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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Georges BALANDIER, “La situation coloniale: approche théorique”. Un article publié dans les Cahiers internationaux de sociologie, vol. 11, 1951, pp. 44-79. Paris : Les Presses universitaires de France. [Autorisation formelle de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales accordée par M. Balandier le 28 janvier 2008.]

Georges BALANDIER 

La situation coloniale : approche théorique”. 

Un article publié dans les Cahiers internationaux de sociologie, vol. 11, 1951, pp. 44-79. Paris : Les Presses universitaires de France. 

 

L'un des événements les plus marquants de l'histoire récente de l'humanité est l'expansion, a travers le globe, de la plupart des peuples européens ; elle a entraîné l'assujettissement - quand ce ne fut pas la disparition - de la quasi-totalité des peuples dits attardés, archaïques ou primitifs. L'action coloniale, au cours du XIXe siècle, est la forme la plus importante, la plus grosse de conséquences prise par cette expansion européenne ; elle a bouleversé brutalement l'histoire des peuples qu'elle soumettait ; elle a, en s'établissant, imposé à ceux-ci une situation d'un type bien particulier. On ne saurait ignorer ce fait. Il conditionne non seulement les réactions des peuples « dépendants » mais explique, encore, certaines réactions des peuples récemment émancipés. La situation coloniale pose des problèmes au peuple soumis - qui répond a ceux-ci clans la mesure où un certain « jeu » lui est concédé - à l'administration qui représente la nation soi-disant tutrice (et défend les intérêts locaux de cette dernière), à l'État fraîchement créé sur lequel pèse tout un passif colonial ; actuelle, ou en cours de liquidation, cette situation entraîne des problèmes spécifiques qui doivent provoquer l'attention du sociologue. Cet après-guerre a manifesté l'urgence et l'importance du problème colonial dans sa totalité ; il est caractérisé par des entreprises difficiles de reconquête, par des émancipations et des concessions plus ou moins conditionnelles ; il annonce une phase technicienne de la colonisation faisant suite à la phase politico-administrative. 

Il y a seulement quelques années, une estimation grossière, mais significative, rappelait que les territoires coloniaux couvraient, alors, le tiers de la surface du globe et que sept cent millions d'individus, sur les deux milliards de population totale, constituaient des peuples sujets [1] ; jusqu'à une époque très récente, la majeure partie des populations n'appartenant pas à la race blanche, si l'on exclut la Chine et le Japon, ne connaissait qu'un statut dépendant contrôlé par l'une des nations européennes coloniales. Ces peuples dominés, répartis en Asie, Afrique et Océanie, relèvent tous des cultures dites « attardées », ou « sans machinisme » ; ils composent le champ de recherche à l'intérieur duquel opérèrent - et opèrent - les anthropologues ou ethnologues. Et la connaissance, de caractère scientifique, que nous avons des peuples colonisés reste due, pour une large part, aux travaux entrepris par ceux-ci. De tels travaux, en principe, ne pouvaient (ou ne devaient) ignorer un fait aussi important, celui de la colonisation, qui depuis un siècle ou plus impose un certain type d'évolution aux populations soumises ; il semblait impossible que l'on ne tînt pas compte des conditions concrètes dans lesquelles s'accomplit l'histoire proche de ces peuples. Ce n'est pourtant que d'une manière très inégale que les anthropologues prirent en considération ce contexte précis qu'implique la situation coloniale ; nous avons l'occasion de le manifester dans un travail actuellement en cours. D'une part, des chercheurs obsédés par la poursuite de l'ethnologiquement pur, du fait inaltéré et conservé miraculeusement dans sa primitivité, ou des chercheurs exclusivement avides de spéculation théorique méditant sur le destin des civilisations ou les origines de la société ; d'autre part, des chercheurs engagés dans de multiples enquêtes pratiques, et de portée restreinte, se contentant d'un empirisme commode ne dépassant guère le niveau d'une technique ; entre ces deux extrémités, la distance est longue -elle conduit des confins de l'anthropologie dite « culturelle » a ceux de l'anthropologie dite « appliquée ». D'un côté, la situation coloniale est rejetée parce que perturbatrice ou n'est envisagée que comme l'une des causes des changements culturels ; de l'autre côté, elle n'est considérée que sous certains de ses aspects - ceux concernant de manière évidente le problème traité - et n'apparaît pas comme agissant en tant que totalité. Pourtant, toute, étude actuelle des sociétés colonisées, visant à une connaissance de la réalité présente et non à une reconstitution de caractère historique, visant a une compréhension qui ne sacrifie pas la spécificité pour la commodité d'une schématisation dogmatique, ne peut se faire que par référence à ce complexe que nous avons nommé, situation coloniale. C'est cela même que nous voudrions manifester ; mais, auparavant, il importe de tracer les lignes essentielles figurant le système de référence que nous venons d'évoquer. 

Dans les travaux récents entrepris en France, seuls ceux de O. Mannoni accordent une place essentielle à la notion de situation coloniale [2]. Mais, soucieux de se maintenir uniquement sur le plan psycho-psychanalytique, Mannoni ne donne de cette dernière qu'une définition imprécise ; il la présente comme une « situation d'incompréhension », « comme un malentendu » et, en conséquence, analyse les complexes qui caractérisent le « colonial » et le « colonisé » et permettent de comprendre les relations que tous deux entretiennent [3]. C'est insuffisant. O. Mannoni semble le reconnaître lorsqu'il indique ne pas « sous-estimer l'importance (capitale) des rapports économiques » ; il avoue, d'ailleurs, avoir choisi volontairement un aspect mal repéré de la situation coloniale. Nous aurons, quant a nous, à l'inverse, un parti pris de totalité, pensant qu'il y a quelque tricherie à ne retenir qu'une seule des implications de cette situation. 

Il est possible de saisir une telle situation, créée par l'expansion coloniale des nations européennes au cours du siècle dernier, à partir de divers points de vue ; ce sont autant d'approches particulières, autant d'éclairages différemment orientés, réalisés par l'historien de la colonisation, l'économiste, le politique et l'administrateur, le sociologue préoccupé par les rapports de civilisations étrangères et le psychologue attaché à l'étude des relations raciales, etc. Et, il paraît indispensable, pour risquer une description d'ensemble, d'examiner ce qu'on peut retenir de chacun de ces apports particuliers. 

L'historien envisage la colonisation à ses différentes époques, et en fonction de la nation coloniale ; il nous permet de saisir les changements survenus dans les rapports existant entre celle-ci et les territoires dépendants ; il nous montre comment l'isolement des peuples colonisés a été brisé par le jeu d'une Histoire sur laquelle ces derniers n'avaient aucune prise ; il évoque les idéologies qui ont,. aux divers moments, justifié la colonisation et permis la composition du « rôle » adopté par le colonial, le décalage entre la doctrine et les faits ; il nous met en présence des systèmes administratifs et économiques qui ont assuré la « paix coloniale » et permit la rentabilité (pour la métropole) de l'entreprise coloniale ; en bref, l'historien nous fait comprendre comment la présence de la nation coloniale s'est, au cours du temps, insérée au sein des sociétés colonisées. Agissant ainsi, il fournit au sociologue un premier et indispensable ensemble de références ; il rappelle à celui-ci que l'histoire de la société colonisée s'est faite en fonction d'une présence étrangère, en même temps qu'il évoque les différents aspects pris par cette dernière. 

La plupart des historiens ont insisté sur le fait que la pacification, l'équipement, la mise en valeur des pays colonisés se sont réalisés « constamment par rapport aux nations occidentales, et non en vue des intérêts locaux... en faisant passer au second plan (les besoins) des producteurs autochtones [4] ». Ils ont montré, combien l'absorption par l'Europe de l'Asie, de l'Afrique et de l'Océanie, en moins d'un siècle, « a transformé, par la force et par des réformes souvent audacieuses, la conformation de la société humaine » ; combien de tels bouleversements étaient rendus nécessaires par « l'impérialisme colonial (qui) n'est qu'une des manifestations de l'impérialisme économique [5] ». Ils ont rappelé que l'exploitation économique s'appuie sur une prise de possession politique - ce sont là deux traits caractéristiques du fait colonial [6]. Ainsi, les historiens nous permettent d'entrevoir à quel point la société colonisée est un instrument à l'usage de la nation coloniale ; on peut remarquer une manifestation de ce caractère instrumental dans la politique qui consiste à compromettre, en l'intéressant, l'aristocratie indigène : « Mettre la classe dirigeante dans nos intérêts », disait Lyautey [7], réduire les chefs indigènes au rôle de « simples créatures » dit R. Kennedy ; et, plus encore, dans la politique des déplacements de populations ou des recrutements de main-d'œuvre ne considérant que les seuls besoins de la grande économie [8]. En nous rappelant certaines mesures « audacieuses » - déplacements de populations et politique des « réserves », transformation du droit traditionnel et remise en discussion de la propriété des richesses, politique de rendement, etc. - l'historien attire notre attention sur le fait que « la colonisation fut parfois véritablement de la chirurgie sociale [9] ». Et cette indication, plus ou moins valable selon les régions et les peuples considérés, est d'un grand intérêt pour le sociologue étudiant les sociétés colonisées ; elle lui montre que ces dernières, à un degré variable, sont dans un état de crise latente, qu'elles impliquent, dans une certaine mesure, une socio-pathologie. Il y a là, une indication précieuse qui révèle le caractère particulier de la sociologie des peuples colonisés et suggère les résultats pratiques et théoriques qu'on peut attendre d'une telle discipline ; nous retrouverons cet important aspect, d'ailleurs, à d'autres moments de notre analyse. 

