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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Valérie AUBOURG, “Le Renouveau charismatique à l’île de La Réunion et à l’île Maurice: le contre feu catholique.” Un article dans la revue Tsingy, revue du CRESOI (université de La Réunion) et de l’APHGM (Association des professeurs d’histoire et de géographie de Madagascar), no 15, 2012, pp.149-157. [L’auteure nous a accordé le 12 janvier 2016 l’autorisation de diffuser en libre accès à tous ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Valérie AUBOURG

ethnologue française

Le Renouveau charismatique
à l’île de La Réunion et à l’île Maurice :
le contre feu catholique
.”

Un article dans la revue Tsingy, revue du CRESOI (université de La Réunion) et de l’APHGM (Association des professeurs d’histoire et de géographie de Madagascar), no 15, 2012, pp.149-157.

L’implantation du pentecôtisme « classique » : la Mission Salut et Guérison
La naissance du Renouveau charismatique catholique
La normalisation du Renouveau
Une évolution croisée du profil sociologique des fidèles
Résumé


« Nous appelons de nos vœux un travail sur les origines sociales du pentecôtisme (…) et, en même temps, il faudrait étudier les mouvements d’expériences religieuses à l’intérieur du pentecôtisme » [1]. C’est en ces termes que Jean Séguy conclut un article consacré à la situation socio-historique du pentecôtisme. Son « appel » met en avant deux éléments :

  • premièrement, la proximité entre le pentecôtisme classique [2] qui s’exprime en milieu protestant et le Renouveau charismatique [3] (auparavant appelé « néo-pentecôtisme ») qui s’exprime en milieu catholique. Alors que les deux mouvances sont rarement étudiées conjointement, il existe, pour le sociologue, assez de points communs pour mériter une étude simultanée ;

  • deuxièmement, l’importance d’une analyse sociale et historique des mouvements issus du pentecôtisme.  Même si ces groupes privilégient une expérience sensible de rencontre avec le divin, cette expérience religieuse de type émotionnel ne se situe pas dans un  ici et maintenant absolu, elle peut être influencée par le contexte socioculturel dans lequel elle prend place et  par les stratégies que les Églises mettent en œuvre afin de la canaliser.

C’est dans cette perspective que nous analyserons le Renouveau charismatique à l’île de la Réunion et à l’île Maurice : en observant, dans un premier temps, comment ce Renouveau catholique peut apparaître sur les deux îles comme une réponse au développement du pentecôtisme dit « classique ». Ceci nous conduira, dans un second temps, à voir combien le Renouveau reprend à son compte des éléments ayant assuré le succès du pentecôtisme tout en se soumettant à la hiérarchie catholique. La comparaison entre les deux mouvances et les deux îles [4] nous permettra, pour finir, de nous attarder sur l’évolution du profil sociologique des adeptes.

L’implantation du pentecôtisme « classique » :
la Mission Salut et Guérison


En 1966, Aimé Cizeron [5], un pasteur pentecôtiste métropolitain, s’installe à La Réunion. Il implante le mouvement des Assemblées de Dieu qui, pour ce faire, adoptent une stratégie tout entière contenue dans leur intitulé local : la « Mission Salut et Guérison ». Le pasteur Cizeron n’hésite pas à centrer son message sur trois thèmes qui furent par le passé largement développés par l’Église et ses missionnaires, mais qui en ces années d’aggiornamento ne font plus l’unanimité du côté catholique. Ce faisant, il remporte un vif succès.

La Mission, tout d’abord. Du choix des versets bibliques au vocabulaire employé par le pasteur Cizeron, le registre est militaire. Il s’agit de conquérir un territoire pour Dieu, de le gagner à la cause de l’Évangile, de combattre l’adversaire, au prix de « batailles » [6] et de  « luttes » [7] contre les forces démoniaques à l’œuvre dans la vie des insulaires. La ville de Saint-Denis « conquise », la Mission s’étend à l’ensemble des communes du pourtour côtier, sur les hauteurs de l’île, dans les plaines et jusqu’aux cirques. En moins d’une année, toutes les villes importantes voient s’ouvrir  un temple pentecôtiste.

Depuis l’île de La Réunion, la Mission Salut et Guérison s’exporte à l’île Maurice, dès 1967. Dans l’île sœur, le missionnaire français rencontre un succès impressionnant qui lui vaut bientôt le titre de « sorcier blanc ».

Le Salut, ensuite. Alors qu’en ces années 60, le catholicisme tente de faire oublier ses années d’évangélisation triomphante en se masquant derrière des objectifs généraux de promotion sociale, les pentecôtistes se font messagers d’un christianisme persuasif, rassurant, sans équivoque. Selon les Assemblées de Dieu, l’obtention du salut est simple : elle est réservée à ceux qui « confessent le nom de Jésus-Christ » et « renoncent au péché ». Dès lors, le but des missionnaires est clair : annoncer le « kérygme » chrétien et faire connaître le message de l’Évangile de manière explicite afin de susciter de nouvelles conversions.

Selon cette approche, les autres confessions chrétiennes et plus largement les autres religions apparaissent comme un obstacle à franchir pour acquérir le salut. Les dévotions catholiques sont jugées idolâtres. Il en va de même envers les autres pratiques religieuses, tels les cultes dédiés aux divinités hindoues ou aux ancêtres africains et malgaches qualifiés en majorité de « sorcellerie ». Leur observance étant rendue incompatible avec le message évangélique, les fidèles se doivent de renoncer totalement à l’ensemble des fêtes et rituels ayant cours sur les deux îles : du pèlerinage marial à la marche sur le feu en passant par le port d’une médaille à l’effigie d’un saint, de l’installation d’un oratoire dans sa cour à la procession derrière une divinité hindoue, etc.

Enfin, la Guérison. En 1983, 6 000 Réunionnais rejoindront les rangs de la Mission Salut et Guérison. En 2010, elle comptera  22 000 baptisés à La Réunion [8] et 115 000  à Maurice [9]. Une large part de cet essor tient aux velléités thérapeutiques d’Aimé Cizeron. En effet, c’est en promouvant la guérison divine  que le missionnaire pentecôtiste rallie à lui des insulaires en quête de miracles. C’est par son aptitude à soulager la souffrance du corps et plus largement les « maux »  de l’existence que le pasteur pentecôtiste fonde le succès de son mouvement.

Face à l’expansion du pentecôtisme, les deux îles voient apparaître une nouvelle mouvance religieuse entretenant de nombreux points communs avec la Mission Salut et Guérison mais située en milieu catholique cette fois-ci. Il s’agit du Renouveau charismatique.

La naissance
du Renouveau charismatique catholique


En 1974, le Renouveau charismatique catholique s’implante à la Réunion par l’intermédiaire d’une Franco-Mauricienne : Marie-Lise Corson. Religieuse, elle appartient à la congrégation des franciscaines missionnaires de Marie [10].  De retour de métropole où elle a découvert le Renouveau charismatique à Paray-le-Monial et participé au  groupe de prière animé par la communauté de l’Emmanuel à Paris [11], elle fonde un premier groupe de prière dans les locaux de l’hospice Saint-François d’Assise à Saint-Denis [12].

En 1975, sœur Anunciata, une Mauricienne religieuse des « Lorettes », se rend au premier rassemblement international du Renouveau catholique de Pentecôte à Rome [13]. À son retour, elle fonde le Renouveau charismatique catholique à l’île Maurice en initiant un premier groupe de prière. Ses membres se réunissent au couvent des sœurs de Notre-Dame-de-Lorette à Curepipe.

Le Renouveau, parfois désigné en termes de « seconde vague pentecôtiste » [14], entretient de nombreux points communs avec la Mission Salut et Guérison. En effet, tout comme cette dernière,  les assemblées de prière qu’il initie privilégient les signes tangibles de l’agir divin. À leur tour, elles se présentent comme des groupes « chaleureux », favorisant l’expression de prières « inspirées » par le Saint-Esprit et de manifestations charismatiques telles que les délivrances et les guérisons divines. De plus, sans épouser totalement les contours de la  vision traditionnelle du monde  – un monde habité par des entités invisibles dotées de pouvoirs fastes et néfastes agissant sur l’existence des vivants – elles ne déconsidèrent pas pour autant les représentations socioreligieuses préexistantes. Ainsi, le Renouveau ne dénigre pas celui qui affirme que « lu lé pa tousel » [15], selon la formule créole. Il admet même plus généralement que les malheurs sous toutes leurs formes peuvent être causés par des forces démoniaques. De ce fait, l’étiologie de ses membres n’est pas totalement modifiée, mais leur adhésion à ce mouvement leur apporte un élément nouveau : l’assurance en une victoire de l’Esprit-Saint sur la cohorte de petites et grandes entités surnaturelles.

Par ailleurs, à l’instar du pentecôtisme, cette mouvance charismatique catholique favorise un processus a priori inverse « d’extirpation » de la religiosité populaire. À travers l’itinéraire d’Augustine, par exemple, Françoise Dumas-Champion montre comment cette Saint-Louisienne – qui oscilla longtemps entre religion traditionnelle et pratiques catholiques – « renonce aux autres pratiques religieuses pour se consacrer exclusivement au catholicisme » [16] à partir du moment où elle devient membre du Renouveau charismatique.

« Comme la plupart des Réunionnais, son parcours de croyance qui retrace l’histoire des maladies de ses enfants et la sienne, est ponctué par un ? va-et-vient ? de tentatives rituelles où prévaut la dimension thérapeutique ». Mais Augustine va cependant rompre avec les cultes malgaches qu’elle venait de prendre en charge, « forte de l’appui de l’Église qu’elle n’a d’ailleurs jamais quittée » [17].

C’est ainsi que le Renouveau catholique, tout comme le pentecôtisme « classique », apportent une réponse similaire au mouvement de modernisation rapide de la société insulaire et, cette réponse, de manière contradictoire, se décline à la fois en termes de rupture et de continuité vis-à-vis de la religiosité populaire. Tous deux prennent largement appui sur le « système religieux créole » afin de provoquer, paradoxalement, « de profondes ruptures par rapport aux appartenances antérieures » [18]. Ce faisant, ces deux formations permettent à leurs adeptes de s’adapter  au nouveau contexte « post-traditionnel » [19].

Néanmoins, une différence notoire sépare le Renouveau charismatique des Assemblées de Dieu : il ne conduit pas ses membres à rompre avec leur confession d’origine (le catholicisme). Plus encore, il encourage ses membres à se réapproprier la tradition catholique et tend à les réintroduire dans cette matrice confessionnelle.

La normalisation du Renouveau

Le rapprochement des fidèles charismatiques de l’Église catholique et de sa tradition s’observe premièrement à travers l’importance accordée à la dévotion mariale dans le Renouveau. Ensuite, c’est au retour des pratiques sacramentelles  – eucharistie, confession, sacrement des malades, engagement dans des ordres religieux –  que les groupes charismatiques contribuent. Mais surtout, c’est dans son rapport aux autorités ecclésiales que le Renouveau charismatique se distingue du pentecôtisme. En effet, les fondateurs du mouvement catholique cherchent continuellement l’approbation des évêques de Port-Louis et de Saint-Denis. Quant à ces derniers, tout en favorisant les groupes de prière charismatique, ils tentent de les soumettre à l’autorité de l’institution romaine.

Ce double mouvement : de soutien apporté au Renouveau, d’une part, et de tentative de « reprise en main », d’autre part, s’observe à l’île Maurice à partir de « l’affaire Mauvis ».

En février 1976, le Sud-Africain, Pierre Mauvis, rejoint le groupe catholique de Curepipe. Ancien pasteur des Assemblées de Dieu sud-africaines, il tait son appartenance confessionnelle aux membres du Renouveau catholique. Mais progressivement, l’homme se révèle iconoclaste : « Il a commencé à demander au malades qu’il visitait à l’hôpital d’arracher les croix qu’ils portaient au cou », explique Mgr Piat [20]. Sœur Anunciata se rend alors à l’évêché afin d’informer Mgr Margéot [21] des pratiques de Pierre Mauvis.  Là, le prélat prend sa plume et demande à ce que sa lettre soit lue en chaire dans toutes les paroisses insulaires. Le message est clair : il somme chacun de choisir entre l’Eglise catholique et Pierre Mauvis. Le mercredi qui suit, plus de 480 personnes partent pour suivre le Sud-Africain. Elles ne seront que 13 à rester.

À la suite de ces déboires, Mgr Margéot part en Belgique pour y rencontrer le père Ralph Martin – responsable international du renouveau charismatique catholique – et le cardinal Suenens – archevêque de Malines-Bruxelles. Ses interlocuteurs répondent à son questionnement en une affirmation pleine de clarté : « il vous faut un Renouveau catholique fort ! »

Acquis à la conviction de ses hôtes, Jean Margéot poursuit son voyage (destination Paris), afin de rencontrer Pierre Goursat, le fondateur de la communauté de l’Emmanuel. La visite est concluante et l’Emmanuel aide le diocèse de Port-Louis à structurer le Renouveau mauricien.

C’est ainsi que durant tout son épiscopat, Mgr Margéot – comme Maurice Piat qui lui succédera – s’attachera à soutenir la mouvance charismatique dans son diocèse. Dans la continuité des deux lettres pastorales qu’il rédigea dans les années 1970, l’évêque mauricien restera convaincu du bien-fondé du Renouveau catholique.

À La Réunion, Mgr Aubry [22] est tout aussi favorable au Renouveau. Il l’affirme :

« Je voulais un Renouveau catholique à La Réunion, cette chance soulignée par Paul VI à Rome lors du premier grand rassemblement dans la basilique Saint-Pierre. Chance pour le Renouveau, chance pour l'Église. Et effectivement, cela correspond à notre sensibilité réunionnaise... qui a besoin de chaleur spirituelle et de jalons solides pour éviter les déviances sectaires si faciles ! » [23]

Dès le début, il apporte son soutien à Marie-Lise Corson et n’hésite pas à participer aux différents rassemblements organisés par les charismatiques catholiques.

Néanmoins, comme il le précise lui-même, il en vient à poser des « jalons solides » afin de contrôler cette expérience. Ces « jalons pour le Renouveau » [24] consistent en une série de recommandations, dont celle de ne pas appeler ces assemblées des groupes « charismatiques ». « La dénomination à prendre est groupes de prière ou groupes Renouveau » [25]. Les autres exhortations vont du « contact à garder avec le curé de paroisse » à la nécessité « d’être membres réguliers d’un autre groupe que celui du Renouveau : catéchèse, animation paroissiale, associative, en passant par « le devoir des animateurs des groupes de prière de se former, d’avoir des jalons pour aider les groupes à se situer dans l’Église, afin que la prière de ces groupes soit vraiment dans la prière de l’Église de notre temps (Jean Paul II, Dives in Misericordia) [26]. »

L’attitude bienveillante des deux évêques insulaires vis-à-vis des charismatiques catholiques  doit donc être replacée dans un contexte de concurrence entre catholiques et pentecôtistes. Face à une Mission Salut et Guérison florissante, le Renouveau apparaît comme  une alternative acceptable vis-à-vis de catholiques en mal de relation directe au divin, avant qu’ils n’aillent chercher la réponse à leurs besoins aux assemblées de Dieu [27]. En leur apportant cette expression du christianisme recherchée, le Renouveau fait figure de « contre-feu » au développement du pentecôtisme, selon l’expression de Marion Aubrée [28].

À La Réunion, Jacqueline Andoche partage cette analyse puisque, constatant « l’attraction de plus en plus grande des catholiques pour les pratiques proposées récemment par le Renouveau charismatique (pratiques où l’on retrouve des phénomènes de guérison, et de ?transe? comparables à ceux qui surviennent dans les groupes de prière pentecôtistes) », elle se demande si « leur tolérance par le clergé local ne résulte pas d’une réaction à un tel succès [29] ».

Simultanément, en reprenant à son compte certains principes pentecôtistes, l’Église catholique «  se livre à un jeu risqué » [30]. En effet, le Renouveau peut conduire ses adeptes à relativiser le principe d’autorité et à remettre en cause  leur appartenance au catholicisme.  Ce risque explique la méfiance du clergé vis-à-vis de cette mouvance et l’attitude des évêques qui veillent à éviter les « dérives ». Pour ce faire, ils tentent de  canaliser le Renouveau en le conformant aux principes de l’institution romaine, en renforçant son appartenance à la collectivité ecclésiale dans son ensemble et en incitant ses membres à se réapproprier les références à la tradition catholique.

Au final, cette « stratégie » ecclésiale explique pourquoi le Renouveau a évolué vers un mouvement dont les rites, les pratiques et l’organisation se calquent toujours plus sur ceux d’une Église catholique qui s’est employée à contenir son effervescence. Alors qu’en ses débuts, il pouvait être considéré comme une « protestation interne » au catholicisme, trente-cinq ans après, force est de constater combien la contestation religieuse portée par ce mouvement a perdu sa radicalité, combien elle s’est euphémisée.

Une évolution croisée
du profil sociologique des fidèles


Enfin, du point de vue sociologique, un dernier élément rapproche le Renouveau dans les deux îles et le distingue du pentecôtisme initial : alors qu’à l’origine le pentecôtisme est lié aux couches défavorisées de la population, les leaders du Renouveau charismatique catholique sont pour leur part davantage issus des couches supérieures et des classes moyennes.

En effet, en ses débuts, la Mission Salut et Guérison avait pour caractéristique de rassembler des personnes issues des milieux populaires, voire des classes plutôt défavorisées. Aujourd’hui, tous s’accordent à reconnaître un changement en faveur d’une élévation du niveau de vie de ses membres [31]. Comme l’exprime un de ses pasteurs : « Après que les gens ont intégré l’Église, Dieu les élève ! Et les gens ont eu des enfants qui ont fait des études ! » [32] Ce phénomène s’observe notamment à travers le profil des candidats au ministère pastoral. La première génération de pasteurs était constituée d’autodidactes : du coupeur de cannes à l’ouvrier du bâtiment, en passant par l’agent commercial. Aujourd’hui, ils sont instituteurs, techniciens supérieurs, chefs d’entreprise. De plus, la respectabilité des membres de la Mission s’est également accrue au fil du temps. De leur tenue vestimentaire à leur manière de se comporter avec leur entourage, en passant par leur mode de vie, ils donnent l’image de personnes appliquées, sérieuses, disciplinées, voire parfois rigides. Si les adeptes de la Mission ont fait un choix marginal aux yeux de la société insulaire, ils n’apparaissent pas comme des personnes exubérantes et fantaisistes [33].

En milieu catholique charismatique, au commencement, les groupes de prière rassemblent des Mauriciens et des Réunionnais en provenance de toutes catégories sociales et origines ethnoculturelles – bourgeois « blancs » [34] compris. Il est même frappant de voir combien les leaders de ces assemblées catholiques sont le plus souvent des femmes, issues des classes moyennes, voire supérieures de la population.

À l’heure actuelle, cette catégorie ethnoculturelle des bourgeois « blancs » a délaissé les bancs du Renouveau  mauricien [35] qui comprend désormais essentiellement des fidèles parmi les Créoles [36] – auxquels s’adjoignent une minorité d’indo-mauriciens et un petit nombre de sino-mauriciens. Une évolution à peu prés similaire peut être constatée à La Réunion où les strates inférieures viennent à prédominer dans le Renouveau [37].

RÉSUMÉ

À la fin des années 60, les assemblées de  Dieu s’implantent  à l’île de La Réunion, puis à l’île Maurice. L’expansion de cette mouvance, qui prend localement le nom de la « Mission Salut et Guérison », constitue un défi pour l’Église catholique. Face au succès remporté par ces pentecôtistes, les responsables de l’institution romaine acceptent et favorisent l’émergence d’un « contre-feu » : le Renouveau charismatique. La comparaison entre les deux îles sœurs montre comment ce Renouveau est venu contrebalancer l’offre protestante en matière religieuse. En effet, tout comme les Assemblées de Dieu, les assemblées charismatiques catholiques occasionnent de réelles ruptures avec le « système religieux créole » sans pour autant délégitimer les références religieuses populaires.

Aussi, l’accueil réservé par les évêchés de Port-Louis (Maurice) et de Saint-Denis (Réunion)  au Renouveau charismatique est extrêmement favorable. En revanche, sur les deux îles, le clergé se montre plus méfiant vis-à-vis de cette nouvelle mouvance qui peut conduire ses adeptes à relativiser le principe d’autorité et à remettre en cause  leur appartenance au catholicisme. De ce fait, si le Renouveau apparaît comme une arme face à la monté des pentecôtismes insulaires, il s’agit d’une arme à double tranchant. C’est la raison pour laquelle les deux diocèses veillèrent à « reprendre en main » le Renouveau charismatique en le conformant à l’orthodoxie catholique et en le soumettant aux autorités ecclésiales.

Finalement, le Renouveau a évolué vers un mouvement dont les rites, les pratiques et l’organisation se calquent toujours plus sur ceux d’une Église catholique qui s’est employée à canaliser son effervescence. Alors qu’en ses débuts, il pouvait être considéré comme une « protestation interne » au catholicisme, trente-cinq ans après, force est de constater combien la contestation religieuse portée par ce mouvement a perdu sa radicalité, combien elle s’est euphémisée.

Enfin, du point de vue sociologique, un dernier élément rapproche le Renouveau dans les deux îles et le distingue du pentecôtisme initial : alors qu’à l’origine, le pentecôtisme est lié aux couches défavorisées de la population, les leaders du Renouveau charismatique catholique sont pour leur part davantage issus des couches supérieures et des classes moyennes. Et, au fil des années, la tendance s’est inversée : une remontée de l’échelle sociale s’observe parmi les fidèles des assemblées de Dieu alors, qu’à l’opposé, les strates inférieures viennent à prédominer dans le Renouveau catholique.



[1] SÉGUY Jean, 1975, « Situation socio-historique du pentecôtisme », Lumière et Vie, n° 125, p. 33-58.

[2] Le mouvement de Pentecôte naît à Topeka, dans le cadre du collège Bethel (Kansas) à l'initiative du pasteur méthodiste blanc, Charles Fox Parham (1873-1929). Son développement se confirme ensuite avec le ministère du prédicateur baptiste noir, William Joseph Seymour (1870-1922) qui y introduit des éléments de la spiritualité afro-américaine. Il se caractérise par son insistance sur le Saint-Esprit et la pratique des charismes qui y est associée (chant en langues, guérison, prophéties). Rapidement, le courant pentecôtiste se répand aux Etats-Unis, avant de se diffuser ensuite sur tous les continents. Il donne naissance à différents mouvements, dont celui des Assemblées de Dieu qui représente 10% des pentecôtistes dans  le monde et la principale famille pentecôtiste en France.

[3] Le Renouveau charismatique est né aux États-Unis dans les années 60, et correspond à l’introduction du pentecôtisme dans les Églises historiques (protestante, puis catholique).Cette mouvance se caractérise notamment par le fait que les nouveaux baptisés dans le Saint-Esprit ne quittent pas leur Église d’origine, mais que, tout en participant à des assemblées de prière en semaine, ces charismatiques demeurent fidèles au culte dominical et à leurs divers engagements ecclésiaux.

[4] Précisons en préambule que si les deux îles sœurs partagent de nombreux points communs  – du point de vue de leur situation historique et des populations qui les composent –  la situation religieuses n’est cependant pas  la même. L’île Maurice compte 21 % de catholiques et 7% de chrétiens appartenant aux églises adventistes, évangéliques, presbytérienne et anglicane (d’implantation ancienne), alors que l’île de La Réunion compte  80% de catholiques et 4% de membres des Églises adventistes, évangéliques, pentecôtistes et luthéro-réformées (d’implantation récente).

[5] Mariés depuis 1940, le couple de missionnaires âgés d’une cinquantaine d’années est originaire du Sud-Est de la métropole. Parents de six enfants, ils se sont tous deux convertis dans les assemblées de Dieu moins de vingt ans auparavant.

[6] CIZERON Aimé (avec LE PERRU P. & LEBEL A.), 1992, Aimé Cizeron, pionnier de l’Océan indien, Deerfield, Vida, p. 55.

[7] Ibid., p. 84.

[8] À La Réunion, la Mission Salut et Guérison comprend 47  lieux de culte et compte plus d’une cinquantaine de ministres du culte. Avec 22 000 fidèles, elle demeure la première formation pentecôtiste insulaire puisque les autres églises évangéliques charismatiques indépendantes regroupent environ 10 000 membres en 31 lieux de culte.

[9] Lors du recensement de l’an 2000, le nombre de pentecôtistes (toutes tendances confondues) est de 89 276. Cependant, ce chiffre paraît nettement en dessous de la réalité car beaucoup de Mauriciens ont préféré se définir simplement en tant que « christian ». Des enquêtes récentes comme celle de Christian Maudave (2011) estiment à 115 000 (pour une population d’environ 1,2 millions) le nombre de pentecôtistes. Parmi ces derniers, 69 000 sont membres des assemblées de Dieu. La Mission Salut et Guérison compte 142 lieux de culte et 100 pasteurs.

[10] Arrivées à la Réunion en 1947, la congrégation compte quatre communautés sur l’île.

[11] Lors de son passage à Paris, Marie-Lise Corson fait la connaissance de Martine Lafitte – future épouse Catta –  et de Pierre Goursat, fondateurs de la communauté de l’Emmanuel. Cette dernière  a été reconnue par le Vatican comme « Association privée internationale de fidèles, de droit pontifical ». Répandu dans une soixantaine de pays, le mouvement rassemble des laïcs, des prêtres et des célibataires consacrés dans le célibat. Elle a fondée sa réputation sur ses sessions de Paray-le-Monial qui accueillent plus de 20 000 personnes chaque été depuis 1975.

[12] Hospice dont sa congrégation religieuse a la charge.

[13] Ce congrès rassemble 10 000 participants en provenance de plus de soixante pays. À cette occasion, le pape Paul VI posa cette question qui restera dans les annales du Renouveau : « Comment ce Renouveau ne pourrait-il pas être une ?chance ? pour l’Église et pour le monde ? Et comment, en ce cas, ne pas prendre tous les moyens pour qu’il demeure ? » En qualifiant le Renouveau de chance, non seulement le pape lui offrait la légitimité qu’il espérait, mais il encourageait alors le développement de ce « nouveau printemps pour l’Église ».

[14] De François Laplantine (1999) à Sébastien Fath (2007), en passant par Paul Freston (1995) et Harvey Cox (1995), plusieurs chercheurs retiennent trois vagues dans l’histoire du pentecôtisme: la première correspondant à la naissance du pentecôtisme au début du XXe siècle, la seconde, à sa diffusion au sein des Églises établies dans les années 60 – qui donna naissance au « Renouveau charismatique » –, et la troisième, vingt ans après, baptisée « néo-pentecôtismeErreur ! Signet non défini. ». 

[15] ll n’est pas seul.

[16] DUMAS-CHAMPION Françoise, 2008, « Le mariage des cultures à l’île de la Réunion », Karthala, Paris, p. 272-273.

[17] Ibid.

[18] BOUTTER Bernard, 2001, « Le pentecôtisme à l'île de La Réunion : « Protestantisme émotionnel » ou nouvelle « religion populaire ? », Revue d'Histoire et de Philosophie religieuse, n° 81/1,  p. 45-61, p. 57.

[19] À La Réunion, les effets de la départementalisation se font principalement sentir à partir de l’arrivée de Michel Debré à la députation, en 1963. L’ancien premier ministre du général de Gaulle accélère la mise en place d’infrastructures insulaires à la hauteur des ambitions de la République : doter le département d’outre-mer d’institutions modernes, développer une économie performante et « redonner vigueur physique et morale à toute une population ».

Depuis son indépendance, l’île Maurice est également entrée dans une phase de modernisation accélérée.

Suite à cette mutation rapide des deux sociétés insulaires, de nombreux observateurs pointent un « choc culturel » affectant deux îles passées en si peu d’années d’un système colonial vétuste, mais familier, à l’alignement sur des styles de vie et des habitudes de consommation calquées sur ceux des sociétés occidentales.

[20] Beau-Bassin, conversation du 13 décembre 2009.

[21] Jean Margéot (1916-2009) fut le premier Mauricien, évêque du diocèse de Port-Louis ; il exerça son ministère de 1969 à 1993.

[22] Gilbert Aubry est le premier évêque réunionnais du diocèse de Saint-Denis. Il fut nommé en 1976.

[23] Évêché, « communication » [courrier électronique]. Destinataire : Valérie Aubourg. 30 avril 2009. Communication personnelle.

[24] AUBRY  Gilbert (Mgr), 1988, Pour Dieu et pour l’Homme… réunionnais,  île de La Réunion, Océan Éditions, p. 103-111.

[25] Ibid.

[26] Ibid.

[27] De son côté, l’évêque de la Réunion refuse l’idée selon laquelle ce serait la crainte suscitée par le succès des assemblées de Dieu qui aurait motivé son action en faveur du Renouveau catholique. Dans un courriel du 30 avril 2009, il tient à nous le préciser : «  Ce n’est pas la peur de ma part qui a présidé  à une normalisation du Renouveau à La Réunion pour éviter une hémorragie en direction de Salut et Guérison ». (Évêché, « communication » [courrier électronique]. Destinataire : Valérie Aubourg. 30 avril 2009. Communication personnelle).

[28] L’anthropologue observe qu’au Brésil la mouvance charismatique n’a pas mis fin à cette branche du protestantisme, mais a réussi à stabiliser sa croissance. L’explosion pentecôtiste, qui se manifestait par le départ d’un pour cent de fidèles catholiques vers ces assemblées chaque année depuis vingt ans, n’est aujourd’hui plus d’actualité.

AUBREE Marion, 2007, « Le renouveau charismatique a été une sorte de contre-feu face à l'explosion du courant pentecôtiste », La Croix [en ligne], propos recueillis par C. Hoyeau [réf. du 09 mai 2007]. Disponible sur  La Croix.com. Consulté le 4 septembre 2008].

[29] ANDOCHE Jacqueline, 2002, Le regard réciproque : ethnographie des désordres psychologiques à l’île de La Réunion, thèse de doctorat : Anthropologie, université d’Aix-Marseille, p. 134.

[30] Pour reprendre l’expression de Jean-Pierre Bastian au sujet du Renouveau catholique sur le continent sud-américain.

BASTIAN Jean-Pierre, 2005, « Amérique latine : la vague pentecôtiste », La religion. Unité et diversité, L. Testot & J.-F Dortier (éds.), Éditions Sciences Humaines, p. 183-188, p. 185.

[31] À Maurice, les communautés les plus représentées au sein du pentecôtisme sont les hindous convertis et les Créoles et, en particulier, la classe pauvre et la classe moyenne de ces deux communautés. Néanmoins, note Christian Maudave «  il y a aussi de plus en plus de businessmen dans ces Église et souvent, ils attribuent leur succès à la prière et leur foi en Christ ». À l’inverse, ce dernier constate une absence de lien entre l’entreprenariat et la foi dans le Renouveau charismatique mauricien. « Au contraire, j’ai trouvé que les gens se laissaient aller de manière à tuer l’esprit d’entreprise : bien que le Renouveau aide beaucoup  les individus à sortir de la peur de la sorcellerie, à retrouver confiance en Dieu (…) et en eux même, le pas vers l’entreprenariat n’a pas encore été fait… est-ce du à une théologie très catholique ? La question reste posée ». (Christian Maudave, « mémoire sur le pentecôtisme à l’île Maurice » [courrier électronique]. Destinataire : Valérie Aubourg. 17 février 2011. Communication personnelle).

[32] Saint-Denis, entretien du 18 janvier 2008.

[33] Pour compléter ce tableau, nous mentionnerons la création de deux assemblées évangéliques-charismatiques au début des années 80 qui tendent à regrouper une majorité de croyants issus des classes élevées de la population. C’est ainsi que l’Église Chrétienne de Curepipe (Maurice) fondée par Miki Hardy, réunit de nombreux créoles blancs (absents des assemblées de Dieu et de La Voie de la Délivrance) et que l’Église Hosanna du Tampon (Réunion) fondée par Bruno Picard, rassemble nettement plus de réunionnais appartenant au groupe ethnoculturel des créoles blancs et d’adeptes issus des couches élevées de la population (avocats, pharmaciens, cadres administratifs) que les autres Églises pentecôtistes insulaires.

[34] Franco-Mauriciens, descendants de colons.

[35] Le Renouveau à l’île Maurice regroupe

- deux communautés nouvelles d’origine métropolitaine : celle du Chemin Neuf ( le mauricien Pierre Rivet en est le responsable)  et celle du Pain de vie (animée par un prêtre diocésain)

- un groupe de prière anglophone « Living Waters » ( sous la responsabilité d’un couple et d’un prêtre indien des Mission étrangères de Paris),

- un groupe paroissial animé par Eddy Cordier,

- le groupe paroissial « sainte Thérèse » animé par Rico et Lucie Chevreau,

- quelques petits groupes de prière sans lien avec le diocèse

- la « communauté de la Pierre Vivante ». Cette dernière, réunit les 97 groupes de prière diocésains sous la responsabilité de Rosemonde Grancourt et du jésuite Jean Dravet. Chaque groupe réunit entre 15 à 200 personnes chaque semaine et plus de 10 000 lors des rassemblements annuels. Les différents groupes de la CLPV sont tous liés à une paroisse (certains paroisses comptent jusqu’à cinq groupe de prière répartis dans les différentes quartiers). La CPLV recrute essentiellement parmi les milieux populaires, avec une majorité de créoles (descendants des affranchis de 1836 appartenant le plus souvent aux couches les plus démunies de la population), une minorité significative d’indo-mauriciens et un petit nombre de sino-mauriciens.

[36] À l’île Maurice, le mot créole a pris un sens ethnique restrictif puisqu’il désigne toutes personnes d’origine africaine ou mixte de foi chrétienne.

[37] À l’Ile de La Réunion, le Renouveau charismatique compte environ 32 000 catholiques (membres et sympathisants) se répartissant en trois types de groupes :

- les communautés nouvelles exogènes : le Chemin Neuf (métropole), les Béatitudes (métropole), Marie Jeunesse (Québec), Marie Mère de tendresse (Québec) ;

-  les mouvements endogènes : les Cellules de maison, les Flambeaux, Maranatha et le Buisson Ardent ;

- une cinquantaine de groupes de prière diocésains regroupés au sein de l’assemblée de l’Emmanuel.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 24 février 2016 11:09
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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