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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Daniel BARIL, “Le Canadien de Montréal est-il vraiment une religion ? Contribution pour une définition de la religion”. Texte soumis à la revue Altérités, printemps 2009. [“Une critique du livre d'Olivier Bauer, La religion du Canadien de Montréal, qui continue de susciter beaucoup d'intérêt dans les médias.” Daniel Baril.] [Autorisation accordée par l'auteur le 2 octobre 2012 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Daniel Baril

Anthropologue, journaliste universitaire et militant laïque

Le Canadien de Montréal
est-il vraiment une religion ?
Contribution pour une définition de la religion”.

Texte soumis à la revue Altérités, printemps 2009.




[“Une critique du livre d'Olivier Bauer, La religion du Canadien de Montréal, qui continue de susciter beaucoup d'intérêt dans les médias.” Daniel Baril.]


L’engouement autour du thème de la «religion du Canadien» - thème exploité par Bauer et Barreau (2008) dans l’ouvrage collectif La religion du Canadien de Montréal et dans un cours de maîtrise en théologie à l’Université de Montréal - s’est trouvé pendant un certain temps sur les lèvres de tous les commentateurs sportifs. Les Belles Soirées et Matinées de l'UdeM ont même consacré quatre conférences à ce thème !

L'ouvrage en question nous donne l'occasion de réfléchir sur la véritable nature de la religion. Il n'est en effet pas rare d'entendre dire que «le sport est une religion», «le marxisme est une religion», «l'écologie est une religion» ou même «l'athéisme est une religion». Qu'est donc qu'une religion ?

Inflation religieuse

Bauer (2008: 29) affirme d'emblée, dans son chapitre principal, que «au sens strict le Canadien n’est pas une religion» parce qu’il lui manque une référence explicite à une divinité. On pourrait donc considérer que le débat est clos en ce qui concerne le hockey et, par conséquent, l'ensemble des sports. Mais le Canadien n’en présente pas moins, à ses yeux, plusieurs caractéristiques de la religion, soit des dogmes, des rites, des saints, des prêtres, des reliques, une éthique et de la ferveur.

Or, si ces éléments font incontestablement partie de ce que nous appelons religion, aucun d'entre eux ne lui est spécifique. La religion n’a inventé ni le rituel, ni l’éthique, ni les chefs, ni la ferveur, ni les leaders, ni l’altruisme, ni la fidélité, ni l’agressivité, ni le mensonge. Ces dispositions propres à la nature humaine se retrouvent à des degrés divers dans toutes les sphères d’activité, allant de la politique jusqu’au comportement amoureux en passant par le sport, les arts, la science et la guerre. Elles ne deviennent religieuses, à notre point de vue, que lorsqu’elles sont mises en relation avec le surnaturel.

La plupart des caractéristiques «religieuses» identifiées par Bauer (dogmes, saints, prêtres, reliques) doivent par ailleurs être prises au sens figuré pour qu’on les retrouve dans le hockey; on ne parle alors plus des mêmes choses. Aussi bien dire qu’il s’agit donc de deux domaines qui n’ont pas grand chose en commun, à moins d’en rester à un regard très superficiel.

« Il y a bien, au moins à Montréal, une ferveur religieuse autour du Canadien », soutient Bauer (2008: 29). En quoi la ferveur des fans du Canadien est-elle religieuse? L’auteur ne le précise pas. Il semble accepter implicitement l’idée fort répandue que tout ce que l’on retrouve à la fois dans la religion et dans d'autres sphères d'activité est nécessairement religieux dans ses fondements et a été emprunté à la religion. Pour la théologienne Solange Lefebvre (UdeM), le fait que des athées se créent des associations, se réunissent et expriment publiquement leurs convictions signifient qu’ils imitent la religion [1]. Une telle façon de voir constitue, du point de vue anthropologique, une inversion des rapports entre religion et comportements sociaux.

Il est en effet beaucoup plus fondé - et en partie démontré par l’approche anthropologique - de soutenir que ce que l’on appelle religion repose sur nos comportements sociaux fondamentaux (groupe d’appartenance, reproduction, échange, coopération, compétition, éthique, rituel), que l’inverse.

D’ailleurs, pour affirmer le lien entre sport et religion, Bauer cite plusieurs extraits des épîtres de Paul qui donnent le sport comme exemple à suivre pour développer la ferveur religieuse. Dans chacun de ces exemples, ce sont le sport et la vie militaire qui servent de modèle à la religion et non l’inverse. Ou bien le théologien ne l’a pas saisi, ou bien il considère que le fait de dire «la religion prend exemple sur le sport» équivaut à dire «le sport imite la religion». C'est soit l'un, soit l'autre.

Un autre exemple de cette inflation conduisant à faire de la religion l'origine de tout ce que l'on retrouve dans la société nous est donné par cette citation du jésuite Guy Ménard (UQAM): «pour avoir une religion, il doit y avoir du Récit, du Rite et de la Règle. Le Récit correspond à tout l'univers du mythe, des mythologies et des dogmes. Les Règles font référence à une dimension éthique et morale. Les Rites sont les rituels tels la prière, les signes, etc. Si je trouve mes trois éléments dans les Tam-Tam ou les raves, alors, d'après ma définition, on peut parler d'un phénomène religieux». [2]

Dans le hockey, il y a du récit, du rituel et des règles, le hockey est donc un phénomène religieux. La définition de Ménard est encore plus englobante que la perspective de Bauer; s'il suffit que ces trois éléments soit réunis pour pouvoir dire que nous sommes en présence d'un fait religieux, on pourrait ainsi soutenir que jouer aux échecs, aller voter, préparer le souper, faire de la recherche scientifique ou faire l'amour sont des phénomènes religieux.

De telles perspectives révèlent une vision outrancièrement centralisatrice de la religion, laquelle serait non pas l'expression codifiée de nos comportements sociaux hiérarchisés par le contexte culturel de l'endroit et de l'époque mais la source de ces comportements. Étrangement, la perspective de ces théologiens ignore le seul aspect à la fois nécessaire et suffisant pour qu'il y ait du religieux, c’est-à-dire le lien avec le surnaturel. Il n'y a en effet que le surnaturel (quelle qu'en soit la forme) qui soit spécifique à la religion ou au phénomène religieux. Le rite, le récit mythique, les règles, la morale, le réseau d'appartenance se retrouvent dans toutes les sphères d'activités et ne saurait définir en soit ce qu'est la religion. Si l'on retire cet élément, il ne saurait être question de religion.

Le «fait humain total»

Le problème, fréquemment rencontré dans les études de sociologie sur la religion et qui est bien présent dans l’ouvrage de Bauer et Barreau (2008), est de considérer la religion comme quelque chose existant en soit, indépendamment de l’ensemble de nos habiletés sociales et cognitives. Il manque à cette perspective un ancrage matériel.

Bauer (2008) examine en effet différents modèles de relation entre sport et religion (inclusivisme, syncrétisme, dimorphisme, exclusivisme) qui révèlent tous une conception circonscrite de la religion, de la même façon que le sport peut être circonscrit à des éléments relativement bien définis. Mais à quoi la religion est-elle circonscrite ? On ne le saura pas car Bauer ne le dit pas. S'il le faisait, il serait forcé de la circonscrire aux relations avec le surnaturel et sa thèse sur la religion du hockey s'écroulerait.

La façon la plus éclairante de concevoir la religion demeure, à nos yeux, celle de Durkheim (1968 [1915]) qui y voyait «l’expression raccourcie de la vie collective tout entière». À sa suite, Mauss (1973 [1950]) a vu dans certains grands rituels religieux la reproduction du «fait social total». La religion exprime non seulement notre appartenance à un groupe social, mais sollicite l’ensemble de nos dispositions cognitives, émotives et comportementales en les plaçant en mode relationnel (dans ce cas-ci avec des êtres imaginaires). Ce mode relationnel est spécifiquement celui pour lequel ces fonctions ont été modelées par la sélection naturelle qui a conduit à l’homo sapiens, un mammifère essentiellement social (Baril 2006).

Mais la définition de Durkheim n'a de sens que si le surnaturel est au centre de cette vie collective, ce qui n'est plus le cas dans les sociétés modernes, d'où la nécessité d'inclure explicitement le surnaturel dans la définition de la religion.

Pour paraphraser Mauss, on peut ainsi dire que la religion constitue le « fait humain total ». On y retrouve en effet tout ce qui est essentiel chez l’être humain (communication ritualisée, sentiment d’appartenance, identité profonde, poursuite d’idéal, éthique, recherche d’explication causale, empathie, compétition, conflit intergroupe, règles de la reproduction, etc.) et qui trouve sa raison d’être et sa fonction spécifique en dehors de la religion proprement dite.

La religion est à ce point une émanation de nos dispositions sociales que ce sont des habiletés telle l'anxiété, l'empathie, l'entraide, la prise de risque, la compétition et l'agressivité qui expliquent les différences transculturelles persistantes entre religiosité masculine et religiosité féminine (Francis 1991; Baril 2002). Chacune de ces habiletés sert à gérer non pas notre rapport avec l'au-delà mais nos rapports sociaux.

La religion apparaît ainsi comme un épiphénomène ou un produit dérivé de l'ensemble de nos habiletés sociales et de nos mécanismes cognitifs destinés à gérer ces rapports sociaux et qui sont à la source de notre anthropomorphisme. Ce n’est donc pas le sport qui puise dans la religion - malgré l’emprunt de termes imagés comme «sainte flanelle», «temple de la renommée» ou «Jesus Price» sur lesquels le collectif de Bauer fonde son analyse -, mais la religion qui puise dans des comportements et des valeurs propres à la nature humaine et qui s'expriment entre autres dans le sport.

Références

Baril, Daniel

2002 Sélection sexuelle et différence intersexe dans la religiosité. Mémoire de maîtrise, Département d’anthropologie, Université de Montréal.

2006 La grande illusion. Comment la sélection naturelle a créé l’idée de Dieu. Québec: MultiMondes.

Bauer, Olivier et Jean-Marc Barreau dir.

2008 La religion du Canadien de Montréal. Montréal : Fides.

Bauer, Olivier

2008 Le Canadien de Montréal est-il une religion? In La religion du Canadien de Montréal. Olivier Bauer et Jean-Marc Barreau, dir. Pp 29-80. Montréal : Fides.

Durkheim, Émile

1968 [1915] Les formes élémentaires de la vie religieuse. Paris: Presses Universitaires de France. [Livre disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

Francis, Leslie J.

1997 The Psychology of Gender Differences in Religion: A Review of Empirical Research. Religion 27: 81-96.

Mauss, Marcel

1973 [1950] Sociologie et anthropologie. Paris: Presses universitaires de France. [Livre disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]



[1] Entrevue au journal Jobboom, juin-juillet 2009, vol 10, no 6, p. 40-41 ; « Esprits sains ? », par Annick Poitras.

[2] En entrevue à la revue Découvrir, mars-avril 2001, vol. 22, no 2; «Les religions ont la cote... des chercheurs», par Anne Fleischman.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 3 février 2013 10:21
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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