient et c'est elle tout entière qui pose un gros problème de contrainte interne et même externe pour une société démocratique. »

 

Propos exagérés? Voici une déclaration faite à l'antenne de TF1 par l'une des jeunes musulmanes (Alma et Lila Lévy), scolarisée à l'école publique laïque, à l'origine du dernier incident lié au hidjab en France à l'automne 2003 : « Si j'étais une femme qui avait trompé son mari, j'accepterais de me faire lapider »! 

Fadela Amara, musulmane française croyante, auteure de Ni putes ni soumises (volume qui a donné naissance au mouvement de protestation du même nom), dénonce la violence de plus en plus répandue faite aux filles non voilées dans les quartiers arabes en France. Celles qui osent sortir sans foulard « sont traitées de putes, quant elles ne sont pas violentées ou même violées, écrit Fadela Amara. Le mythe de la virginité revient en force alors qu'on l'a combattu pendant des années. » De plus en plus de filles sont contraintes de quitter l'école à 16 ans et les mariages forcés se multiplient. La situation s'aggrave au fil des ans et en octobre 2002, une jeune fille était brûlée vive à Vitry-sur-Seine. 

C'est précisément pour contrer cette violence, pour assurer l'ordre public et pour affirmer les valeurs républicaines que le rapport Stasi a demandé l'interdiction des signes religieux ostensibles à l'école. 

Dans certains pays européens où le hidjab a été toléré à l'école, les islamistes ont ensuite revendiqué le port du tchador pour couvrir le visage. C'est arrivé notamment en Belgique et aux Pays-Bas, ce qui a obligé les ministres concernés à intervenir. Plusieurs musulmanes réclament également l'exemption des cours d'éducation physique, de biologie, d'éducation sexuelle ou refusent un examen oral dirigé par un enseignant masculin (MMLF). Au Québec, il y a déjà eu un tribunal islamique, alors qu'un tribunal de la sharia est maintenant réclamé en Ontario. 

À Montréal, le premier cas de hidjab à l'école s'est présenté en 1994. Quelques années auparavant, on ne voyait aucun hidjab même si la ville comptait déjà 45 000 musulmans. On assiste depuis deux ans à une véritable prolifération de femmes voilées et il n'est pas rare de voir des tchadors noirs iraniens couvrant la femme de la tête aux pieds y compris le visage. Certaines femmes ainsi vêtues vont jusqu'à se cacher les yeux derrière un journal en marchant! Cette augmentation de femmes voilées ne saurait s'expliquer par l'augmentation de l'immigration musulmane sur une décennie. Qu'est-ce qui a donc changé? L'islam ou le message diffusé dans les mosquées? 

Le discours que véhicule le voile est donc un discours du refus : refus de l'égalité des hommes et des femmes, de la mixité, de la laïcité de l'espace public, de la préséance du droit civil sur les préceptes religieux, refus des fondements de notre démocratie. Les femmes qui disent le porter volontairement sans rejeter la modernité ne peuvent ignorer son origine et le message antimodernité qu'il véhicule. Elles ne peuvent ignorer l'image qu'elles projettent en le portant. Leur position consacre en fait le triomphe de l'intégrisme dont le symbole est banalisé. Le discours sur l'identité voilée ne peut être détaché du système symbolique d'où émerge cette identité. Ce repli identitaire, ce refus obsessionnel de la féminité dans toutes ses dimensions est un refus de l'humanité. 

Les Occidentaux qui ne voient dans le hidjab qu'un symbole identitaire doivent donc tenir compte des faits suivants : 1. comme soi-disant symbole de l'islam, il ne concerne curieusement que les femmes; 2. la vague actuelle n'est apparue qu'avec la montée de l'intégrisme islamique à partir des années 80 et les musulmanes occidentales n'avaient éprouvé, jusque-là, aucune nécessité d'exprimer leur identité de cette façon; 3. ce vêtement a toujours été contesté au sein du monde musulman; 4. dans les pays islamistes, comme en Égypte, en Iran et en Arabie, on l'impose également aux non musulmanes, ce qui révèle sa véritable nature (on a tous vu Céline Galipeau, à Radio-Canada, être obligée de se voiler pour faire ses reportages en Iran); 5. de nombreux autres signes identitaires nettement visibles ne posent aucun problème : le sari des hindoues, le turban des sikhs, le foulard des juives, les tenues africaines. Même le foulard de Benazir Bhutto passe sans problème. Ces signes identitaires, à la différence du hidjab, ne sont pas des signes d'ostracisme politique et ils ne véhiculent pas de message de refus. 

La kippa et l'érouv 

 

Contrairement au hidjab qui vise à réglementer les rapports entre les sexes, la kippa ne véhicule pas de message d'assujettissement d'une personne envers une autre. Elle a pour but de rappeler à l'homme, puisque la femme n'en porte pas, que son Dieu le regarde (kippa signifie coupole ou dôme). Elle marque de façon visible l'appartenance religieuse, mais ne véhicule pas le message de refus associé au hidjab. 

Le foulard que portent les juives hassidiques non mariées véhicule la même symbolique lointaine d'infériorisation que celle exposée par Paul de Trace mais il n'est pas associé à un discours public ostracisant la féminité. Le hassidisme n'a par ailleurs pas comme projet d'occuper toute la place dans le judaïsme; il y a encore de la place, dans le judaïsme, pour la pluralité et pour la laïcité. 