Mais, après avoir rappelé cette pression extérieure jouant sur les sociétés colonisées, l'historien nous signale la diversité des réactions conséquentes ; celles des peuples de l'Orient, de l'Islam et de l'Afrique Noire ont été fréquemment évoquées dans des études comparatives. Ainsi s'opposent, au niveau des généralités, la « fermeture » des civilisations orientales, malgré les apparences d'occidentalisation ; les relations tendues avec l'Islam qui n'abdique pas le sentiment de sa supériorité et maintient une « compétition qui peut être silencieuse, voilée, mais qui demeure toujours le fond du problème » ; l'« ouverture » du monde noir qui s'explique par la « disponibilité africaine à l'imitation », un manque de « confiance aux ressources profondes du cru [10] ». Et, dans un cas plus particulier, l'histoire de l'Afrique, continent colonial par excellence, révèle des différences importantes, même au sein de la seule Afrique Noire, de résistance à l'emprise des nations européennes. L'histoire de la colonisation, après nous avoir manifesté l'importance du « facteur externe » quant aux transformations affectant les sociétés colonisées, nous remet en présence d'un « facteur interne » impliqué par les structures sociales et les civilisations soumises ; elle débouche, là, à un niveau où l'anthropologue retrouve les horizons familiers.. Mais, en faisant le tableau des réactions diverses à la situation coloniale, elle nous montre combien cette dernière peut jouer le rôle d'un véritable révélateur ; et la colonisation apparaît comme une épreuve imposée à certaines sociétés ou, si l'on peut risquer l'expression, comme une expérience sociologique grossière. Une analyse des sociétés colonisées ne peut oublier ces conditions spécifiques ; elles révèlent non seulement, comme l'ont aperçu quelques anthropologues [11], les processus d'adaptation et de refus, les conduites novatrices nées de la destruction des modèles sociaux (patterns des auteurs anglo-saxons) traditionnels, mais encore manifestent les « points de résistance » des sociétés colonisées, les structures et comportements fondamentaux - elles font toucher le roc. Une telle connaissance présente un intérêt théorique certain (si l'on considère la situation coloniale comme un fait relevant de l'observation scientifique, indépendamment des jugements moraux qu'elle provoque) et a une importance pratique réelle (elle montre a partir de quelles données fondamentales tout problème doit être envisagé). 

L'historien révèle comment le système 'colonial s'est établi et s'est transformé, quels en furent, selon les circonstances, les divers aspects politiques, juridiques et administratifs ; il nous permet, aussi, de repérer les idéologies qui l'ont justifié [12]. De nombreuses études insistent sur le décalage entre les principes successivement mis en avant et la pratique, entre la « mission civilisatrice » (dont l'expression, sous une forme particulièrement emphatique, remonte à Napoléon III) et l'utilité désirée que Eugène Étienne, « colonialiste oranais », définit en 1894 comme « la somme d'avantages et de profits devant découler (de toute entreprise coloniale) pour la métropole [13] » ; H. Brunschwig évoque, dans son histoire de la colonisation française, la longue série de malentendus (voire de mensonges) qui jalonne celle-ci ; L. Joubert rappelle « le décalage qui existait, depuis l'adoption des formules de responsabilité civilisatrice, entre la théorie et les faits ; la rupture entre ces deux domaines, sinon l'hypocrisie qui justifiait par des principes humanitaires une exploitation pure et simple [14] »... Ainsi, la situation coloniale apparaît comme possédant, d'une manière essentielle, un caractère d'inauthenticité ; elle cherche, constamment, à se justifier par un ensemble de pseudo-raisons. R. Kennedy dans son étude, intitulée la Crise coloniale et l'avenir, montre comment chaque caractéristique du « colonialisme » - color line, dépendance politique, dépendance économique, réalisations « sociales »quasi inexistantes, manque de contact entre les indigènes et la « caste dominante » - s'appuie sur une « série de rationalisations » ; à savoir : la supériorité de la race blanche ; l'incapacité des indigènes à se diriger correctement, le despotisme des chefs traditionnels, la tentation qu'auraient les actuels leaders politiques de se constituer en « clique dictatoriale » ; l'incapacité des indigènes à mettre en valeur les ressources naturelles de leurs territoires ; les médiocres ressources financières. des pays coloniaux ; la nécessité de maintenir le prestige, etc. [15]. Le sociologue saisit, à la faveur de telles indications, combien la société européenne coloniale animée par une doctrine douteuse, dont il peut suivre le développement historique, condamnée à des comportements inauthentiques, liée par une certaine image de l'indigène, agit, en fonction de ces représentations, sur la société colonisée. Nous avons, ailleurs, attiré l'attention sur l'importance de ce fait [16] ; il n'y a pas de sociologie des peuples colonises valable sans cette attention accordée aux idéologies et aux comportements plus ou moins stéréotypes qu'elles entraînent. 

L'historien nous rappelle comment les sociétés colonisées actuelles sont le produit d'une double histoire ; ainsi, dans le cas de l'Afrique, l'une proprement africaine - « ces sociétés, si stables, si immobiles en apparence, résultèrent toutes, ou presque toutes, de la combinaison variable des peuples divers que l'histoire a heurtés, brassés, superposés [17] » - qui a « mis en présence (en relation de domination ou d'assimilation) des formes sociales homogènes [18] », l'autre largement conditionnée par la domination européenne « qui a mis en contact des formes sociales radicalement hétérogènes 18 » et manifeste un mouvement de « désintégration » - « trois forces ont, écrit Ch. A. Julien, désintégré l'Afrique : l'administration, les missions, l'économie nouvelle [19] ». Une étude actuelle de ces sociétés ne peut se faire qu'en les situant en fonction de cette double histoire. Il est habituel de rappeler, d'une manière schématique, que la colonisation a agi par le jeu de trois forces étroitement liées - associées historiquement comme l'a signalé R. Montagne en indiquant que « l'effort d'évangélisation a été historiquement lié à une expansion de l'Europe, sous la forme commerciale, politique ou militaire [20] » ; vécues comme étroitement rattachées par ceux qui les subissent [21] - l'action économique, administrative et missionnaire ; et c'est en fonction de ces facteurs que les anthropologues ont habituellement étudié les « changements sociaux ». Mais, afin de caractériser la colonisation européenne moderne, d'en expliquer l'apparition, certains historiens ont été conduits à privilégier un de ces aspects - le facteur économique ; « l'impérialisme colonial n'est qu'une des manifestations de l'impérialisme économique », indique Ch. A. Julien dans un article consacré a ce thème [22]. L'histoire débouche, ici, sur un autre point de vue, indispensable à la compréhension de la situation coloniale. 

C'est sur des raisons économiques que la politique d'expansion bâtit, en partie, sa propagande. P. Leroy-Beaulieu, en 1874, montrait la nécessité où se trouvait la France de devenir une puissance, coloniale. ; J. Ferry écrivait, en 1890 : « La politique coloniale est fille de la politique industrielle... la politique coloniale est une manifestation internationale des lois éternelles de la concurrence [23]... » C'est par des raisons économiques que les nations coloniales justifient leur présence - la mise en valeur et les équipements réalisés constituent des droits acquis - et c'est aux avantages économiques qu'elles renoncent en dernier lieu, alors qu'elles ont accepté des formules plus ou moins réelles d'indépendance politique. Certaines analyses consacrées à « l'impérialisme » ont, avant même les études des écrivains marxistes, révélé les caractères économiques de ce dernier [24]. Du point de vue marxiste, Lénine fut le premier à donner, dans l'ouvrage célèbre l'Impérialisme, stade suprême du capitalisme, une théorie systématique ; Ch.-X. Julien en évoque la partie essentielle en rappelant que « la politique coloniale naît du monopole, de l'exportation des capitaux et de la recherche des zones d'influence économique [25] » ; sous les formes de la colonisation ou du protectorat économique, un marxiste retrouve une même réalité qui, liée au capitalisme, doit disparaître avec lui. Les liens étroits existant entre le capitalisme et l'expansion coloniale ont amené certains auteurs non marxistes à comparer la « question coloniale » à la « question sociale » et a constater, tel J. Guitton, « qu'elles ne sont pas substantiellement différentes, car le rapport métropole-colonie n'est point différent du rapport capital-travail, ou, plus généralement de ce que Hegel appelait le rapport maître-serviteur [26] » ; à remarquer la possible identification « des colonisés » au « prolétariat », « il s'agit dans les deux cas, écrit P. Reuter, d'une population productrice de toute la richesse, exclue de tous les avantages politiques ou économiques, et constituée en « classe » opprimée [27] ». Pour un marxiste, cette identité ne fait aucun doute ; elle justifie, politiquement, l'action combinée du prolétariat et des peuples coloniaux ; J. Staline a consacré diverses études à la question coloniale et après avoir montré que « le léninisme... a détruit le mur qui séparait Blancs et Noirs, Européens et Asiatiques, esclaves « civilisés » et « non-civilisés » de l'impérialisme », il rappelle que « la Révolution d'Octobre a inaugure une nouvelle époque, l'époque des révolutions coloniales dans les pays opprimés du monde, en alliance avec le prolétariat, sous la direction du prolétariat [28] ». Les colonisés eux-mêmes mettent l'accent sur l'aspect économique de leur situation, plus que sur l'aspect politique ; un journaliste africain de Gold-Coast écrit à ce propos : « ... les nations dont le pouvoir économique est prépondérant sont justement celles dont l'influence politique prédomine... jusqu'à présent les autorités n'ont fait aucun effort pour encourager les populations indigènes des colonies à atteindre un niveau économique correspondant à leur avancement politique [29] ». Sans accepter de réduire la situation coloniale à ses seules manifestations économiques, le sociologue qui s'efforce de comprendre et interpréter les sociétés colonisées doit reconnaître l'importance de telles indications - elles lui suggèrent que ce ne sont pas seulement les contacts d'une civilisation de type technique et d'une civilisation de type primitif, atechnique, qui expliquent les structures de ces sociétés ; elles lui rappellent que société coloniale et société colonisée sont entre elles dans certains rapports (nous avons, déjà, signalé le caractère instrumental de cette dernière) qui impliquent tensions et conflits. Observation qui n'aurait pas été inutile à la pensée théorique de Malinowski ; lorsque le célèbre anthropologue a établi la doctrine d'une « anthropologie pratique », il a affirmé qu'un contrôle « sage » des forces de changement « peut assurer un développement normal et stable [30] » et cette méconnaissance du caractère radicalement conflictuel l'a conduit, selon un commentateur, à poser les problèmes dans les « termes les plus naïfs [31] ». 

L'aspect économique de la situation coloniale a été évoqué, dans ses généralités, par certains anthropologues ou certains géographes spécialistes des pays tropicaux. R. Kennedy, dans une étude déjà citée, en a indiqué les caractères principaux [32] : la recherche, par les nations coloniales, de matières premières destinées a alimenter les industries métropolitaines - ce qui explique le médiocre équipement industriel des territoires coloniaux (lorsqu'il n'est pas inexistant) [33] ; l'exploitation à grande échelle, le commerce d'import-export se trouvent uniquement entre les mains des « sociétés » qui en tirent seules bénéfice [34] ; la « distance » qui sépare la société coloniale et la société colonisée (réduite essentiellement aux activités paysannes, à celles du manoeuvre et du domestique) expliquant la difficulté de l'indigène « à s'élever économiquement » ; la stagnation économique des masses indigènes. 

Parmi les travaux de langue française, ceux consacrés à l'Indochine (en fait, les seuls ayant une réelle ampleur) sont particulièrement précieux ; ils sont l'oeuvre de géographes (et, c'est bien significatif de cette fuite de l'actuel qui a caractérisé l'ethnologie française), Ch. Robequain et P. Gourou [35]. Les « paysans » représentent 90 à 95% de la population indochinoise, et c'est essentiellement sur les problèmes du paysannat que sont centrées les études ; en dehors de l'importance accordée, d'abord, aux moyens techniques (qui n'ont pas, ou peu, été améliorés par la nation coloniale), c'est sur le phénomène de la décomposition de la propriété foncier [36] de la « dépossession foncière », entraînant prolétarisation et déracinement, qu'il est insisté ; aussi, l'indication, parallèlement à ce mouvement., de la constitution d'une bourgeoisie (d'origine agraire essentiellement) qui est née, « comme le prolétariat, du contact avec la civilisation occidentale et de l'affaiblissement des valeurs traditionnelles » et dont l'accroissement provient presque toujours « de l'exploitation de la rizière et du système des prêts d'argent qui s'y trouve lié [37] ». Les observations faites quant au commerce (un commerce indigène divisé en multiples établissements de peu d'importance tandis que le grand commerce et l'exportation sont aux mains des Européens ou des étrangers, Chinois et Hindous) et à l'industrie (stagnation de l'industrie existante et manque d'industries de transformation, faible accroissement de la population ouvrière -depuis 1890, l'accroissement moyen annuel du nombre des ouvriers a été de deux mille cinq cents selon Ch. Robequain, bas niveau de la qualification technique, etc.) confirment le schéma général établi par R. Kennedy. C'est à partir de telles données que P. Naville a pu donner, d'un point de vue strictement marxiste, une analyse précise des conditions économiques et politiques de la révolution vietnamienne [38]. 

Les travaux relatifs à l'Afrique, Centrale et du Sud surtout, révèlent des faits de même nature ; ils sont essentiellement l’oeuvre des anthropologues anglo-saxons préoccupés, à juste titre, de « practical anthropology ». La situation créée, en Afrique du Sud, par la minorité européenne est bien connue : ségrégation territoriale imposée par le Native land act de 1913 (les native areas ne constituent que 12% de la surface totale de l'Union), ségrégation sociale légalisée par le Colour bar act de 1926 qui réduit les travailleurs noirs aux seules tâches de manoeuvres, participation médiocre des Noirs au revenu national (représentant 69% de la population, ils ne retiennent que 20% du revenu national alors que les Blancs, qui forment 21% de la population, se partagent 74% de ce revenu), bases raciales et racistes données à l'organisation économique et politique, contradictions profondes d'une politique qui organise la ségrégation - les Blancs craignent d'être submergés par les Noirs - en même temps qu'elle doit « battre le rappel de la main-d'œuvre indigène [39] », et provoquer, en conséquence, l'exode rural entraînant « prolétarisation » et « détribalisation ». La situation particulière - en quelque sorte caricaturale - de l'Afrique du Sud nous montre combien les aspects économiques, politiques et raciaux sont étroitement liés [40] et combien une étude actuelle des peuples de l'Union ne peut se faire qu'en fonction de tous ceux-ci ; nous saisissons, là, cette nécessité impérieuse de considérer la situation coloniale comme un complexe, une totalité. 

Les anthropologues anglo-saxons ont donné une place importante aux faits économiques considérés comme une des « forces » principales provoquant le « culturechange » ; Monica Hunter, dans son ouvrage célèbre Reaction to conquest, étudie les transformations survenues dans la société Pondo (Afrique du Sud) en fonction du facteur économique, d'abord, et du facteur politique (« qui est, historiquement, d'origine économique quoi que puissent dire les non-marxistes »), ensuite. Mais ces études, qui sont déjà nombreuses dans le seul domaine africain [41], sont conduites uniquement par rapport à l'économie et l'organisation sociale « primitives », en fonction des perturbations apportées par l'économie « moderne » et des problèmes que posent celles-ci ; il leur manque de se référer à l'économie coloniale, la situation coloniale, d'avoir le sens d'une réciprocité de perspectives existant entre société colonisée et société coloniale ; les travaux inspirés par Malinowski présentent ces défauts au maximum en évoquant seulement le résultat du « contact » entre « institutions » de même nature, en ne dépassant guère la simple description des transformations et l'énumération des problèmes. Cela explique qu'elles se soient attachées surtout aux aspects ruraux, aux transformations affectant le village et la « famille », au problème du dépeuplement -rural. En ce domaine, elles ont dressé des schémas significatifs du « culture change » : destruction de l'unité économique de la « famille », prédominance des valeurs économiques, émancipation des jeunes générations, installation d'une économie monétaire qui bouleverse les rapports personnels, atteinte aux hiérarchies traditionnelles (la richesse et le rang ne sont plus toujours liés), etc. Certaines recherches particulières - ainsi, celles relatives aux niveaux de vie [42] - ont été développées, niais des faits importants comme les nouveaux modes de groupement nés de la désorganisation des groupes traditionnels, l'apparition des classes sociales, les caractères et le rôle du prolétariat, etc., ne sont évoqués qu'en termes très généraux et les conflits qu'ils impliquent sont rarement analysés [43]. 

C'est pourtant à ces derniers aspects que les études inspirées, au premier chef, par la situation de crise des sociétés colonisées et par les implications politiques et administratives de cette dernière, accordent une place importante ; en ce domaine, les constatations faites par l'observateur marxiste peuvent rejoindre celles faites par le- haut fonctionnaire colonial. Tous deux, pour des raisons différentes, portent leur attention sur les faits de dégradation du paysannat, de développement sans cesse croissant du prolétariat colonial et sur les antagonismes qui leur sont liés. En ce qui concerne l'Afrique du Nord et l'Afrique Noire françaises, nous nous permettons de renvoyer à deux études générales qui se complètent ou se confirment, celle du géographe J. Dresch et celle du haut-commissaire R. Delavignette [44]. Les mouvements complémentaires de dépossession (« 730.000 familles rurales sont totalement dépourvues de terres et doivent être considérées comme indigentes », écrit J. Dresch), de « déracinement » du paysannat et de prolétarisation qui se mesure à l'accroissement accéléré des centres urbains sont expliqués dans le cadre des conditions locales. Par ailleurs, l'accent est mis sur les caractères propres au prolétariat colonial : « Les indigènes d'Afrique du Nord deviennent prolétaires, mais des prolétaires manoeuvres, des prolétaires coloniaux, jugés également bons et inaptes à tous les emplois, serviteurs d'une économie élémentaire et spéculative, menacée par des crises que provoquent tour à tour la sécheresse et les variations des cours des matières premières » (J. Dresch) ; le prolétariat « est le véhicule du racisme, il donne à la lutte des classes une violence inouïe en l'entremêlant à la lutte de races » et, devant cette menace, paraît la tentation de « certains Européens » « de conserver le plus longtemps possible la paysannerie dans un état primitif (qu'ils croient) de tout repos » (R. Delavignette). De telles indications montrent à quel point la société colonisée, sous son aspect urbain comme sous son aspect rural, et la société coloniale forment un ensemble, un système ; et la nécessité pour toute étude d'un seul des éléments de se référer à l'ensemble ; elles attirent l'attention, aussi, sur les antagonismes qui se manifestent au sein de ce dernier en fonction d'une structuration par classes qui s'affirme au détriment des structures sociales traditionnelles, sur des conflits qui ne s'expliquent que dans le cadre de la situation coloniale. Par ailleurs, la notion de « crise » est au centre de ces préoccupations (« une crise qui frappe une société ébranlée et peu à peu détruite », écrit J. Dresch) ; elles nous font retrouver, en le privilégiant, en l'exagérant peut-être, cet aspect pathologique des sociétés colonisées que nous avons signalé. 

