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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Divorce et nouvelle monoparentalité ”. (1994)
Introduction


Une édition numérique réalisée à partir du texte de madame Renée B.-Dandurand, anthropologue, chercheure, INRS urbanisation-culture-société, “ Divorce et nouvelle monoparentalité ”. Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Fernand Dumond, Simon Langlois et Yves Martin, Traité des problèmes sociaux. Chapitre 26 (pp. 519-544). Montréal : Institut québécois de recherche sur la culture, 1994, 1164 pp. [Autorisation accordée le 4 juillet 2003].

Introduction

Jusqu'à la Renaissance, alors que de nouvelles lois matrimoniales sont promulguées dans les pays qui adhèrent au protestantisme, le divorce est absent de la tradition judéo-chrétienne. Et il faut attendre le XXe siècle pour qu'il pénètre dans les pays catholiques et devienne accessible à tous, hommes et femmes de toutes les classes de la société (1). Par contre, l'unité familiale constituée d'un parent qui élève seul ses enfants est loin d'être un phénomène nouveau en Occident. De tout temps, il y eut des veufs et des veuves, des mères célibataires et des femmes, séparées ou abandonnées de leur mari, qui avaient la charge entière de leur progéniture (2).

L'accroissement des divorces observé à partir des années 1960 dans les pays industrialisés aura un impact sur la configuration des familles. Comme une majorité de couples désunis ont des enfants, les foyers dirigés par un parent seul connaissent une augmentation considérable et prennent une visibilité accrue. Les analystes sociaux leur donnent alors une appellation inédite: familles monoparentales. Le néologisme est englobant, il cherche à désigner à la fois les formes nouvelles de monoparentalité, issues des ruptures volontaires d'union, à la fois les formes anciennes (et disparates) issues des décès et désertions de conjoints ainsi que des naissances hors union. Si, dans un premier temps, il est commode d'avoir un terme générique, qui permet de distinguer en deux blocs les ménages où on élève des enfants - foyer biparental et foyer monoparental -, il devient vite évident que chacune des appellations recouvre une réalité trop vaste et de plus en plus multiforme (3). À la suite de premières analyses, peu concluantes, comparant souvent les familles dites «intactes» et les familles dites «dissolues» ou «brisées», les analystes sociaux des années 1980 vont en venir, dans une perspective par ailleurs moins normative, à mettre l'accent bien davantage sur la diversité des profils monoparentaux que sur leurs caractéristiques communes. Par exemple, le vécu des familles prendra des colorations très différentes selon le mode de formation des foyers monoparentaux, selon le sexe du parent gardien, l'âge des enfants, la présence ou l’absence du parent non gardien (4).

La prolifération du divorce et d'une nouvelle forme de monoparentalité est un phénomène qui prend place dans une période fort courte de l’histoire contemporaine: moins d'une trentaine d'années. Mais les changements sociaux et familiaux qui sont en cause sont d'une amplitude et d'une rapidité inédites. L'exemple de la société québécoise est particulièrement révélateur à cet égard (5). C'est à la faveur de la loi fédérale de 1968 que les Québécois obtiennent un véritable accès au divorce (6). Les taux de divortialité, qui jusqu'alors étaient très bas (0,08), vont grimper en flèche, atteignant plus d'un mariage sur trois (0,35) avant la fin de la décennie 1970, et près d'un mariage sur deux au tournant des années 1990 (0,49). Ce n'est pas encore aussi élevé qu'aux États-Unis mais ce l'est bien davantage qu'en France par exemple (7).

Avec la croissance des taux de divorce, les taux de monoparentalité vont également augmenter. Entre les recensements de 1961 et 1986, au Québec, le nombre de foyers monoparentaux s'est accru six fois plus rapidement que celui des foyers biparentaux (au Canada, quatre fois plus rapidement). Sur une période de 25 ans, la proportion de ménages dirigés par un parent seul dans l’ensemble des ménages avec enfants est passée de 11% à 21% (au Canada, de 11% à 19%). Aux États-Unis, la proportion de foyers monoparentaux est de nos jours d'une famille sur quatre, alors qu'en France, elle n'est que d'une famille sur huit (8).

C'est ainsi qu'en un quart de siècle, non seulement la monoparentalité est devenue plus fréquente mais les événements qui en marquent l’émergence ont aussi connu des transformations. Encore largement issue du veuvage au début des années 1960 (sept fois sur dix au Québec), elle est, au milieu des années 1980, principalement placée sous la responsabilité de parents divorcés et séparés [près de sept fois sur dix au Québec (9)]. Observée un peu partout en Occident (10), cette inversion de la proportion de ménages issus du veuvage au profit de ceux issus de la désunion volontaire souligne, à elle seule, l'accélération et la profondeur des changements matrimoniaux impliqués.

La monoparentalité issue des ruptures volontaires d'union peut être dite «nouvelle (11)» non seulement en raison de l'introduction récente du divorce dans les populations mais également en raison du profil démographique spécifique qui est le sien. On peut en tracer les grandes caractéristiques de la façon suivante. Les parents désunis étant susceptibles d'être plus jeunes que ceux dont le conjoint est décédé, ils ont, davantage que les parents veufs, la charge d'enfants en bas âge (12). Étant donné que la responsabilité de ces derniers revient d'abord aux mères dans les arrangements familiaux de l'Occident contemporain, les parents qui obtiennent la garde des enfants après les désunions sont très majoritairement des femmes (13). Mais, de leur côté, les pères, qui ne sont ni «inconnus», ni disparus, ni décédés comme c'était le cas dans les formes anciennes de monoparentalité, demeurent pour la plupart accessibles à leurs enfants: ils sont désignés, par les experts du socio-juridique, comme des parents non gardiens. Les enfants qui vivent cette «nouvelle monoparentalité» ne voient donc pas se rompre en principe les relations concrètes qui soutiennent leurs liens de filiation. Si la rupture de ces relations survient, comme c'est assez souvent le cas avec les pères après les ruptures, elle est «volontaire», tout comme la désunion. On peut alors dire qu'un processus de «défiliation» (14) est engagé.

Ce n'est certes pas sans séquelles personnelles et sociales que de tels changements se vivent dans les populations. Nous sommes en présence de transformations de la sphère familiale, donc qui concernent directement une bonne partie des acteurs sociaux au cours de leur vie, hommes et femmes, enfants et adultes; également, ces changements appartiennent à un secteur hautement «normé» c'est-à-dire tout à fait central pour la construction du normal et de l’anormal dans la vie sociale (ainsi en est-il de la sexualité, des rapports hommes/femmes, de l'entretien et de l'éducation des enfants par exemple); enfin, se développant à un rythme encore plus accéléré que le déroulement des générations, ces changements ne peuvent s'accompagner, de façon aussi adéquate ni aussi rapide que nécessaire, d'ajustements des mentalités et des conditions d'existence. De tels changements suscitent donc des situations contradictoires et conflictuelles, non seulement au sein de la sphère privée (rapports intergénérationnels et entre les sexes) mais entre institutions de la sphère publique (par exemple, entre l’Église et l'État, autour des législations matrimoniales ou des politiques familiales) ou, enfin, entre les familles et les institutions politiques ou économiques (par exemple, l’assistance et la «surveillance» des ménages familiaux par les experts des instances sociosanitaires ou éducatives de l'État). Et ce sont de telles contradictions et de telles luttes, privées ou publiques, qui, dans le déroulement de changements «inégaux», suscitent des situations inéquitables, des mésadaptations, bref des problèmes sociaux. Ces problèmes sont dits sociaux quand ils sont suscités par des phénomènes d'ordre structurel et pas seulement personnel et quand ils requièrent, de ce fait, des solutions collectives.

Le présent texte tente de cerner quels «problèmes sociaux» sont observables par suite de la prolifération récente du divorce et d'une nouvelle forme de monoparentalité. Notre exposé cherche d'abord à montrer que la monoparentalité n'a pas un visage unique: en dépit des approches souvent trop englobantes des saisies statistiques ou des interventions de politique ou de thérapeutique sociale, tous les foyers monoparentaux ne vivent pas des «problèmes sociaux» et, quand ils connaissent des situations problématiques, ce n'est ni avec la même intensité ni de la même manière qu'ils les vivent. Par conséquent, l’analyse et l'explication de ces phénomènes doivent faire appel à une pluralité de facteurs, eux-mêmes en lien avec les rapports de sexes, de classes et d'âge qui marquent la vie familiale, autant qu'avec la dialectique constante qui se joue, dans la vie contemporaine, entre famille et société. Les «problèmes sociaux» reliés à cette nouvelle monoparentalité, celle des désunions par divorce ou séparation, seront abordés sous quatre rubriques: pauvreté, isolement du ménage, discorde et violence conjugales et enfin impact du vécu monoparental sur le bien-être des enfants.


Notes:

(1) Lawrence Stone, Road to Divorce: England, 1530-1987, Oxford University Press, 1990. Le seul pays catholique qui promulgue une loi du divorce avant le XXe siècle est la France, avec une première législation dans le Code civil de la Révolution, suspendue en 1816, puis rétablie en 1884 avec la loi Naquet.
(2) L'historien Peter Laslett fut l'un des premiers à rapporter l'importance numérique de ménages à un seul parent dans des villages anglais du XVIe siècle. Il en établit la fréquence à «au moins un ménage sur huit». Voir: «
Le rôle des femmes dans l'histoire de la famille occidentale», dans: E. Sullerot (sous la direction de), Le fait féminin, Paris, Fayard, 1978, p. 458-459.
(3) Renée B.-Dandurand et Lise Saint-Jean,
Des mères sans alliance. Monoparentalité et désunions conjugales, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1988, p. 14-16.

(4) Certains chercheurs ont aussi dénié aux foyers monoparentaux la caractéristique de famille ou de forme familiale, alléguant que la monoparentalité était plutôt une séquence de vie. Cette critique, issue des milieux français de démographie et de sociologie de la famille, a utilement dirigé la recherche sur la durée de la monoparentalité. Voir, sur la question, notamment: Nadine Le Faucheur, «
Familles monoparentales: les mots pour les dire», dans: F. Baileau et al. (sous la direction de), Lectures sociologiques du travail social, Paris, Éditions Ouvrières, 1985; D. Le Gall et C. Martin, Les familles monoparentales. Évolution et traitement social, Paris, Les Éditions E.S.F., 1987. Voir, pour le Canada: H. Desrosiers, C. Le Bourdais et Y. Péron, «La dynamique de la monoparentalité féminine au Canada», article accepté pour publication en 1993 dans la Revue européenne de démographie. Mais s'il faut convenir qu'il y a des séquences de monoparentalité, il faut également admettre que, dans la famille contemporaine, il y a aussi des séquences de biparentalité, que cette biparentalité soit simple ou composée (famille dite reconstituée) ou qu'elle se termine par un décès, une rupture ou tout simplement par le départ des enfants du foyer familial. Le concept de séquence, dans un parcours de vie, s'applique donc à chacune des formes familiales contemporaines et pas seulement à la monoparentalité.

(5) Voir Patrick Festy, «
Conjoncture démographique et rythmes familiaux: quelques illustrations québécoises», Population, 41, 1986, p. 37-57 et Agnès Pitrou, «Conclusions», dans: D. Lemieux (sous la direction de), Familles d'aujourd'hui, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1990, p. 225-231.

(6) Des cours provinciales de divorce sont alors créées au Québec. Cet accès au divorce est facilité, en 1972, par un programme d'aide juridique en faveur des citoyens les plus démunis.
(7) Louis Duchesne,
La situation démographique au Québec, Québec, Les Publications du Québec, 1992, p. 84.
(8) Voir, pour les États-Unis, S.B. Kamerman et A.J. Kahn,
Mothers Alone. Strategies for a Time of Change, Dover, Mass., Auburn House Pub. Co., 1988, p. 7 et, pour la France, N. Le Faucheur, «Les familles monoparentales en questions», Dialogue, 101, 1988, p. 29.
(9) R. B.-Dandurand et L. Saint-Jean, op. cit., p. 14 et 273.
(10) Pour la France, voir: N. Le Faucheur, «
Les familles monoparentales ... » loc. cit., p. 29. Pour les États-Unis, voir: S.B. Kamerman et A.J. Kahn, op. cit., p. 10.

(11) Renée B.-Dandurand,
Famille, monoparentalité et responsabilité maternelle. Contribution à l'étude des rapports sociaux de sexe, thèse de doctorat, département d'anthropologie de l'Université de Montréal, 1982. Voir également: «La monoparentalité au Québec. Aspects socio-historiques», Revue internationale d'action communautaire, 18/56, 1987, p. 79-85.
(12) Au Québec, entre 1971 et 1986, la proportion de parents seuls ayant moins de 45 ans augmente de 40 à 69%. Quant à leurs enfants, la proportion des 0-6 ans passe, entre ces mêmes dates, de 18 à 30% (S. Asselin, M. Bellavance, C. Dionne, D. Morissette,
L'évolution du revenu des familles au Québec, 1971-1986, Québec, Les Publications du Québec, 1991, p. 57 et 59).
(13) Au Québec, entre 1971 et 1986, la proportion de mères parmi les parents seuls est passée de 78 à 86% (ibid., p. 68). Dans les pays occidentaux, plus de 80% des foyers monoparentaux ont une femme à leur tête.
(14) Voir: R.B.-Dandurand et L. Saint-Jean, op. cit., p. 15-16 et 241-250.


Retour au texte de l'auteure: Renée B.-Dandurand, anthropologue, INRS-culture Dernière mise à jour de cette page le lundi 22 janvier 2007 6:42
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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