RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Georges BALANDIER, “«Réel social» et nouvelles démarches. Le lien social en question”. Un article publié dans les Cahiers internationaux de sociologie, vol. 86, janvier-juin 1989, pp. 5-13. Paris : Les Presses universitaires de France. [Autorisation formelle de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales accordée par M. Balandier le 28 janvier 2008.]

Georges BALANDIER 

«Réel social» et nouvelles démarches.
Le lien social en question
”. 

Un article publié dans les Cahiers internationaux de sociologie, vol. 86, janvier-juin 1989, pp. 5-13. Paris : Les Presses universitaires de France.
 

Résumé / Summary
 
I.  L'ÉPREUVE, LA DIFFICULTÉ DE SAVOIR
II. LE RÉEL INCERTAIN, L'HOMME INDÉCIS
III.  LES PROCESSUS
IV.  LES RÉPONSES

 

Résumé

 

Le relâchement du lien social est indissociable de la conscience de désordre, du fait que l'homme contemporain apparaît comme un être historique mal identifié. Sont alors considérés les processus qui rendent le réel plus incertain et contribuent à un brouillage de l'identité personnelle. L'homme contemporain n'en reste pas, pour autant, sans réponses : il ne se réduit pas au rôle de spectateur désengagé de tout et de lui-même. 

SUMMARY 

Loosening social links cannot be disassociated from consciousness of disorder, since today's man appears as an ill-identified historical human being. A study is then made of the developments which make reality more uncertain and contribute to creating confusion regarding the personal identity. Today's man does not however remain unanswered ; his role is not limited to being a mere spectator, without any commitment to anything or his own self.

 

I. L'ÉPREUVE,
LA DIFFICULTÉ DE SAVOIR

 

Toutes les sociétés de ce temps sont soumises à l'épreuve des changements cumulés, intensifs ; elles sont toutes assujetties à un mouvement général dont les effets en longue durée restent difficilement prévisibles, dont les effets actuels semblent être des facteurs de désordre autant que des générateurs du nouveau et de l'inédit. Celles qui ont l'initiative de ce mouvement, qui en nourrissent leur puissance et tiennent le grand nombre des autres en dépendance, sont les premières à en subir tous les effets. 

En ces sociétés, lorsqu'un ordre totalitaire n'illusionne pas sur une certaine stabilité, le mouvement se conjugue à l'incertitude. Tout y bouge, tout y devient plus difficilement définissable. C'est donc par cette question de l'identification qu'il convient d'ouvrir le débat. L'examen du vocabulaire (des lexiques) est significatif ; il révèle le foisonnement et l'usure rapide des formules, la quasi-impossibilité de définir le type (ou le mode) de ces sociétés selon les procédés anciens ; leur état présent décourage toute tentative de les systématiser. Certaines des formules portent l'accent sur les nouvelles capacités logico-instrumentales et sur les techniques de l'information et de la communication ; ces sociétés sont alors dites « abstraites » ou techno-programmées, informatiques ou technétroniques, ou médiatiques. D'autres formules mettent en évidence des morphogenèses totales ou brutales : sociétés en mutation, des processus de passage : sociétés en transition, des effacements et des déconstructions : sociétés éclatées ou sociétés de l'« ère du vide ». D'autres formules, enfin, désignent des sociétés problématiques (voire « malades »), dépourvues de repères, de codes, de valeurs suffisamment clairs et durables, des sociétés du retrait individuel, du narcissisme, ou de la régression -jusqu'au point d'annoncer l'avènement d'une sorte de « barbarie » fardée. 

Toutes ces formules, qui ne sont qu'une partie de l'inventaire lexical possible, traduisent ce qu'un langage plus commun exprime pour une part en qualifiant les sociétés actuelles de « molles, floues, fluides ». Ce qui est une façon de désigner l'empire du mouvement auquel elles sont astreintes, et de manifester le déficit d'interprétation dont elles souffrent. Et que le discours des théoriciens de la post-modernité entretient plutôt qu'il ne le comble. Il fait apparaître une sorte de chantier de déconstruction où se trouvent mis en pièces la hiérarchie des connaissances et des valeurs, les systèmes de signification, les paradigmes et les modèles ; dans ces décombres, il n'y aurait plus à saisir une logique d'ensemble, mais seulement des « micrologies » et, en conséquence, des petits univers sociaux et culturels faiblement liés. Ce qui produit des effets de « reliance » s'affaiblit. 

La conscience de désordre en est activée ; ce qui semblait relever du désordre, voilà encore une vingtaine d'années, tend progressivement à s'imposer comme un nouvel état des choses -le mot est l'un des plus commodément employés, le thème oriente l'activité créatrice en bien des domaines. L'incertitude est d'autant plus forte que le savoir scientifique se trouve dans le même temps profondément transformé. Les sciences dites dures n'ont plus l'ambition de parvenir à une conception du monde totalement explicative ; elles n'ont plus l'obsession de ['harmonie ; elles affrontent une réalité aux frontières imprécises ou mouvantes ; elles étudient le « jeu des possibles », elles explorent le complexe, l'imprévisible, l'inédit. Leurs théories sont maintenant moins globales (unifiantes) que locales, plus rapidement révocables. Les sciences de la société et de la culture sont, elles aussi, emportées par une même tendance. Elles interrogent leur mode de connaissance, elles sont moins déterministes ; elles renoncent progressivement aux grands systèmes explicatifs afin de mieux fonder un savoir plus localisé, plus partiel ; elles retrouvent l'acteur social en accordant moins d'importance aux effets de la structure et de l'organisation. Mais l'essentiel réside dans une autre représentation de la société ; celle-ci ne peut plus être vue comme un vaste ensemble construit, déjà « fait », unifié et reproductible, et ainsi capable d'une contrainte multiforme et omniprésente. La société se conçoit davantage dans le mouvement d'une production continue, jamais achevée, toujours à reprendre ; cette création permanente et incertaine implique de redonner toute sa place et sa responsabilité à l'acteur individuel ou collectif. 

Des sociétés en mouvement, des savoirs qui le sont également ont pour conséquence un autre régime de la connaissance. La pensée actuelle tend à devenir ravageuse des constructions de la raison positive tout autant que des produits de la raison dialectique. Elle prend des formes déconcertantes en proposant une « théorie anarchiste de la connaissance » ou un « empirisme libertaire », en acceptant d'être moins rigoureusement soumise à l'épreuve de la vérité et de se borner à être une « pensée faible ». Plus généralement, ce qui est affirmé - et notamment par les théoriciens de l'auto-organisation du social -, c'est la nécessité de renoncer à la pensée héritée, de changer de logique, de produire un nouvel outillage intellectuel. Ces demandes se formulent parce que l'homme contemporain reste un être historique encore mal identifié, face à un réel mouvant et, pour certains, dégradé jusqu'à l'état de pseudo-réel, de simulation ou de simulacre.

 

II. LE RÉEL INCERTAIN,
L'HOMME INDÉCIS

 

Le chambardement des paysages sociaux et culturels, des repères, des savoirs et savoir-faire, ainsi que des dispositifs qui règlent la relation de l'individu à ses environnements et au social, tout cela contribue à l'émergence et au renforcement de l'incertitude. Il n'est pas possible - ou tout simplement sensé - de présenter un tableau général du réel tel qu'il est donné à voir en ce temps ; il n'y a plus guère d'évidences. C'est le mouvement qui reste la principale de celles qui s'imposent encore à la conscience contemporaine. Le réel s'appréhende surtout sous un aspect cinétique ; si bien que penser ce temps et penser en ce temps, c'est nécessairement penser le mouvement, alors que les disciplines scientifiques ne sont pas toutes préparées à affronter cette contrainte dynamiste. Changer d'attitude, c'est d'abord renoncer à faire du temps une dimension oubliée et de l'événement un intrus. 

La considération des temporalités est l'une de celles qui importent le plus aujourd'hui ; la capacité d'appréhension des figures changeantes du réel en dépend. L'expérience humaine se trouve radicalement atteinte dans sa relation actuelle au temps, au point d'en être parfois désorientée et de ne plus saisir qu'un temps sans continuité qui ne se manifeste que dans la dispersion. La représentation unifiée du temps, qui a prévalu jusqu'en ce siècle, ne tient plus. Deux des systèmes par lesquels se reconnaissaient des régularités, des cycles, de la continuité, n'assurent plus pleinement cette fonction. D'une part, le temps « naturel » n'est plus le matériau principal à partir duquel les hommes définissent et gèrent leurs temporalités ; le milieu urbain-technique-médiatique - véritable seconde nature, dominante - donne d'autres repères, multiples et fluctuants. D'autre part, la science n'apporte plus la certitude d'un ordre du monde associé au temps des régularités ; elle a dépouillé les notions de stabilité et de régulation de leur pouvoir rassurant ; le temps dont elle tient compte ne suit plus des chemins bien apparents et droits. 

De façon plus immédiatement identifiable, les systèmes hommes-machines et les systèmes hommes-images subvertissent la relation aux temporalités. Avec l'informatisation s'imposent les immédias, un temps qui ne se déroule plus, qui n'est plus séquentiel ou chronologique, mais un temps de l'instant bref où s'accomplit un grand nombre d'opérations. Avec la prolifération des images et des messages transmis par les médias, c'est l'expérience conjointe du temps et de l'espace qui se trouve affectée. La rapidité de la transmission rend tout proche : c'est la « proximité médiatique » ; et cette rapidité entraîne évidemment une contraction du temps : l'événement est au même moment perçu par ceux qui le vivent et par ceux - nombreux - qui le « reçoivent ». Si bien que la société de la communication a pu être définie comme « potentiellement sans distance et simultanée ». Plus généralement, le vécu individuel impose un éclatement des temps sociaux. L'époque est de moins en moins propice à une représentation unilinéaire du parcours de vie, à une gestion du temps qui s'accorde la durée. Rien n'est acquis sûrement, ni le savoir et la compétence, ni l'emploi et la période d'activité, ni les supports social et affectif qui donnent une assise à l'existence privée. L'homme contemporain ne se découvre plus établi à l'intérieur de relations fortes et durables. Le changement, le mouvant, la précarité lui deviennent plus familiers. La nouveauté, l'éphémère, la succession rapide des informations, des modèles de comportement, la nécessité d'effectuer de fréquentes adaptations lui laissent l'impression de vivre seulement au présent. La gestion d'une existence tend à devenir celle de ses moments successifs. 

Face à un réel incertain, la figure de l'homme se fait plus confuse. Il se découvre partiellement dépaysé dans un monde dont l'ordre, l'unité et le sens lui paraissent brouillés. En présence d'une réalité fluctuante et fragmentée, il s'interroge sur sa propre identité, sur sa propre réalité. Et ce, alors qu'il se trouve sans définition mythique, métaphysique, positive ou culturelle largement partagée.

 

III. LES PROCESSUS

 

Ce qui importe, dans un premier temps, c'est le repérage des processus qui font de l'homme contemporain un être historique encore mal identifié - indécis et « précaire ». Des processus qui bouleversent ou brisent ce qui lui a fait relation en plus ou moins longue durée. Sans pouvoir ici en établir l'inventaire, il est utile de signaler les plus importants d'entre eux. 

a / La relation ambiguë à l'environnement et la relation de l'homme à sa propre nature. La première de ces deux relations est bien identifiée, en ce qu'elle associe d'effets néfastes et de moyens toujours accrus, depuis le temps où l'homme s'est désaccordé d'avec la nature afin de se l'approprier et de la dominer. La seconde relation fait apparaître des incertitudes plus récentes, et des risques encore plus redoutables. C'est le cas avec les interventions résultant des avancées et des applications de la biologie. Le génie génétique permet, peut-on dire, d'introduire du social, de la culture, jusque dans l'intimité cellulaire. L'homme commençait à se savoir programmable, il se découvre maintenant fabricable sur commande. Un ordre Insidieux peut le façonner ou l'interroger dans ce qui est sa condition biologique. Déjà, la définition génétique de l'individu - avec la carte génétique - peut doubler l'identification bureaucratique ; la bio-éthique dresse avec difficultés des barrières protectrices. Déjà, la procréation est affectée par le nouveau savoir et ses artifices. C'est l'avènement de la nativité technicisée, avec les dissociations qu'elle entraîne dans ce qui a défini en longue durée la sexualité socialisée, la reproduction humaine et l'assise de la parenté, avec le risque d'une eugénique se pervertissant par dérives successives. 

b / La fragmentation, par multiplication et redéfinition incessantes des compétences el des tâches et par foisonnement des informations. Les systèmes n'ont plus en vue un homme global - comme c'était le cas dans les sociétés de la tradition - mais des secteurs considérés séparément, comme si l'homme se trouvait en état de dispersion. Le système médical le « décompose » ; il le traite selon les spécialités et se prête de moins en moins à une évaluation généraliste de la condition physique et morale. 

Le système productif est devenu un générateur de segmentation à l'inverse de ce qui résultait des anciens métiers. Il décompose les tâches, automatise, substitue des opérations enchaînées et réparties de manière sérielle au savoir-faire global. Il précarise les compétences en raison de l'obsolescence. Il rompt l'unité de la vie active en imposant des changements d'emploi, des « reconversions » et, souvent, la cassure de l'activité par le fait du chômage. Cependant que le système marchand entretient la multiplication et la dispersion des désirs. 

Le système de la communication et de l'information agit dans le même sens. Il impose la profusion des événements, des messages, des images. Il donne du monde et de l'homme une vision kaléidoscopique, éclatée et mouvante. 

c / L'affaiblissement des relations personnelles directes, à forte capacité de liaison. Il résulte d'abord des effets de nombre. Ceux-ci entraînent une fausse proximité avec les phénomènes de masse, et une uniformisation relative par l'incidence de la consommation de masse des choses, des signes, des images, et des modèles proposés à l'imitation. L'individu se perd sous l'effet du nombre, cependant que le traitement numérique le réduit à l'existence statistique pour constituer un effectif, - un marché, un public, un électorat ou tout simplement un échantillon de sondage. 

Plus décisif, encore, est le recul des relations peu instrumentalisées. Les dispositifs s'interposent de plus en plus dans l'établissement des relations entre les personnes ; la machine s'introduit même - comme on l'a dit à propos de l'ordinateur - dans un rapport « conversa­tionnel », elle peut ainsi devenir partenaire. Co-acteur dans le travail, dans la création, dans les activités ludiques et les jeux de rôle. Tout le système des télé-relations a déjà transformé le domaine du privé ; celui-ci tend à être un lieu à partir duquel un nombre croissant de rapports avec le dehors s'établissent instrumentalement : il apparaît ainsi une façon de vivre ensemble séparément. 

d / À un niveau supérieur, enfin, se constate le déforcement des systèmes de totalisation, générateurs de relations englobantes et de sens. Les religions transmises, façonnées par la longue histoire des civilisations, qui expriment et maintiennent une unité du monde et de la personne, sont divisées, désertées ou concurrencées par les multiples métamorphoses contemporaines du sacré. Les savoirs qui procèdent des sciences et des usages techniques ne proposent plus un système d'interprétation et un système d'action unifiants ; ils bougent, se fragmentent, progressent en complexité et en abstraction ; il paraît ainsi impossible de maintenir le projet (encore récent) de constituer une science unifiée. Les idéologies, sortes de reprises par la Raison de l'oeuvre de mise en ordre générale dont le mythe avait la charge dans les sociétés de la tradition, procédés par lesquels de l'unité était conjointement imposée à la nature, au social et à l'histoire, régressent ; ou bien, elles éclatent en petites idéologies précaires, ou bien, elles deviennent « molles » ou opportunistes.

 

IV. LES RÉPONSES

 

Tout bouge et beaucoup de ce qui bouge fait problème. Mais l'homme contemporain ne reste pas sans réponses, il ne s'en tient pas au rôle de spectateur désengagé de tout et de lui-même, ou au rôle de « zombie » post-moderne. L'individu agit à son propre compte, que ce soit par retrait, par défense et ruse ou par initiative. Il tente de retourner à son avantage ce qui peut contribuer à son amoindrissement ; aux anciens rapports sociaux défaits, il substitue les relations de réseaux constitués selon les affinités, et les relations d'association formées selon les intérêts et les solidarités ; aux contraintes des systèmes techniques, il oppose l'emploi modulé ou détourné de ceux-ci, comme on l'observe avec l'informatique personnelle et la télématique. Plus important encore est ce qui se situe sur le plan de l'infra-social, là où l'individu se « refait », où il conduit les tentatives de réappropriation de sa propre personne et les expériences de refaçonnage d'un lien social moins dépendant des circonstances extérieures. Il y a là une socialité qui fonctionne en quelque sorte au régime de l'essai, voire du bricolage ; et un sur-investissement du domaine privé qui a incité les plus optimistes des commentateurs de l'actuel à se faire les annonciateurs d'une nouvelle révolution individualiste. 

De façon moins confinée, la reprise d'initiative s'exprime aussi et prend force. Elle se manifeste notamment par des demandes propres à revigorer les règles et les solidarités. Après une période de desserrement des contraintes, de libération, le désir de la règle retrouve une vigueur. Ainsi, la mobilité des mœurs, notamment dans le domaine de la sexualité et de la vie familiale, tend à se réduire par auto-régulation ; tout en maintenant des acquis obtenus au cours des décennies précédentes. Tout aussi révélateur est le regain de l'exigence morale et la redécouverte de la nécessité du recours à l'éthique [1]. Déjà, les pouvoirs publics doivent dresser des barrières face aux grands risques contemporains : l'informatisation contre les libertés, l'ingénierie génétique contre ce qui définit l'homme en tant qu'espèce. L'éthique, dont la garde est confiée à des commissions spécialisées, devient une affaire d'État. Hors de l'espace politique, surgissent des demandes de nature morale qui ne naissent pas seulement des conjonctures et des opportunismes. Les manifestations étudiantes de la fin de l'année 1986 en France ont été l'occasion d'annoncer l'avènement d'une génération morale. La jeunesse se voit alors exaltée en tant qu'elle retrouve le bonheur de la vertu. 

Un mot revient, et il ne paraît plus aussi désuet, le mot solidarité. Il sert à moraliser le discours politique, à provoquer la générosité ou la charité de masse, à exprimer aussi la recherche encore confuse de nouvelles formes du lien social. Le mot a une longue histoire ; il permet, au moment du rejet des idéologies fortes et de l'ordre par coercition, de légitimer les regroupements et les solidarités à l'essai, leurs compositions et recompositions incessantes. Il fonde une recherche, pragmatique et sans arrogance, qui accorde plus de crédit à la création continue du social qu'aux pratiques de mise en conformité doctrinaire. 

Un temps du mouvement et de la conscience de désordre est, à la fois, celui des grands risques et des grandes possibilités. Le premier des risques résulte du désarroi individuel. La parade se trouve d'abord dans une formation et éducation qui préparent à la compréhension de l'actuel, qui fortifient le désir d'être présent à ce monde-ci. Le deuxième des risques tient à ce que les périodes de grande transformation et d'incertitude sont propices au renforcement du désir d'ordre. La protection, contre la menace de séduction par un ordre trompeur et fatal, consiste en une critique inlassable des mécanismes et des processus de nature totalitaire. La conclusion ultime est claire : il faut apprendre à penser le mouvement, dissiper les craintes qu'il inspire, et, surtout, ne jamais consentir à exploiter la peur confuse qu'il nourrit [2].  

Sorbonne, EHESS.


[1] Les Cahiers consacreront un prochain numéro spécial au renouveau et aux problèmes de l'éthique.

[2] Je suggère que l'on se reporte à mes deux derniers ouvrages : Le détour, pouvoir et modernité, Paris, Fayard, 1985 ; Le désordre, éloge du mouvement, Paris, Fayard, 1988 ; et à leurs bibliographies respectives.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 23 mai 2008 15:09
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref