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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Georges BALANDIER, “Réflexions sur une anthropologie de la modernité”. Un article publié dans les Cahiers internationaux de sociologie, vol. 51, juillet-décembre 1971, pp. 197-211. Paris : Les Presses universitaires de France. [Autorisation formelle de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales accordée par M. Balandier le 28 janvier 2008.]

Georges BALANDIER 

Réflexions sur une anthropologie
de la modernité
”. 

Un article publié dans les Cahiers internationaux de sociologie, vol. 51, juillet-décembre 1971, pp. 197-211. Paris : Les Presses universitaires de France.
 

Introduction
 
I.  Problèmes d’intitulé
II. Crises pratiques el théoriques de la modernité
 
1) Le rapport nature-culture
2) Les essais de repersonnalisation du rapport social.
3) Les essais de restitution du sens.


Introduction

 

Les anthropologues ne sont pas nécessairement des contempteurs de l'histoire et des déserteurs de l'« actuel ». Les plus créateurs d'entre eux ont tenté de lier leur discipline à leur réflexion sur la « vie moderne ». Et cette articulation donne son titre à un ouvrage méconnu de l'un des fondateurs révérés de l'anthropologie américaine, F. Boas. Dans Anthropology and modern life, l'affirmation du projet est formulée, ainsi que ses implications pratiques : « J'espère démontrer qu'une claire compréhension des principes de l'anthropologie éclaire les processus sociaux de notre temps et peut nous indiquer, si nous sommes prêts à écouter ses enseignements, ce qui doit être fait et ce qui doit être évité » [1]. Actuellement, l'une des plus célèbres parmi les anthropologues - Margaret Mead -, poursuit sa carrière scientifique de double lecture - de l'« actuel » par l'éclairage du « traditionnel » et réciproquement. Son dernier livre traite de la coupure entre les générations, montre l'apparition d'une culture inédite (dite préfigurative) où les jeunes occupent une position centrale parce qu'ils détiennent « le nouveau savoir fondé sur l'expérience » [2]. Le passage s'est fait d'une anthropologie a-temporelle ou rétrospective à une anthropologie du présent et du futur [3]. 

L'anthropologie appliquée elle-même, cette discipline longtemps restée marginale ou impure, se trouve soumise à des impulsions de même orientation ; elle ne peut plus être l'alibi honorable des politiques de réserve indigène ou de colonisation « rationnelle ». R. Bastide vient de lui donner une dignité en la réactualisant ; il l'envisage « comme science théorique de la pratique » ; il l'estime capable d'étudier la pratique sociale en elle-même, la manipulation des « choses sociales » et des « cultures ». Ainsi définie, l'anthropologie appliquée considère les projets d'action (au même titre que les autres institutions sociales) et les conséquences de ces entreprises de transformation ; elle tente de découvrir les « lois » de la transition sociale [4]. Elle débouche de cette façon sur une conception de la société qui est, à quelque degré, une conception générative ; et l'œuvre des planificateurs, des innovateurs et des avant-gardes relève alors de sa juridiction scientifique. 

Par ailleurs, la considération et l'étude empirique des problèmes posés par les essais de modernisation des sociétés prédéveloppées conduisent à des « révisions » de même sens. C'est par elles que les questions relatives à la coexistence de formations sociales d'âges différents, au passage d'un système structurel à un autre se trouvent posées avec la plus grande netteté, et de manière pratique. Elles mettent en présence de configurations continuellement en voie de se faire el de se définir. Leur problématique présente éclaire celle des sociétés les plus « avancées », et réciproquement. Dans un cas, les sociétés expriment une revendication de modernité difficile à satisfaire, dans l'autre, elles subissent un excès de modernité difficilement contrôlable. Cette constatation contraint à les envisager conjointement, à parvenir par la confrontation à une connaissance de la réalité sociale plus exacte et moins affectée par le socio-centrisme. Elle fait saisir une « parenté » qui tient au mode d'existence de la société - aux conditions et contraintes que celle-ci rencontre pour se construire, se maintenir, et réagir aux assauts que lui imposent le « dehors » (les environnements) et le cours du temps [5]. Ce rapprochement aide à fonder le projet d'élaboration d'une anthropologie (au sens plein du terme) de la modernité.

 

I) Problèmes d'intitulé.

