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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Yao Assogba, Sortir l'Afrique du gouffre de l'histoire.
Le défi éthique du développement et de la renaissance de l'Afrique noire
. (2003)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Yao Assogba, Sortir l'Afrique du gouffre de l'histoire. Le défi éthique du développement et de la renaissance de l'Afrique noire. Québec: Les Presses de l'Université Laval, 2004, 200 pp. Une édition numérique réalisée par ma fille cadette, Émilie Tremblay, bénévole, doctorante en sociologie à l'UQAM. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 9 juillet 2012 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[xxv]

Sortir l’Afrique du gouffre

Le défi éthique du développement
et de la renaissance de l’Afrique noire


Avant-propos

L’aventure humaine ici bas est fondamentalement définie par les rapports signifiants que les hommes et les femmes établissent entre eux et avec leur environnement dans le but de trouver un sens à leur existence et, par là, répondre au besoin de sécurité propre aux êtres humains. Il s’agit d’un combat perpétuel, puisque ce besoin de sécurité est toujours précaire et sans cesse menacé devant la fuite du temps et l’interrogation de la mort (Duguay et Robert, 1976). Chaque peuple, chaque culture trouve des réponses aux problèmes que lui posent la nature et la vie en société. Cette aventure propre à tous les êtres humains prendra une allure particulière dans l’histoire du monde à la fin du XVe siècle dans le cadre de la rencontre violente entre l’Europe-Occident, l’Afrique et l’Amérique principalement (Attali, 1991). Depuis lors, la dynamique des rapports entre l’Occident et ce qu’il est convenu d’appeler le Tiers-Monde en général et plus singulièrement l’Afrique noire, est faite d’échanges inégaux, d’antagonismes politiques et du choc des cultures. À partir de ce moment, l’histoire de l’Afrique est marquée par l’esclavage, la colonisation, le néocolonialisme, la mondialisation marginalisante, etc.

La modernité et le développement sont devenus la réponse « universelle » à donner aux problèmes d’existence de tous les peuples de la planète Terre. Ces deux notions-clés renvoient à des valeurs telles que la rationalité de l’homo œconomicus, l’accumulation du capital, la croissance économique, etc., valeurs qui ont inspiré l’élaboration d’une « problématique du changement social, enracinée dans les trajectoires spécifiques de sociétés [xxviii] occidentales qui revendiquent le monopole de la modernité » (Ela, 2000a : 59).

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et notamment à partir des années 1960, les accords de coopération internationale non équitables entre les anciennes puissances coloniales et les nouveaux États indépendants engagèrent les peuples africains dans la voie « royale » du développement. Toutes les politiques et pratiques sociales mises en œuvre depuis les années 1960, qu’elles se nomment décolonisation, indépendance, aide-au-développement-conditionnelle à la démocratisation, etc., visent à résoudre les problèmes d’oppression, de domination, de maladies, de malnutrition, d’analphabétisme, d’éducation, d’économie, de mortalité, etc., que connaît l’Afrique. Tous les efforts humains et financiers déployés par les pays du Nord (envoi d’experts, transfert de capitaux et de technologies, consultants des firmes privées d’ingénierie, évaluateurs privés ou publics) sont censés conduire, en principe et en pratique, au développement politique, économique, culturel et social de l’Afrique.

Mais dès le début de la décennie 1970-1980, les uns et les autres s’accordent pour reconnaître qu’il y a une faillite du développement en Afrique. L’Afrique subsaharienne, particulièrement, est accablée de presque tous les maux : terre de la pauvreté et de la misère humaine, enclave des pires dictatures, terre du désespoir, etc. Et s’il en est ainsi, c’est sans doute parce que l’Afrique aurait « refusé » tout simplement le développement (Kabou, 1991). Pour sortir de son chaos, l’Afrique aurait besoin, selon d’autres, d’un « ajustement culturel », la culture étant comprise ici dans le sens anthropologique du terme (Manguelle, 1991).

Fin de la décennie 1980-1990. Les aspirations démocratiques des peuples africains, longtemps comprimées par les régimes autocratiques, se sont exprimées dans les rues et dans les fameuses conférences nationales (Centre d’étude d’Afrique noire, 1994). L’Afrique au sud du Sahara semblait avoir, de nouveau, rendez-vous avec l’histoire moderne. L’espoir renaissait encore une fois sur le continent, comme dans les années 1960, pour une aventure humaine ici-bas plus digne de l’homme [xxix] africain dont l’histoire – il faut le redire – depuis le XVIe siècle, est plus que douloureuse. L’Afrique pourrait nourrir un tel espoir, car l’euphorie planétaire au lendemain de la chute du mur de Berlin semblait annoncer la « fin de l’histoire » à tous les peuples du monde. Mais c’était trop beau pour être vrai ! C’était oublier que l’Afrique était si loin du ciel et si collée à la terre ! Et sur la planète Terre, la dualité entre les riches et les pauvres, les forts et les faibles, est fondée sur des intérêts économiques et politiques égoïstes qu’aucun volontarisme moral ne cherche vraiment à atténuer, encore moins à enrayer. Le concept de nouvel ordre mondial de la fin du siècle n’est que vanité [1]. C’était oublier qu’une malédiction semble toujours peser sur l’Afrique ! C’était oublier qu’il s’agit du continent des « damnés de la terre » !

La fin de l’année 1991 a vu un coup de force militaire d’une rare barbarie s’abattre sur le Togo. Au début de janvier 1992, ce fut le tour des militaires congolais à perpétrer un coup de force. Au Zaïre de Mobutu, la situation a été plus confuse que jamais. Rebaptisé République démocratique du Congo (RDC), le pays sous Kabila père ou Kabila fils est toujours dans un chaos fait de guerre et de pillage systématique par les potentats régio­naux et les compagnies multinationales. Bien sûr durant ces années 1990, au Bénin, au Cap-Vert, au Mali, en Zambie, etc., des élections ont écarté du pouvoir d’anciens dictateurs. Mais très tôt, le processus de démocratisation a connu des ratés et s’est buté à de sérieuses difficultés. Face à cet encroûtement précoce de la démocratisation de l’Afrique, on a commencé à se demander si la démocratie, en tant qu’idéal recherché par l’humanité, n’est pas en train d’emprunter une voie dont on peut craindre qu’elle n’aboutisse à la désillusion et au désenchantement, comme ce fut le cas de la voie empruntée trente ans plus tôt par les idéaux d’indépendance et de développement (Conac, 1993 ; Eboussi Boulaga, 1993). L’afro­optimisme du début des années 1990 ne vivra que le temps que vivent les roses ; l’espace d’un matin, et fera de nouveau place à l’afro-pessimisme. Mais entre ces deux courants de regard sur le [xxviii] continent noir, une troisième approche des phénomènes sociaux énigmatiques liés à la problématique du développement et de la démocratie est proposée : c’est l’afro-renaissance (Ela, 2000a et 1998).

Loin de refuser le développement, entendu au sens large du terme, l’Afrique semble plutôt opposer une résistance au modèle unique pour participer à un développement et à une modernité situés et datés dans l’historicité des sociétés africaines. L’Afrique est donc engagée depuis le XVIe siècle (rencontre avec l’Occident) dans les trajectoires du « système-monde » dont la dynamique particulière semble empêcher le continent d’emprunter sa propre voie ou de trouver une voie originale pour assumer son destin. Du point de vue cognitif, la question qui se pose est de savoir pourquoi. Et sur le plan performatif, on doit se demander comment sortir l’Afrique du bas-fond de l’histoire. C’est à cet exercice de questionnement et d’essai d’explication, de compréhension et de réflexion que ce livre entend s’appliquer.

Mais avant toute élaboration, je dois remercier les personnes dont les commentaires, les critiques, les remarques et les suggestions ont nourri mes interrogations et mes idées.

Ainsi, ma gratitude va particulièrement à Jean-Marc Ela qui fut le premier à m’encourager et à me motiver à entreprendre la rédaction de ce livre. Ses commentaires judicieux et nos discussions ont été sources de motivation. Je le remercie bien vivement. Achille Mbembe, Célestin Monga et Sidonie Zoa avec qui j’ai eu, à de nombreuses occasions, de longues conversations sur l’Afrique [2], reconnaîtront sans doute l’influence de leurs idées.

La dernière et non la moindre, ma reconnaissance va à Caroline Gagnon, chargée de cours et professionnelle de recherche à l’Université du Québec en Outaouais (UQO), dont les connaissances en mythologie ont alimenté mes analyses et commentaires à propos de la rupture de l’Afrique avec les [xxix] mythes de l’Occident-sauveur. En outre, sa minutie, sa patience et son efficacité ont été importantes dans la préparation matérielle de ce livre.

Je suis redevable aux uns et aux autres, cependant j’assume seul la responsabilité du contenu final de l’ouvrage dans sa portée et ses limites.

[xxx]



[1] « L’ordre mondial relâche », Entretien avec Zaki Laïdi, in Études, vol. 377, no 12, juillet-août 1992.

[2] Mes remerciements posthumes à mon amie Suzanne Champagne avec qui j’ai eu souvent à discuter de l’Afrique, mais qui est décédée le 20 février 2004, avant que cet ouvrage soit publié.



Retour au texte de l'auteur: Yao Assongba, sociologue, Université du Québec en Outaouais Dernière mise à jour de cette page le lundi 5 mai 2014 8:10
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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