Il est par ailleurs fréquemment insisté sur le rôle de l'appareil administratif et judiciaire charge d'assurer cette domination, et certain critique, après en avoir dénoncé l'« arbitraire », évoque l'action d'une organisation « qui a séparé des peuples de même origine ethnique, de même structure sociale et en a rapproché d'ethnies et de structures sociales différentes [45]... ». L'arbitraire du partage entre nations coloniales et des découpages administratifs aboutit - ou vise - à fragmenter les ethnies importantes, à briser toute unité politique de quelque envergure, à rassembler artificiellement des groupes ethniques différents ou antagonistes. Certains mouvements récents de peuples colonisés s'expliquent comme une réaction à un tel état de choses, comme la manifestation d'une volonté de remembrement. Pour la seule Afrique Noire de l'Ouest, nous pouvons évoquer : les revendications unitaires des Ewé (partagés entre Togo français et Togo britannique), les tentatives de fédéralisme tribal dans le Sud-Cameroun, le désir, plus ou moins explicite, de regroupement manifesté par les églises nègres - connues sous le nom de Kimbangisme -agissant en pays Ba-Kongo (au Congo belge et au Congo français). Cette « balkanisation » entretenue ou créée, les inimitiés ou rivalités entre groupes ethniques maintenues ou dérivées à des fins administratives, ont imposé à ceux-ci, dans le cadre de la situation coloniale, une histoire particulière dont la connaissance est indispensable à toute analyse sociologique. Et une étude récente, consacrée aux Malgaches, peut montrer comment cette volonté d'atteindre le groupe (par crainte de voir se poser la question nationale) s'accompagne souvent de la volonté d'atteindre son histoire (par peur de laisser celle-ci justifier « la fierté d'être Malgache, et par là le nationalisme » écrit l'auteur) [46]. Nous retrouvons, ici, le domaine des idéologies plusieurs fois évoqué : cette perversion de l'histoire atteint la mémoire collective qui réagit par contrecoup ; et l'on voit l'importance que peuvent prendre de tels faits dans l'effort de compréhension des peuples colonisés. 

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En fonction de ces premières données, il devient plus facile de situer, et d'apprécier, les apports de la sociologie et de la psychologie sociale appliquées aux sociétés coloniales et colonisées. Dans un ouvrage récent, consacré aux « colonies », E.A. Walcker attirait notre attention sur le fait que celles-ci constituent des « sociétés plurales [47] ». Il précise que la « colonie » (société globale) « se compose en général d'un nombre de groupes plus ou moins conscients de leur existence, souvent opposés les uns aux autres par la couleur, et qui s'efforcent de mener des vies différentes dans les limites d'un cadre politique unique ». Et Walcker ajoute : ces « groupes qui parlent des langues différentes, ont une nourriture différente, se livrent souvent à des occupations différentes qui leur sont désignées par la loi ou la coutume, portent des vêtements différents.... vivent dans des types différents d'habitations, chérissent des traditions différentes, adorent des dieux différents, entretiennent des idées différentes du bien et du mal. De telles sociétés ne sont pas des communautés ». À ces éléments, il ajoute une notation utile à notre analyse en écrivant, à propos de la colour-bar, qu'elle « traduit le problème mondial des minorités en termes tropicaux, avec cette différence que, presque partout aux colonies, la classe inférieure constitue la majorité ». 

Ces observations peuvent fournir un point de départ. L'intéressant n'est pas la notation du pluralisme (caractéristique de toute société globale) mais l'indication des traits spécifiques de celui-ci : la base raciale des « groupes », leur hétérogénéité radicale, les relations antagonistes qu'ils entretiennent et l'obligation où ils se trouvent de coexister « dans les limites d'un cadre politique unique ». Par ailleurs, l'attention portée à la société coloniale, en tant que minorité (numérique) dominante, est importante ; H. Laurentie a, de son côté, dans une étude d'allure essentiellement politique, défini la « colonie » comme « un pays où une minorité européenne s'est superposée a une majorité indigène de civilisation et de comportement différents ; cette minorité européenne agit sur les peuples autochtones avec une vigueur disproportionnée au nombre ; elle est, si l'on veut, extrêmement contagieuse et, de sa nature, déformante [48] ». Cette « minorité » active, et déformante, assied sa domination sur une supériorité matérielle incontestable (elle s'impose à des civilisations atechniques), sur un état de droit établi à son avantage, sur un système de justification à fondement plus ou moins racial (et pour certains auteurs, tel R. Maunier, le fait colonial est d'abord un « contact » de races). Elle est d'autant plus réactive qu'elle est mieux enracinée et rebelle à la fusion, qu'elle se sent menacée par la poussée démographique des hommes de couleur : ainsi, en Afrique du Sud, la population blanche « commence à voir dans sa situation un problème de minorité, alors que les Noirs voient dans la leur un problème colonial et de tutelle [49] » ; ainsi, en Afrique du Nord. Ce fait - « commence à voir dans sa situation un problème de minorité » - est intéressant ; il nous rappelle justement que cette minorité numérique n'est pas une minorité sociologique, elle ne risque de le devenir que par un bouleversement de la situation coloniale. 

Cette observation, certains sociologues l'ont déjà faite. L. Wirth, définissant ce qu'est une minorité et établissant une typologie des minorités, a insisté sur ce point : « le concept n'est pas d'ordre statistique » ; et il donne l'exemple des Noirs vivant dans le Sud des États-Unis qui sont, dans certains États, numériquement majoritaires et n'en constituent pas moins une minorité « en tant que socialement, politiquement et économiquement subordonnés », l'exemple de la situation créée par l'expansion coloniale des nations européennes qui constitue les Blancs en « groupes dominants » et les peuples de couleur en « minorités [50] ». Le volume d'un groupement ne suffit pas à faire de celui-ci une minorité, bien qu'il « puisse avoir des effets quant au statut et quant aux relations avec le groupement dominant » ; le caractère de minorité est une certaine manière d'être dans la société globale, il implique essentiellement la relation de dominé à dominant. Une telle relation, nous l'avons constamment retrouvée au cours de l'analyse précédente ; en évoquant la société colonisée comme un « instrument » à l'usage de la nation coloniale (perspective historique), les rapports d'exploitant à exploité, la parenté établie entre « le rapport métropole-colonie et le rapport capital-travail » (perspective économique), les « rapports de domination et de soumission » (perspective politique). Ce caractère de minorité (au sens sociologique du mot) qui appartient à la société colonisée nous montre, assez, combien celle-ci doit être envisagée en fonction des autres groupements composant la colonie - nécessité que nous avions rappelée en indiquant, à diverses reprises, l'obligation de saisir la société colonisée et la société coloniale en des perspectives réciproques. Mais cela, n'indique pas en quoi la société colonisée se distingue des autres minorités (les Noirs américains, par exemple) placées dans des situations différentes. Une première démarche s'impose, préciser quelle est la place de celle-ci dans la société globale : la « colonie ». 

Si l'on évoque, d'une manière très schématique, les groupements mis en présence par la situation coloniale, en les classant à partir de la société coloniale (groupement dominant) jusqu'à la société colonisée (groupement soumis), on peut retenir : a) la société coloniale, en excluant les étrangers de race blanche ; b) les « étrangers » de race blanche ; c) les « coloured », en conservant l'expression anglaise qui a un sens large ; d) la société colonisée, tous ceux que les Anglo-Saxons nomment les natives. Distinction et hiérarchie qui reposent, d'abord, sur des critères de race et de nationalité ; elles impliquent une sorte de postulat : l'excellence de la race blanche, et plus précisément de cette fraction- qu'est la nation colonisatrice (la suprématie est donnée comme fondée dans l'histoire et la nature). 

Ce n'est, la, qu'une vue grossière demandant à être complétée. R. Delavignette a consacré un chapitre de son ouvrage a l'étude de la société coloniale [51] ; il a rappelé certains traits généraux définissant celle-ci : société de « provenance et d'attache métropolitaines », constituant une minorité numérique, de caractère bourgeois, animée par la « notion de supériorité héroïque » (doctrine s'expliquant, en partie, par le plus grand nombre des hommes et la jeunesse de ceux-ci, dans les colonies dites d'encadrement ou à la première époque de la colonisation). Surtout, il s'agit d'une société qui a pour fonction de dominer, politiquement, économiquement, spirituellement ; elle tend a donner à ses membres, selon la formule de R. Delavignette, « l'esprit féodal ». Le fait important est que cette société dominante constitue une minorité numérique à un fort degré : le déséquilibre est grand entre la masse des coloniaux et la masse des colonisés ; et la crainte demeure, plus ou moins consciente, de voir la hiérarchie se rétablir en fonction de ce seul critère des masses -avivée dans les moments de crise, elle explique les réactions les plus inexplicables en apparence comme l'ont montré les « événements » de Madagascar. Et, L. Wirth porte un jugement bien simpliste lorsqu'il affirme que, dans le cas des situations coloniales, « le groupe dominant peut maintenir sa position supérieure en faisant simplement jouer la machine militaire et administrative » ; tant la disproportion des civilisations est énorme [52] ! Il sous-estime, ainsi, quantité d'aspects importants ; moyens par lesquels ce groupe se rend intouchable : en réduisant le contact au minimum (ségrégation), en se donnant comme modèle tout en n'accordant pas les moyens de réaliser ce modèle (l'assimilation présentée comme condition de l'égalité parce qu'on la sait impossible ou parce qu'on la contrôle sévèrement) ; idéologies justifiant la position dominante ; moyens politiques destinés à maintenir le déséquilibre en faveur de la société coloniale (et de la métropole) ; transfert, plus ou moins dirigé, sur certains des groupements, des sentiments provoques par la domination politico-économique : ainsi, sur les Libano-Syriens en Afrique Occidentale Française (où ils représentent environ le quart de la population dite, administrativement, « européenne et assimilée »), sur les Indiens dans l'Union Sud-Africaine (lors des troubles de 1947, 1948 et 1949, les Noirs se sont attaqués uniquement aux Asiatiques) et sur les « coloured » d'une manière quasi générale. Dans la mesure même où la distance entre les civilisations tend à se réduire, les rapports de masses jouent davantage, la force n'est plus suffisante pour maintenir la domination et les moyens plus indirects sont davantage utilisés -le caractère de « malentendu » s'affirme (qui a frappé H. Brunschwig sur le plan historique, O. Mannoni sur le plan psychanalytique). Ces moyens indirects utilisent, le plus souvent, selon les conjonctures sociales particulières, les relations raciales ou religieuses de type conflictuel (ainsi, aux Indes, à l'époque classique de la colonisation britannique). Il reste à ajouter que la société coloniale n'est pas parfaitement homogène ; elle a ses « factions », ses « clans » (les « adminis­tratifs », les « privés », les « militaires », les « missionnaires », selon la terminologie employée dans les territoires français) qui sont plus ou moins fermés les uns aux autres, plus ou moins rivaux (les oppositions Administration-Missions, Administration-Commerce sont fréquentes), qui ont leur propre politique indigène (à tel point que certains anthropologues anglais ont fait, de chacun d'eux, un « agent »provoquant le culture change) et suscitent des réactions très diverses. Par ailleurs, la société coloniale est plus ou moins fermée, plus ou moins distante de la société colonisée ; mais la politique de domination et de prestige exige qu'elle soit fermée et distante : ce qui ne facilite pas la compréhension et l'appréciation mutuelles, ce qui permet (ou impose) le recours facile aux « stéréotypes ». Isolée à la « colonie », cette société a en partie rompu ses attaches métropolitaines ; R. Delavignette a bien noté ce fait, en écrivant des « coloniaux » : « Européens à la colonie, ils sont, dans la Métropole, coloniaux... », « ils cherchent à concentrer leurs forces dans un particularisme jaloux [53] ... » 