 

Les bibliographies dressant l'inventaire des nouvelles publications en sciences sociales révèlent que nombre de celles-ci sont consacrées aux thèmes de la « modernisation » et, plus rarement, de la « modernité » [6]. L'abondance des études ne contribue pas encore à la clarification des débats, ne serait-ce qu'en raison de la confusion fréquente dans l'usage des deux termes. Dans certains cas, la différence entre ces notions est celle d'un étal (ou ensemble de caractéristiques) et des moyens (ou processus) permettant de parvenir à ce dernier. Modernité est alors utilisé « pour décrire les caractéristiques communes aux pays qui sont les plus avancés en matière de développement technologique, politique, économique et social » ; et modernisation sert à « décrire les processus par lesquels elles se trouvent acquises » [7]. Ainsi, certaines sociétés sont-elles créditées du monopole de l'innovation, du changement cumulatif et autogénéré, et finalement de l'initiative historique ; dans la mesure où il n'est postulé qu'une seule forme de modernité. S. Eisenstadt affirme ce point de vue sans ambiguïté : « Historiquement, la modernisation est le processus de changement vers ces types de systèmes sociaux, économiques et politiques qui se sont développés en Europe occidentale et en Amérique du Nord depuis le XVIIe siècle jusqu'au XIXe, et se sont ensuite répandus dans d'autres pays » [8]. La modernité est vue comme l'ensemble des tentatives (et des « aspirations » qui les sous-tendent) qui visent à réaliser ces modèles « occidentaux » ; et, d'une manière moins partisane, comme la possibilité d'élaborer les structures institutionnelles capables d'absorber des changements nombreux, cumulés et durables. Cette démarche conduit cependant à ne rapprocher les sociétés inégalement ou différemment développées que dans la répétition. Celles qui sont prédominantes se présentent comme modèle universel de la modernité, exemple qui doit être reproduit sans fin - ce qui leur permet de prétendre à être continuellement « en avance ». 

Nettl et Robertson, tentant d'envisager la modernisation par référence aux systèmes internationaux (en introduisant donc des éléments de comparaison), parviennent à une saisie plus critique [9]. Ils constatent que les notions de modernité et de modernisation souffrent de « trois déficiences majeures » : elles sont confuses et imprécises, comportent des implications idéologiques et incitent à postuler un « état final » défini de manière unique (la version « occidentale »). Ils précisent que les deux termes sont relatifs, requièrent dans chaque étude de cas une mise en relation avec d'autres sociétés, reportent aux effets des rapports et compétitions entre sociétés différentes – à cet ordre de phénomènes que j'ai désigné par la formule : « dynamique du dehors ». Cette dernière devient ainsi un des principaux agents provocateurs de modernité. 

Les anthropologues, parce qu'ils centrent nécessairement leurs recherches sur la reconnaissance et l'élucidation des différences en matière de formations sociales et d'agencements culturels, apportent une contribution utile à la résolution de ces problèmes d'intitulé et de définition. Pour J. Steward, le terme modernisation est « neutre » : il ne désigne pas nécessairement un état de choses supérieur ; il a une connotation « évolutionnaire » en ce sens que « les structures et modèles fondamentaux sont qualitativement altérés » - le caractère de changement qualitatif est ainsi souligné ; mais il continue à « désigner les transformations socio-culturelles qui résultent des facteurs et processus distinctifs du monde industriel contemporain » [10]. Comme si les phénomènes auxquels il réfère n'avaient pas de précédents ! Pour d'autres anthropologues, et de manière théoriquement plus pertinente, le débat renvoie à la dialectique de la continuité (évoquée sous le titre : tradition) et de la discontinuité. Dans ce contexte, la modernité et la tradition n'apparaissent plus comme radicalement contradictoires. L. et S. Rudolph rejettent l'« équation » trop facile qui rend « le moderne » égal à « l'occidental » ; elle permet simplement de se rassurer quant au « caractère unique des réalisations occidentales » (the uniqueness of the Western achievement). Ils abordent la question de la modernité à partir des configurations latentes présentes en toute société, de ce qu'ils nomment « potentialités alternatives » existant en tout système social ; dans certaines « conditions historiques, de telles alternatives peuvent devenir la source d'identités, de structures et normes nouvelles ou transformées » [11]. Ainsi, la modernité se trouve-t-elle associée au potentiel, aux possibles, aux choix que la société doit constamment effectuer pour se faire et se définir. 

Les anthropologues et les historiens - c'est-à-dire les spécialistes de la différence exprimée dans l'espace et/ou le temps - sont de plus en plus souvent appelés à la rescousse des interprètes les plus modernistes des sociétés estimées les plus « avancées ». M. Mac Luhan a recensé, souvent sur le mode sensationnel, les conséquences de notre entrée dans l'ère électronique (ou « technétronique », comme on a pu dire après lui). Le globe devient un gigantesque « village », l'événement et la prise d'information instantanée dominent les consciences, les media provoquent un retour à l'« oral » - si bien que le livre et la rationalité qu'il soutient sont frappés d'obsolescence (becoming obsolete), l'apprentissage des nouveaux savoirs est une obligation permanente, etc. Dans tous les domaines, les cloisons (les « murs ») s'effondrent. Les hommes contemporains entrent dans l'inédit, le non-répétitif, sans y être préparés ; ils sont « des idiots au regard de la situation nouvelle » : leurs mots et leurs pensées les trahissent « en référant à l'existant antérieur, et non au présent » [12]. De là, l'obligation inéluctable de procéder à de nouvelles explorations. Les anthropologues sont conviés à cette tâche en tant que techniciens considérant les cultures inconnues ou mal connues, les totalités culturelles et les systèmes de pensée où l'« oralité » (associée à une vision globale) n'a pas encore cédé la place aux démarches analytiques ; et certains d'entre eux répondent à cet appel comme le montre leur participation aux « verbi-voco-visual explorations » [13]. 

Ces considérations rapprochent d'une interprétation plus satisfaisante de la modernité, bien qu'encore provisoire. Elles conduisent à la différencier de ces changements cumulés, irréversibles, qui assurent en quelque sorte la réalisation ou la croissance des systèmes sociaux et culturels ; leur interprétation s'effectue souvent par analogie avec les étapes (ou phases) de croissance manifestes dans les organismes [14]. La modernité n'apparaît plus comme un « stage » inéluctable ; elle s'appréhende davantage sous l'aspect d'« une tentative vers... », d'un processus qualitatif de changement, d'un choix entre des alternatives ou des possibles - résultant les uns et les autres de facteurs à la fois internes et externes. Par elle, le rôle de la liberté et du « volontarisme social » se trouve souligné, de même que la nécessité d'une conception « générative » des formations sociales. Toute interrogation sur la modernité, et non dans le seul cas des sociétés dites avancées, conduit à une mise en question de ce qui paraît être authentiquement nouveau, de ce par quoi les sociétés engendrent leur propre dépaysement. 

Ce dernier terme justifierait à lui seul le recours à l'anthropologie. Dans la mesure où cette discipline a été grossièrement définie par le fait qu'elle a transformé en pratique scientifique le procédé du décentrement, la connaissance de ce qui est culturellement distant. Les mutations actuellement à l'oeuvre dans toutes les sociétés font que celles-ci, au moment où elles détiennent les moyens de mieux s'informer les unes les autres et de se mieux connaître, sécrètent l'exotique (le « dépaysant ») en leur propre sein. J'ai déjà noté que notre anthropologie informe la connaissance actuelle et la prospective que nous élaborons à propos de nos sociétés [15]. L'observation se banalise en se généralisant. Mac Luhan l'exprime par une formule : « Nous sommes tout aussi engourdis dans notre nouveau monde électrique que l'est l'indigène engagé dans notre culture livresque et mécanicienne » [16]. Z. Brzezinski, dans son étude de la grande transition, de la « révolution technétronique », parvient à une conclusion parente : « Il semble que la vie perde de sa cohérence... Tout semble plus passager, plus éphémère : la réalité extérieure paraît plus fluide que solide, l'homme plus synthétique qu'authentique » [17]. Et M. Mead assimile très justement l'engagement dans cette époque aux anciennes entreprises pionnières : « Aujourd'hui, quiconque naquit et a été élevé avant la seconde guerre mondiale est semblable à un immigrant dans le temps - à la manière dont ses ancêtres le furent dans l'espace - tentant de s'attaquer aux conditions inconnues de l'existence dans une ère nouvelle » [18]. 

Des raisons supplémentaires doivent être considérées. Les anthropologues ont pu dire que si les sociétés (et les cultures) soumises à leur observation ont toutes une personnalité, elles tombent dans la monotonie (la banalisation) lorsque leur ordre traditionnel se dégrade. Il n'y aurait en somme qu'une seule façon de mourir culturellement. La formule a séduit les esprits nostalgiques orientés vers le passé. Il paraît plus légitime de dire que dans les périodes cruciales - celles durant lesquelles les problèmes permanents de construction et de définition de la société se posent avec acuité, sans possibilité d'esquive - les sociétés se trouvent confrontées à des défis de même nature. Et ces derniers sont tels, en nombre et en intensité, qu'elles sont véritablement engagées dans de « nouveaux commencements ». Elles affrontent certaines difficultés comparables, elles apportent certaines réponses semblables. En ce sens, une anthropologie et une sociologie résolument actuelles n'ont d'autre issue que la coalition de leurs efforts. Dans la mesure où la première a été mieux préparée à l'interprétation de la signification des cultures, à la mise en évidence de ce qui relève de la qualité dans l'ordre des rapports sociaux, elle est non seulement nécessaire mais aussi prioritaire. 

