RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jean-François BARÉ, SABLE ROUGE.
Une monarchie du nord-ouest malgache dans l’histoire
. (1980)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jean-François BARÉ, SABLE ROUGE. Une monarchie du nord-ouest malgache dans l’histoire. Paris: Éditions L’Harmattan, 1980, 383 pp. + index. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec. [Autorisation accordée par l'auteur le 23 juillet 2012 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[i]

SABLE ROUGE.

Une monarchie du nord-ouest malgache dans l’histoire.

Avant-propos

Ce livre présente un ensemble de matériaux tout à la fois historiques et anthropologiques, relatifs à une petite monarchie du Nord-Ouest de Madagascar. Ils furent recueillis lors d'une enquête "sur le terrain", répartie entre 1970 et 1973 dans le cadre du Musée d'Art et d'Archéologie de l'Université de Madagascar, et en liaison avec une équipe du laboratoire associé au CNRS n° 183, à Paris (CE.D.R.A.S.E.M.I.). Equipe qui donna naissance par la suite à la Recherche Coopérative sur Programme n° 441 sur l'Océan Indien. La rédaction en fut achevée en 1974 dans le cadre de l'O.R.S.T.O.M. et alors que je me préparais à un nouveau programme de recherches sur le Pacifique.

Ce sont les contraintes mêmes de l'enquête d'anthropologie politique, la forme prise à cette époque par le savoir historique sakalava qui imprimèrent à ce travail un caractère résolument empirique et tourné vers la profondeur temporelle, la "diachronie". Si l'on ne manquait pas, à propos du Nord-Ouest Malgache, de connaissances partielles, voire d'importantes "sommes" archéologiques plus récentes, la connaissance interne des groupes constitutifs des monarchies, de leurs rapports et de leur évolution dans le temps, restait entièrement à construire. Il s'agissait ainsi avant tout de construire des faits, afin qu'une étape ultérieure de la recherche, plus orientée vers l'analyse, pût exister.

Je n'avais pas d'autre choix que de nourrir l'enquête à la source principale de la mémoire collective : dans le cadre d'une structure politique il apparaissait à l'évidence que chaque fait observable était pris et défini dans une durée, une conjoncture, que chaque fait était historique. Cette utilisation même de la mémoire des groupes retentissait d'ailleurs immédiatement sur la période considérée - un siècle et demi environ - pendant laquelle il était encore possible de reconstituer des chaines d'information et de se livrer à des recoupements sur le caractère contemporain ou non de ces faits.

Aussi étrange que cela puisse paraître, et alors même que l'ethno-histoire raffine constamment ses méthodes d'investigation, la perspective d'étayer des faits sur la mémoire d'individus dépositaires de la chronique de différents [ii] groupes paraît encore scandaleuse aujourd'hui. Je pus le vérifier au cours de l'année 1979, lors d'un symposium tenu sous les auspices de la Wenner Gren Foundation for Anthropological Research, où des anthropologues spécialistes de Madagascar, d'ailleurs liés à la tradition structuraliste anglo-saxonne, ne craignirent pas, à ma grande stupéfaction, de se livrer à de furieuses et approximatives attaques contre toute prétention de la tradition orale à produire des résultats porteurs d'une vraisemblance et d'une cohérence.

Ce débat, placé par eux dès l'abord sous le signe d'une évidente mauvaise foi consistant à ne poser que des questions ayant une réponse absurde - écrire Montaillou de E. Le Roy Ladurie ou se taire -, eut aisément pu être renvoyé au champ clos de l'académisme universitaire dont ces gendarmes de la structure se montraient les suiveurs fidèles, si les termes dans lesquels il était posé n'étaient porteurs de conséquences directes sur les principaux intéressés, à savoir les populations Malgaches de l'Ouest, puisque c'est d'eux dont il sera question ici.

Disqualifier à propos de Madagascar l'utilisation de la mémoire collective c'est en effet disqualifier et décourager dès l'abord toute perspective historique. Car, qu'on le veuille ou non, l'essentiel du savoir historique, au moins des sociétés monarchiques de l'Ouest, est de nature orale : le négliger, refuser dès l'abord les multiples pistes qui le parcourent, encore largement inexplorées, c'est régresser dans une historiographie dépourvue de propos, juxtaposant des traités et des journaux de bord de navires sans tenter de comprendre quelle logique interne a abouti à la signature de ces traités ou au fait même du commerce avec l'extérieur ; c'est épouser aveuglément le point de vue occidental dont l'écrit est l'inséparable compagnon, point de vue que la nature même des contacts entre les Occidentaux et les sociétés Malgaches de l'Ouest condamne dans la grande majorité des cas à n'être qu'étroitement événementiel. C'est, en outre, mépriser tout simplement une préoccupation centrale de la grande majorité des chroniqueurs sakalava de la génération adulte ou vieillissante, dont les plus réceptifs aux changements sociaux attendaient avant tout d'un travail d'anthropologie qu'il synthétise tout ou partie d'un savoir dont ils constatent eux-mêmes, avec un humour teinté d'amertume, la dense fragilité.

[iii]

A contrario, il n'est certes pas question d'accepter benoîtement pour un fait historique toute parole issue de la bouche d'un chroniqueur. En ce qui concerne cet ouvrage, on a procédé à une grande distinction entre ce que je nomme la mémoire collective, nourrie de faits recoupables et vérifiables pour la plupart, puisqu'il s'agit d'une époque contemporaine du locuteur, de la tradition orale stricto sensu constitue essentiellement de schémas mythiques et que les chroniqueurs disqualifiaient d'ailleurs eux-mêmes an cours d'enquête. On a ainsi procédé à chaque fois que cela était possible à de multiples recoupements entre les faits oraux et les documents disponibles de même que des réseaux généalogiques - par exemple entre deux groupes alliés -, réseaux qui forment le cadre premier de ce que les Sakalav comme d'ailleurs l'ensemble des sociétés malgaches, nomment l'histoire. On a été ainsi conduit à présenter des matériaux dont certains, relatifs en particulier aux groupes roturiers, sont nécessairement d'une nature répétitive, et il convient de s'en excuser auprès du lecteur. Ces répétitions sont une conséquence directe de la nature même de la société sakalava du Nord, et notamment de ce qu'elle choisit de mémoriser lorsqu'il s'agit d'individus de moindre statut : des espaces et des lieux, une circulation matrimoniale, des lieux de résidence et d'inhumation.

Les faits présentés notamment dans les chapitre II et III de ce texte ne se présentent d'ailleurs en aucune manière comme exhaustifs : on s'est avant tout efforcé de mettre au jour la base même d'un savoir, sans pouvoir, faute de temps, en augmenter la précision. Ce travail atteindrait ainsi son but s'il pouvait servir de cadre de référence à d'autres recherches qui l'affineraient.

Après beaucoup d'hésitations, j'ai décidé de conserver les noms réels des individus. En ce qui concerne la famille royale, j'eus à cet égard l'aval et l'encouragement de M. Ahamady Andriantsoly, alors chef de famille des Bemihisatra du Nord, qui considérait qu'il ne servirait à rien d'établir un document sur l'organisation dont il est le centre si celle-ci se trouvait tout à la fois désignée - par l'objet du livre -- et masquée - en déguisant les noms des acteurs.

En ce qui concerne les souverains - ainsi Safy Mizongo, Binao [iv] Amada père de M. Ahamady Andriantsoly - c'eut été d'ailleurs une pauvre ruse, bien plus destinée à la mauvaise conscience de l'anthropologue qu'à une "protection" illusoire des intéressés qui, en tant que personnages publics, se placèrent sous le regard de leurs contemporains. Étant donné les solidarités étroites entre la famille royale et les groupes roturiers qui l'entourent, dont certains sont aussi célèbres qu'elle, la dissimulation des noms relatifs à ces derniers n'eut dès lors abouti qu'à des incohérences ou à des absurdités. Il est par contre bien clair que lorsque les hasards de l'enquête m'amenèrent, dans de rares occasions, à connaître des faits d'une nature délicate, ces derniers furent toujours laissés de côté.

La définition même des problèmes déontologiques que pose l'enquête d'anthropologie m'a toujours paru paradoxale : c'est qu'elle est elle-même assujettie à des variations culturelles sur la notion même de secret et d'indélicatesse et que, là comme ailleurs, l'anthropologie se trouve sur le fil du rasoir. Pour reprendre une expression de M. Augé, en matière d'enquête de terrain "le péché commence avec la présence" : cela est particulièrement clair à Madagascar, où le seul fait de prononcer devant un tiers le nom d'un ancêtre est déjà en soi une manière de transgression. Il ne manquera pas en outre d'occasions en cours d'enquête où placé devant des faits que mon interlocuteur m'affirmait hautement secrets, m'assurait ne me confier que si je n'en faisais jamais état, je m'apercevais par la suite qu'il s'agissait d'un savoir qui pour n'être pas clamé à tous les vents était déjà largement tombé dans le domaine public (il en allait ainsi notamment des agissements des possédés royaux). Il existait à l'évidence toute une rhétorique du secret sakalava, le secret - comme dans toute société - se déplaçant selon les conjonctures. Il était enfin bien évident qu'il n'était de véritable secret que tu, et je n'eus ainsi jamais la naïveté de croire que l'on m'ait jamais mis en possession de véritables secrets : j'eux parfois accès, ainsi avec certaines archives privées, à des domaines qui étaient tout au plus quelque peu réservés.

*
*     *

[v]

Ce travail se présente comme complémentaire d'une série de publications sur le Nord-Ouest Malgache. Les hasards de l'édition ont voulu que bien qu'il forme le premier ou l'un des premiers chainon (s) d'un itinéraire il paraisse en dernier, notamment après Pouvoir des vivants langage des mots paru aux éditions F. Maspero en 1977. Ce dernier ouvrage eut mieux trouvé sa place après Sable rouge dont il tire beaucoup de faits premiers ayant étayé son analyse ; les lecteurs de Pouvoir des vivants... constateront en outre qu'un chapitre de cet ouvrage fut tiré, pour l'essentiel, du chapitre IV du présent livre. Il convenait alors de présenter des données de base de l'organisation familiale et hiérarchique sakalava, et l'on avait pu se résoudre ni à amputer ni à condenser ; de la même manière j'ai cru, du fait de l'importance de ce chapitre, pour la cohérence de l'ensemble et étant donné notamment la multitude de renvois internes au texte devoir le conserver sous cette forme. Je remercie les éditions F. Maspero d'avoir bien voulu autoriser cette reproduction.

En publiant ce texte je ne m'acquitte que d'une partie de ma dette envers les collaborateurs sakalava. Je souhaite d'abord remercier ma "famille" d'Ambatozavavy qui m'accueillit lors de mon premier séjour, m'enseigna sa langue, supporta mes maladresses, notamment MM. Vao, Taboribory, Jaosenga, Tombazandry, Tombodoany. À Andavakotoko je suis très reconnaissant à M. Ahamady Andriantsoly d'avoir autorisé dans son entourage la présence indiscrète d'un anthropologue et d'avoir délié les chroniqueurs de leurs "obligations de réserve" ; je remercie également son frère, M. Hahaia Andriantsoly.

J'ai accaparé autour d'eux le temps de nombreux responsables et chefs de famille sans que jamais ils se départissent de leur gentillesse et de leur patience : il en va ainsi de M. Mahamoudou Daoud qui m'introduisit à l'ensemble des règles politico-rituelles anciennes et me fournit de nombreuses pistes historiques, en me confiant avec son blanc-seing l'essentiel de ses archives privées ; de M. Abdillah Adakoto qui à Nosy Be comme à Ampasimena fut un compagnon de travail doublé d'un "grand père" d'une inoubliable courtoisie ; de MM. Tama d'Andavakotoko, Michel dit Tsimibiry intercesseur de la monarchie, d'Antsakoalagny, Jaomasina dit Amaloño de Marokindro, Aly Tsielonkasy d'Andavakotoko, Asara ny Hamavatra sur la Grande Terre  [vi] (Ambaliha), Lehilahy de Mahavaño, Tamboho d'Ampohaña, Vavy et Hevitry d'Ampasimena.

Je garde la plus grande des reconnaissances envers M. P. Ottino pour m'avoir introduit à Madagascar et m'avoir ouvert ses connaissances et ses carnets avec la générosité la plus désintéressée, et aussi pour m'avoir éveillé aux langues et à l'irremplaçable instrument qu'elles constituent pour l'anthropologue. Mr. A. Crosnier, Directeur lors de ma présence dans le Nord-Ouest de la station océanographique de 1'O.R.S.T.O.M. à Nosy Be, m'offrit à maintes reprises une précieuse hospitalité. Mr. J. Lombard me communiqua lors de la rédaction une série de documents anciens du XIXème siècle qui constituèrent une précieuse référence. M. M. Vérin, Directeur du Musée de l'Université de Madagascar jusqu'en 1973, me laissa une grande liberté pour orienter mon travail et je tiens à l'en remercier ici.

Je dois encore exprimer ma reconnaissance à M. G. Condominas, Directeur du C.E.D.R.A.S.E.M.I., pour l'attention qu'il apporta à la relecture de ce travail, et à Mme D. Paulme, alors Présidente du Comité Technique d'Anthropologie de l'O.R.S.T.O.M. pour m'avoir permis d'en achever la rédaction à Paris.

Paris, mars 1980.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 5 mai 2014 14:39
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref