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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Georges BALANDIER, “La richesse des cultures.” Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Simon Langlois et Yves Martin, L’horizon de la culture. Hommage à Fernand Dumont, pp. 169-175. Troisième partie: La symbolique de référence. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1995, 556 pp. [Autorisation formelle de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales accordée par M. Balandier le 28 janvier 2008.]

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Georges BALANDIER

La richesse des cultures.”

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Simon Langlois et Yves Martin, L’horizon de la culture. Hommage à Fernand Dumont, pp. 169-176. Troisième partie : La symbolique de référence. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1995, 556 pp.

Introduction
Le problème de la communication interculturelle
L'anthropologie et les différences
La modernité généralisée et la différence


INTRODUCTION

La question de la culture est centrale dans l'oeuvre de Fernand Dumont. Comme elle le fut durant un temps dans son action au service des institutions culturelles, et dans son engagement qui l'a conduit à traiter de l'identité nationale, du parcours historique au cours duquel celle-ci se forme et se transforme. Le trajet d'une vie et le cheminement d'une pensée – à la fois philosophique, anthropologique et sociologique – donnent au traitement de la question culturelle et identitaire des formes variables et toujours plus complexes. L'approfondissement de l'interrogation sur ce qui constitue la personnalité d'une culture, sur ce qui l'allie à un lieu et arme sa résistance à l'épreuve des vicissitudes historiques, accompagne la recherche de ce qui inscrit cette particularité dans l'universel. Parce que Fernand Dumont entretient un commerce intellectuel avec la théologie et avec une anthropologie philosophique moderne, il montre ce qui peut délier la culture des contingences de lieu et de temps. Et de ce qui, néfaste, l'instrumentalise dans le champ des relations d'inclusion/exclusion et des affrontements d'ordre individuel et collectif.

Le problème de la reconnaissance et connaissance de l'Autre s'énonce à partir des jeux d'écart et de différence par lesquels les cultures se définissent et se diversifient. Dans sa formulation la plus extensive, il se présente comme un problème de communication interculturelle. Celui-ci est posé en des termes qui pervertissent les données lorsque les références – culture, identité, ethnie, peuple – sont confusément liées et manipulées, utilisées afin d'exacerber les passions et les conflits que celles-ci nourrissent. L'actualité révèle ces perversions, dans les formes du tragique. Elle fait reparaître la frénésie des « intégrités » qui opposent et libèrent la violence, qui rejettent, séparent, et enferment en rendant les différences incompatibles. C'est le paradoxe de ce siècle finissant qui, d'une part, donne aux sociétés et aux cultures les moyens d'être toutes communicantes et qui, d'autre part, découvre les régressions engendrées par les particularismes qui, au nom de la culture, sont portés au paroxysme et finalement « déculturent ».

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LE PROBLÈME DE
LA COMMUNICATION INTERCULTURELLE


L'oeuvre de Fernand Dumont incite à envisager d'abord ce problème en ce qui en constitue le fondement même. Il faut alors le formuler par une double question: la communication entre les cultures est-elle possible en raison d'une unité de l'espèce humaine qui permettrait l'existence d'universaux, de schèmes transculturels, de significations fondamentales et communes? Ou bien est-elle impossible en raison d'une quasi-incommunicabilité des cultures, chacune de celles-ci constituant un monde peu identifiable autrement que par ses apparences? Deux positions extrêmes. La première est celle de l'universalisme idéal, la seconde, celle du relativisme absolu qui a trouvé peu de défenseurs.

Les essais de réponses sont divers. L'un, par l'effet d'une sorte d'évidence, établit une équivalence entre la culture et le langage, sans faire de la langue le facteur dominant dans la différenciation des cultures. Celles-ci sont vues comme des complexes de langages ou comme des « textes » implicites qu'il faut découvrir et décrypter. La relation entre les cultures, réduites à son aspect simplifié, devient ainsi une affaire de traductions multiples, par lesquelles les multiples expressions d'une culture deviennent interprétables par une autre selon ses conventions propres. Cette solution, qui tire sa séduction de l'avancée rapide des sciences linguistiques actuelles, ne peut entièrement satisfaire. D'une part, toute communication n'est pas réductible à une forme linguistique. D'autre part, les systèmes culturels sont d'une autre nature que les méta-langages ; ils sont plus que ceux-ci complexes dans l'hétérogénéité, chargés de représentations et d'images, associés à des émotions et à des croyances, porteurs de significations adaptables aux circonstances et aux stratégies auxquelles celles-ci contraignent.