Il est une raison de portée plus limitée, parce qu'elle concerne les seules sociétés dites avancées. La référence anthropologique, le recours aux modèles propres aux sociétés estimées plus « authentiques » (cette qualité révérée par les anthropologues intégristes ou dévots), deviennent un des moyens de la critique sociale ; et parfois jusqu'au point extrême où ils doivent engendrer une sorte de culpabilité collective « blanche ». J'ai déjà, et ailleurs, attiré l'attention sur ce type de contestation [19]. Dans le cas des sociétés nanties, le recours à la contre-modernité se diffuse en tant que mode de protestation non révolutionnaire (au sens classique de ce qualificatif). Il se manifeste par la résurgence, plus ou moins artificielle, et plus ou moins précaire, de formes « archaïques » de l'existence sociale. Toutes les manifestations qui contribuent à l'émergence de « cultures alternatives » et/ou de « contre-cultures » révèlent à quelque degré ce processus. L'utopie et l'imaginaire sont exaltés, les revendications existentielles l'emportent sur celles que nous avions coutume de dire rationnelles. T. Roszak voit cet ensemble comme « la matrice dans laquelle un futur alternatif, mais encore fragile, est en train de prendre forme » -en recourant à de nombreuses « sources exotiques » [20]. 

L'étude des phénomènes désignés par le terme modernité ne résulte pas simplement d'une mode, elle répond à une nécessité immédiate. Toutes les sociétés présentes, et pour la première fois en même temps, ont à résoudre les problèmes qui naissent de ces mutations ; le défi est donc pratique et il a l'aspect d'une épreuve globale ou totale, provoquant parfois des réponses « totalitaires ». Toutes les sciences sociales ont à considérer ce problème de l'irruption de l'inédit, des alternatives radicalement nouvelles, des discontinuités ; le défi est donc théorique. Et dans la mesure où l'anthropologie se veut saisie globale, différenciée des démarches plus analytiques, elle peut contribuer à une meilleure définition et à une connaissance en profondeur de la modernité.

 

II) Crises pratiques el théoriques
de la modernité.

 

Les premières sont généralement associées, si l'on s'en tient aux interprétations superficielles, à l'accélération des changements, des processus qui régissent normalement la vie des sociétés. Il intervient ainsi un phénomène d'écrasement dans le temps ; la coexistence des formations sociales et culturelles d'âges différents s'effectue de manière plus rapide, devient plus apparente et plus problématique. Dans ces conditions - qui provoquent une sorte d'exaspération de la normalité - la société apparaît davantage comme ce qu'elle est dans sa réalité profonde. Elle ne peut plus être appréhendée comme un ensemble (un tout) unifié qui se définit simplement par un type sociologique (au sens du « type idéal » de Max Weber), ou un régime (selon les qualifications des politicologues et des économistes) ; on la voit plus hétérogène, plurale et mouvante. D'une certaine façon, à l'acculturation régissant les rapports établis dans l'espace, entre sociétés et cultures différentes, s'ajoute l'acculturation dans le temps qui résulte de la coexistence plus rapide des rapports sociaux et configurations culturelles d'âges différents. 

Dans cette situation, la relation aux référents sociaux est ressentie comme ambiguë ou dépourvue de sens. Et les acteurs sociaux définissent leurs fonctions, leur rôle, avec plus de difficultés. Les réactions comme les affrontements sont très diversifiés : le refus total du « système », exprimé soit par la violence (créditée de vertus salvatrices en elle-même) soit par le « retraitisme » (moyen de vivre hors du monde moderne) ; l'exaltation de la spontanéité opposée aux institutions « répressives » ; le conflit entre des générations qui tendent à se transformer en classes politiques ; l'affrontement des volontaristes sociaux exprimant une exigence révolutionnaire, ou radicalement réformiste, et des couches sociales ne formulant que des revendications « quantitatives », etc. Les mouvements contestataires actuels attaquent tout autant que le mode capitaliste de production des choses le mode de production des pouvoirs, des signes et des « discours ». La contestation est globale, la créativité est opposée à la production, le sens à la puissance, la qualité à la quantité (vue sous sa forme économique ou « matérialiste », comme il est souvent dit). K. Keniston, étudiant l'idéologie des jeunes « radicaux » américains, souligne le « dégoût » devant la notion de quantité et le refus de l'uniformité, de la banalisation ; la demande du droit à la qualité s'accompagne d'une demande du droit à la différence [21]. 

