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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Stéphane Baillargeon, “LA RÉVOLUTION DES IDÉES. 1. Quelles idées dominent les sciences sociales ? 2. Les idées en ébullition. 3. Les idées en déclin.” Un dossier publié dans le journal Le Devoir, Montréal, édition du samedi 26 mai 2018, pages B1 à B3. — “Perspectives”. [Texte diffusé dans Les Classiques des sciences sociales avec l'autorisation de l'auteur accordée avec enthousiasme le 26 mai 2018.]

[B1]

Stéphane Baillargeon
Journaliste, Le Devoir

LA RÉVOLUTION DES IDÉES.”

In Le DEVOIR, Montréal, édition du samedi 26 mai 2018, pp. B1 à B3 — Dossier “Perspectives”.

1. Quelles idées dominent les sciences sociales ? [B1]

2. Les idées en ébullition. [B2]

3. Les idées en déclin. [B3]

1. Quelles idées dominent
les sciences sociales

Stéphane Baillargeon

Aux courants de pensée ancrés dans des luttes collectives ont succédé des idéologies fondées sur la recherche de l’identité et la protection des minorités. Notamment l’idéologie des identités de genre, ici doublement incarnée par un militant de Black Lives Matter et LGTQ2 lors d’une parade gaie à Toronto.


Humanités numériques, féminismes ou études queer, quels courants dominent maintenant les sciences sociales ? La « French Theory » et la « pensée 68 » forment-elles encore le nouveau magistère intellectuel de notre début du XXIe siècle ? Les départements de sociologie, de philosophie ou de sciences politiques sont-ils immanquablement de gauche ? Petit panorama des grandes idées contemporaines.

Le spectre de Marx hante encore les facultés intellectuelles. Karl Marx est né il y a 200 ans. Son Manifeste du parti communiste a été publié il y a 170 ans. Mai 1968, c’était il y a un demi-siècle et on le sait suffisamment, presque trop maintenant. La guerre froide est bel et bien derrière nous et le rideau de fer s’est relevé.

Jacques Nadeau, Le Devoir. L’UQAM organisait un colloque sur le marxisme à l’occasion des 200 ans de la naissance du détracteur du grand capital.

Pourtant, selon des enquêtes réalisées depuis le début de la décennie, 60% des professeurs des universités américaines se disent « libéraux » ou d’« extrême gauche », et 18% des professeurs de sociologie se définissent carrément comme marxistes, marxiens ou néomarxistes, enfin, quelque chose du genre.

« Les humanités étaient autrefois le bastion du conservatisme et ce n’est plus le cas », résume le professeur de sociologie de l’Université Concordia, Jean-Philippe Warren, citant lui-même ces données en provenance d’une société pourtant réputée néoconservatrice. « Les États-Unis comptent, quoi, 0,001 % de citoyens d’extrême gauche ? Un fossé énorme se creuse entre l’enseignement supérieur et le reste de la société. »

Rien que dans le giron francophone, depuis février, il y a eu au moins six colloques internationaux sur Marx et ses héritages depuis février, bicentenaire oblige. Le plus récent, intitulé « Marx critique du capital et de la société », était organisé cette semaine à l’UQAM.

Le Québec n’est donc pas en reste. « Ici, en philosophie, jusque dans les années 1960, on étudiait le thomisme, poursuit le professeur Warren, spécialiste de l’histoire des idées et des idéologies de son coin du monde.

En littérature, on était branché sur le terroir. En histoire, c’est la doxa nationaliste qui dominait. Aujourd’hui, au contraire, dans la foulée des mutations post-68, les humanités se positionnent à l’avant-garde des idéaux, des idées et des théories les plus subversives qui existent au sein de l’université. C’est là qu’on retrouve les étudiants les plus engagés. Le Printemps érable de 2012 a été fait par les étudiants en sciences sociales. En 50 ans, on est passé d’un extrême à un autre. »

L’éclatement « post »

Pascale Dufour, professeure de science politique à l’Université de Montréal, éclaire cette grande transformation en proposant de renverser la cause et l’effet. Oui, dit-elle, les avatars de la « Pensée 68 » et de la « French Theory » dominent encore les théories sociales, mais précisément parce qu’elles ont été portées par les luttes sociopolitiques sous-jacentes.

« Ce sont les mouvements et l’action qui font avancer la théorie », dit-elle. Elle donne l’exemple du « tournant intersectionnel », cette idée des oppressions multiples et combinées qui pèsent sur les individus genrés ou racisés.

« Cette perspective vient de la pratique. Elle vient des Noires aux États-Unis qui ont dit aux Blanches qu’elles ne vivaient pas les mêmes réalités. Les théoriciennes ont ensuite pensé cette réalité. Je suis donc convaincue que les luttes sociales nous précèdent et fournissent des matériaux invisibles qui, tout d’un coup, deviennent visibles dans la théorie. »

Ce lien de la recherche-action était évident dans le forum pour « préparer la société après le capitalisme », qui a réuni 300 panélistes de 20 pays pendant quatre jours, du 17 au 20 mai, à Montréal. Les thèmes abordés concentraient aussi le postmodernisme au pur sucre, avec des sections sur le féminisme ou le mouvement LGBT.

TASS/AGENCE FRANCE-PRESSE. Fidel Castro et Léonid Brejnev aux beaux jours du communisme

Benoît Coutu, professeur au Département de sociologie de l’UQAM, en était, comme il participait au colloque montréalais sur Marx. Lui-même pointe vers « l’éclatement postmoderne » comme paradigme dominant actuellement dans son secteur.

« Les recherches sont très spécialisées, très ciblées, dit-il. Quand j’étudiais à la fin des années 1990, l’enseignement était donné par des profs post-68 qui avaient navigué dans le marxisme, le structuralisme, la phénoménologie ou l’existentialisme. Maintenant, la production éclatée, multidisciplinaire est beaucoup trop grande pour connaître les commentateurs des commentateurs des commentateurs. C’est exponentiel. »

Culture avant tout

En anglais, les sciences sociales et humaines sont carrément devenues des cultural studies, comme le montrent les divisions des librairies anglophones, tandis que celles en français restent assez fidèles aux vieilles compartimentations disciplinaires (« sciences politiques », « sociologie », « anthropologie », etc.).

« On voit tout sous l’angle de la culture, dit M. Coutu, titulaire d’un cours sur l’histoire des idées sociologiques. On laisse les grandes théories générales et l’idée même d’une société comme totalité. »

En même temps, lui-même demande de « faire attention aux généralités ». Il souligne qu’au Japon, des départements complets de sciences sociales ou humaines sont éliminés. Le Times Higher Education (THE), qui suit les tendances universitaires mondiales, rappelait jeudi de cette semaine une tendance à la désaffection des « humanités » depuis le début de la décennie aux États-Unis.

Les inscriptions se compriment ici aussi. L’an dernier, les études de sciences humaines au cégep ont vu les inscriptions diminuer de 3,6%, et une dizaine de programmes ont été suspendus faute d’élèves en nombre suffisant.

« J’ai enseigné dans trois universités québécoises où elles sont mises à mal. Les départements universitaires sont dans l’opérationnalité, l’utilitaire, la recherche de terrain qui ramène des subventions. D’ailleurs, le cours d’introduction sur Marx vient d’être aboli dans mon département. »

Marc Angenot, grand spécialiste de l’histoire des idées, a vécu la transformation. Il est arrivé au Québec de sa Belgique natale après la chienlit de l’été 1968. Le professeur émérite de l’Université McGill a publié des dizaines de livres sur les pensées, les idéologies, les théories et le débat, y compris en s’intéressant à tout, mais alors tout ce qui a été publié en France un siècle après la révolution, en 1889, des cartes postales aux dictionnaires.

« Le seul avantage d’être un vieux monsieur, c’est qu’on voit les choses qui changent en un demi-siècle, dit-il. L’intellectuel à la française, depuis Zola, était un homme public. Dans la francophonie, la notoriété des grands noms de l’époque comme Sartre, Aron, Michel Foucault ou Pierre Bourdieu dépassait largement les cercles universitaires. Il n’existe plus, ni dans l’anglophonie ni dans la francophonie, d’intellectuels connus du public cultivé. C’est fini. Les sciences humaines se sont donc repliées sur leur campus. »

Les départements ont beau pencher à gauche, le professeur Angenot préfère mettre en évidence la dissociation du savant et du politique. Jusqu’à la fin du XXe siècle, beaucoup d’intellos s’assumaient aussi comme militants, dit-il, en rappelant qu’au Québec, des professeurs, suivant le vieux modèle « à la française », défendaient farouchement certaines causes publiquement, dont la nationale ou la fédérale.

« Dans la société, la droite et la gauche sont malades, le populisme inquiète et les universitaires ne peuvent plus être au service des camps idéologiques, ajoute le professeur Angenot. Leurs options politiques me semblent beaucoup moins évidentes. Les universitaires qu’on interviewe à Radio-Canada sont des experts.

Sami Aoun, de l’Université de Sherbrooke, est un expert du Moyen-Orient. Il a sûrement ses idées à lui, mais il essaie d’être sobre et objectif, et on ne l’interviewe pas à la télévision ou à la radio pour ses prises de position. »

Dossier : La révolution des idées. Théories en stock :
celles en ébullition et celles en déclin
. Pages B2 et B3.

[B2]

THÉORIES EN STOCK

Les intellectuels tentent encore et toujours de comprendre et d’expliquer les grands changements sociaux. D’où viennent les théories dominantes ? Quelles sont-elles ? Quels « ismes » gouvernent les courants de pensée actuels ? Voici un petit panorama des grandes idées qui agitent aujourd’hui les sciences sociales devenues des cultural studies.

XAVIER GALIANA, AGENCE FRANCE-PRESSE. La montée de l’écologisme a entraîné une mutation du regard porté sur les espèces vivantes et les écosystèmes. En Inde, le Gange, fleuve sacré, est depuis 2017 reconnu par la loi comme une entité vivante ayant le même statut qu’une personne morale.


2. Les idées en ébullition

Stéphane Baillargeon

26 mai 2018

French Theory issue de Mai 68

Voilà en fait un des maîtres mots pour comprendre ce qui est à l’œuvre dans les universités occidentales. Dans cette généalogie des idées, des sources allemandes classiques (L’École de Francfort, Heidegger, Nietzsche…) ont influencé des penseurs français (Bourdieu Derrida, Foucault, Lacan, Deleuze, Baudrillard…) qui ont ensuite été réinterprétés à leur tour dans les centres intellectuels des États-Unis, pour finalement percoler à l’échelle planétaire.

Ce vaste courant mondial de la « French Theory » a débuté dans les années 1970 et son influence sur le climat intellectuel se fait encore largement sentir partout.

« Nous ne sommes pas encore sortis de cette influence, dit Pascale Dufour, de l’Université de Montréal. Les théoriciens anglophones ont pratiqué l’appropriation décontextualisée. Ils sont moins pris dans les débats de chapelle que les Français peuvent l’être. »

Le professeur Warren, de l’Université Concordia, donne l’exemple de la progression des influences dans les citations anglophones du philosophe Jacques Derrida. « Il n’est presque pas cité dans les années 1960, commence à percer dans les années 1970, surtout dans les domaines littéraires, et à partir de 1980, c’est l’explosion dans les milieux du cinéma, de la philosophie, de la sociologie, etc. »

Le sociologue Benoît Coutu, de l’UQAM, observe que la French Theory s’intéresse à l’individu, avec son désir, son corps, son discours et l’intertexte. « Les grandes structures explicatives d’autrefois divisaient la société en classes, par exemple. Maintenant, la théorie déconstruit ces catégories pour remonter à l’individu particulier qui veut se réaliser, être reconnu. On est beaucoup dans la performance aussi. On met l’accent sur les marges, les intersections. »

M. Coutu ajoute que des théoriciens plus critiques (comme Luc Boltanski et Ève Chiapello dans Le nouvel esprit du capitalisme ou les documentaires d’Adam Curtis) ont évidemment noté la troublante concordance entre cette pensée et le néolibéralisme qui pousse aussi à la réalisation de soi de l’individu performant et réseauté.

« On a tout détruit, tout déconstruit, et on se retrouve seul, résume le sociologue. Il faudra bien reconstruire du lien social. Il faudra bien se fédérer et s’unir. »

Les savants parlent d’un paradigme pour décrire le discours hégémonique dans un domaine de connaissance. Or, la French Theory, qui se veut en guerre contre les discours hégémoniques, se cache elle-même comme grand récit, explique le professeur Jean-Philippe Warren. « Elle veut déconstruire chacun des grands récits de la société occidentale pour exposer ses oppressions : la science, la religion, la nation, la littérature, etc. C’est une perspective qui explique tout. Et c’est une machine assez efficace pour broyer toute opposition supposée essentialiste en ramenant les problèmes sous la triade “class, gender and race”. »

Humanités numériques et transhumanisme

Les études de l’humain et de la société n’échappent évidemment pas à l’utilisation des outils numériques, mais n’échappent pas non plus à la réflexion sur les transformations que prépare la révolution technologique en cours.

Les humanités numériques décrivent cette application de l’informatique (pour faire court) dans toutes les disciplines et même comme transdiscipline. Les nouveaux outils ont par exemple révolutionné les études de l’Antiquité en facilitant l’accès à tous les manuscrits en grec ancien connus, maintenant numérisés. Les études abondent aussi sur l’importance des réseaux dans la vie sociale contemporaine ou à partir des bases de données dans une foule de domaines.

Le courant transhumaniste, né au tournant du siècle, est aussi extrêmement prolifique. Cette tendance pense les transformations technologiques qui changent et améliorent l’humain dans sa nature même, souvent dans une perspective scientiste et technophile.

Écologisme et panpsychisme

L’idée que notre monde vacille et que nous traversons une crise systémique menaçant la nature et la planète appelant des solutions systémiques se retrouve souvent au coeur de la pensée écologique.

Wikicommons. Le glacier de Gangotri, dans l’Himalaya, jouit depuis 2017 du statut d’entité vivante.


Elle décrit des phénomènes scientifiquement et tire des conclusions normatives de ses constatations. Le capitalisme est souvent décrit comme un facteur central des dérèglements majeurs, sans pour autant être le seul responsable de la catastrophe appréhendée. La sensibilité écologique critique aussi les perspectives anthropocentristes, voire androcentristes, au point de jonction avec le féminisme par exemple.

L’individualisation semble exacerbée dans le monde contemporain. L’accomplissement personnel remplace la socialisation disciplinaire.


Le panpsychisme peut s’arrimer à ce courant qui cherche à repositionner l’humain dans et non contre la nature. Cette théorie de la philosophie de l’esprit affirme que la conscience est une composante fondamentale de la réalité, de la même manière que l’espace et le temps.

Les défenseurs du panpsychisme (comme Galen Strawson) attribuent donc une forme de subjectivité à toute « unité matérielle », les poissons, les lapins ou les humains.

Photo : David Boily Agence France-Presse. Les mouvements animalistes ont entraîné l’interdiction de la chasse à certains mammifères, dont les bébés phoques du Groenland.

Cela ne signifie évidemment pas que les panpsychistes voient le monde d’une manière anthropomorphique, attribuant des émotions et une volonté aux objets.

La conscience attribuée à la matière est simplement vue comme le fait d’avoir un ressenti subjectif, qui peut certainement être très simple et différent du nôtre. Mais que l’on doit comprendre et respecter en tant que tel, au final.

Individualisme, théorie queer

L’individualisation de la société est un long processus. Le philosophe québécois Charles Taylor explore Les sources du moi (1989) sur plusieurs siècles pour mettre en évidence la pluralité des conditionnements et représentations.

Résultat : l’idéal de la réalisation de soi consiste à cultiver son intériorité, à chérir à l’extrême sa liberté tout en ayant le sentiment d’appartenir à la nature.

L’individualisation semble toutefois exacerbée dans le monde contemporain. L’accomplissement personnel remplace la socialisation disciplinaire. Seulement, la passion d’être soi, l’euphorie égocentrique et la liberté débridée se paient en angoisse et en dépression, en solitude et en dépendances. Donner sens à sa vie n’a rien d’une sinécure, résume J. C. Kaufmann dans L’invention de soi. Une théorie de l’identité (2004).

La sociologie de l’individu tente de comprendre comment chacun ou chacune se construit dans le contexte d’appartenances multiples (genre, racialisation, culture…). Le sujet est pensé comme une volonté et une représentation face aux diktats des systèmes d’oppression, le marché, le patriarcat, les classes et les sociétés dominantes.

L’Américaine Judith Butler s’inspire des théories de Michel Foucault pour remettre en question les rapports de pouvoir constitutifs des identités de genre.

Sa théorie queer (« bizarre », « étrange ») s’attaque à la norme hétérosexuelle. Elle dénaturalise les catégories essentielles homme-femme. Elle pense le corps comme un lieu de transgression.

Photo : Wikicommons La théorie et la pratique « queer » déconstruisent la norme hétérosexuelle.

« Il ne faudrait pas concevoir le genre comme une identité stable, dit une de ses célèbres formules. Le genre consiste davantage en une identité tissée avec le temps par des fils ténus, posée dans un espace extérieur par une répétition stylisée. » (Trouble dans le genre, 1990).

Le corps est l’objet de multiples attentions savantes. « On pense les attaques contre le corps comme la victime des microagressions, dit M. Warren. On ne pense plus les oppressions structurelles dans la société. On dit qu’il existe des microagressions partout dans la vie quotidienne pour les individus assiégés par des micropouvoirs. Il y a de l’oppression dans le fait de mettre du mascara le matin, de dire comment marcher à un enfant, de sourciller en entendant un accent… »

Jean-Philippe Warren rappelle du même coup la triade d’or des études sociales actuelles organisées autour des concepts de genre, de classes et de race.