À cette réponse par la « traduction » s'oppose la réponse minimaliste. Elle affirme l'existence d'un niveau qui manifeste et matérialise des significations plus immédiatement accessibles, qui ouvre un accès à l'autre culture en donnant les possibilités d'une compréhension minimale. La durée de la fréquentation et l'interprétation du « visible » permettraient cette ouverture par la considération des gestuelles, des pratiques matérialisées, des routines de la vie quotidienne et des cadres à l'intérieur desquels elles s'inscrivent. Ce ne peut être qu'une étape préalable, insuffisante par elle-même, et qui comporte des risques nombreux de mésinterprétation en raison du crédit accordé aux apparences.

Deux autres réponses conduisent à la recherche des « passages » de culture à culture. L'une s'attache à identifier les configurations culturelles qui ont par nature un caractère et une potentialité transculturels, parce qu'elles ont une part d'autonomie relativement à leurs conditions d'émergence et à leur contexte. Moins liées au milieu où elles se sont formées, elles sont diffusables et dotées d'une capacité à atteindre l'universalité. Max Weber a illustré cette solution dans ses études consacrées aux religions de grande extension, en considérant ce qui les a rendues recevables par des milieux sociaux et culturels différents, en montrant les liens ainsi [171] tissés entre eux. L'autre réponse a été proposée lors de la mise en évidence des filiations culturelles, qui apparentent, et des métissages de cultures, qui font alliage. Dans les deux cas, il en résulte du partage et, par celui-ci, de l'intercommunication. La généalogie des cultures et l'acculturation jouent le rôle d'opérateurs dans la mise en rapport de compréhension mutuelle des cultures par ailleurs différenciées.

Enfin, il faut situer à part la solution « anthropologique » ou, plutôt, la position selon laquelle l'anthropologie a été fondamentalement orientée. Elle ne conduit pas seulement au recensement des différences, à leur répartition par catégories et à leur interprétation par le jeu des comparaisons. Elle incite à pousser l'exploration des différences jusqu'au point où elles ne sont plus des facteurs de séparation, d'enfermement dans le particulier, mais les manifestations multiples d'une « unité de l'homme », par quoi l'anthropologue Edmund Leach spécifie sa discipline. Une unité à dévoiler, sans qu'il y ait de terme à ce dévoilement, et non pas posée a priori, postulée à la façon des philosophies de l'universel.

L'ANTHROPOLOGIE ET LES DIFFÉRENCES

C'est la découverte des mondes autres qui contraint à donner des différences une formulation théorique, à légitimer des relations que la conquête et la force ont établies. Cette découverte s'ouvre largement avec la première expansion européenne des XVIe et XVIIe siècles, à une époque qui se situe donc entre Renaissance et Âge classique ; elle est contemporaine des grandes transformations qui font entrer la culture occidentale dans une première modernité. La confrontation avec le Nouveau Monde américain, avec ses cultures brillantes, produit à la fois les violences de la colonisation, de l'exploitation, de la discrimination, et la réflexion sur la différence. C'est alors que s'élabore un discours informé par la théologie, dominante, et par l'humanisme, renaissant. Le dominicain Las Casas, auteur d'une histoire apologétique des Indiens d'Amérique (mi-XVIe siècle), est la référence la plus connue. Il recourt à une comparaison valorisante: les sociétés indigènes ont atteint un niveau de civilisation comparable à celui des sociétés de l'Antiquité grecque et romaine. La différence n'est donc pas là où elle fut située – dans la non-civilisation –, mais exprimée à un niveau plus discriminant, celui où les fausses religions sont opposées à la vraie. Le problème central devient celui de l'idolâtrie, de la relation à une expérience religieuse totalement étrangère à la Révélation, conduite en l'absence de la vraie foi. Les trois ordres de la connaissance alors reconnus – naturelle, divine, démoniaque – sont mêlés dans la confusion. La frontière est tracée selon les critères de la théologie et de la philosophie de la connaissance qu'elle régit; seule la conversion ouvre le passage de culture à culture.