Que les crises actuelles de la modernité s'expriment, au moins partiellement, en ce langage, est un fait reconnu par les théoriciens de la société « technétronique » eux-mêmes. Ils ne peuvent éluder le problème de la signification. Z. Brzezinski constate que, dans la partie la plus avancée du monde, la tension entre l'homme « intérieur » et l'homme « extérieur » suscite une crise aiguë de « l'identité philosophique, religieuse et psychique » [22]. Et les travaux relatifs à la « recherche de l'identité » constituent une part importante de l'activité des social scientists américains. De même, il importe de mentionner l'attention accordée aux niveaux de conscience qui déterminent une saisie plus ou moins adéquate des réalités actuelles ; le concept de niveau de conscience étant vu comme une « configuration » qui façonne, en tout individu, la perception globale de la réalité. C. Reich, dans son ouvrage célèbre : The greening of America, propose une interprétation centrée sur l'individu et la culture - et en dernier lieu sur le politique - de la « révolution » en voie de se faire aux États-Unis. Sa démarche repose sur la définition de trois niveaux de conscience : I) La vue « traditionnelle », qui n'a plus prise sur le réel, formée au cours du XIXe siècle ; II) La configuration mentale et les valeurs associées à une société industrielle à organisation poussée, qui apparurent durant la première moitié de ce siècle ; III) La saisie globale qu'élaborent les nouvelles générations : elle est émergente et a encore l'aspect d'un « code secret indécryptable » [23]. La constatation (présentée « sans prétention scientifique ») ne s'applique pas seulement au cas américain. Durant les périodes où le processus historique subit « une terrible accélération » - selon la formule de J. Burckhardt - le mode d'existence de la société devient plus apparent et les révélateurs de sa véritable nature se multiplient. Dans ces circonstances, l'histoire lève les masques. 

Par rapport à ce premier ensemble de considérations, l'utilité de la démarche anthropologique commence à se préciser. Cette dernière aide non seulement à une saisie globale qui restitue leur complexité aux rapports entre infrastructures et superstructures, entre réalité sociale et formes de la conscience, mais aussi à une meilleure interprétation des situations révélatrices (par le moyen de l'analyse situationnelle) et des transitions (par les instruments façonnés à l'occasion de l'étude des sociétés « traditionnelles » en changement). Et cela, en dehors du fait déjà mentionné que l'anthropologie se construit de plus en plus comme une sociologie qualitative. Ce qui lui a donné une compétence supérieure pour traiter des transformations relevant de l'ordre de la qualité - celui où se constituent et se modifient les rapports sociaux fondamentaux. 

Un second ensemble de données est composé par ce que j'appellerai la multiplication des alternatives. Cette dernière résulte de processus internes : les générateurs de changement, qu'ils relèvent du domaine technique, scientifique, organisationnel ou culturel, deviennent de plus en plus opérants ; par l'effet des transformations cumulées, l'ordre social paraît et est à la fois plus problématique et plus « ouvert » ; la nécessité du choix entre les avenirs possibles et l'obligation constante de construire et définir la société (et non de la reproduire purement et simplement) s'imposent de manière plus contraignante. Parallèlement, les processus externes jouent un rôle d'importance croissante. Pour la première fois dans l'histoire, les diverses sociétés et cultures sont désormais toutes communicantes, matériellement et intellectuellement - par les échanges, les confrontations politiques et les « images » d'elles-mêmes qu'elles se renvoient respectivement. Il est devenu possible de confronter toutes les expériences humaines, au moins en principe, et les références externes ont une incidence croissante sur les choix fondamentaux effectués (ou subis) par les nations, les groupes sociaux et les individus. C'est au plan international, l'équivalent du phénomène observé par les anthropologues dans leurs récentes études d'acculturation portant sur les sociétés de petites dimensions : les relations à l'entourage, la « dynamique du dehors », favorisent l'apparition d'alternatives nouvelles [24]. Enfin, il est nécessaire d'évoquer les conséquences d'une information généralisée et rapide par les media ; l'événement qui envahit la vie quotidienne, les informations relatives aux expériences en cours dans les divers pays, en même temps qu'ils contribuent à l'émergence de solidarités nouvelles, élargissent le champ des alternatives. La comparaison s'impose en quelque sorte d'elle-même et devient une force de transformation - y compris la transformation des projets révolutionnaires. À ce niveau, l'intervention de l'anthropologie, qui est une sociologie comparative tout autant qu'une sociologie qualitative, se trouve scientifiquement fondée. 

Mais il est des domaines plus particuliers, des secteurs de la modernité propres aux sociétés dites avancées, où cette justification apparaît presque comme une évidence. Ils sont le « terrain » ouvert à une première attaque anthropologique des problèmes de la modernité :

 

1) Le rapport nature-culture.

 

Comme durant toutes les périodes de remise en cause globale, cette relation est soumise à une critique qui engendre une philosophie de la nature différente. Les thèmes, les mouvements, les initiatives politiques qui, aux États-Unis notamment, concernent l'environnement et la pollution révèlent sur quelles bases celle-ci se constitue. La bataille pour l'écologie, le rejet d'un milieu dénaturé par une croissance techno-économique exacerbée, les tentatives de retour à des formes plus simples et/ou plus naturelles de l'existence deviennent les composants très actifs de la contestation pratique d'un certain type d'ordre industriel. Ce dernier est existentiellement éprouvé comme un désordre mettant en danger de mort, et la revendication pour « la qualité de la vie »s'oppose à la fuite en avant dans la production. Une idéologie anti-industrialiste s'élabore, figure inversée de l'optimisme industrialiste dominant au cours du XIXe siècle. 

