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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Yao Assogba, Sortir l'Afrique du gouffre de l'histoire.
Le défi éthique du développement et de la renaissance de l'Afrique noire
. (2003)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Yao Assogba, Sortir l'Afrique du gouffre de l'histoire. Le défi éthique du développement et de la renaissance de l'Afrique noire. Québec: Les Presses de l'Université Laval, 2004, 200 pp. Une édition numérique réalisée par ma fille cadette, Émilie Tremblay, bénévole, doctorante en sociologie à l'UQAM. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 9 juillet 2012 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[1]

Sortir l’Afrique du gouffre

Le défi éthique du développement
et de la renaissance de l’Afrique noire


Introduction

Ce livre tire ses racines de loin. Il est l’aboutissement de questionnements, discussions, analyses et commentaires que j’ai eu le privilège d’échanger à propos de l’Afrique avec de nombreux amis et intellectuels africains engagés comme moi, mais aussi avec des collègues et amis africanistes français, belges, québécois, canadiens, etc. Après de longues réflexions qui ont porté sur les connaissances théoriques et pratiques élaborées sur la crise « quasi endémique » de l’Afrique, j’en suis arrivé à la conclusion suivante : au-delà des thèses d’ajustement culturel, de refus du développement, de conditions de pénurie de nécessités matérielles, d’insatisfaction des besoins essentiels ou d’autoritarisme dans lesquelles se trouvent plongées les populations africaines depuis quatre décennies, se pose un problème fondamental d’éthique. En un mot, le sous-développement de l’Afrique au début du XXIe siècle renvoie à une question d’éthique qui se pose pour l’essentiel aux États postcoloniaux d’Afrique, ainsi qu’aux rapports qu’ils ont avec les grandes puissances du Nord dans le système mondial. Eu égard aux problèmes de maladies, de malnutrition, de faim, d’analphabétisme, d’autoritarisme politique, etc. qui accablent les populations africaines, il s’agit d’un défi éthique de taille à relever. Du point de vue humaniste, il commande de chercher, de retrouver et de renouer avec le sens de la personne dans l’exercice des fonctions de la politie. Celle-ci est définie comme l’instance sociétale qui doit assurer la sécurité – au sens large – des membres de toute société humaine. L’humanisme dont les valeurs fondamentales sont la liberté, la justice, la poursuite de l’égalité, consiste en la lutte incessante contre les impulsions à [2] la barbarie, qui portent atteinte à la dignité de la personne et qui hantent depuis toujours le genre humain.

Depuis quarante ans, les politiques nationales et internationales de développement, malgré les ressources humaines, matérielles et financières océaniques qu’elles ont drainées, ont donné des résultats qui ne vont pas dans le sens du respect de la dignité de l’homo africanus. Certes, la dignité de la personne n’a pas toujours prévalu et ne prévaut pas – hélas – dans la société. Cependant, aussi loin que l’on peut remonter dans l’histoire de l’humanité (sur le plan ontologique), l’individu a toujours eu le sens de sa dignité. L’histoire de la morale, l’évolution des sentiments moraux et l’histoire des institutions humaines sont jugées à l’aune du respect de la dignité de la personne. Quant à l’éthique, elle est à la fois un principe de jugement des pratiques sociales ou des actions à mener, et des décisions à prendre dans une perspective de respect de la dignité de la personne. En Afrique, depuis les indépendances, tout se passe comme si l’éthique du développement faisait défaut dans le rôle-clé de la politie. À la suite de Spinoza, on dirait que l’éthique de la liberté, qui reconnaît le principe du développement de l’individualité, à savoir ce que chaque individu porte en lui comme être humain, a été absente ou négligée dans les mécanismes de régulation politique, économique et sociale des États africains de la postcolonie. Le plein développement de la communauté humaine – autre principe de l’éthique de la liberté , dont les interactions permettent de libérer les potentialités individuelles et collectives qui rendent la vie communautaire possible, aurait également manqué.

Ce livre est articulé autour du postulat selon lequel le développement de l’Afrique passe par un défi éthique qui consiste à prendre conscience et à reconnaître comme fondamental et incontournable dans les sociétés contemporaines, le principe ontologique du respect de la dignité de l’individu, en l’occurrence de l’homo africanus. C’est dans cette perspective que l’on doit désormais mener les politiques, les pratiques et les actions développementales en Afrique. En outre, une conscience identitaire élargie du pays d’une part, et une conscience identitaire de la communauté humaine au sein du système mondial d’autre part, doivent constituer la toile de fond sur laquelle vont se [3] dérouler les interactions des forces sociales en présence, pour relever le défi éthique du développement de l’Afrique.

Pour bien développer notre argumentation, nous avons divisé l’ouvrage en huit chapitres. Le premier, intitulé L’Afrique entre les rêves et l’histoire, fait état des lieux de la crise africaine pour ensuite proposer une définition conceptuelle et opératoire du minimum de bien-être qui serait requis dans les sociétés contemporaines, eu égard à la dignité de la personne ; le deuxième chapitre décrit l’Afrique à travers les trajectoires du système mondial; le troisième est consacré aux notions-clés de démocratie et développement, tandis que le quatrième, titré L’Afrique au rendez-vous avec le développement, fait d’abord la genèse du développement pour le définir par la suite comme objet d’analyse sociologique ; les deux chapitres suivants traitent respectivement de la controverse autour de l’Afrique et la démocratie (cinquième chapitre) et des rapports entre culture, démocratie et développement (sixième chapitre) ; dans le septième chapitre, nous nous attelons à définir et caractériser ce que peut être un développement à l’africaine dont l’enjeu se traduit en ces termes : s’en sortir ou s’engouffrer : l’Afrique doit choisir, ce qui est, du reste, le titre du huitième et dernier chapitre. L’éthique de la liberté impose par définition le choix de s’en sortir. Dans cette perspective, et c’est une condition sine qua non, les dirigeants et les peuples africains doivent rompre avec les mythes fondateurs du colonialisme et du néo-colonialisme, bref les mythes de l’Occident-sauveur.

L’élaboration de ce livre embrasse à la fois les fonctions descriptive, cognitive et performative des sciences sociales en général et de la sociologie en particulier. La description traverse l’ensemble des chapitres et permet de bien définir les concepts et notions, et de préciser dans quel sens ils sont employés, ce qui se fait rarement dans les ouvrages portant sur les questions de démocratie et du développement en Afrique. Pour mieux comprendre les faits sociaux auxquels les divers projets de développement donnent lieu, nous avons suivi une approche interactionniste permettant de construire ces projets comme objets d’analyse sociologique (quatrième chapitre). Le savoir ainsi produit nous a permis d’appréhender, avec une certaine distanciation par rapport à la problématique du développement, les principaux acteurs sociaux impliqués dans [4] la réalisation des projets, les logiques et stratégies des uns et des autres.

Ainsi, selon cette approche, les phénomènes macrosociaux ou mésosociaux finaux des projets de développement sont considérés comme la résultante de l’agrégation des actions intentionnelles des acteurs et agents sociaux individuels concernés. C’est dans cette perspective que l’on explique et comprend l’échec ou le succès d’un projet de développement. Une fois que cette fonction cognitive a mis en lumière les différentes rationalités, stratégies et décisions en jeu dans les systèmes d’interactions en vue de réaliser ou de mettre en place une innovation de modernisation, nous avons été en mesure d’en déterminer et d’en évaluer la dimension éthique de la liberté. C’est la dynamique méthodologique qui a orienté nos analyses, particulièrement les thématiques suivantes : la crise africaine ; la croissance économique, la démocratisation et les libertés civiles ; la longue marche de l’Afrique pour la démocratie.

À la lumière des résultats de l’évaluation du volet éthique de la liberté, nous nous sommes inspiré des attributs de la fonction performative de la sociologie pour énoncer les conditions d’une renaissance de l’Afrique noire à partir d’un développement qui, de façon fondamentale, tient compte du respect de la dignité de l’homo africanus dans le monde contemporain qui possède tout ce qu’il faut pour que l’éthique de la liberté devienne une réalité pour tous les peuples de la terre.



Retour au texte de l'auteur: Yao Assongba, sociologue, Université du Québec en Outaouais Dernière mise à jour de cette page le samedi 27 juin 2015 7:26
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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