Jusqu’au tournant des années 2000, les études se concentraient souvent autour du problème de l’égalité. Depuis, elles s’intéressent plus à l’ouverture et aux connexions entre les oppressions. Il faut donc dissoudre les traditions et les institutions, s’ouvrir aux autres, aux immigrants, aux minorités, aux marges, et en même temps comprendre les combinaisons des pouvoirs.

« Gender, class and race : ce sont des catégories qui fonctionnent très bien pour étudier les pauvres, les femmes et les différents groupes LGBTQ2 puis les populations racialisées. Mais ce qui compte par-dessus tout, c’est la position à l’intersection de ces situations objectives.

Une femme blanche bourgeoise de New York n’est pas automatiquement une oppresseuse, mais sa bonne philippine est bel et bien opprimée. Les nouvelles théories sont allergiques aux frontières, toutes les frontières politiques et sociales, ça va de soi, mais aussi entre les genres, entre la nature et la culture, l’homme et l’animal, l’humain et les robots, etc. »

Mouvements féministes

Les mouvements féministes contribuent depuis un siècle à changer la société. La première vague réformiste réclamait des droits civiques, dont le droit de vote. La seconde vague, plus radicale, a ramené la lutte dans le quotidien et l’intime en affirmant que le privé est politique.

C’est l’époque des luttes pour le droit à l’avortement ou le divorce par consentement, par exemple. Les ministères de la Condition féminine naissent alors, y compris au Québec. La troisième vague, en développement depuis au moins deux décennies, se veut plus ouverte à la diversité des expériences des femmes et aux diverses formes d’oppression.

« Les études féministes se sont toujours développées en liant l’action politique et la réflexion, dit la professeure de science politique Pascale Dufour, de l’UdeM. Pour une raison très simple : les femmes n’étaient pas dans les universités. Comme elles étaient à l’extérieur du système politique. La lutte sociale a donc amené les perspectives théoriques à l’intérieur des institutions. »

Pour elle, il n’y a pas un, mais des féminismes. « Il faut tout mettre au pluriel. Les théories féministes débattent entre elles. »

Photo : Michaël Monnier Le Devoir. Le féminisme se conjugue aujourd’hui au pluriel. Divers courants peuvent s’opposer sur certains principes, dont la laïcité.

Elles se rassemblent tout de même autour d’une idée, selon la professeure Dufour, qui cite sa collègue Diane Lamoureux : « Le féminisme est un projet politique d’égalité. Des féministes plus libérales peuvent miser sur l’égalité formelle, dans les lois. D’autres visent une égalité totale, dans une perspective révolutionnaire. »

Les études féministes gonflent. Mme Dufour dirige la mineure du secteur. Un programme de deuxième cycle est en préparation dans son université.

Mieux encore, le Réseau québécois en études féministes (RéQEF), soutenu par les fonds de recherche, rassemble quelque 80 professeures, des militantes et des représentantes de groupes de pression, une particularité unique au monde.

« Le féminisme est la seule idéologie qui fonctionne, dit Marc Angenot. Les autres idéologies totales sont tombées très malades depuis la chute du mur de Berlin. Il y a en fait plusieurs féminismes, et les féministes peuvent avoir des positions contradictoires, sur le port du voile par exemple. C’est riche pour le débat médiatique. »

[B3]


3. Les idées en déclin

Stéphane Baillargeon

26 mai 2018


Nationalisme et socialisme

Les idées vivent et meurent aussi dans le champ intellectuel. « En France, le socialisme et le gaullisme se sont effondrés rapidement », note le professeur Marc Angenot, historien des idées, en ajoutant que les sociétés, au contraire des théories évolutives, ne vivent pas de fatalité. « Il ne reste que le néolibéralisme, qui semble plutôt une gestion technologique d’une société qui ne sait pas où elle va. »

Le Québec francophone a longtemps cru marcher vers sa libération nationale et les intellos ont accompagné et théorisé cette option en remplissant des bibliothèques entières.

« Le nationalisme s’est effondré au Québec, dit le professeur Angenot. Il était pourtant parti pour longtemps. L’explication générationnelle, dire que c’était un truc de baby-boomers et qu’il y avait une date de péremption, comme sur les pots de confiture, ça dit quelque chose, mais ça ne dit pas grand-chose. »

Marc Angenot, historien des idées à l’Université McGill.


Photo : Jacques Nadeau Le Devoir Le nationalisme québécois était un mouvement à son apogée lors du référendum de 1995.

« Le nationalisme s’est effondré au Québec, dit le professeur Angenot. Il était pourtant parti pour longtemps. L’explication générationnelle, dire que c’était un truc de baby-boomers et qu’il y avait une date de péremption, comme sur les pots de confiture, ça dit quelque chose, mais ça ne dit pas grand-chose.

« Que les idées émergent, se développent et disparaissent, c’est un constat, pas une explication. Il y a pourtant des idées zombies qui ne meurent pas, celle de l’Apocalypse par exemple. »

Postmodernisme

Avons-nous basculé dans une société différente de la modernité ? L’idée de la rupture née dans les théories littéraires des années 1960 est conceptualisée en architecture au début des années 1970, puis en « théorie du savoir » dans une synthèse préparée par le philosophe français Jean-François Lyotard (décédé il y a tout juste 30 ans, en avril 1998) à la demande du Conseil des universités du Québec.

Les savoirs éclatent et le temps des « grands récits » de la modernité est terminé, dit le texte Les problèmes du savoir dans les sociétés industrielles les plus développées, qui sera republié sous le titre La condition postmoderne. Lyotard affirme que la mort des explications englobantes de la société moderne (comme celle du marxisme) délégitimées par l’histoire (le goulag) transforme le savoir en une « marchandise informationnelle ».

Le concept a fait fortune dans les universités anglophones. Au tournant du siècle, 20% des auteurs des principales revues de sociologie de Grande-Bretagne se réclamaient du postmodernisme.

Ici, le sociologue Michel Freitag (1935-2009) et ses émules incarnent une pensée critique de la société postmoderne maintenant concentrée dans le Collectif Société, qui organisait le colloque sur la pensée de Marx cette semaine à l’UQAM.

En théorie sociale, les « ismes » structurent la pensée. « Tous les machins qui avaient une sorte de drapeau, comme le structuralisme, le fonctionnalisme ou le postmarxisme, se sont dégonflés comme des baudruches », dit Marc Angenot, historien des idées de McGill. « Ils ne sont pas remplacés dans la mesure où, dans la vie intellectuelle, les nouveaux “ismes” ne forment pas un tout cohérent. »

Mouvements féministes

Les mouvements féministes contribuent depuis un siècle à changer la société. La première vague réformiste réclamait des droits civiques, dont le droit de vote. La seconde vague, plus radicale, a ramené la lutte dans le quotidien et l’intime en affirmant que le privé est politique.

C’est l’époque des luttes pour le droit à l’avortement ou le divorce par consentement, par exemple. Les ministères de la Condition féminine naissent alors, y compris au Québec. La troisième vague, en développement depuis au moins deux décennies, se veut plus ouverte à la diversité des expériences des femmes et aux diverses formes d’oppression.

Les études

« Les études féministes se sont toujours développées en liant l’action politique et la réflexion, dit la professeure de science politique Pascale Dufour, de l’UdeM. Pour une raison très simple : les femmes n’étaient pas dans les universités. Comme elles étaient à l’extérieur du système politique. La lutte sociale a donc amené les perspectives théoriques à l’intérieur des institutions. »

Pour elle, il n’y a pas un, mais des féminismes. « Il faut tout mettre au pluriel. Les théories féministes débattent entre elles. »

Elles se rassemblent tout de même autour d’une idée, selon la professeure Dufour, qui cite sa collègue Diane Lamoureux : « Le féminisme est un projet politique d’égalité.

Des féministes plus libérales peuvent miser sur l’égalité formelle, dans les lois. D’autres visent une égalité totale, dans une perspective révolutionnaire.

Les études féministes gonflent. Mme Dufour dirige la mineure du secteur. Un programme de deuxième cycle est en préparation dans son université.

Unique au monde

Mieux encore, le Réseau québécois en études féministes (RéQEF), soutenu par les fonds de recherche, rassemble quel que 80 professeures, des militantes et des représentantes de groupes de pression, une particularité unique au monde.

« Le féminisme est la seule idéologie qui fonctionne, dit Marc Angenot. Les autres idéologies totales sont tombées très malades depuis la chute du mur de Berlin. Il y a en fait plusieurs féminismes, et les féministes peuvent avoir des positions contradictoires, sur le port du voile par exemple. C’est riche pour le débat médiatique. »



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 29 mai 2018 6:27
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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