Particularisme qui s'exprime, d'abord, par rapport aux « étrangers » de race blanche. Ceux-ci constituent une minorité au sens plein du terme, numériquement et sociologiquement ; ils peuvent avoir une situation économique importante, ils n'en sont pas moins soumis au contrôle administratif. Ils sont suspects en raison même de leur nationalité : la méfiance à l'égard des missions religieuses étrangères, par exemple, est fréquente en pays colonial. Ils sont souvent coupés de la véritable société coloniale - en A.O.F., notamment, les Libano-Syriens ne sont pas admis (sauf quelques rares exceptions dues a une fortune considérable) dans la « bonne société ». Dans la mesure même où ils sont rejetés, ils se regroupent en minorités ethniques, ont des relations plus réelles avec les autochtones. Cette « familiarité » plus grande, et la condition mineure qui est la leur, expliquent les réactions ambivalentes des indigènes à leur égard (une certaine intimité nuancée de mépris) ; celles qui se créent avec les Libano-Syriens, les Grecs, les Portugais [54] dans l'Ouest africain de domination française. Les ressentiments du colonisé peuvent se reporter sur eux avec une certaine impunité ; ils permettent des transferts à bon marché ; lors des troubles qui affectèrent, après 1945, certaines villes de l'A.O.F., la minorité libano-syrienne lut en fait seule touchée. C'est un des groupements les plus menacés de cet édifice fragile qu'est la colonie en tant que société globale. 

Dans l'échelle du discrédit, s'attachant aux groupements dominés, celui des « coloured » (métis et étrangers de couleur) est le plus défavorisé ; pour une raison essentiellement raciale, il est rejeté par la société coloniale et par la société colonisée ; il a peu de contacts avec l'une et avec l'autre. Il est d'autant plus voué à l'isolement (par des mesures discriminatoires), réduit au rôle de « communauté exotique », qu'il prend une importance économique plus évidente : ainsi, le problème indien en Afrique du Sud s'explique surtout par le fait que certains des Indiens « sont trop riches et envahissent subrepticement les positions tenues par les Blancs [55] » ; l'imbrication des faits d'ordre racial et des faits d'ordre économique se manifeste alors pleinement. Dans le cas des métis, l'isolement est plus absolu encore ; en raison de leur caractère de « compromis racial ». Ils n'arrivent à se regrouper, a constituer une société viable, que dans des circonstances exceptionnelles : celle des « Bastards de Rehoboth », dans l'ancien Sud-Ouest africain allemand, est particulièrement célèbre - et en imposant à celle-ci une stricte fermeture. Ils sont rejetés, ainsi que l'a noté A. Siegfried à propos des « Cape coloured », « vers une race noire avec laquelle ils ne veulent pas se confondre » ; ils visent à être assimilés par la société colonisée qui leur reste fermée (plus ou moins selon les circonstances locales) ou leur concède un statut personnel [56] consacrant d'une manière légale leur position particulière. Compromis racial, ils ne constituent nullement un « compromis social » ; on peut difficilement voir en eux un instrument de liaison entre société colonisée et société coloniale. Leur alliance politique avec l'élite de la société colonisée n'a jamais été durable : ainsi, la Conférence des Non-Européens créée en 1927, en Afrique du Sud, qui tenta d'unir en vue d'une action commune, Métis, Indiens et Bantou, n'eut aucune action efficace - et fut de courte durée. Les « coloured » sont plus en conflit - en raison d'une meilleure condition économique et politique, en raison du facteur racial - qu'un accord avec la société colonisée ; ils ne peuvent faire figure de leaders auprès de cette dernière. 

La société colonisée frappe, d'abord, par deux faits sa supériorité. numérique écrasante [57] et la domination radicale qu'elle subit ; majorité numérique, elle n'en est pas moins une minorité sociologique ; selon l'expression de R. Maunier, « la colonisation est un fait de puissance », elle entraîne la perte de l'autonomie, une « tutelle de droit ou de fait [58] ». Chacun des secteurs de la société coloniale a pour fonction d'assurer cette domination en un domaine précis (politique, économique et, presque toujours, spirituel) ; cette domination de la société colonisée est absolue en raison de l'absence de technique avancée, de puissance matérielle autre que celle du nombre ; elle s'exprime par un état de fait (des pratiques non codifiées mais entraînant une vive réprobation si elles ne sont pas respectées) et un état de droit. Elle repose, nous l'avons plusieurs fois signalé, sur une idéologie, un système de pseudo-justifications, de rationalisations ; elle a un fondement raciste plus ou moins avoué, plus ou moins manifeste. La société colonisée subit la pression de tous les groupements constituant la colonie, tous ont sur elle prééminence en quelque matière, et ressent d'autant mieux sa condition de subordination. Pour ceux-ci, elle est essentiellement un instrument créateur de richesse (alors qu'elle ne retient qu'une très faible part des revenus malgré son nombre) ; cela conditionne, en partie, les relations qu'elle entretient avec les autres groupements (qui tirent d'elle leurs privilèges économiques). Celles-ci ne sont, cependant, pas simples - rapports d'exploitant à exploité, de dominant à dominé - en raison du manque d'unité de la société colonisée et, surtout, du caractère radicalement hétérogène de la culture (ou, plutôt, des cultures) qu'elle anime. 

La société colonisée est divisée ethniquement ; divisions fondées dans l'histoire indigène mais utilisées par la puissance coloniale - nous rappelons de quel usage est le vieux principe : diviser pour régner - et compliquées par l'arbitraire des « partages » coloniaux et des « découpages » administratifs ; elles orientent non seulement les relations de chacune - des ethnies avec la société coloniale (ainsi, les peuples qui ont servi d'« intermédiaires » à l'époque de la traite africaine et des comptoirs ont tenté de déplacer leur rôle du plan économique au plan politique et apparaissent comme des minorités « militantes ») mais encore leur attitude vis-à-vis de la culture apportée par cette dernière (certains groupes ethniques sont plus « assimilationnistes » ou plus « traditionnistes » que certains groupes voisins, en réaction, en partie du moins, contre l'attitude adoptée par ceux-ci). La société colonisée est divisée spirituellement. Divisions qui peuvent être antérieures à la colonisation européenne, liées notamment aux poussées conquérantes de l'Islam ; mais on sait l'usage que les nations coloniales ont pu en faire - les jeux de la domination anglaise aux Indes sont bien connus. La colonisation a, en maints endroits, apporté la confusion religieuse, opposant le christianisme aux religions traditionnelles, les chrétiens des différentes églises entre eux. Et nous citons, à ce propos, un Africain de Brazzaville qui évoquait cet « état de choses qui n'a pour effet que de, créer une lamentable confusion dans le développement moral » ; et qui ajoutait, « le Noir d'Afrique, quel qu'il soit, a un rudiment de religion ; le lui enlever par l'athéisme ou par la confusion des doctrines religieuses importées, c'est, à coup sûr, en faire un désaxé [59] ». L'auteur allait jusqu'à demander au « colonisateur » d'imposer l'unité ! C'est dire combien ces nouvelles divisions, ajoutées aux anciennes, sont douloureusement subies par certains. Mais, la colonisation en apporta d'autres, que l'on pourrait qualifier de sociales, nées de l'action administrative et économique, de l'action éducative : séparation entre citadins et ruraux [60], entre prolétariat et bourgeoisie, entre « élites » (ou « évolués » selon le langage habituel) et masses [61], entre générations - nous les avons évoquées, et avons suggéré leur importance, aux divers moments de notre- analyse. Chacune de ces fractions participe de manière différente à la société globale ; le contact de races et de civilisations qu'impose, encore, la colonisation n'a ni la même signification ni les mêmes conséquences pour chacune d'elles - il doit être étudié en fonction de cette diversité (qu'il a créée, en partie, mais qui le conditionne maintenant, en partie). 

La société colonisée diffère de la société coloniale par la race et par la civilisation ; en ces domaines, l'altérité paraît absolue, celle que manifeste le langage en opposant le « primitif » et le civilisé, le païen et le chrétien, les civilisations techniques et les civilisations arriérées. Plus que la situation coloniale, c'est ce fait évident : la mise en contact de civilisations hétérogènes, qui attira l'attention des anthropologues au cours des dernières décades ; et, surtout, le heurt qu'elle produisait, le clash of cultures repéré par les auteurs anglais. Nous avons montré ailleurs comment, à partir de cette observation, des études nouvelles dites d'acculturation, aux États-Unis, de culture contact, en Angleterre, se sont développées ; avec l'ambition d'atteindre, ainsi, les aspects les plus dynamiques des cultures mises en présence, de déceler, peut-être, les traits caractéristiques de toute réalité culturelle. Les étapes du « contact » ont été précisées, d'une manière plus ou moins simpliste et arbitraire ; phases de conflit, d'ajustement, de syncrétisme, d'assimilation (ou de contre-acculturation, en réaction) repérées par les anthropologues nord-américains ; phases d'opposition, d'imitation (de « haut en bas » et de « bas en haut ») et d'agrégation analysées par R. Maunier dans sa Sociologie coloniale ; apparition d'une nouvelle culture (« the tertium quid of contact ») différente de celles mises en présence, selon B. Malinowski, etc. Nous ne reprendrons pas, ici, les critiques qu'appellent ces travaux et ces doctrines. Nous évoquons ceux-ci pour manifester, d'une part, qu'on ne saurait envisager les rapports entre société coloniale et société colonisée sous les seuls aspects économiques et politiques souvent privilégiés par les auteurs « engagés ». Pour rappeler, d'autre part, que le contact des civilisations se produit à l'occasion d'une situation particulière, la situation coloniale, qui se transforme historiquement ; que le contact se fait par le moyen de groupements sociaux - et non entre cultures existant sous la forme de réalités indépendantes - dont les réactions sont conditionnées d'une manière interne (selon le type du groupement) et d'une manière externe - à cet égard, une typologie précise des groupements composant cette société globale, la colonie, est à la base de toute investigation précise et largement compréhensive. Nous avons, fréquemment, insisté sur cette nécessité en montrant combien le sociologue était tenu d'envisager la société coloniale et la société colonisée en des perspectives réciproques. De même que nous avions suggéré, dans un précédent travail, l'évolution particulière qu'impose la situation coloniale aux faits socioculturels ; en montrant, notamment, comment les « crises » créées par la colonisation orientent, en partie, cette évolution. 

La plupart des travaux traitant des sociétés colonisées actuelles insistent sur l'état de crise qui les affecte, sur « les problèmes ardus et complexes » qu'elles posent ; à un degré plus ou moins important, elles sont considérées comme des sociétés malades [62]. Ce qui est vrai dans la mesure même où la société coloniale s'oppose aux véritables solutions ; car il apparaît bien que, dans le cas de la société colonisée, la recherche de ses normes coïncide avec la recherche de son autonomie. Ce qui impose au sociologue une méthode d'analyse en quelque sorte clinique. Et nous avons, dans l'analyse précédemment rappelée, montré combien l'approche des sociétés colonisées par le biais de leurs crises spécifiques constitue « une position privilégiée pour l'étude », « le seul lieu où l'on puisse saisir l'évolution des structures sociales indigènes mises en situation coloniale [63] ». De telles crises remettent en cause la quasi-totalité de la société, les institutions comme les groupements et les symboles ; les désajustements constituent autant d'issues permettant à l'analyse de s'insinuer et non seulement de saisir les phénomènes de contact entre société colonisée et société coloniale, mais encore de mieux comprendre celle-la dans ses formes traditionnelles en manifestant certains systèmes, certaines faiblesses (comme nous le montrerons a propos des Fang du Gabon, peuple chez lequel la situation coloniale a favorisé les ruptures impliquées par la structure sociale ancienne) ou certaines structures ou représentations collectives irréductibles (ainsi, l'étude de la crise religieuse et des « églises nègres » caractéristiques de l'Afrique bantou montrerait ce qui subsiste, quelles que soient les pressions exercées, des religions traditionnelles - la part intraitable). De telles crises, qui affectent la société globale dans son ensemble, constituent autant de points de vue sur cette dernière et sur les relations qu'elle implique [64] ; elles permettent cet approche concret et complet déjà recommandé par Marcel Mauss. Et, pour compléter un exemple qui vient d'être donné, nous évoquerons une thèse récente consacrée aux « églises nègres » et au prophétisme bantou (en Afrique du Sud) où l'auteur, B.G.M. Stukler, montre que les problèmes posés ne sont pas seulement d'ordre religieux mais mettent en cause la totalité des réactions bantou à la domination des Blancs, que l'étude de ces « églises » conduit à celle de tous les problèmes sociaux caractéristiques de l'Union Sud-Africaine [65]. Ces crises se caractérisent, à première vue, par l'altération radicale ou la disparition de certaines institutions, de certains groupements. Mais l'analyse sociologique ne saurait s'en tenir à ces seuls aspects du social - la partie instituée ou structurée - et constater les transformations et les disparitions, repérer et décrire les créations nouvelles. Il est indispensable d'aller au-delà et d'atteindre, selon l'expression de G. Gurvitch, les formes de la sociabilité [66]. Car il semble bien que certaines « manières d'être liés », certaines liaisons sociales subsistent, alors que les structures au sein desquelles elles jouaient sont altérées ou détruites, tandis que de nouvelles paraissent en fonction de la situation coloniale, des conjonctures sociales créées par celle-ci. Elles peuvent co-exister et donner aux innovations conçues par la société colonisée ces caractères à la fois traditionnalistes et modernistes, cette ambiguïté notée par quelques, observateurs. 

Nous avons fréquemment fait allusion à l'importance des relations raciales, au fondement racial des groupements, à la coloration raciale prise par les faits économiques et politiques (la littérature courante confond ou associe racisme et colonialisme) dans le cadre de la situation coloniale. Et divers auteurs insistent sur le caractère interracial des « rapports humains en pays d'outre-mer », sur le fait qu'en dessous des « causes politiques ou économiques opposant aujourd'hui encore la race blanche et les hommes de couleur, il existe presque toujours un mobile racial », sur le fait que la société reste « interraciale » lors même que l'indépendance nationale est conquise [67]. Nous avons plusieurs fois indiqué que les anthropologues coloniaux s'étaient peu attachés à ces faits et problèmes raciaux et rappelé la petite place donnée à ceux-ci dans les programmes de recherche qu'ils ont établis ; ce qui s'explique par l'attention accordée aux cultures plus qu'aux sociétés, aussi, par le souci (plus ou moins conscient) de ne pas mettre en cause les fondements mêmes (et l'idéologie) de la société coloniale à laquelle ils participent bis. À l'inverse, les travaux réalisés aux États-Unis (et au Brésil) sont largement consacrés aux relations et préjugés raciaux, aux rapports entre Noirs et Blancs notamment. Ces faits ne peuvent être évités parce que les différences radicales de civilisation, de langue, de religion, de mœurs, qui jouent dans le cadre de la situation coloniale, sont, ici, atténuées et ne servent ni à les masquer, ni à les compliquer ; parce que l'état de subordination et le préjugé racial ne peuvent y paraître fondés dans la nature dans la mesure même où 'altérité culturelle s'efface et où l'identité des droits s'affirme (ce qui explique, entre autres choses, que la société américaine paraisse « confuse, contradictoire et paradoxale », selon l'expression de Gunnar Myrdal [68]...) parce que ces faits représentent ce qui reste à liquider du passé colonial - et c'est précisément au moment de la liquidation qu'ils ont donné lieu à des conflits violents (aux Etats-Unis, lors de la période dite de « Reconstruction »). De tels travaux insistent tantôt sur les implications économiques, tantôt sur les implications sexuelles des divers comportements raciaux ; ils montrent, comme le manifeste clairement R. Bastide [69], la liaison entre les réactions d'ordre racial et celles d'ordre culturel : nous renvoyons, notamment, à son analyse du messianisme nègre aux États-Unis qui indique combien celui-ci est lié aux conflits raciaux et à une « psychologie du ressentiment » ; ces derniers révèlent une diversité de comportements correspondant à la diversité des situations. Nous avons risqué ce rappel rapide parce qu'il montre les liaisons qu'on ne saurait nier, l'impossibilité de séparer l'étude des contacts culturels de celle des contacts raciaux et d'envisager celles-ci, dans le cas des sociétés colonisées, sans ce référer aux situations coloniales. 

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Nous venons de considérer certains faits que les auteurs anglo-saxons rassemblent sous les rubriques de « heurt des civilisations » ou de « heurt des races », mais nous avons montré que, dans le cas des peuples colonisés, ces « heurts » (ou « contacts ») se produisent dans des conditions très particulières. À cet ensemble de conditions, nous avons donné le nom de situation coloniale. On peut définir cette dernière, en retenant les plus générales et les plus manifestes de ces conditions : la domination imposée par une minorité étrangère, racialement (ou ethniquement) et culturellement différente, au nom d'une supériorité raciale (ou ethnique) et culturelle dogmatiquement affirmée, à une majorité autochtone matériellement inférieure ; cette domination entraînant la mise en rapport de civilisations radicalement hétérogènes : une civilisation à machinisme, à économie puissante, à rythme rapide et d'origine chrétienne s'imposant à des civilisations sans machinisme, à économie « arriérée », à rythme lent et radicalement « non-chrétiennes » ; le caractère fondamentalement antagoniste des relations existant entre ces deux sociétés qui s'explique par le rôle d'instrument auquel est condamnée la société colonisée ; la nécessité, pour maintenir la domination, de recourir non seulement à la « force » mais encore à un système de pseudo-justifications et de comportements stéréotypés, etc. - mais cette énumération seule serait insuffisante. Nous avons préféré, à la faveur des « vues »particulières prises par chacun des spécialistes, saisir la situation coloniale dans son ensemble et en tant que système ; nous avons évoqué les éléments en fonction desquels toute situation concrète peut être décrite et comprise, montré comment ils sont liés entre eux et qu'ainsi toute analyse partielle est en même temps partiale. Cette totalité met en cause les « groupements » composant la « société globale » (la colonie) comme les représentations collectives propres à chacun de ceux-ci ; elle se saisit à tous les niveaux de la réalité sociale. Maïs, en raison même du caractère hétérogène des groupements, des « modèles » culturels, des représentations mises en contact, des transformations apportées au système chargé de maintenir artificiellement les rapports de domination et de soumission, la situation coloniale se modifie profondément et a un rythme rapide ; cela impose donc de la saisir historiquement, de la dater. 

La société colonisée à laquelle s'attache l'anthropologue (en la nommant « primitive », ou « arriérée », etc.) participe, à un degré plus ou moins important (selon son volume, son potentiel économique, son conservatisme culturel, etc.), à la situation coloniale ; elle est un des groupements constituant la « colonie ». Et l'on conçoit mal qu'une étude actuelle de cette société puisse se faire sans tenir compte de cette double réalité, la « colonie », société globale au sein de laquelle elle s'inscrit, et la situation coloniale créée par celle-ci ; surtout lorsqu'elle se donne pour objet avoué les faits résultant du « contact », les phénomènes ou processus d'évolution. Quand, procédant de manière unilatérale, elle les décèle par rapport au seul fonds traditionnel (ou « primitif ») elle ne peut guère que les énumérer et les classer ; de même, lorsqu'elle se limite à l'étude du « contact » entre « institu­tions » de même nature (comme le recommande B. Malinowski). En fait, les aspects « modernistes » (une fois repérés) ne deviennent compréhensibles que par rapport à la situation coloniale ; et c'est vers cette reconnaissance que s'acheminent certains anthropologues anglais (Fortes, Gluckman) en considérant que, dans le cas de l'Afrique noire colonisée, société noire et société blanche participent intégralement à un même ensemble, en abordant la notion de « situation [70] ». De même, R. Bastide a évoqué l'importance de « la situation dans laquelle le processus se fait » à propos de ses études consacrées à l'interpénétration des civilisations. Nous avons voulu dépasser le cadre de ces simples indications, en montrant comment une situation coloniale peut être « abordée », et ce qu'elle implique ; manifester que tout problème actuel de sociologie des peuples colonisés ne peut être envisagé que par rapport à cette totalité. La notion de « situation » n'est pas le bien de la seule philosophie existentielle ; elle s'est imposée à divers spécialistes des sciences sociales, qu'ils l'utilisent sous le nom de « situation sociale », comme fait H. Wallon, ou sous le nom de « conjoncture sociale particulière », comme fait G. Gurvitch - la notion de « phénomène social total » élaborée par Mauss préparait à de telles exigences [71]. 

Il est assez significatif que beaucoup des anthropologues opérant au sein des sociétés colonisées, et s'attachant aux aspects et problèmes actuels de celles-ci, aient évité (inconsciemment, le plus souvent) d'évoquer la situation concrète particulière à ces sociétés. Par crainte (plus ou moins consciente) d'avoir à tenir compte d'un « système » et d'une société précis : la société coloniale à laquelle ils participent. Ils s'en sont rapportés à des systèmes moins compromettants, la « civilisation occidentale » et les « civilisations primitives », ou se sont limités à des problèmes restreints pour lesquels ils ont suggéré des solutions à effets restreints ; et c'est par refus de se soumettre a cette dernière attitude, qu'ils croient inévitable et utile à la seule société coloniale, que certains anthropologues n'acceptent pas de donner à leur discipline le caractère de science « appliquée [72] ». Il y a, là un fait qui rentre dans le cadre de la critique de l'observation en matière de sciences humaines ; et qui suggère l'important travail critique auquel doit se livrer, préalablement, l'observateur des sociétés colonisées. 

Nous avons eu, fréquemment, l'occasion d'évoquer le caractère en quelque sorte pathologique des sociétés colonisées, les crises qui marquent les étapes du processus dit « d'évolution » - crises qui ne correspondent pas à des phases nécessaires de ce processus, qui ont cependant des caractères spécifiques en fonction du type de société colonisée et de la nature de la situation coloniale (les Noirs islamisés ne réagissent pas comme les Noirs « animistes » ou pseudo-chrétiens, les sociétés africaines de même type ne réagissent pas à la « présence française » comme à la « présence britannique », etc.). Mettant en cause la société soumise à la colonisation dans ce qu'elle a de caractéristique, la situation coloniale dans ce qu'elle a de particulier, ces « crises » permettent, au sociologue, la réalisation d'une analyse compréhensive, parce qu'elles constituent les seuls points d'où se puissent saisir, d'une manière globale, les transformations de celle-la sous l'action de celle-ci. Elles font accéder a des « ensembles » et à des liaisons essentielles, permettent d'éviter les découpages (changements dans la vie économique, dans la vie politique, etc.) partiels et artificiels qui ne peuvent aboutir qu'à une description et à une classification scolastique. Nous avons, déjà, indiqué que ces « crises » constituent autant d'issues donnant vue non seulement sur les phénomènes de contact mais encore sur la société colonisée dans ses formes traditionnelles ; il faudrait ajouter qu'elles permettent, ainsi, de faire une analyse tenant compte, à la fois, du « milieu externe » et du « milieu interne » et tenant compte de ceux-ci en fonction des rapports réels qu'ils entretiennent, en fonction « d'états vécus ». On pourrait nous reprocher d'avoir recours, d'une façon plus ou moins explicite, à la dangereuse notion de pathologique, nous demander quels sont les critères des crises caractéristiques des sociétés colonisées. Nous renvoyons, alors, à tous les passages de cette étude où sont évoqués les aspects conflictuels des relations entre société colonisée et société coloniale, culture autochtone et culture importée - liés aux rapports de domination et de soumission, aux caractères hétérogènes des sociétés et cultures en contact - où est suggérée la manière dont ces conflits sont ressentis par les individus. L'histoire des sociétés colonisées nous révèle des périodes durant lesquelles les conflits sont latents, un équilibre ou une adaptation provisoires étant réalisés, des périodes durant lesquelles les conflits deviennent manifestes s'exprimant selon les circonstances à tel ou tel niveau (religieux, politique, économique) mais mettant en cause l'ensemble des relations existant entre sociétés coloniale et colonisée, entre les cultures animées par chacune d'elles (comme nous l'avons rappelé à propos des églises nègres de l'Afrique bantou), des moments où l'antagonisme et la distance existant entre celles-ci sont maxima, qui sont vécus par le « colonial » comme une remise en discussion de l'ordre établi, par le « colonisé » comme un essai de reconquérir l'autonomie. À chacun de ces moments, qui peuvent se repérer au long de l'histoire de la société colonisée, celle-ci présente un état de crise caractérisé ; c'est, alors, que nous l'envisageons en fonction de la situation coloniale concrète. 

Paris.



[1]    R. KENNEDY, « The colonial crisis and the future », in The Science of man in the World crisis, Éditions R. Linton, 1945, p. 307.

[2]    O. MANNONI, Psychologie de la Colonisation, Éditions du Seuil, 1950. Cet auteur n'est d'ailleurs pas le créateur de l'expression qui se trouve avec des sens divers dans des ouvrages antérieurs ; notamment dans les études du sociologue américain L. Wirth consacrées à la typologie des minorités.

[3]    Nous nous permettons de renvoyer au compte rendu de l'ouvrage de O. Mannoni que nous avons publié dans les Cahiers Internationaux de Sociologie, vol. lX, 1950, P. 183 à 186.

[4]    L. JOUBERT, « Le Fait colonial et ses prolongements », in Le Monde non chrétien, 15, 1950.

[5]    Ch.-A. JULIEN, « Impérialisme économique et impérialisme colonial », in Fin de l'ère coloniale, Paris, 1948.

[6]    Cf. B. KENNEDY, Op. cit., p. 308-309, et B. GROUSSET, « Colonisations », in Fin de l'ère coloniale.

[7]    Citation dans l'excellent livre de H. BRUNSCHWIG, La Colonisation française, Calman-Lévy, 1949.

[8]    Ainsi, les déplacements provoqués en faveur de l'Office du Niger qui ont donné lieu aux plus vives polémiques ; voyez le pamphlet de P. HERBART, Le Chancre du Niger, avec préface de André Gide, Gallimard, 1939.

[9]    E. CHANCELÉ, « La Question coloniale », in Critique, no 35, 1949.

[10]   Cf. L. JOUBERT, op. cit., § II.

[11]   Cf. L.P. MAIR, « The study of culture contact as a practical problem », in Africa, VII, 4, 1934.

[12]   Cf. J. HARMAND, Domination el Colonisation, Flammarion, 1910, comme exemple « classique » de justification de type juridique.

[13]   Cité dans H. BRUNSCHWIG, op. cit., p. 64.

[14]   Op. cit., p. 265.

[15]   R. KENNEDY, op. cit., p. 312 à 318.

[16]   G. BALANDIER, « Aspects de l'évolution sociale chez les Fang du Gabon », in Cah. Intern. de Soc., vol. IX, 1950, p. 82. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[17]   R. MONTAGNE, « Le Bilan de l'œuvre européenne au-delà des mers », in Peuples d'Outre-Mer et Civilisation Occidentale, Semaines Sociales de France, 1948.

[18]   G. BALANDIER, op. cit., p. 78.

[19]   Ch.-A. JULIEN, Histoire de l'Afrique, Collection Que sais-je ?, Presses Universitaires de France, 1944, p. 123.

[20]   R. MONTAGNE, Op. cit., p. 49.