Les modifications du rapport nature-culture doivent aussi être appréhendées sous un autre aspect. Il faut considérer celles qui affectent les relations fondamentales ou primaires résultant du traitement culturel des données de nature - sexe, union homme-femme, âge. Les constituants primordiaux de toute société deviennent les supports d'une contestation et d'une expérimentation qui peuvent être dites radicales, en ce sens qu'elles portent sur les « racines » mêmes de toute existence sociale. Les animatrices des mouvements féministes ne revendiquent pas seulement les moyens d'une « gestion » plus volontaire de la nature de la femme, mais aussi une nouvelle définition des rapports entre hommes et femmes et de la cellule familiale résultant de leur union. Elles refusent le « sexisme mâle » entretenu au long des siècles. Pour elles, l'histoire sociale n'est pas d'abord celle de l'exploitation de l'homme par l'homme, mais celle de l'exploitation de la femme par l'homme. Les relations entre groupes ou couches d'âge, n'échappent pas davantage aux turbulences actuelles, génératrices de transformation. Des coupures se sont créées, dont la plus apparente est celle qui se manifeste par la formation d'une « culture des jeunes » - la youth culture -, objet d'études nombreuses aux États-Unis, qui comporte un rejet de l'ordre « établi ». Mais il y a plus à voir. Les rapports estimés naturels entre générations antécédentes et générations suivantes ont été bouleversés. Les premières ont perdu une large part de leur capacité d'information et de formation, de leur autorité. Elles sont marquées par le passé et effectuent leurs évaluations en termes de continuité, alors que leurs descendants se situent dans le temps des changements incessants et expriment leurs évaluations en termes d'à-venir. Ceux-ci n'acceptent pas d'appartenir, selon une formule rapportée par M. Mead, à « une génération de la répétition » [25]. 

Cet ensemble de phénomènes met en présence d'une critique radicale qui ne s'attaque plus seulement au mode de production capitaliste ; et qui, du même mouvement, transforme la conception de l'entreprise révolutionnaire. Dans cette perspective, Marx et Freud se trouvent partiellement récusés : l'un pour son industrialisme (sinon son socialisme), l'autre pour son « sexisme » (sinon sa démystification de la conscience).

 

2) Les essais de repersonnalisation du rapport social.

 

Dans la société industrielle avancée (ou postindustrielle ou technétronique - c'est une affaire de conventions) opèrent des tendances contradictoires. D'une part, les communications réduisent les isolements dus à la distance, les media confèrent à l'événement une sorte d'ubiquité, et ces moyens conjoints assurent une connaissance directe des « autres ». Mais d'autre part, le développement des sociétés de masse et des vastes agglomérations qui sont d'une certaine façon des anti-communautés, celui des larges organisations complexes où la fonction occulte la personne, contribuent à la solitude individuelle (thème présenté par D. Riesman comme celui de la « foule solitaire ») et à l'uniformisation des individus. La modernité actuelle apparaît à ses critiques comme celle d'une société sans style(s). Les réactions qu'elle provoque sont à la fois orientées « contre l'in-différence » [26] et la sous-personnalisation (si l'on me permet la formule), et contre les coupures tracées entre les personnes. 

À des degrés divers, la recherche de nouvelles formes d'identité, la diffusion des nouveaux styles par les cultures alternatives, l'expérimentation tentant de créer des unités sociales « chaudes », la multiplication des modes d'engagement personnel sont des essais de réponse à cette situation. Les signes ne trompent pas et ils sont nombreux. Par exemple : la rencontre de l'« autre » organisée dans des groupes visant cette fin (encounter groups) essaie de remédier aux conséquences de la solitude urbaine ; la connaissance participante, celle qui s'acquiert par la pratique et/ou l'activisme social, est valorisée par rapport à celle qui s'acquiert en des lieux spécialisés, séparés, et qui isole ; les « communes », qui se veulent communautés véritables, les groupes qui se constituent à l'image des sectes ont d'abord pour première fonction de donner une identité et d'assurer une insertion. Tous ces phénomènes manifestent l'exigence de reconstruction de rapports sociaux directs, personnalisés ; de ces relations qui sont justement une des caractéristiques du domaine anthropologique.

 

3) Les essais de restitution du sens.