C'est au XVIIIe siècle que l'interprétation théologique de la diversité des cultures cède clairement la place à l'interprétation d'intention scientifique. La multiplication des voyages de découverte accumule et diversifie l'information. Le projet d'une anthropologie pensée par les philosophes s'en nourrit, le discours [172] philosophique traitant de la diversification humaine s'impose progressivement. Rousseau, dans le Deuxième discours, rappelle que « toute la terre est couverte de nations dont nous ne connaissons que les noms » ; il invite à leur observation et description. Il définit le principe qui doit guider la méthode, dans l'Essai sur l'origine des langues: « Pour étudier l'homme, il faut apprendre à porter sa vue au loin ; il faut d'abord observer les différences pour découvrir les propriétés. » L'unité humaine ne peut se manifester qu'au-delà de ses diverses, incomplètes et changeantes réalisations.

La diversité d'abord. L'impulsion donnée pousse à effectuer une reconnaissance plurielle: celle des « humanités », des cultures, des histoires. La multiplicité est reconnue comme autant de réponses possibles et inachevées aux problèmes de l'homme qui vit en société et non dans la dispersion – état antérieur à l'état social selon la formulation de Rousseau. Il commence à être admis, point de vue d'Helvétius et Diderot, que la pleine civilisation reste un idéal jamais réalisé, une perfection où aucune société ne saurait se maintenir. Il peut en résulter une moindre distance établie entre les cultures. Mais le discours philosophique sur la différence, avec ses divergences internes, s'enferme dans des limites qui lui sont propres. Il obéit encore au principe de coupure: entre nature et culture, entre état sauvage et état civilisé. Il obéit aussi au principe de hiérarchisation, issu d'une philosophie de l'histoire européo-centrique ; si l'espèce humaine est une, ses « variétés » – comme les nomme Buffon – sont hiérarchisées: au sommet, les peuples européens, en position moyenne, les peuples d'Asie et d'Afrique, à la base, les « sauvages ».

Le XIXe siècle accomplit ce que le XVIIIe a préparé. Il commence à formuler un discours scientifique sur la différence des cultures. Il en fait l'objet d'une discipline: l'anthropologie. Celle-ci a pour tâche de multiplier les observations directes – de constituer un réseau d'« observateurs de l'homme », d'ethnographier en quelque sorte le monde non occidental – et de faire oeuvre scientifique en recourant au comparatisme. Durant une première période, le travail de recensement et de description s'effectue parallèlement à l'élaboration d'une théorie de la culture. Il en résulte un « tableau » progressivement complété de la diversité humaine, un archivage qui sauvera ultérieurement de l'oubli les cultures ruinées par les agressions de la modernité expansive. Cet inventaire et la connaissance plus poussée de chacune des cultures ont deux conséquences: la découverte de la grande créativité des ensembles constitutifs de l'espèce humaine considérée dans son entier ; la conscience mieux assurée de la complexité et de la richesse propre de chacune des cultures « autres ».

Mais le biais idéologique n'est pas effacé par l'effet scientifique. L'ethnocentrisme ne s'abolit pas d'un coup, et d'autant moins que les colonisations accomplies au XIXe siècle l'entretiennent. Dans sa version la moins dépréciative, il admet que les cultures différentes sont assimilables aux formes de civilisation qui ont marqué les étapes du passé occidental: de vraies cultures dont le progrès et son accélération ont de plus en plus éloigné. Il faudra que l'anthropologie effectue sa propre critique, [173] et celle des conditions de son exercice durant la période coloniale, pour que les questions fondamentales soient à nouveau posées. On reconsidère le problème de la transparence des cultures. Est-il possible de connaître une culture de l'extérieur, en utilisant les modes de connaissance qui sont ceux d'une autre culture, placée en position de dominance? N'est-il pas plus satisfaisant de chercher à connaître l'homme « en général » que de se risquer à la connaissance de ses nombreuses réalisations?

C'est le retour d'une vieille et toujours actuelle question, celle qui cherche l'accord de la diversité des cultures et de l'unité de l'homme. Les deux réponses déjà évoquées reparaissent en des formes plus élaborées. Celle d'un relativisme transformé qui se traduit en un refus d'évaluer (de « mesurer ») les cultures à partir d'une référence unique, et finalement de les soumettre à un classement. C'est le choix d'accepter les cultures en ce qu'elles sont, de les respecter dans leur singularité et de porter au crédit commun de l'humanité l'apport de leur différence ; avec le risque de concevoir et d'accepter un monde où tout se vaut. Celle, seconde réponse, d'un universalisme qui unifie par la méthode. Elle conduit à appliquer les mêmes principes de connaissance et d'évaluation à toutes les cultures, à identifier ce par quoi elles se ressemblent plus que ce qui les différencie ; avec le double risque de définir ces principes selon un arbitraire, celui qui les tire d'une culture faisant référence (retour de l'ethnocentrisme) ou celui qui les énonce au nom d'un savoir postulé totalement objectif (autorité du scientisme). Cette opposition reprise révèle que sont maintenus des obstacles sur le chemin qui mène à la « bonne » connaissance de l'Autre, de la différence. C'est la tâche de l'anthropologie de contribuer à les surmonter, ce qui lui impose d'être d'abord une « posture » de l'intelligence et de la sensibilité. Segalen l'affirmait déjà lorsqu'il donnait un contenu à l'exotisme, lorsqu'il y trouvait la voie qui conduit à la « perception du divers », à la capacité d'accéder à la « notion du différent » et au pouvoir de « concevoir autre ».

LA MODERNITÉ GÉNÉRALISÉE
ET LA DIFFÉRENCE


La prise de conscience, dans les sociétés actuelles, de la diversité des cultures s'effectue par le concours de circonstances nouvelles, fluctuantes et ambivalentes à considérer certains de leurs effets.

Cultures extérieures, communication, médias –Avec la réalisation des indépendances, au cours des années 1950 et 1960, les mondes extérieurs sortent des cadres de l'imagerie coloniale. Ils acquièrent l'initiative de leur propre « présentation ». Au moment même où les hommes circulent davantage, toujours plus nombreux, animés par la recherche de la différence ; au risque de pervertir celle-ci par une industrie touristique qui la réduit à l'état de marchandise. Au moment, aussi, où la médiatisation expansive diffuse plus largement les messages, les images, les manifestations culturelles produits par des univers fort différents.

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La différence rendue davantage présente, accessible, exerce un pouvoir de séduction. Elle n'est plus cet exotisme rare qui servait la stratégie de distinction d'une minorité privilégiée, elle se banalise en se vulgarisant. Elle contribue encore à la formation de la culture dite « cultivée », mais elle devient constitutive de la culture de masse ; elle s'inscrit dans l'univers des choses, elle inspire des croyances et des pratiques, elle devient provocatrice d'engouements et de modes. Ce qui apparaît, c'est, d'une part, la connaissance médiatisée, médiatique, de l'Autre et sa fragilité en raison des effets d'image dépendant des événements ; c'est, d'autre part, l'entrée de la différence dans l'économie de la consommation et des signes qui la dynamisent.

Cultures immigrées, différence tensionnelle – La circulation des personnes, et des cultures qu'elles véhiculent, s'effectue selon une direction que l'on dit aujourd'hui Sud-Nord. Elle accomplit la « montée » des plus démunis vers les régions les plus développées. L'Autre devient alors l'« étranger », qui fait nombre et contribue à l'expansion d'espaces à culture plurielle, avec leurs enclaves culturelles faiblement intégrées. Cette différence de proximité n'est pas reconnue à l'identique de la différence éloignée, exotique, exprimée dans l'ailleurs. Celle-ci est peu ou moins dépréciée parce qu'elle est tenue à l'intérieur de ses propres frontières, elle reste attachée à son lieu, elle séduit à distance et on établit avec elle un commerce par choix.

La proximité engendre, à des degrés variables, une appréciation négative et des socialités séparées malgré la coexistence. Les conditions de la vie quotidienne les convertissent en conduite d'évitement ou de retrait, en manifestations d'intolérance, en conflits répétés et sous l'influence de l'événement en irruptions de violence. Les banlieues des villes européennes à immigrés nombreux sont des révélateurs. Il s'y produit un effet de contagion ; les différences internes, à écart réduit sous l'aspect de l'appartenance de classe, n'en sont pas moins génératrices de tensions et d'affrontements. La violence peut s'orienter vers les « mieux intégrés » du-dedans avant de s'effectuer au-dehors et, dans ce second cas, un effet de halo se produit de proche en proche sur les cités voisines. Malgré les apports culturels neufs résultant du pluralisme, les solidarités inédites qu'il fait être, la référence aux différences manifestées dans la vie quotidienne tend à prévaloir sur toute autre. Et sa charge conflictuelle devient critique lorsque l'événement ou les passions soudaines jouent le rôle de détonateur.

Dans un monde où les coexistences dans la diversité se multiplient, le problème du rapport avec l'Autre se pose à une tout autre échelle. Il n'est plus d'abord une affaire individuelle. Il prend davantage une dimension collective, puis massive ; il est plus étroitement lié à la définition des identités: celle des personnes et celle des collectivités. C'est sur le terrain de l'incertitude identitaire, aggravée par les aléas du trajet de vie de chacun en ce temps de mutation et de crise récurrente, que poussent et repoussent des idéologies de caractère régressif-offensif.

[175]

Banalisation, ré-action – La modernité est expansive, mais elle effectue son travail dans l'ambivalence. Par son dynamisme conquérant, par les effets d'imitation qu'elle engendre, elle tend à produire une banalisation du monde. L'uniformité continue à corroder les différenciations, elle a déjà effacé certaines d'entre elles: des formes de culture populaire, rurale et urbaine, disparaissent de l'univers où la modernité a pris son essor ; des cultures entières, hors de celui-ci, sont en voie de disparition. Il y a dans la période actuelle, un extraordinaire accroissement du pouvoir-faire techno-scientifique et une érosion de la variété que les hommes ont mise dans leurs croyances, leurs coutumes, leurs institutions. Voici quelques années, le biologiste François Jacob en faisait la constatation: la diversité génétique paraît mieux assurée que la diversité culturelle.

Des tendances contraires s'opposent à une « surmodernité » devenue réductrice et dominatrice. Dans les espaces qui sont les siens, la revendication du « droit à la différence » et du respect des différences, la renaissance d'identités culturelles occultées, la réactivation des « mémoires » qui actualisent les diverses figures du passé expriment cette ré- action. Ailleurs, les mouvements nationalitaires, les nationalismes réactivés font de la différence un outil politique, un moyen de reprendre l'initiative en associant des revendications qui sont, à la fois, celles du « différent », de l'exclu des avantages de la modernisation et du marginal politique. La tradition apparaît alors comme le seul bien des démunis et la seule arme opposable aux bénéficiaires d'une surmodernité génératrice d'inégalités croissantes. Cette arme est particulièrement offensive lorsqu'elle est mise au service d'une religion prétendue ramenée à son intégrité première (intégrisme exclusif) ou d'une ethnie hystérisée par le rejet de toute « contamination » (purification ethnique). Dans ces deux cas, la culture devient un facteur d'exclusion et d'enfermement ; elle porte alors en elle la raison de son dépérissement, elle s'amoindrit en refusant la confrontation des différences. C'est la situation homologue de celle des sociétés pluriculturelles et surmodernes que tenteraient le recours à l'« entre-soi » exclusif et l'enfermement sécuritaire.

Face aux risques montants, il faut rappeler les trois principes fondamentaux qui devraient gouverner la gestion de la différence: la diversité est une richesse, elle est de la nature de toute vie, elle résulte de l'histoire même de la vie ; la perte de diversité, la tendance à la réduction de la différenciation sont des processus mortifères ; l'unité de l'homme reste toujours à reconnaître comme un au-delà de la variété des cultures, comme le produit même de cette multiplicité. La relation à l'Autre ne se constitue pas une fois pour toutes ; elle est à produire, à faire et refaire. L'anthropologie généralisée peut être la pédagogie de cette construction ; elle paraîtra d'autant plus nécessaire que le XXIe siècle sera « culturel », par la mise en communication intensive et les défis qu'elle imposera.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 18 août 2014 18:28
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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