[21]   Cf. notamment, Pham NHUAM, « Appel », in Que pensent les étudiants coloniaux, Le Semeur, décembre 1947, janvier 1948.

[22]   Ch.-A. JULIEN, « Impérialisme économique et impérialisme colonial » op. cit., p. 25.

[23]   P. LEROY-BEAULIEU, De la colonisation chez les peuples modernes, 1874, 1re éd. ; J. FERRY, préface à Le Tonkin et la Mère-Patrie, 1890.

[24]   Cf. A. CONANT, The Economic Basis of Imperialism, 1898, et J.A. HOBSON, Imperialism. A Study, 1902 (dont la valeur fut reconnue par Lénine), tous deux cités dans Ch.-A. Julien, op. cit.

[25]   Ch.-A. JULIEN, op. cit., p. 29. Cf. en ce qui concerne l'Afrique, FRANKEL, S.H., Capital investments in Africa, 1936.

[26]   J. GUITTON, « Crises et valeurs permanentes de la Civilisation occidentale », in Peuples d'Outre-Mer et Civilisation Occidentale, p. 61.

[27]   P. REUTER, « Deux formes actuelles de l'impérialisme colonial : protectorat économique et pénétration communiste », in Peuples d'Outre-Mer..., p. 142.

[28]   J. STALINE, Le Marxisme et la question nationale et coloniale, éd. française, Éditions Sociales, 1949, p. 179 et 247.

[29]   The African Morning Post, 2 juin 1945, cité dans Univers, « L'Avenir de la colonisation », octobre 1945.

[30]   B. MALINOWSKI, The Dynamics of Culture Change, Yale University Press, 1945. [Version française du livre disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMt.]

[31]   Cf. une excellente analyse de M. GLUCKMAN, « Malinowski's « functional » analysis of social change », in Africa, XVII, 2, avril 1947.

[32]   B. KENNEDY, op. cit., p. 309-311.

[33]   Cf. L. DURAND-RÉVILLE, « Le Problème de l'industrialisation des territoires d'Outre-Mer », in Le Monde non Chrétien, 13, janvier-mars 1950, où cet aspect est suggéré et où l'auteur, parlementaire du Gabon, évoque les changements rendus nécessaires par la dernière guerre en même temps que les besoins actuels.

[34]   En ce qui concerne l'Afrique française, nous renvoyons aux études capitales faites par le géographe Jean Dresch.

[35]   Cf. notamment, Ch. ROBEQUAIN, L'Évolution économique de l'Indochine française, Paris, 1940, et P. GOUROU, L'Utilisation du sol en Indochine française et Les Pays Tropicaux, Paris, 1948.

[36]   Cf. pour une étude d'ensemble consacrée à ce phénomène le livre de V. LIVERSAGE, Land tenure in the colonies, 1945 ; cité par P. NAVILLE, La Guerre du Viet-Nam, 1949.

[37]   Cf. Ch. ROBEQUAIN, op. cit.

[38]   P. NAVILLE, La Guerre du Viet-Nam, Paris, 1949 ; cf. notamment, « La Politique française en Cochinchine », « La Bourgeoisie cochinchinoise », « Les Paysans annamites et la Révolution », « Le Développement de la classe ouvrière et de l'industrie. »

[39]   J. BORDE, « Le Problème ethnique dans l'Union Sud-Africaine », in Cahiers d'Outre-Mer, no 12, 1950 ; excellente vue d'ensemble et bibliographie.

[40]   Cf. W.G. BALLINGER, Race and Economies in South Africa, 1934.

[41]   Citons, pour l'Afrique du Sud (I. Schapera, M. Hunter), l'Afrique de l'Est (L.P. Mair, Audrey Richards, M. Read, M. Gluckman), l'Afrique de l'Ouest (M. Fortes, D. Forde, K.L. Little) comme auteurs des travaux les plus importants.

[42]   Cf. M. READ, Native standards of living and african culture change, Londres, 1938.

[43]   K.L. LITTLE, « Social change and social class in the Sierra-Leone Protectorate », in American Journal Sociology, 54, juillet 1948. Importante étude.

[44]   J. DRESCH, « La Prolétarisation des masses indigènes en Afrique du Nord », in Fin de l'ère coloniale ?, op. cit., p. 57 à69, et R. DELAVIGNETTE, « Les Problèmes du travail : Paysannerie et Prolétariat », in Peuples d'Outre-Mer et Civilisation Occidentale, p. 273 à 291.

[45]   G. D'ARBOUSSIER, « Les Problèmes de la culture », in Afrique Noire, numéro spécial de Europe, mai-juin 1949.

[46]   O. HATZFELD, « Les Peuples heureux ont une histoire. Étude malgache », in Cahiers du Monde non chrétien, 16, 1950.

[47]   Les Colonies, passé et avenir, chapitre intitulé : « Colonies tropicales et sociétés plurales. »

[48]   H. LAURENTIE, « Notes sur une philosophie de la politique coloniale française », in numéro spécial de Renaissances, oct. 1944.

[49]   J. BORDE, « Le Problème ethnique dans l'Union Sud-Africaine op. cit., p. 320.

[50]   L. WIRTH, « The problem of minority groups », in The Science of man in the World crisis, p. 347 à 372. Du même auteur, sur ce thème : The present position of Minorities in the United States.

[51]   Les Vrais chefs de l'Empire, édition nouvelle sous le titre Service Africain, 1946 ; chap. II ; « La Société coloniale.

[52]   Op. cit., p. 353.

[53]   Op. cit., p. 41.

[54]   Un proverbe significatif : « Dieu a créé le Blanc, puis le Noir et, enfin, le Portugais. » Ou, encore : « Il y a trait espèces d'hommes : les Blancs, les Noirs et les Portugais. » (Proverbe du Congo belge.)

[55]   Cf. A. SIEGFRIED, Afrique du Sud, Armand Colin, 1949, p. 75. Aussi Handbook on race relations in South Africa, Éditions E. Hellmann, 1949, et J. BORDE, op. cit., p. 339-340.

[56]   Comme cela fut tenté, avant 1939, dans les territoires de domination française : en A.O.F. (1930), à Madagascar (1934), en A.E.F. (1936), en Indochine (1938).

[57]   Pour la seule Afrique noire, R. Delavignette donnait, en 1939, les proportions suivantes quant à la population dite européenne : Union Sud-Africaine (250%, ancien Sud-Ouest africain allemand (100%), Rhodésie (45%), Angola (10%), Kénya (5%), Congo belge (2%), A.O.F. et A.O.F. (1%) ; op. cit., p. 36. En ce qui concerne ces derniers territoires, depuis 1945, l'apport européen fut Important.

[58]   Cf. R. MAUNIER, Sociologie Coloniale, p. 19, 30, 33.

[59]   J.-R. AYOUNÉ, « Occidentalisme et Africanisme », in Renaissances, numéro spécial, octobre 1944, p. 204.

[60]   Évoquons Brazzaville où la population africaine passe de 3.800 habitants en 1912 à 75.000 habitants environ en 1950 ; soit plus du dixième de la population du Moyen-Congo.

[61]   Cf. Dr L. AUJOULAT, « Élites et masses en pays d'Outre-Mer », in Peuples d'Outre-Mer et Civilisation Occidentale, op. cit., p. 233-272.

[62]   Cf. L. ACHILLE, « Rapports humains en Pays d'Outre-Mer », in Peuples d'Outre-Mer et Civilisation Occidentale, op. cit.

[63]   G. BALANDIER, « Aspects de l'Évolution sociale chez les Fang du Gabon ; I. Les implications de la situation coloniale », op. cit.

[64]   Monica Hunter avait « frôlé » cette constatation. Elle a écrit : « L'étude du « culture contact » montre clairement que la société est une, et que lorsqu'un seul aspect est modifié, l'ensemble est affecté » ; Reaction to Coquest, p. 552. Elle s'est contentée de cette notation, sans chercher à l'approfondir et sans en tirer des conséquences d'ordre méthodologique.

[65]   B.G.M. STUKLER, Bantu Prophets in South Africa, London, 1948.

[66]   Cf. La Vocation Actuelle de la Sociologie, notamment p. 99 à 108. La définition et les distinctions essentielles y figurent. Les chapitres III et IV sont consacrés à la Microsociologie dont Georges Gurvitch est le véritable fondateur.

[67]   Cf. L. ACHILLE, op. cit., p. 211 à 215.

bis Une analyse critique extrêmement serrée a été faite par M. Leiris, dans une conférence intitulée « l'Ethnographe devant le colonialisme » en 1950 et publiée ensuite dans les Temps Modernes.

[68]   Gunnar MYRDAL, An American Dilemna, New-York, 1944.

[69]   Cf. notamment, R. BASTIDE, Sociologie et Psychanalyse, chap. XI : « Le Heurt des Races, des Civilisations et la Psychanalyse », Paris, P.U.F., 1950.

[70]   Cf. M. FORTES, « Analysis of a Social Situation in Modern Zululand », in Bantu Studies, vol. XIV, 1940. Aussi, la controverse de Malinowski, à ce sujet, dans The Dynamics of Culture Change, p. 14 et suiv. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales, en version française. JMT.]

[71]   G. Gurvitch associe d'ailleurs les trois termes dans l'« Avant-Propos », qu'il a écrit pour la section « Psychologie Collective » de l'Année Sociologique, 3e série, 1948-1949. De même, un psychiatre comme Karen Horney insiste sur le fait que toutes les névroses, individuelles ou collectives, s'expliquent par un processus mettant en cause tous les facteurs personnels et socio-culturels ; cf. Dr Karen HORNEY, The Neurotic Personality of our time, New-York, 1937.

[72]   Cf. F. M. KEESING, « Applied anthropology in colonial administration », in op. cit., R. Linton, éd.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 23 mai 2008 15:58
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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