Ce qui pose problème avec le hassidisme, ce n'est pas la kippa ni le voile, mais l'érouv, cette privatisation symbolique et visible de l'espace public qui vise non pas la liberté de religion mais l'exemption d'obligations religieuses jugées trop lourdes. L'érouv est une contradiction du caractère laïque que doit conserver l'espace public fréquenté par tous. L'érouv est un ghetto volontaire et le refuser au nom de la liberté de conscience, de l'égalité des religions et de la laïcité de l'espace public n'est pas un geste d'intolérance mais un acte visant à assurer la coexistence pacifique de diverses communautés. 

Conclusion

 

Ce qui distingue un sikh qui porte un poignard et un sikh qui porte une représentation de kirpan, ce qui distingue une musulmane voilée d'une musulmane qui ne porte pas le voile, ce qui distingue un juif qui exige un érouv d'un juif qui n'en a pas besoin, c'est l'interprétation intégriste ou moderne que chacun fait de sa religion. 

Dans toutes les religions du monde, les interprétations intégristes sont remises en question, voire combattues par de nombreux croyants. Les musulmanes qui refusent le voile, les sikhs qui renoncent au poignard, les juifs qui dénoncent l'érouv seraient-ils intolérants envers leur propre religion? Contester ces manifestations de l'extérieur, au nom d'une laïcité respectueuse des droits de tous, n'est pas plus un signe d'intolérance. 

Condamner une pratique, une coutume ou un système de valeurs ne veut pas dire interdire. Et tolérer une chose ne veut pas dire se taire. Il est pour le moins étonnant de constater que bien des intellectuels, hommes et femmes, mal à l'aise devant des affirmations de refus de nos valeurs démocratiques, ne savent plus comment se comporter parce qu'ils ne veulent pas aller jusqu'à l'interdiction de certains symboles. Contrer la marginalisation des minorités culturelles ne doit pas devenir un argument relativiste en faveur de ce que l'on trouve inacceptable. Il faut donc tenir un discours cohérent et savoir démasquer, désarmer ceux qui profitent de libertés qu'ils s'empresseraient d'abolir s'ils en avaient le pouvoir. Il faut leur faire savoir que notre tolérance n'est pas un signe d'acceptation béate. 

Si l'intégrisme est un discours politique, il faut lui opposer un discours politique. Pour faire évoluer les mentalités, il n'y a rien à attendre des tribunaux ni des avis complaisants de la Commission des droits et libertés de la personne qui a adopté le discours du « relativisme à tout prix ». Ce sont les citoyens, dans leurs partis politiques, dans leurs syndicats, dans leurs associations professionnelles, dans leurs groupes populaires, dans les médias, dans les débats publics et, au premier chef, l'école publique, qui doivent tenir le discours de la démocratie et de l'humanisme. (Le Nouveau parti démocratique qui a accepté une femme voilée - Monia Mazigh- comme candidate, aux dernières élections fédérales canadiennes, est le meilleur contre-exemple de ce qu'il faut faire et mérite un prix déméritas.) 

Finalement, laisser les citoyens se vêtir comme ils le désirent ne doit pas conduire les institutions publiques à abandonner leur devoir de neutralité en matière de religion. Les signes religieux étant des signes idéologiques, ils doivent être considérés, dans l'espace public, de la même façon que les signes politiques. Le port de tout signe religieux visible devrait donc être interdit pour les fonctionnaires et autres représentants d'organismes publics qui sont en contact avec le public, de la même façon et pour les mêmes raisons qu'on leur interdit le port de signes politiques. Cela va des policiers jusqu'aux juges, en passant par les chauffeurs d'autobus, les infirmières et les enseignants. C'est le minimum que l'on puisse faire pour signifier nos valeurs et pour tracer la limite de la tolérance. 

 

Bibliographie

 

Amara, Fadela, Ni putes ni soumises, La Découverte, 2003. 

Benslama, Fethi, La psychanalyse à l'épreuve de l'Islam, Aubier, 2002. 

Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, Rapport au président, Paris, décembre 2003. 

Cours d'appel du Québec, Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys c. Singh-Multani, REJB 2004-54822, Montréal, mars 2004. 

Djavann, Chahdortt, Bas les voiles!, Gallimard, Paris, 2003. 

Lettre ouverte aux nouvelles voilées, [en ligne] Collectif tous contre le voile, mmlf.webdynamit.net/ctcv, consulté le 16 mai 2004. 

Geadah, Yolande, Femmes voilées, intégrisme démasqué, VLB, Montréal, 1996. 

Kacimi, Mohamed, Le voile, une antique aliénation, Libération, 10 décembre 2002. 

Lellouche, Raphaël, Laïcité et licéité. De quoi le voile islamique est-il un signe? [en ligne] Primo-Europe, www.primo-europe.org, consulté le 15 mai 2004. 

Mouvement des Maghrébins laïques de France, Le port du foulard dans les écoles en Europe, [en ligne] mmlf.webdynamit.net/spip/index.php, consulté le 10 mai 2004. 

Sikh Society in Netherlands, Définition d'un sikh, [en ligne] www.sikhs.nl, consulté le 10 mai 2004. 

Singh, Ram, Du turban, [en ligne] Libération www.liberation.fr, consulté le 5 mai 2004. 

Zaouari, Fawzia, Le voile islamique. Histoire et actualité, du Coran à l'affaire du foulard, Favre, 2002. 

Ce voile qui déchire la France, Ramzay, 2003. 

Communication présentée par Daniel Baril au débat-conférence « Kirpan, kippa, voile : la tolérance, jusqu'où? » qu'organisait Tolerance.ca® www.tolerance.ca le 20 mai 2004, à la Maison des écrivains de Montréal. 

Daniel Baril est journaliste, anthropologue et vice-président du Mouvement laïque québécois.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 17 novembre 2007 8:42
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref