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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Valérie AUBOURG, “Néo-pentecôtisme à l’île de la Réunion : la revanche du sud.” Un article publié dans la revue Territoire en mouvement, no 13, mai 2012, pp. 70-83. Un numéro intitulé : “Visibilité et invisibilité, emplois et réemplois du religieux.” [L’auteure nous a accordé le 12 janvier 2016 l’autorisation de diffuser en libre accès à tous ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[70]

Valérie AUBOURG

ethnologue française

Néo-pentecôtisme à l’île de la Réunion:
la revanche du sud
.”

Un article publié dans la revue Territoire en mouvement, no 13, mai 2012, pp. 70-83. Un numéro intitulé : “Visibilité et invisibilité, emplois et réemplois du religieux.”

Résumé [70] / Abstract [70]
Introduction [70]

1. Le temps de la créolisation [72]
1.1. Des assemblées « endémiques » [72]
1.2. Des éléments propres à la culture créole [73]
1.2.1. Une insistance sur la démonologie [73]
1.2.2. Une « absolutisation » de l’expérience sensible [73]
1.2.3. Une valorisation du pouvoir charismatique [73]

2. Le lieu de la réaction [74]
2.1. Des assemblées localisées dans la région sud [74]
2.2. Le Sud : une région moins développée que le Nord [76]
2.3. Le Sud : une histoire particulière des structures agricoles [79]
2.4. Le Sud : une identité socioculturelle et religieuse spécifique [79]

Conclusion [81]
Bibliographie [81]


Résumé

Parce qu’ils ne considèrent comme baptisés que les adultes ayant professé leur foi suite à une expérience spirituelle de conversion, les groupements pentecôtistes participent à la mise à distance du modèle traditionnel de l’enracinement religieux. Avec eux, la religion n’est plus consubstantielle au territoire.

À l’île de la Réunion, nos recherches au sujet du pentecôtisme historique confirment cette analyse. Cependant, à partir de 1983, une nouvelle forme de pentecôtisme se déploie dans le département d’outre-mer qui favorise la naissance d’assemblées autonomes, se concentrant essentiellement dans la zone sud de l’île. Cette effervescence religieuse se situe dans le cadre d’une réaffirmation identitaire en revalorisant des éléments culturels propres à la société créole au détriment des acteurs et des pratiques marqués du sceau de la Métropole. La prospérité de ces mouvements aboutit à la constitution d’un nouveau « terroir pentecôtiste ». Ce terroir s’appuie sur un ensemble de traits spécifiques issus, entre autres, de l’histoire des structures agricoles dans cette région insulaire sud caractérisée par une mentalité plus indépendante qu’au Nord d’une part, et se greffe sur un déséquilibre entre un Nord développé et un Sud en retard d’autre part.

Mots-clés : territoire, pentecôtisme, île de La Réunion, Sud, créolisation


Abstract

Pentecotism. Réunion Island, South, Territory.

Because they only consider as baptised adults having professed their faith following a spiritual experience of conversion, Pentecostal groups tend to be playing a role in pushing aside the traditional model of religious implantation. With them, religion is no longer consubstantial with territory.

In Reunion Island, our research concerning historical Pentecostalism confirms this analysis. However, since 1983, a new form of Pentecostalism favouring the birth of autonomous churches (present mostly in the southern part of the island) has been spreading throughout the overseas department. This religious effervescence is set on the occasion of a reaffirmation of identity that reasserts the value of cultural elements peculiar to creole society at the expense of agents and practices bearing the seal of the Metropole. The fact that these movements thrive leads to the establishment of a new 'Pentecostal soil'. This soil leans on a set of specific features resulting, among other things, from the history of the agricultural structures in the southern insular region. This history, on the one hand is characterised by a mindset more independent than that of the North, and on the other hand it is based on an imbalance between a developed North and an underdeveloped South.

Keywords : territory, pentecotism, Réunion island, South, creolization

Introduction

Le pentecôtisme entretient un rapport de congruence avec les mutations contemporaines du religieux. Favorisant les preuves tangibles de l’agir divin au détriment des dogmes, il concourt à l’imprécision des croyances et à la fluidification des itinéraires religieux. Christianisme de conversion amenant le nouveau baptisé à rompre avec sa lignée croyante et son héritage ethno-culturel, il contribue à la poussée des individualismes religieux. En ces différents éléments, il participe à la mise à distance du modèle traditionnel de l’enracinement religieux à l’instar de ce que les sciences sociales décrivent dans les sociétés occidentales contemporaines.  Comme le souligne Jean-Paul Willaime, « dans cette déterritorialisation politique et culturelle du christianisme, la connexion des individus croyants remplace la transmission générationnelle par filiation et l’assemblée des individus confessant la sacralisation d’un lieu » (Willaime, 2004 : 178). Ainsi, ces nouvelles formations chrétiennes ont-elles pour effet notoire de sonner le glas du « cujus regio ejus religio ».

[71]

À l’île de La Réunion, nos recherches [1] au sujet du pentecôtisme classique [2] confirment cette analyse. Les Assemblées de Dieu, implantées sur l’ensemble de l’île par le métropolitain Aimé Cizeron sous le nom de la « Mission Salut et Guérison » dans les années 1960,  mettent fin à la situation monopolistique du catholicisme. En prenant souche dans l’île, elles entrainent une mutation d’implantation des croyants qui participe à des dynamiques de recompositions territoriales.

Cependant, à partir de 1983, une nouvelle forme de pentecôtisme se développe dans le département d’outre-mer. Il correspond à de multiples divisions produites à partir des Assemblées de Dieu, sous l’égide de leaders locaux. Il encourage la naissance d’assemblées « adventives » [3] paraissant indissociables des données géographiques auxquelles elles sont liées. En effet, ce pentecôtisme « nouvelle vague » engendre une multiplication sans précédent d’Églises charismatiques autonomes, dans la zone sud de l’île, longtemps agitée par des sursauts « séparatistes ». Ce néo-pentecôtisme revalorise des éléments culturels propres à la société créole : le rêve, la transe, la danse, la délivrance, au détriment des acteurs et des pratiques marqués du sceau de la Métropole.

Au final, la prospérité de ces mouvements aboutit à la constitution d’un nouveau « terroir pentecôtiste » qui s’appuie sur un ensemble de traits spécifiques issus, entre autres, de l’histoire des structures agricoles dans cette région insulaire sud caractérisée par une mentalité plus indépendante qu’au Nord d’une part et qui se greffe sur un déséquilibre entre un Nord développé et un Sud en retard, d’autre part.

Carte 1:
L’organisation de l’espace réunionnais
La Réunion, une île dissymétrique ou duale

Source : Vincent Capdepuy, lycée Vincendo, île de La Réunion.

[72]

1. Le temps de la créolisation

1.1. Des assemblées « endémiques »

En décembre 1983, trois jeunes pasteurs quittent la Mission Salut et Guérison, pour fonder l’Église du plein Évangile. Il s’agit de Fred Techer, François Hoareau, et d’Éric Babef. Tous les trois exercent alors leur ministère dans le sud de l’île d’où ils sont également originaires. Leur départ coïncide avec leur découverte de la « troisième vague » pentecôtiste. Cette mouvance, née aux États-Unis à la fin des années 1970, regroupe sous l’appellation de « Charismatics », « néo-charismatiques » ou encore « néo-pentecôtistes » un ensemble de mouvements aux contours flous qui se caractérisent par leur insistance sur le combat spirituel et l’expérience d’une vaste gamme de manifestations charismatiques.

Dans les années qui suivent, une trentaine d’assemblées naissent à partir du schisme de 1983 – totalisant une dizaine de millier de membres. Toutes sont à la fois autonomes localement et insérées dans un réseau international d’Églises néo-pentecôtistes dont le « siège » se situe en Afrique du Sud, en France métropolitaine, en Malaisie, ou en Israël. Cependant, leurs adhésions sont fluctuantes. Au gré de vicissitudes internes à la vie des assemblées, les pasteurs se rapprochent d’un réseau, finissent par l’intégrer mais également, bien souvent par le quitter pour un autre. Depuis qu’ils ont quitté la Mission Salut et Guérison, les leaders néo-charismatiques sont particulièrement attachés à leur indépendance.

En milieu catholique, le Renouveau charismatique [4] est traversé par une dynamique semblable à celle du pentecôtisme insulaire : plusieurs groupes issus de cette mouvance se constituent sans être directement rattachés à l’assemblée de l’Emmanuel [5]. Comme en milieu protestant, ces nouvelles formations religieuses sont connectées à des réseaux charismatiques internationaux mettant en exergue les thèmes de la guérison et du combat spirituel tout en revendiquant une autonomie locale. Le cas des Cellules de maison est à ce sujet exemplaire. Cette association charismatique catholique, née officiellement en 1997, rassemble aujourd’hui plusieurs milliers de personnes. Créée à l’initiative d’un laïc du nom de Patrick Robert, elle s’inspire directement du modèle des cellules de maison tel qu’il apparaît à la fin des années 50 en milieu évangélique à l’initiative du pasteur David Yonggi Cho à Séoul, puis tel qu’il sera développé dans les années 90 sous le nom de « cellules d’évangélisation » en milieu catholique par le prêtre Don Pi Gi Perini dans sa paroisse milanaise de Sant’Eustorgio. En dépit de cette affiliation certaine, l’irrésistible succès de ce mouvement tient dans cette indépendance affichée vis-à-vis de toute communauté extérieure au département. Un responsable du groupe de prière d’où sont partis les premiers disciples de Patrick Robert en est convaincu : « Il a joué à fond sur la couleur locale ! Il a su habilement se faire sponsoriser du côté de l’évêché, et ils (les fidèles) ont suivi parce que c’était un créole. S’il n’avait pas été créole, il n’aurait eu aucun succès [6] ! » Un prêtre du Sud va même jusqu’à qualifier la mouvement d’ « endémique » [7] afin de le comparer aux espèces vivantes dont la présence à l’état naturel est limitée à La Réunion.

Ainsi, la multiplication du nombre d’assemblées charismatiques à partir des Assemblées de Dieu d’une part et du Renouveau catholique d’autre part, correspond à une nouvelle phase dans l’histoire du pentecôtisme insulaire : celle de la mise en place de groupes « péï » [8].

Cette évolution apparaît non seulement à travers la création de ces entités religieuses locales mais également à la vue des éléments propres à la culture et à la sensibilité religieuse qu’elles ont remobilisés. Ceux-ci s’observent notablement à travers trois traits caractéristiques des Églises néo-pentecôtistes : leur insistance sur la démonologie, leur absolutisation de l’expérience sensible, et leur valorisation du pouvoir charismatique.

[73]

1.2. Des éléments propres à la culture créole


1.2.1. Une insistance sur la démonologie

La Mission Salut et Guérison avait déjà fondé son succès sur une prise en charge d’exorcismes et sur la démonstration de sa supériorité sur les menaces sorcellaire ou autres méfaits attribués à des divinités hindoues ou à l’esprit d’un défunt. Le Renouveau charismatique avait attiré à lui tous ceux qui se trouvaient en quête de libération après « avoir pratiqué ailleurs » [9]. Non seulement ce troisième type de formations religieuses reprend le thème du combat spirituel et des attaques malignes mais elle l’amplifie largement. Les assemblées appartenant à cette mouvance centrent leur message sur la lutte contre les démons tapis dans les bijoux achetés dans les « boutics malbars », les statues des églises catholiques, les poules noires ensorcelées. Ce qui surprend, dans cette « chasse aux démons » c’est qu’elle entérine leur existence tout en les dénonçant, qu’elle sollicite les composantes catholiques mais également indiennes et africaines de la culture tout en les condamnant. De plus, cette fascination pour les esprits démoniaques, qui tourne parfois à « l’obsession » (Cox, 1995 : 252) n’est pas sans rappeler l’axe central d’une religion populaire (Palmyre, 2007 et Nicaise, 1999), qui place la croyance en l’existence du mal et en ses manifestations au cœur du monde créole.

1.2.2 Une « absolutisation » de l’expérience sensible

Aux charismes pratiqués habituellement dans les assemblées pentecôtistes, la troisième vague pentecôtiste complète la gamme des manifestations surnaturelles : chutes à terre, gémissement, rugissements, rires… En élargissant le panel des possibilités d’intervention divine, les assemblées issues de cette mouvance attirent des croyants à la recherche de signes extraordinaires, gages de la puissance de Dieu. Elles répondent aux attentes de ces Réunionnais qualifiés par Mgr Aubry de « très friands de merveilleux et de gestes spectaculaires » (Aubry, 1988 : 104). Dans ces cultes charismatiques, tout est majoré et amplifié : plus de décibels dans la sono des musiciens, plus de bruit durant les prières spontanées, plus de fougue dans l’assemblée. Les Églises néo-pentecôtistes réintroduisent tous les éléments d’un spectacle visuel : des tentures plissées qui ornent le fond des podiums aux déplacements du ministre du culte devant son auditoire, jusqu’aux drapeaux tendus dans certaines assemblées, en passant par les tenues vestimentaires des participants. On assiste à une « absolutisation de l’expérience sensible » (Laplantine, 1999 : 104).

Ce qui frappe l’observateur qui a connu au préalable les réunions de la Mission Salut et Guérison, c’est ce déhanchement des corps durant les cantiques. Au minimum les hanches ondulent de droite à gauche, alors que dans certains assemblées, des femmes pieds nus tourbillonnent dans la salle de culte, balançant leur bustes au gré de la musique, levant les bras, courant dans les allées, tournoyant sur elles-mêmes avant de tomber à même le carrelage. Ce langage du corps, si familier à la culture populaire créole, que ce soit à travers la médecine, la danse, mais aussi la transe, trouve dans ces assemblées charismatiques une nouvelle voie d’expression.

1.2.3. Une valorisation du pouvoir charismatique

Si le rôle joué par la personne d’Aimé Cizeron dans la fondation de la Mission Salut et Guérison fut incontestable, la dite « Mission » a évolué depuis, du modèle « associatif charismatique » vers le modèle « idéologique ». Ceci, en raison du son décès fondateur [10] d’une part et de la réorganisation administrative des Assemblées de Dieu d’autre part. Elle tend même à se rapprocher de plus en plus du modèle « institutionnel idéologique » [11]. De son côté, le Renouveau catholique est entré dans un processus similaire d’institutionnalisation. Les « jalons » (Aubry, 1999 : 7) posés par l’évêque et le contrôle exercé par le diocèse sur les responsables des groupes de prière ont « évité » l’instauration d’une seconde autorité : celle du charisme qui serait venue déstabiliser celle de la hiérarchie catholique officielle.

Les assemblées pentecôtistes nouvelle vague, en revanche, favorisent une personnalisation du pouvoir. Très peu de fidèles ayant appartenu [74] à ces diverses entreprises religieuses ne connaissent leur nom autrement que comme « chez Fred » ou « chez Fafa » par exemple. Les pasteurs eux-mêmes éprouvent encore bien des difficultés à donner les noms sous lesquels leurs associations cultuelles ont été déclarées en préfecture. Mais surtout, l’évolution majeure rencontrée par cette mouvance évangélique, se situe au niveau de son mode de fonctionnement. Influencée par le mouvement prophético-apostolique [12], elle consacre une nouvelle structure organisationnelle centrée autour des cinq ministères présentés en Éphésiens IV et maximalise le rôle de l’ « Apôtre ». Cette perspective ecclésiologique récuse les principes démocratiques. La notion clé est celle « d’onction » qui est censée reposer sur le ministère. Ce dernier n’est en l’occurrence jamais élu par ses pairs mais toujours nommé en vertu de l’onction qui l’habite.

En milieu catholique, le succès des Cellules de maison tient tout autant à la personnalité éminemment charismatique de leur fondateur. L’homme, qui se fait appeler « Pierre » en référence au premier chef de l’Église de Rome, est décrit comme une personne qui « a beaucoup d’autorité […] Il a des enseignements très forts. […] Quand il parle, les gens obéissent […] Et quand le public sait que c’est Pierre qui donne les enseignements, il y a foule ! [13] », déclare une responsable du mouvement.

Ainsi, dans ces assemblées nouvelle vague, selon la typologie wébérienne, le pouvoir se rapproche davantage du modèle charismatique que du modèle légal-bureaucratique. Au sujet de l’un des leaders de ces groupes, une adepte nous a assuré « sentir une force spéciale » lorsqu’elle pénétrait dans son bureau. Cette désignation du ministre du culte comme un « capteur de la force divine » se rapproche de la conception traditionnelle des techniciens du sacré, faisant apparaitre des figures emblématiques plutôt que des institutions.

Nous venons de le voir, l’analyse historique du pentecôtisme fait apparaître une nouvelle période dans la sociologie de la conversion, celle de la réaction à une forme de pentecôtisme importé depuis la métropole via les Assemblées de Dieu, d’une part, et via le Renouveau charismatique catholique d’autre part. Cette réaction identitaire s’exprime à travers la constitution de groupes religieux porteurs d’une offre charismatique alternative. En se réappropriant de manière originale les attributs de la créolité, ces nouveaux mouvements pentecôtistes peuvent être analysés en termes de résistance [14] au modèle métropolitain et de reprise culturelle.

Par ailleurs, ce processus s’observe également du point de vue spatial puisque ces groupes se concentrent dans une région particulière de l’île : Sud.

2. Le lieu de la réaction

2.1. Des assemblées localisées dans la région sud

La scissiparité continuelle dont le pentecôtisme insulaire se fait le théâtre depuis vingt-cinq ans, est source d’un bouillonnement qui n’a de comparable que celui du volcan sur les pentes duquel ces diverses assemblées jaillissent. Car, phénomène étonnant, ces nouvelles formations religieuses sont quasiment toutes concentrées dans un triangle compris entre Saint-Joseph, La Plaine des Cafres et Saint-Louis. Qui plus est, l’Église catholique – qui observe un processus similaire de segmentation à partir du Renouveau diocésain dans les années 80 – constate une même concentration de ses nouvelle communautés [75] et mouvements charismatiques dans le sud de l’île. Cette concentration étonne au regard de l’histoire de l’implantation du christianisme insulaire. En effet, que ce soit le catholicisme [15] tout d’abord, l’Église adventiste (1936) [16], les Assemblées de Dieu (1966) [17], puis l’Église évangélique (1971) [18] et enfin le Renouveau catholique (1975) [19], toutes ces formations religieuses [20] ont suivi un même trajet partant du nord de l’île avant d’en faire le tour, s’implantant dans les principales villes, comme les grains d’un chapelet encerclant La Réunion.

Alors, pourquoi le Sud ?

« Au terme d’un combat dans les cieux, Dieu s’est acquis un territoire », clament les leaders dissidents. « Des prophètes sont venus et ont dit que le Sud, c’est la région où Dieu a donné plus de grâces… Le Sud est pour moi plus béni », rajoute un pasteur [21]. Les propos de ces responsables ecclésiaux sont à situer dans la théologie du « combat spirituel », arguant de l’influence d’« esprits territoriaux » sur l’existence des habitants de ce territoire [22].

Carte 2 : Le chômage en 1999

Source : INSEE.
Laboratoire de cartographie appliquée B. REMY/ E. MARCADE.

Au-delà de cette interprétation exclusivement spirituelle, nombreux sont ils à s’accorder sur la spécificité de cette zone insulaire. Un habitant de Saint Pierre le soutient :

[76]

« Le Nord, c’est plus parisien. C’est la pyramide inversée [23]… Ma sœur, d’ailleurs, habite juste derrière, et bien même son cari [24] canard dans le Nord, ce n’est pas le même : il est meilleur que le cari canard du Sud ! »

Pour mieux se faire comprendre, il griffonne rapidement quelques lignes à notre intention :

« Le Sud :

S lettre forte dans la poésie
S, comme soleil, solidarité
U, comme unité, utile
D, comme détente, douceur

Le Nord, quatre lettres fortes écrites dans la sémantique

N, comme nanti, neutraliser
O, comme ostentatoire, obtus
R, comme raillerie, raide, ride
D, comme désobligeant, dandy [25]. »

Un pasteur réunionnais observe cette différence au sein même de l’Église :

« L’atmosphère du Sud est moins lourde, moins dure qu’à l’Ouest. Les gens sont plus simples, plus ouverts [26] ».

Un autre de nos interlocuteurs résume la différence entre le Sud et le reste du département en ces termes :

« Le Sud c’est la case de l’oncle Tom, c’est une autre île, c’est un autre tissu, un autre ethos. Le Nord est sous l’influence de l’aéroport de Gillot et de la capitale de Paris. Il y a un siècle entre les deux ! Lors des sessions Cana [27] dans le Sud, trois générations sont représentées : les fiancés, les parents, les grands parents [28]. »

Ainsi, selon nos interlocuteurs, le Sud serait davantage du côté de la tradition, plus enclin à sauvegarder les traits spécifiques à la culture réunionnaise que les autres régions de l’île, et en particulier du Nord qui serait lui, davantage influencé par le modèle métropolitain.

Pour appuyer cette hypothèse, la présentation de quelques indicateurs socio-économiques actuels s’impose. Elle sera suivie d’une mise en avant de données socio-historique susceptibles d’expliquer l’interaction entre la transformation religieuse susmentionnée (le développement d’un pentecôtisme troisième vague) et l’identité territoriale mobilisée (le Sud).

2.2 Le Sud : une région plus agricole
et moins développée que le Nord


Actuellement, nombre d’éléments viennent souligner la différence entre le Sud et le Nord [29]. Le Nord, comme le souligne le géographe Jean-Michel Jauze,

« présente une continuité économique et territoriale s’articulant autour de trois éléments clés : l’aéroport de Roland Garros, la préfecture  de Saint-Denis Denis et le port la Pointe-des-Galets […] Le fait d’abriter des infrastructures aéroportuaires et portuaires est un atout majeur dans le développement et l’urbanisation de cette région. Dans ce domaine, le Sud a du mal à rattraper son retard » (Jauze, 2004 : 61-62).

Outre ces grands équipements et service publics où « la capitale se taille la part du lion », plusieurs indicateurs montrent une inégalité de développement entre ces deux micro-régions. La répartition de l’emploi tout d’abord, manifeste ce déséquilibre. Si la région sud est la plus peuplée (36% de la population totale) [30], si elle est la plus grande (38% du territoire insulaire) [31], c’est celle du nord qui concentre 42,61% du total des emplois disponibles dans [77] l’île lorsque le Sud en offre 30,61%. Cette situation va de pair avec un taux de chômage dans le Sud supérieur de cinq points à celui du Nord (36% en 1999 pour le premier contre 31% en  1999 [32]). De plus, le Nord – industrialisé et tertiarisé – domine économiquement le Sud dont l’économie demeure à prépondérance agricole. En effet, la superficie agricole utilisée est de 4 682 hectares au Nord et de 20 171 hectares dans le Sud.  En 2007, le Nord comptait 627 agriculteurs exploitants alors que le Sud en totalisait 3 525 [33].

Carte 3 : Les emplois agricoles en 1999

Source : INSEE.
Laboratoire de cartographie appliquée B. REMY/ E. MARCADE.

Ces inégalités entre le Nord développé et le Sud en retard alimenta longtemps l’idée de création d’un second département. Si ce débat n’a plus cours actuellement, les élus du Sud  poursuivent leur combat en faveur d’un rééquilibrage entre les deux ensembles. Ils dénoncent également les disparités sociales observables entre les deux régions. Le taux d’érémistes tout d’abord est mis en avant : à 13,89%  dans le Sud contre 10,4% dans le Nord en 2006 [34]. Les questions de formation ensuite, sont évoquées, puisque selon les données communiquées par le député maire du Tampon en 2000 aux membres d’une mission sénatoriale [35], le Nord compte 53% de jeunes diplômés et 32% de cadres et professions intermédiaires contre seulement 37% et 23% dans la partie Sud. Un an auparavant, dans son plaidoyer en faveur du Sud, le député-maire de Saint-Pierre écrivait :

« L’illettrisme frappe 9% des moins de 15 ans dans le Nord contre 12% dans le Sud. 61% de la population du Sud est sans diplôme contre 46% population du Nord. […] Cela a bien évidemment des conséquences négatives dans le domaine fiscal : à Saint-Denis, 41% des ménages paient l’impôt sur le revenu contre 6% seulement à Saint-Philippe….» (Hoarau, 1999 : 13).

[78]

Carte 4.
Évolution du pentecôtisme à l'ile de la Réunion











Si les assemblées pentecôtistes première vague (assemblées de Dieu) et seconde vague (assemblée de l’Emmanuel) se sont implantées tout autour de l’île, les assemblées nouvelle vague (groupes charismatiques évangéliques et catholiques) se concentrent dans la zone sud de l’île. Cette dernière correspond à l’ancien domaine sucrier des Kerveguen.


[79]

2.3. Le Sud :
une histoire des structures agricoles particulière


Du point de vue socio-historique,  une des particularités de la région sud de l’île tient aux multiples petites propriétés dont elle est composée [36] et à son peuplement majoritairement Blanc. En ceci, elle se distingue de la région dite « au vent » (Est et Nord) qui, comme l’a montré Jean Defos du Rau, recèle davantage de moyennes ou très grandes propriétés. « Cette situation agraire est en correspondance avec un peuplement beaucoup plus noir » (Defos du Rau, 1960 : 214) et source de grands contrastes sociaux. Le géographe l’affirme :

« Le Sud est une région « peuplée en grande partie de petits-Blancs avec une faible proportion de très grands domaines (Petite-île, Saint-Joseph) ou même pas du tout (Entre-Deux, Avirons) […] On le voit, la différence est sensible avec l’autre versant de l’île. De ces impératifs, tout le reste découle : la forte proportion en éléments noirs, l’habitat en villages héritiers des camps d’esclaves ou d’immigrants, groupés autour de noyaux autour des grandes propriétés anciennes » (Defos du Rau, 1960 : 337).

Comme le souligne Jean Benoist,

« Ces contrastes ne représentent pas seulement des différents d’économie rurale ou d’implantation ethnique et de comportements culturels. Ils impliquent des différences considérables dans l’organisation sociale. La structure des communautés locales, les formes du pouvoir politique, les cheminements des communications, les choix économiques, les aspirations face à la société globale, les relations interethniques et les valeurs culturelles et religieuses de ces deux variantes principales du monde rural réunionnais sont très différents » (Benoist, 1973 : 17).

Dans son ouvrage Structure et changement de la société rurale réunionnaise, l’anthropologue s’attache à démontrer que la particularité remarquable de La Réunion par rapport aux autres  îles à sucre réside dans l’existence d’une société paysanne que Jean Defos du Rau qualifiait de « civilisation des Hauts » (Defos du Rau, 1960 : 385). Cette variante du monde rural réunionnais est celle,

« qui a pu échapper largement à ces processus sans être uniquement formée d’une poussière d’exploitations marginales. Elle occupe des secteurs entiers de l’île, forme des communautés vivantes, édifie une vie économique et sociale qui lui est propre. Il faut chercher dans l’histoire de l’occupation du sol, dans l’importance relative d’un paysannat d’origine européenne antérieur à la plantation, dans la nature des activités agricoles de certaines régions de l'île, la source de cette société » (Benoist, 1973 : 54).

La région Sud se singularise par son indépendance vis-à-vis de la plantation d’une part et sa composition ethnique d’autre part, puisqu’elle est constituée en majorité de Blancs. Ces derniers, « identifiés comme les analogues pauvres de ceux qui occupent le sommet de la hiérarchie sociale, voient dans cette identification le garant et le signe de leur indépendance ».

2.4. Le Sud :
une identité socioculturelle et religieuse spécifique


Jusque dans les années soixante, en raison du système de plantation, la société indianocéanique se caractérise par sa division en deux blocs d’inégale amplitude : une minorité de grands Blancs propriétaires ou maîtres au sommet de la pyramide sociale dominent une masse constituée de « misérables Blancs » et « pauvres Noirs ». D’un côté les gros Blancs possèdent 60,1% du sol alors qu’ils ne représentent que 2,1% des propriétaires. À l’autre bout de l’échelle sociale, 72% de petits propriétaires possèdent moins de cinq hectares et cultivant 7% de la surface du sol. Ces « petits propriétaires, journaliers agricoles vivent dans un perpétuel endettement, dans la dépendance de l’usinier et du banquier. C’est le cercle vicieux de la pauvreté » (Gilman, 1964 : 142). Au sein de ce second groupe, des Blancs [37] croisent les gens de couleur, suite à un processus de paupérisation d’une partie importante de la population blanche aux XVIIIe et XIXe siècles. [80] Actuellement encore, la situation économique et sociale, de ces descendants de colons européens prolétarisés, diffère peu de celles des descendants africains et malgaches ou indiens.

Parmi les Créoles, entre grands et petits, une classe intermédiaire a toujours peiné à se frayer un chemin, tant le système de la plantation semblait intrinsèquement hostile à une troisième voie. Cependant, une nuance se doit néanmoins d’être apportée au sein de la population blanche qu’il nous convient d’approfondir puisqu’elle met en évidence, à partir de 1848, l’émergence d’une nouvelle catégorie de Blancs, directement concernés par le recrutement des ministres du culte. En effet, dans la seconde moitié du XIXe siècle, nombreux sont les petits-Blancs, qui s’installent dans les Hauts de l’île, trouvant là, selon l’expression d’Yves Pérotin « une sorte de reclassement » (Perotin, 1959 : 208-209). Certains occupent alors les plaines et les cirques dégagés des Marrons, alors que d’autres colonisent le haut des propriétés, devenues accessibles pour la culture de la canne – des concessions leurs étant explicitement réservées. Chacun trouve la possibilité de pratiquer une activité qui lui sied tout en conservant son indépendance. Stéphane Nicaise l’explique :

« L’intégration des petits-Blancs à l’ensemble du système social se remet donc en route lorsque cette population (qui) se voit offrir une carrière conforme à son idéologie de descendants de premiers colons. Elle ne pouvait déchoir de ce statut en acceptant une activité attribuée également à l’esclave. Par le colonat partiaire, elle sauvegarde un rapport à la terre qui confirme sa liberté et son autonomie. La part des récoltes réservées au propriétaires du terrain relève d’un contrat entre gens libres, et non d’une relation de soumission à un maitre » (Nicaise, 1999 :  68-69).

La nouvelle situation de ces petits-Blancs correspond à l’émergence d’une catégorie intermédiaire dans le champ social, qui s’apparente à celle de la paysannerie [38].

Si la plupart des membres de ce groupe, se sont principalement installés dans les Hauts de l'île, leur implantation déborde également sur le secteur côtier dorénavant désigné comme le « grand Sud ». Comme le note Stéphane Nicaise : « Par conséquent, le qualificatif de petit-Blanc ne suffit pas pour rendre compte de la diversité des conditions de vie de ces populations » (Nicaise, 1999 : 70). Ceci le conduit à « distinguer une autre catégorie de la population blanche » mentionnée par Yves Pérotin comme celle des « Blancs de condition intermédiaire » (Perotin, 1959 : 196).

Entre les grands-Blancs exerçant directement leur pouvoir sur la société et les petits-Blancs sans influence notoire sur cette dernière, l’anthropologue identifie :

« un groupe intermédiaire au sein de la population blanche, voire légèrement métissée. Ce groupe détient de fait le rôle de médiateur entre toutes les composantes de la société réunionnaise. Lieu médian, il se laisse traverser par les influences des diverses traditions culturelles et religieuses représentées sur l’île. Situé dans l’entre deux, nous le nommons groupe des Blancs-moyens, pour rester dans le paradigme » (Nicaise, 1999 : 71-72).

Or, c’est précisément de ce groupe que furent issus [39], en majorité, les membres du clergé insulaire et que sont aujourd’hui issus la quasi-totalité des pasteurs des assemblées pentecôtistes nouvelle vague. Paraphrasant Stéphane Nicaise, nous pouvons donc en conclure que « le relevé attentif du lieu de naissance des candidats au ministère pastoral se superpose à l’observation de Defos du Rau et de Benoist. La majorité des pasteurs [40] créoles est bien issue du paysannat de Blancs moyens qui, à la faveur d’un regroupement dans quelques localités du sud de l’île, a conservé sa propre identité socioculturelle et religieuse » (Nicaise, 1999 : 77).

Alors que, depuis les années 80, les vocations sacerdotales tendent à se raréfier d’une part, et à concerner beaucoup plus largement toutes les catégories ethnoculturelles [81] de la population locale [41], d’autre part, les leaders néo-charismatiques appartiennent de manière quasi exclusive à la catégorie des « Blancs-moyens » originaires du sud de l’île. Nombre de pasteurs néo-charismatiques l’ont constaté avec nous, descendant la liste de leurs confrères en ces termes :

« Lui, c’est un Yab. X et Y ce sont des Blancs, etc. À la Mission (Salut et Guérison) il y a aussi des Noirs, c’est plus mélangé et ils sont plus nombreux au Nord (que dans le Sud) » [42].

Tout compte fait, dans le Sud, seuls trois pasteurs ne sont pas issus de cette catégorie puisqu’ils sont d’origine indienne. Ces derniers ont établi leur assemblée dans les quartiers où ils résident et qui correspondant à des poches de populations d’origine indienne installées à proximité des usines sucrières. Dans le nord en revanche, l’origine des pasteurs dirigeant ce type d’assemblées est plus variée mais ces groupes rassemblent nettement moins de fidèles d’une part et sont, pour l’essentiel, coiffés par l’autorité « suprême » d’un pasteur « Blanc - moyen » du Sud d’autre part.

Dès lors, nous ne pouvons que constater la corrélation entre les deux traits spécifiques à la société paysanne évoqués par Jean Benoist et ceux qui concernent ces assemblées néo-charismatiques. Là où l’anthropologue pointait l’indépendance de ces petites exploitations familiales vis-à-vis de la plantation, nous soulignerons le caractère indépendant de ces groupes charismatiques. Là où l’anthropologue pointait la composition ethnique (majoritairement blanche) de cette société, nous soulignerons l’appartenance des leaders charismatiques à la catégorie  Blancs moyens.

D’autre part, si en raison du déclin de la production agricole et en particulier sucrière, ces hommes n’ont plus rien du paysan décrit par Jean Benoist à la suite des travaux de Jean Defos du Rau, ils ont gardé de leurs ascendants, l’esprit entrepreneurial. En effet, ces leaders charismatiques sont à 80% d’anciens ou d’actuels commerciaux, dotés d’un grand dynamisme et d’une réelle capacité à prendre des initiatives. Comme l’exprime un pasteur du Nord à leur sujet : « Qu’on le veuille ou non, (dans) le Sud, il y a eu plus de pasteurs avec du ? toupet ? et de l’enthousiasme, qui sont sortis de la Mission Salut et Guérison [43]».

Par ailleurs, comme le morcellement des structures agraires avait abouti autrefois à la constitution de petites exploitations familiales, les multiples divisions au sein de ces groupes néo-pentecôtistes donnent naissance à de nombreuses assemblées. Théoriquement, chaque association cultuelle devrait être dirigée par un collège d’anciens dont les membres seraient élus par les baptisés. Dans les faits, peu d’assemblées en ont nommé plus d’un ou deux et le pasteur dirige bien souvent seul son Église. D’autre part, alors que le protestantisme évangélique marque par bien des aspects une rupture avec les héritages familiaux des adeptes, la famille des leaders est fortement présente à la tête de ces petites formations religieuses qui s’apparentent à des PME locales et familiales. Ainsi, en toute hypothèse, une part du succès, que continue à rencontrer cette mouvance religieuse à l’île de La Réunion, peut être imputée à sa capacité d’hybridation et d’adaptation, y compris dans le recyclage de certaines formes d’autorité issues du catholicisme populaire local.

Conclusion 

Dans « la revanche de Dieu », Gilles Kepel avait mis à jour la dimension géopolitique [44] des projets religieux dans le monde tels qu’ils s’expriment depuis les années 70. Le développement des nouveaux groupes pentecôtistes à La Réunion peut être replacé dans une perspective analogue : ils sont l’expression d’une zone géographique spécifique, le sud de l’île. Cette évolution du fait religieux insulaire relativise l’opposition territoriale établie entre la zone littorale et celle des montagnes. En effet, l’île tropicale se caractérisée par un dualisme Haut-Bas, qui résulte de son histoire et délimite des espaces qualitativement distincts. Comme l’écrit Marie-Gisèle Dalama, l’île de La Réunion est aussi, à travers ses hauts et ses bas une « île de la désunion » (Dalama, 2005 : 342). [82] Sans annuler la dichotomie « Bas-Haut », cette effervescence religieuse fait apparaitre une seconde opposition : celle du Sud, ou du « grand Sud », aux autres espaces insulaires.

Au-delà de la problématique réunionnaise, l’étude de ces assemblées pentecôtistes « troisième vague » nous montre comment, de manière contradictoire, le pentecôtisme désigné comme une religion « transnationale » par excellence (Cox, 1995), finit par épouser les traits des croyances et pratiques qu’il combat, allant même jusqu’à accompagner une réaffirmation identitaire. Alors que le pentecôtisme classique conduit habituellement à une déterritorialisation des appartenances religieuses, le pentecôtisme « nouvelle vague » se conjugue avec une stratégie implicite de re-territorialisation. Yannick Fer fait un constat semblable en Océanie où la théologie du « combat spirituel » rencontre un vif succès en plusieurs îles. Pour le sociologue, cela « montre comment la globalisation religieuse peut conduire à des reformulations locales des conceptions traditionnelles concernant les rapports entre individus, culture et territoires » (Fer, 2009). La question ici posée est celle de l’articulation entre identité religieuse locale et appartenance à des réseaux transnationaux et plus largement, celle « des processus de recomposition à l’échelle locale de dynamiques mondiales » [45] – processus que certains désignent par le terme de « glocalisation ».

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[1]  L’auteure a soutenu en mars 2011 une thèse d’anthropologie à l’université de La Réunion au sujet de la mouvance pentecôtiste – charismatique insulaire intitulée L’Église à l’épreuve du pentecôtisme. Une expérience religieuse à l’île de La Réunion.

[2]  Le pentecôtisme dit « classique » ou encore » historique » correspond à la première « vague pentecôtiste » (Freston) qui se forma au début du XXe siècle lors du réveil de l’Azuza Street et qui donna ensuite naissance aux grandes dénominations pentecôtistes comme celle des Assemblées de Dieu. Ce mouvement religieux promeut une doctrine fondée sur le rôle de l’Esprit Saint dans un cadre biblique bien normé.

[3]  L’analogie avec les cônes adventifs (cônes volcaniques annexes édifiés par une nouvelle éruption) nous paraît particulièrement pertinente sur cette terre volcanique….

[4]  Cette mouvance, née aux États-Unis dans les années 60, correspond à l’introduction du pentecôtisme classique dans les Églises historiques (protestante puis catholique). Elle se caractérise notamment par le fait que les nouveaux baptisés dans le Saint-Esprit ne quittent pas leur Église d’origine, mais que tout en participant à des assemblées de prière en semaine, ces charismatiques demeurent fidèles au culte dominical et à leurs divers engagements ecclésiaux.

[5]  Instance diocésaine du Renouveau charismatique local.

[6]  Saint-Pierre, entretien du 4 mai 2007.

[7]  « C’est endémique, c’est vrai ». Le Tampon, entretien du 24 juin 2007.

[8]  Groupes pays.

[9]  Selon l’expression de l’ancienne responsable du Renouveau diocésain. Saint-Denis, entretien du 3 mai 2007.

[10]  Survenu en 2003.

[11]  Selon la grille fournie par Sébastien Fath, elle-même inspirée des typologies wébériennes (Fath, 2001 : 51).

[12]  Courant doctrinal de la « restauration des ministères » apparaissant dans le monde évangélique charismatique au début des années 90 qui a notoirement influencé les différentes assemblées réunionnaises.

[13]  Le Tampon, entretien du 5 juin 2007.

[14]  Pour autant, s’il est admis que ces nouvelles assemblées pentecôtistes puissent être considérées en terme de résistance, il ne s’agit pas d’une résistance faisant front au pouvoir politique ou religieux de manière consciente et organisée, comme c’est le cas dans d’autres sociétés issues de la colonisation où la résurgence des pratiques ancestrales engendra de véritables institutions religieuses. Aussi, parler de « religion créole », paraît peu convenir à la situation réunionnaise. Comme le fait remarquer Philippe Chanson au sujet des Petites Antilles (Martinique et Guadeloupe), l’exiguïté des territoires n’a pas permis les grands marronnages d’esclaves et la création de communautés marronnes dont sont issus les cultes dits « afro-caraïbes » : candomblé au Brésil, santeria à Cuba, obeahisme en Jamaïque, vodou en Haïti, shango-cult à Trinidad, winti et kunu en territoire marrons amazoniens de la Guyane et du Surinam. Aux Petites Antilles, ce sont « des formes de croyances et de pratiques dites ? magico-religieuses ? non institutionnalisées, cachées ou glissées sous le catholicisme obligé qui se sont finalement imposées » (Chanson, 2010 : 29). De la même manière, à La Réunion, il s’agit moins d’une institution

[15]  Le catholicisme est présent dans l’île depuis les débuts du peuplement (1665). Son influence se manifeste notamment au regard de sa  toponymie – désignée localement comme la « ronde des saints ».

  En situation hégémonique jusqu’aux années 60, la religion catholique a conservée un rôle prépondérant dans une île où aujourd’hui encore ,75% des enfants qui naissent sont baptisés.

[16]  L’Église adventiste est introduite à La Réunion par le pasteur Girard en 1936. Elle regroupe 1 500 fidèles. Elle dispose de 19 lieux de cultes établis dans les principales communes insulaires.

[17] Les Assemblées de Dieu regroupent actuellement plus de 22 000 fidèles. Elles disposent de 47 lieux de culte répartis sur l’ensemble du territoire insulaire.

[18]  L’église évangélique est née à l’initiative du pasteur baptiste Paul White en 1971. Elle réunit 2 000 membres. Elle dispose de 11 lieux de cultes établis dans les principales communes insulaires.

[19]  Le Renouveau charismatique diocésain compte 2 000 membres et 18 000 sympathisants. Il regroupe 48 groupes de prière établis dans les principales paroisses du diocèse.

[20]  Pour un état des lieux complet au sujet de ces différents revivalismes en général et des Églises évangéliques de type « piétiste-orthodoxe » en particulier voire les résultats de l’enquête sur les recompositions du protestantisme à La Réunion (Aubourg 2010).

[21]  Saint-Pierre, entretien du 21 mai 2007.

[22]  Cette conception de l’espace et de l’autre s’apparente à celle qui sous tend le spiritual mapping (cartographie spirituelle) et le spiritual warfare (combat spirituel) visant l’identification d'esprits tutélaires des lieux et la libération des territoires. Développée par des théoriciens de la « troisième vague » pentecôtiste, tels que C. Peter Wagner, George Otis Jr ou John Dawson, cette stratégie missionnaire n’est pas nommée en tant que telle mais son influence n’en n’est pas moindre sur les pasteurs réunionnais

[23]  LE SIÈGE DU CONSEIL RÉGIONAL À SAINT DENIS.

[24]  NOM DE PLAT RÉUNIONNAIS CONSTITUÉS D'OIGNONS, D'AIL, DE GINGEMBRE, DE SEL ET DE PIMENTS ÉCRASÉS.

[25]  Saint-Denis, conversation du 06 décembre 2008.

[26]  Le Port, entretien du 21 mai 2007.

[27]  Retraites charismatiques catholiques organisées pour les couples.

[28]  Lyon, entretien du 27 avril 2008.

[29]  Le schéma d’aménagement régional (S.A.R.), élaboré par le Conseil régional a divisé La Réunion en quatre micros régions : Le Nord, l’Ouest, l’Est et le Sud. Le Sud recouvre les imites micro-régionales du SAR qui comprend les communes situées entre Saint-Joseph, le Tampon et l’Entre-Deux. Le Nord est constitué d’un ensemble qui s’étend de la ville de Sainte-Marie à l’extrémité nord de la commune de Saint-Paul  (zones de Cambaie et de Savannah)  en passant par Saint-Denis.

[30]  La population totale de l’île est de 794 106 habitants en 2007. La région sud  compte 282 274  d’habitants et celle du nord en compte  193 731. Source Insee. Recensements de la population, 2007.

[31]  Une superficie de 943 km2 au Sud contre 288 km2 au Nord. Source Insee. Recensements de la population, 2007.

[32]  Le 1er janvier 2010, le nombre de demandeurs d’emploi en fin de mois atteindra même 44 142 personnes dans le Sud, soit 42% du total de l’île.

[33]  Source : AGRESTE, recensement agricole 2000.

[34]  Source Insee. Recensements de la population, 2007.

[35]  SENAT, rapport d'information n° 366, annexe au procès verbal de la séance du 30 mai 2000,  fait à la suite de la mission effectuée à La Réunion du 12 au 15 janvier 2000.http://www.senat.fr/rap/r99-366/r99-3662.html

[36]  Ce morcellement date en partie du début du XXe siècle. Jusqu’alors, deux hommes étaient à la tête de véritables empires fonciers faisant d’eux les plus grands propriétaires de l’île. Il s’agissait du comte Kerveguen et du comte Choppy. Mais au lendemain de la guerre de 1914-1918, ils décidèrent simultanément de vendre leurs domaines sucriers respectifs. La mise en vente de leurs biens entraina la division des propriétés en de nombreuses parcelles dont une cohorte de petits planteurs se sont fait acquéreurs.

[37]  Originaires pour l’essentiel de la petite paysannerie de l'ouest de la France.

[38]  Même si, prenant appui sur les travaux de Benoist, il convient de nuancer cette assimilation des petits blancs des hauts à la société paysanne : « il faut reconnaître une certaine concordance, ni complète, ni exclusive entre cette société et le peuplement d’ascendance européenne des Hauts de l’île » (BEnoist, 1973 : 54).

[39]  Jusque dans la première moitié du XXe siècle.

[40]  Nous parlons ici de ministère pastoral et de pasteurs là où S. Nicaise évoquait les « candidats au sacerdoce »  et le « clergé ».

[41]  Les dernières ordinations sacerdotales concernent nettement plus d’hommes d’origine chinoise, afro-malgaches ou indienne.

[42]  Le Port, entretien du 21 avril 2007.

[43]  Entretien ibid.

[44]  Même si le mot n’est jamais employé par l’auteur.

[45]  C’est en ces termes que Frédéric Dejean questionne la déterritorialisation des appartenances religieuses à laquelle le protestantisme évangélique est généralement associé. Selon lui, certains auteurs « ont sans doute été trop loin dans l’idée d’un abolissement de l’espace » (Dejean, 2008).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 24 février 2016 14:39
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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