 

Les « technétroniciens » eux-mêmes ne peuvent éviter de poser le problème du sens de la « société technétronique » ; assez naïvement, ils croient que le philosophe peut apporter la solution et ils le convient à être parmi eux un spécialiste parmi d'autres [27]. Je ne m'attacherai pas ici aux raisons de la perte du sens, mais à certaines des réponses à ce défi inéluctable. Toutes ont pour caractéristique commune de proposer une définition du rapport social par l'idéologie, les symboles et les langages, les rituels ; par ce que j'ai qualifié comme « création personnalisante ou culturelle ». Une fois encore, l'anthropologie peut se trouver là en terrain de connaissance. 

L'expression la plus volontaire, et la plus minoritaire, de ces réponses, est constituée par la « culture d'avant-garde » - si l'on admet cette formulation imprécise. R. Poggioli a tenté de lui donner plus de rigueur. Il considère cette culture en fonction de quatre caractères dominants ; elle est « activiste » (associant la joie à l'action), « antago­niste » (exaltant le fait d'être « contre »), « nihiliste » (détruisant toutes les barrières) et « agonistique » (engendrant sa propre destruction). Et Poggioli ajoute : l'avant-garde recherche « la solidarité au sein de la communauté des rebelles et des libertaires » ; « elle s'efforce de transformer la catastrophe en miracle » - on pourrait presque dire, le non-sens en sens [28]. 

La réponse la plus globale est recherchée par les entreprises révolutionnaires ou/et utopiques qui visent à réactualiser le temps des commencements, ou de « la véritable jeunesse du monde » selon la formule de Rousseau. La modernité ne trouve lors son sens que dans le changement radical, dans l'adhésion a un projet de re-façonnage total de la société où le politique se fait croyance. Le mouvement, par lequel le projet tente de se réaliser, devient générateur de dogmes et critique de la « tolérance pure » [29]. Il se charge pour une part de ce dynamisme que constitue le « religieux » présent à l'état diffus dans les sociétés modernes dites avancées. 

Ce dernier point appelle l'attention, il renvoie à un important ensemble de données. Dans la mesure même où la « crise » moderne affecte toutes les institutions, elle touche aussi les Églises, et non seulement les croyants. Le « religieux » tend ainsi à ne plus être principalement investi dans les organisations qui ont la charge de sa gestion ; il leur échappe et reste en quelque sorte diffus ou « sauvage ». Il redevient en partie disponible pour de nouvelles définitions ; et ces définitions doivent être formulées, car le niveau religieux - si l'on donne à ce qualificatif l'acception la plus large - est celui du sens où s'organisent certaines des forces qui contribuent à la cohésion du système social et à l'adhésion des individus. Les batailles conduites sur le terrain de la modernité, pour la justifier, la façonner ou la nier, ont nécessairement des implications religieuses. La vie quotidienne redevient plus perméable au sacré : les nouveaux langages « théologiques » se créent (souvent par syncrétisme) et se diffusent, les manifestations rituelles se multiplient dans le cadre des expérimentations sociales et culturelles et le théâtre ritualisé (comme l'Open Theater de New York) descend dans la rue [30], les « communes » américaines retrouvent souvent l'exigence spirituelle des premières expériences communautaires dont elles sont les héritières, les religions alternatives ou de remplacement se répandent. Il est possible de considérer ces faits comme des essais de sacralisation des entreprises de re-façonnage de la société moderne. Sous leurs formes les plus « contestantes », elles conservent les mêmes caractéristiques. Les contre-cultures mobilisent le sacré et les leaders de la contestation font figure de Maîtres ou de Gourous, les religions d'importation contribuent à exprimer au plus haut niveau le refus de l'ordre industriel, le religieux « élémentaire »(la magie et la sorcellerie) et le recours à l'« occulte » [31] servent à contrecarrer les cultures officielles, le retour offensif du « satanique » avec son organisation cultuelle propre aux États-Unis [32] s'associe à l'intention de détruire les structures existantes, à la réapparition du « rebelle achevé » [33]. 

L'ensemble des considérations précédentes ne constitue qu'un premier repérage, traçant un domaine où l'intervention de l'anthropologie apporterait une contribution décisive àl'interprétation de la modernité, telle qu'elle s'exprime dans les formes, les crises, les problèmes actuels des sociétés dites avancées. Parallèlement aux recherches de même orientation qu'elle poursuivrait dans les sociétés qui relèvent traditionnellement de sa compétence et qui lui permettraient de donner une assise large (véritablement « anthropologique ») à l'étude des modernités. Les problèmes recensés sont ceux de notre vécu immédiat et ils s'imposent avec une vigueur qu'évoque la formule : « le choc du futur » [34] ; parce qu'ils sont pratiques à un haut degré (et parfois définis en termes de survie), ils posent inéluctablement des questions de théorie et de méthode pour lesquelles nous sommes intellectuellement sous-préparés. L'exigence est reconnue. Z. Brzezinski, annonciateur de l'« ère technétronique », envisage les nouveaux rapports propres à celle-ci et affirme : « L'homme doit encore en découvrir une définition théorique et, par là même, se les rendre compréhensibles à lui-même » [35]. Mais il y a loin de l'exigence à la réponse. Celle-ci ne peut résulter que d'une orientation radicalement différente des sciences sociales [36]. C'est maintenant que doit se vérifier l'assertion philosophique de G. Bachelard : seul le présent peut provoquer le rajeunissement de la pensée - un présent qui n'exclut pas le futur dès l'instant où l'on reconnaît que le changement est l'irruption de ce dernier en son sein [37].


[1] Franz BOAS, Anthropology and modern Life, New York, 1928.

[2] Margaret MEAD, Culture and commitment, a study of the generation gap, New York, 1970.

[3] Lors de la dernière réunion de l'Association des Anthropologues américains à San Diego (1970), une section spéciale traitait de ces problèmes.

[4] R. BASTIDE, Anthropologie appliquée, chap. XII, Paris, 1971.

[5] Voir G. BALANDIER, Sens et puissance. Les dynamiques sociales, Paris, 1971.

[6] Citons celle de J. BRODE, The process of modernization, an annotated bibliography of socio-economic development, Cambridge (Mass.), 1967.

[7] C.E. BLACK, The Dynamics of modernization, a study in comparative history, New York, 1966.

[8] S. EISENSTADT, Modernization : protest and change, Englewood Cliffs, 1967.

[9] J. NETTL et R. ROBERTSON, International systems and the modernization of societies, Londres, 1968.

[10] J. STEWARD, Contemporary change in traditional societies, 3 vol., Urbana, 1967.

[11] L. RUDOLPH et S. H0EBER RUDOLPH, The modernity of tradition, political development in India, Chicago, 1967.

[12] M. Mac LUHAN, Counterblast, New York, 1969.

[13] M. Mac LUHAN (et al.), Verbi-voco-visual explorations, New York, 1967.

[14] Voir R. NISBET, Social change and History, New York, 1970.

[15] Se reporter à Sens et puissance, Première Partie : « Dynamiques « du dedans » et « du dehors ». »

[16] Mac LUHAN, Understanding media, the extensions of man, New York, 1964.

[17] Z. BRZEZINSKI, La révolution technétronique, Paris, 1971.

[18] Voir Culture and commitment, chapitre intitulé : « The Future ».

[19] Voir Sens et puissance, et notamment le texte repris là sous le titre « Tradition et continuité ».

[20] T. ROSZAK, The making of a counter culture, New York, 1969.

[21] K. KENISTON, Young Radicals : notes on committed youth, New York, 1968.

[22] Z. BRZEZINSKI, op. cit.

[23] C. REICH, The Greening of America, New York, 1970.

[24] Voir G. BALANDIER, Sens et puissance, Première Partie et Conclusion.

[25] Margaret MEAD, op. cit., chapitre consacré aux « cultures préfiguratives ».

[26] Selon l'expression de Henri LEFEBVRE, Le manifeste différentialiste, Paris, 1970.

[27] Ainsi, Z. BRZEZINSKI dans l'ouvrage déjà cité.

[28] R. POGGIOLI, The theory of the Avant-garde, Cambridge (Mass.), 1968.

[29] Exemple d'expression théorique de cette critique : R. WOLFF, B. MOORE et H. MARCUSE, A critique of pure tolerance, Boston, 1965.

[30] Quant à ce premier ensemble de phénomènes, je signalerai l'importante communication de B. NELSON à la douzième réunion annuelle de l'American Society for the Study of Religion : Re-Presentations of the Sacred in our « Times », et les stimulantes contributions d'E. GOFFMAN à l'étude du rituel.

[31] E.A. TIRYAKIAN consacre ses recherches actuelles à l'élaboration d'une « sociologie de l'occulte ».

[32] Description sommaire de cette organisation dans le magazine Newsweek, August 16, 1971 (article intitulé : Evil, anyone ?).

[33] Voir H. MURRAY, The Personnality and Career of Satan, in Journal of Social Issues, 18, oct. 1962.

[34] Alvin TOFFLER, Future Shock, New York, 1970.

[35] Op. cit., Première Partie : « Le choc de l'ère technétronique. »

[36] Voir mon ouvrage Sens et puissance, Première Partie et Conclusion.

[37] Ces « réflexions » n'expriment que le premier état d'une recherche conduite en tant que « Visiting research professer » (1970-1971) à Duke University (U.S.A.), grâce àl'aide financière de la Ford Foundation.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 23 mai 2008 15:16
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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