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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Yao Assogba, “Pratiques participatives des ONG en Afrique: Le cas du PHV-CUSO au Togo.” Un article publié dans la revue NOUVELLES PRATIQUES SOCIALES, vol. 2, no 1, 1989, pp. 146-164. Montréal: UQÀM. [Autorisation de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales accordée par l’auteur le 9 juillet 2012.]

[147]

Yao Assogba

Professeur en travail social, Université du Québec en Outaouais

Pratiques participatives
des ONG en Afrique :
Le cas du PHV-CUSO au Togo
.”

Un article publié dans la revue NOUVELLES PRATIQUES SOCIALES, vol. 2, no 1, 1989, pp. 146-164. Montréal : UQÀM.

Table des matières

Introduction
1.  Éléments théoriques
Paradigmes de développement
Participation et processus de développement
Deux types de participation
Le type I ou la « participation déterministe »
Le type II ou la « participation interactionniste »
2.  Éléments de méthode
3.  PHV-CUSO et pratiques participatives
En guise de conclusion
Bibliographie
Sigles

Le présent article s'inscrit dans le cadre d'un projet de recherche plus large que l'auteur effectue sur les modes d'intervention communautaire d'approvisionnement en eau et d'assainissement en milieu rural en Afrique francophone. Ce projet de recherche a bénéficié d'une subvention du Fonds institutionnel de recherche (FIR) de l'UQAH.


[148]

Les organisations non gouvernementales (ONG) sont généralement reconnues pour leurs pratiques développementales qui consistent en la participation des populations à la réalisation de micro-projets visant à répondre aux besoins primaires de ces dernières (Schneider, 1985 ; D'Orfeuil, 1984). Cette orientation fait l'originalité des ONG depuis les années 70 et a donné lieu à des slogans du genre : « Pour une philosophie du nouveau développement » ; « Le développement à la base » ; « Le développement participatif ». Toutes ces formules laissent entendre, au niveau du sens commun, que l'approche des ONG est fondamentalement « participationniste » et en conséquence, elle associerait activement les populations concernées à toutes les phases que comporte un projet de développement.

Cependant, dans le domaine de l'hydraulique villageoise [1] notamment, les ONG semblent avoir fait, durant longtemps, exception à ce principe général. En effet, tout récemment encore, les programmes d'aide au développement en matière de construction des points d'eau dans les pays de l'Afrique noire étaient, pour la plupart, axés sur le volet purement technique et négligeaient les volets participation-communautaire et éducation socio-sanitaire des populations bénéficiaires. Les nombreux échecs de ces projets d'hydraulique villageoise, leurs coûts économiques trop élevés et les critiques sévères de ces stratégies de développement ont incité les États africains et les organismes de coopération internationale à mettre en oeuvre, au début des années 80, une nouvelle politique d'approvisionnement en eau et d'assainissement.

Cette politique recommande, entre autres, que tout projet d'hydraulique villageoise (PHV) soit fondé sur la participation communautaire et suivie d'une éducation socio-sanitaire des usagers et usagères de l'eau (Conac et al, 1985). C'est aussi la politique préconisée par la « Décennie internationale de l'eau potable et de l'assainissement » (DIEPA-1980-1990) des Nations-Unies (cf. OMS, 1986) Un projet d'hydraulique villageoise (PHV) résultant de la coopération entre le Canada et le Togo et s'inscrivant dans cette nouvelle politique de l'eau, est en exécution depuis 1984 dans la région maritime du Togo (cf. SUCO, 1984). La maîtrise d'œuvre [149] de ce projet est assumée par le Canadian Université Services Overseas (CUSO) et vise l'approvisionnement en eau potable et l'amélioration des pratiques d'hygiène des populations rurales de deux préfectures (Zio et Yoto) dans la région maritime du Togo.

Le PHV-CUSO est considéré en Afrique noire francophone et dans le milieu des organismes canadiens de coopération internationale (AQOCI, ACDI) comme un projet-pilote, car contrairement à ce qui s'est fait jusqu'ici dans le domaine, il a associé étroitement participation communautaire et aspects techniques dans l'hydraulique villageoise.

Le présent article tente de montrer, à partir de l'étude de cas du PHV-CUSO, que la mise en pratique de cette nouvelle politique peut poser des problèmes fondamentaux aux ONG relativement à leurs connaissances du milieu, à leurs appréhensions des motivations, des stratégies puis des aspirations des populations concernées, tout au long du processus de participation communautaire et du développement des projets. L'article comprend trois parties. La première est consacrée au schème théorique et définit deux types de participation : la participation de type déterministe et la participation de type interactionniste ; la deuxième présente les éléments méthodologiques de l'étude ; la troisième, enfin, fait l'analyse des données d'entrevues, compare les résultats aux types de participation et dégage certaines conclusions.

1. Éléments théoriques

Paradigmes de développement

Deux paradigmes principaux fondent les discours et les pratiques du développement dans le tiers monde en général et en Afrique en particulier. Il s'agit d'une part, du paradigme déterministe fortement influencé par le positivisme (Rostow, 1963) et d'autre part, du paradigme interactionniste de type weberien (Boudon, 1984 ; Mendras et Forsé, 1983).

En termes de pratique développementale, les experts qui s'inspirent du type I évacuent les acteurs sociaux concernés du processus du développement. Ce dernier est réduit à une simple question de transfert « mécanique » des facteurs définis comme les déterminants des transformations sociales nécessaires à « l'évolution » [150] d'une société sous-développée : la technologie et le capital financier. Les perceptions, les valeurs et l'univers symbolique des bénéficiaires des projets ne sont guère pris en considération dans le processus (Berger, 1978 : 217-225) [2]. Le paradigme déterministe est dominant dans la pratique du développement. « La conception dominante du développement est déterministe. C'est celle d'Auguste Comte, pour qui la marche du progrès suit un cours naturel et nécessaire, tracé par la loi de l'organisation humaine » (Friberg et Hettne, 1988 : 385).

Le second type de paradigme (type II) a été timidement pris en considération dans les pratiques de l'aide internationale au développement vers la fin des années 70 et le début des années 80. Les échecs de nombreux programmes ainsi que les résultats de recherches des ethnologues ont mis en évidence le fait que le développement d'une communauté ne peut se faire en dehors de la logique sociale, culturelle et économique de ses membres. C'est à partir de ce moment que la littérature et les débats sur la politique du développement « mettent de plus en plus l'accent sur l'importance des perceptions et des valeurs indigènes et la désirabilité de chercher des alternatives à la transplantation mécanique des modèles institutionnels occidentaux » (Berger, 1978 : 200). Le paradigme interactionniste suppose que les agents de développement tiennent compte dans le processus de réalisation d'un projet des croyances, des motivations, de la rationalité économique et des stratégies des populations bénéficiaires.

Participation
et processus de développement


Toutes choses égales par ailleurs, les paradigmes de type I et de type II impliquent respectivement la « participation déterministe » (type I) et la « participation interactionniste » (type II) des acteurs concernés au processus d'implantation des projets. Mais qu'est-ce que la participation ? Ce terme comprend la racine « part » à laquelle est associée le mot « partage ». Participer veut donc dire prendre part à quelque chose avec d'autres, partager quelque chose avec d'autres. Ce quelque chose peut être un objet, un pouvoir, une activité, etc. Susciter la participation dans le domaine du développement, écrit Albert Meister, « ne signifie donc pas seulement former les individus, les instruire, les animer, mais aussi, et peut-être surtout, [151] se préparer à partager une part du pouvoir, de la puissance » (Meister, 1977 : 128).

En fait, la réalisation d'un projet de développement est un long processus qui comprend différentes phases dont les principales sont l'identification, l'élaboration, l'exécution, la gestion et la maintenance, l'évaluation et le suivi. Or, le développement implique la participation des populations bénéficiaires. Ces dernières doivent normalement prendre part à chacune des étapes des projets et partager toutes les responsabilités inhérentes.

La phase d'élaboration d'un projet comprend en général les études d'implantation, le choix des techniques à mettre en oeuvre et la conception. L'expérience montre que les populations rurales sont rarement appelées à participer à cette phase non moins importante des projets de développement. Certains auteurs affirment cependant que la paysannerie est en mesure d'y prendre part ; dans les études d'implantation, elle peut fournir des informations sur les sols, les pratiques culturales, les traditions, etc. Les paysans doivent aussi avoir des mots à dire dans le choix des techniques car ils connaissent mieux que quiconque les matériaux locaux (bois, terre, pierres). Ils peuvent participer à la conception des projets.

Les paysans prennent part en général à l'exécution des projets d'hydraulique villageoise : creusage des puits, ramassage de sable et de pierres, construction de latrines par exemple. Cette participation peut être imposée, spontanée ou bénévole, mais elle est perçue en général comme un facteur de diminution des coûts des projets. Cependant, elle peut devenir un facteur politique qui prépare les populations usagères à prendre en charge les projets une fois réalisés. La gestion et la maintenance des micro-projets, par exemple les puits d'eau potable et l'irrigation, ont été longtemps confiés aux services publics dans les pays d'Afrique francophones. Ce n'est que tout récemment que l'on implique de plus en plus les populations rurales dans cette phase des programmes de développement. Enfin, celles-ci doivent être intimement associées au suivi et à l'évaluation des effets des projets dans leur communauté.

Deux types de participation

Tel est le sens général et idéal que l'on peut attribuer aux termes participation des populations bénéficiaires aux projets de développement. Il convient maintenant de présenter les caractéristiques [152] principales des deux types de participation que nous avons distingués. Il s'agit de types idéaux.

Le type I ou la « participation déterministe »

Le paradigme dont il est issu conçoit le développement comme un processus linéaire pouvant s'enclencher par l'introduction mécanique de certains facteurs. En conséquence, le type I n'implique pas les populations bénéficiaires aux principales phases des projets de développement. Tout au plus, les intervenants associent les acteurs sociaux visés à la phase d'exécution, ceux-ci étant essentiellement vus comme la main-d'oeuvre. Évacuées totalement ou partiellement de la phase d'élaboration du projet (soit parce que celui-ci a été imposé, soit parce qu'il a été suggéré de manière technocratique), n'ayant pas été formées à la gestion et la maintenance, les populations usagères montrent par leurs attitudes passives et leurs comportements de refus que le projet n'est point le leur.

L'absence de maîtrise de la décision engendre chez les paysans l'idée que le projet n'est pas le leur, mais celui de l'administration ou de la société régionale d'aménagement. Elle crée un sentiment d'irresponsabilité grave de conséquences. Les paysans gaspillent l'eau, négligent l'entretien des équipements et des ouvrages mis à leur disposition car ils attendent que ce soit l'État qui l'assure (Conac, 1985 : 102).

Il peut aussi bien s'agir d'une ONG.

Représentant le paysan du tiers monde en général et le paysan africain en particulier, comme attaché à des traditions séculaires qui le poussent à avoir un comportement irrationnel de refus face à l'innovation, à la modernité, au progrès, les agents de développement du type I ne tiennent pas compte du contexte socio-culturel, de la logique ou de la rationalité du paysan dans la réalisation des projets. Peu ou pas de marge de liberté et de réinterprétation des objectifs des projets n'est laissée aux populations concernées. Cela donne lieu souvent après coup, à des effets pervers, c'est-à-dire à des conséquences inattendues. Les experts les interprètent alors comme la résistance des populations rurales au changement.

Le type II ou la « participation interactionniste »

Le paradigme dont il est issu voit l'adoption d'une innovation ou le processus du développement en général comme le résultat de [153] l'agrégation des décisions individuelles des acteurs sociaux d'un système social donné. Le rapport de l'acteur social au projet de développement s'inscrit dans sa logique, et ce rapport joue pour lui une fonction d'adaptation à la situation sociale dans laquelle il est (Boudon, 1984 :39-71). La conséquence de ce postulat est qu'en termes de participation le type II implique les populations concernées à toutes les phases du projet depuis l'identification des besoins, la définition des objectifs jusqu'au suivi-évaluation, en passant par l'élaboration, l'exécution, la formation à la gestion et à la maintenance du projet. La participation renvoie ici à la responsabilité de l'individu et du groupe. L'un et l'autre prennent part dès le début au processus de décision. « La participation est considérée comme un processus actif signifiant que la personne ou le groupe en question prend des initiatives et affirme son autonomie pour ce faire » (Oakley et Marsden, 1986 :24).

Admettant que l'acteur social est un être doté d'une rationalité relative à une situation donnée, l'agent de développement du type II inscrit la participation dans le contexte socio-culturel, économique et politique des participants. En effet, écrit Desjeux, la prise en compte

de tout ce qui compose les modèles culturels et symboliques d'une société est une condition nécessaire, mais non suffisante à la réussite d'un projet. Ces modèles s'inscrivent eux-mêmes dans des rapports de pouvoir et des enjeux économiques dont la prise en compte conditionne la résolution ou non du problème de la participation (Desjeux, 1985 : 14-15)

Les attitudes et comportements des populations bénéficiaires (acceptation ou refus du projet) à court et à long terme ne sont pas interprétés comme la résistance au changement ou l'attachement aux valeurs traditionnelles, mais plutôt comme les décisions d'individus intentionnels et situés socialement. En conséquence, le type II replace le rapport au projet des bénéficiaires dans son contexte et cherche à lui conférer son efficacité adaptative. Par exemple, l'on peut inscrire un projet de coopérative de crédit dans un village africain dans le contexte du mode traditionnel de participation soit la « tontine ».

[154]

Il importe de noter que les deux types de participation ne sont pas exclusifs. Ils peuvent par exemple, se retrouver dans un même projet. On peut alors se demander où se situe le PHV-CUSO par rapport à ces deux types de participation ?

2. Éléments de méthode

Il s'agit d'une étude de cas, c'est-à-dire du PHV-CUSO implanté dans les zones rurales de deux préfectures (Zio et Yoto) de la région maritime du TOGO. Les données qui permettront de répondre à cette question ont été recueillies au cours des étés 1987 et 1988 sur le terrain, au moyen de trois techniques différentes mais complémentaires : au moyen d'entrevues semi-structurées auprès d'une trentaine d'informateurs-clés définis comme concepteurs et/ ou intervenants du PHV-CUSO ; au moyen de cinq entrevues de groupe auprès de 25 agents d'animation villageoise et de cinq entrevues de groupe en langue éwé (l'une des langues nationales du Togo) auprès de 25 villageois membres des comités villageois de développement (CVD) ; au moyen d'observation dans 10 villages sélectionnés selon certains critères par échantillonnage raisonné.

Les entrevues ont porté sur le processus d'élaboration et d'implantation du PHV-CUSO ainsi que sur l'implication des populations concernées. Les informations ont été analysées à l'aide d'une catégorisation que nous avons élaborée à partir des études sur la participation rurale, l'hydraulique villageoise et le développement (Marsden et Oakley, 1986 ; Conac et al., 1985 ; Mondjannagni, 1984 ; Meister, 1977). Les observations ont porté sur l'entretien des pompes, les champs collectifs, les conditions d'hygiène dans les villages, les structures et le fonctionnement des CVD, etc. Du point de vue méthodologique, le PHV-CUSO, comme objet d'étude, a une valeur exemplaire (Mendras et Forsé, 1983 : 7-11), puisqu'il s'inscrit dans la philosophie participationniste des ONG en général.

3. PHV-CUSO et pratiques participatives

La participation villageoise à l'identification du PHV renvoie au degré de responsabilité des villageois dans la décision de créer des points d'eau potable dans leurs communautés. Dans le cas du PHV-CUSO, l'initiative vient des gouvernements togolais et canadien. [155] Elle se situe d'une part, dans le cadre de la coopération entre les deux pays [3] et d'autre part, dans celui de la Décennie internationale de l'eau potable et de l'assainissement à laquelle les deux États ont souscrit.

En fait, les besoins en eau potable dans les préfectures du Zio et du Yoto sont évidents. Non seulement l'eau y est-elle rare, mais les eaux superficielles que l'on trouve dans les rivières sont également sources de maladies hydriques, en particulier la dracunculose communément appelée le « ver de Guinée » (Petit, 1987). Le gouvernement du TOGO ayant fait de son programme d'accès à l'eau pour tous une priorité nationale, ne ménage pas les efforts pour répondre aux besoins des régions plus nécessiteuses. Le PHV-CUSO s'inscrit directement dans cette politique.

Quelle est la part de responsabilité des populations concernées dans cette phase du projet ? L'analyse des entrevues fait ressortir que les villageois et villageoises ressentaient depuis fort longtemps le besoin d'avoir accès à l'eau (celle-ci manquait) ; mais la décision d'aménager des pompes à eau potable est venue d'abord des agents externes, c'est-à-dire du CUSO et des ministères togolais attitrés [4]. Ceux-ci ont ensuite sensibilisé les bénéficiaires lors des campagnes d'information et de conscientisation. Les intervenants ont tous souligné ce principe et cette pratique, à savoir qu'aucun forage n'a été effectué sans une entente préalable avec les populations rurales, « ...il a été établi que les travaux techniques, forages et autres, ne seraient réalisés qu'une fois les villages bénéficiaires conscientisés et mobilisés sur leurs besoins en eau potable » (un intervenant). Une intervenante précise : « A priori, on avait accepté l'eau mais ensuite il était question d'arriver à choisir des villages qui étaient d'avis que l'eau était leur priorité et qui étaient prêts à signifier leur engagement à la question de l'eau ».

Ces dires ont été corroborés par les villageois interviewés. La campagne de sensibilisation « Notre eau » visait à faire prendre conscience aux bénéficiaires de l'importance de l'eau potable ainsi [156] que des responsabilités nouvelles qu'ils auraient à assumer, par exemple la gestion et la maintenance des pompes, changement d'habitudes d'hygiène, etc. Elle s'est terminée par la signature d'un protocole d'entente tripartite entre le village, le CUSO et le gouvernement du Togo. L'entente témoigne de l'acceptation du projet par le village et se traduit par la formation d'un comité villageois de développement (CVD), l'élaboration d'un système de levée de fonds permanent pour l'entretien des pompes, etc.

En dernière analyse, nous pouvons dire que l'initiative du projet est le fruit de l'effort combiné des agents de développement du Togo et du CUSO ; mais seule l'acceptation des populations usagères, à la suite d'une série de campagnes de sensibilisation [5], permettait son élaboration effective.

In fact, the Villagers organised their work with CUSO. To its crédit, nothing of this project had been created for this project. Everything was greffed on the national structure (CVD). (Un intervenant).

Les villageois du Zio et du Yoto ont pris part, dans une certaine mesure, à la phase des études d'implantation du PHV-CUSO. De concert avec les agents togolais et respectant des traditions ances-trales, les intervenants du CUSO ont demandé aux « aînés » des villages d'indiquer les endroits convenables pour effectuer les forages.

Les villageois étaient chargés de nous dire où ils voulaient installer la pompe, et quand c'était possible, nous la mettions là. Sinon, nous suggérions un autre endroit, mais nous ne creuserions jamais si c'était un endroit sacré, un cimetière, etc. (Un intervenant).

Dans tous les villages que nous avons visités, les prêtres traditionnels nous ont affirmé qu'ils ont été consultés et les cérémonies nécessaires à de telles occasions ont été faites avec la participation des villageois et villageoises.

Le PHV-CUSO comporte, par ailleurs, des micro-projets lucratifs (champs), l'entretien des pompes etc. Les bénéficiaires ont pris part à la phase d'implantation en désignant des terres communautaires [157] à cultiver, en choisissant des « artisans-réparateurs » et des « surveillants » locaux pour la maintenance des pompes. Ceux-ci ont suivi des séances de formation sur la mécanique et l'entretien des pompes à eau :

Quand j'arrivais dans les villages, je demandais souvent au surveillant des pompes de me montrer comment il prenait soin de la pompe. Il était responsable... fier... et toujours prêt à montrer la valeur de son travail. L'important, c'est que les gens comprennent que la pompe, c'est leur pompe. Et s'ils ne l'entretiennent pas, il n'y aura pas de service... (Un intervenant).

Il ressort de l'analyse des informations qu'il y a eu une collaboration entre les agents de développement et les populations bénéficiaires dans l'implantation du PHV-CUSO. Celles-ci ont été associées à des opérations précises : choix des lieux de forage, des champs communautaires, initiation à la technique des pompes, etc.

Les villageois et villageoises ont pris part aux activités relatives à l'exécution du projet : participation aux campagnes de sensibilisation (« notre eau », « notre village propre », « notre santé », etc.), participation à la création des CVD, aux forages, à la culture des champs communautaires de maïs, à l'ouverture des caisses communes en vue d'amasser des fonds de maintenance, participation à la construction de latrines familiales ou d'enclos d'animaux, etc. Si la participation visait à faire partager une partie des coûts de réalisation du projet aux populations bénéficiaires, il y a lieu d'y voir également un mécanisme politique de responsabilisation de ces dernières vis-à-vis du PHV.

Deux présidents de CVD nous donnent leur perception de la participation villageoise à l'exécution du PHV.

Ils (CUSO et le gouvernement togolais) nous aident à avoir de l'eau propre... ; ce que nous pouvons faire c'est de travailler avec eux pour avoir des pompes.
C'est nous qui avons besoin de l'eau... Nous devons travailler fort, souffrir pour mériter la pompe. Mets ton fardeau sur ton genou et Dieu te le mettra sur la tête.

La participation communautaire à la gestion et à la maintenance des pompes à eau a été planifiée dès la phase d'identification [158] du PHV-CUSO. Les villageois et villageoises du Zio et du Yoto ont été sensibilisés et formés pour cette phase déterminante dans tout processus d'auto-développement.

Les modes de gestion et de maintenance des points modernes d'eau dans les pays d'Afrique ont varié considérablement au cours des années. Dans certains cas, les populations rurales paient des frais de fonctionnement et de maintenance. Dans d'autres cas, non. Parfois, on engage la responsabilité financière et technique (partielle ou totale) de l'État. Dans des projets récents, on a mis sur pied des comités villageois de gestion et de maintenance des points d'eau. CUSO a choisi ce dernier mode de gestion. Un système d'entretien à « trois paliers » a été mis sur pied. Il a nécessité la formation des villageois : les « surveillants-pompes » et les « artisans-réparateurs », puis les mécaniciens employés par le gouvernement.

Les surveillants des pompes, des villageois, veillent à la propreté des abords, serrent les boulons et ainsi de suite. Les artisans-réparateurs sont d'anciens mécaniciens qui ont reçu une formation de la Direction de l'hydraulique et de l'énergie et qui travaillent à compte privé... (Une intervenante).

Comme on peut le constater la formation à la gestion des points d'eau et à leur maintien fait partie intégrante du PHV-CUSO.

Une synthèse des résultats de l'analyse qui précède, met en évidence les faits suivants : les besoins en eau potable des populations du Zio et du Yoto sont fondamentaux, mais l'identification du PHV-CUSO revient aux agents externes ; les collectivités concernées ont été conscientisées au projet lors des campagnes d'information et de mobilisation ; les populations bénéficiaires ont participé de différentes façons aux phases d'implantation, d'exécution, de formation à la gestion et à la maintenance des ouvrages du PHV-CUSO ; l'ONG canadienne CUSO a travaillé de concert avec trois ministères du Togo et les communautés villageoises. Dans le processus de réalisation du projet, les intervenants ont essayé de tenir compte de certaines données du milieu : traditions religieuses, chefferie, structures nationales de développement rural, etc.

Si nous comparons ces faits aux deux types-idéaux de participation définis plus haut, nous pouvons conclure que le PHV-CUSO se rapproche nettement de la participation interactionniste (type II) en ce qui concerne les quatre premières phases du projet. En effet, l'une des caractéristiques du PHV-CUSO, c'est que le volet « participation [159] communautaire » a primé sur le volet « technique ». Les intervenants ont accordé une importance à la sensibilisation et à la préparation des populations bénéficiaires. Celles-ci ont été impliquées de manière dynamique dans les principales opérations du projet.

Ces activités de sensibilisation et de formation visaient toujours trois buts : expliquer la prochaine étape, définir les fonctions et les ressources nécessaires et, surtout, prendre conscience des besoins à combler et des efforts à faire au niveau villageois (Un intervenant).

Mais qu'en est-il de la phase « suivi-évaluation » ? Le suivi d'un projet de développement ne doit pas se limiter à des activités régulières ; il doit également et surtout consister à mettre sur pied les structures nécessaires à la poursuite du projet, une fois que les agents externes de changement se retirent. En d'autres mots, le suivi doit renvoyer à la notion de prise en charge des ouvrages d'un projet par la collectivité concernée. Quant à l'évaluation, elle doit constamment chercher à mesurer l'impact réel du projet sur les bénéficiaires et à tirer des leçons pratiques de l'expérience passée en vue du présent ou du futur.

Les données de notre enquête montrent que les intervenants du PHV-CUSO axent le suivi sur des opérations régulières telles que la formation à l'entretien, l'animation des villageois, la mobilisation de ceux-ci pour les micro-projets sanitaires (latrines) et lucratifs (champs communautaires). Toutes ces activités sont réalisées grâce à des animateurs appelés « agents de base » qui reçoivent des formations thématiques au cours des séminaires et interviennent par la suite auprès des villageois. La méthode de formation des formateurs ou « training of trainers » qui était définie dans le plan d'exécution original du PHV-CUSO, méthode censée assurer le suivi du projet à long terme, n'est pas mise en application jusqu'ici. En effet, les intervenants devraient initialement former les animateurs, ceux-ci devraient à leur tour former les membres des CVD et enfin, ces derniers devraient former les populations rurales aux principes et activités du PHV-CUSO. L'objectif visé était de favoriser l'auto-développement des gens du milieu. Mais, dans les faits, la formation se limite seulement au niveau des animateurs.

Or, ceux-ci jouent un rôle déterminant dans la conscientisation de populations et le processus de prise en charge. Si l'on veut [160] atteindre un réel auto-développement, il est donc logique d'admettre que les animateurs sont là pour un certain temps et de former en conséquence les villageois pour la relève. Rien de cela n'est encore amorcé et il est à craindre qu'après le retrait du CUSO du PHV, la question de la prise en charge par les populations concernées de l'animation des communautés se pose de façon sérieuse. En fait, la majorité des animateurs sont des employés du CUSO ; mais il est à douter que le gouvernement du Togo puisse supporter financièrement tous les animateurs actuels. En dernière analyse, le PHV-CUSO se rattache à la participation déterministe (type I) eu égard à la phase suivi, car les acteurs sociaux concernés sont évacués de cette phase non moins importante du projet. Ce faisant, la pratique développementale du CUSO ne répond pas adéquatement à l'éternelle question de l'aide ou développement : « Que deviendra le projet, une fois que l'organisme international se retirera » ?

Par ailleurs, le PHV-CUSO a donné lieu à des effets pervers ou des conséquences inattendues. Qu'il suffise de donner un exemple. La lutte contre la divagation des animaux a été identifiée comme un problème sanitaire à résoudre en rapport avec le programme d'éducation socio-sanitaire. Les animaux domestiques sont traditionnellement laissés libres dans la nature, se nourrissent seuls, dorment dehors et polluent les maisons. La solution hygiénique trouvée par les intervenants du PHV-CUSO est la construction des enclos pour abriter les bêtes. Les villageois ont adhéré au projet après y avoir été sensibilisés. Mais quelques mois plus tard, la plupart des gens ont abandonné les enclos pour revenir à la méthode traditionnelle d'élevage.

Les intervenants du projet ont vu les comportements des éleveurs comme une forme de résistance au changement et un attachement aux traditions. Mais en interviewant les villageois, nous avons compris les motivations de leurs gestes : ils ont abandonné la pratique des enclos parce que leurs animaux maigrissaient ou mouraient. Pourquoi ? Parce que les villageois oubliaient souvent de nourrir les animaux. Mettre les animaux dans des enclos et en prendre soin de façon régulière ne faisait pas partie des pratiques séculaires d'élevage des gens du Zio et du Yoto.

Par rapport à la phase d'évaluation, le PHV-CUSO se rattache à la participation de type I. Les agents du projet n'ont pas essayé de s'inspirer des pratiques pastorales et agricoles traditionnelles pour promouvoir les micro-réalisations importantes comme l'élevage et [161] la culture du maïs (nous avons identifié également un effet pervers dans ce dernier cas). C'est suite à notre enquête que les intervenants du CUSO et du Togo ont compris l'échec des enclos non pas comme une résistance au changement, mais bien comme un comportement rationnel des villageois adapté à leur contexte socio-économique.

En effet, l'agriculture et l'élevage sont séparés dans le Zio et le Yoto, et l'un est secondaire par rapport à l'autre. Traditionnellement, le paysan passe toute la journée au champ pendant que ses animaux se nourrissent librement dans la nature. On lui propose un nouveau mode d'élevage (l'enclos) qui exige une disponibilité de temps et des pratiques nouvelles. Le paysan rentre fatigué des travaux champêtres et oublie de prendre soin des animaux enfermés ; et ces derniers meurent. Pour ne pas perdre son petit troupeau de cochons ou de moutons, le paysan abandonne les enclos et retourne aux pratiques traditionnelles ou adopte une autre solution, à savoir attacher les animaux autour d'un arbre dans la cour familiale de façon à ne pas oublier de les nourrir.

En guise de conclusion

Depuis que l'on a constaté l'échec des « grands projets » et leurs effets pervers dans le tiers monde, les ONG sont devenues l'un des agents privilégiés du développement. Leurs champs d'action : les petits projets. Leur philosophie et leurs pratiques : répondre aux besoins fondamentaux des populations défavorisées des pays en développement, « travailler avec la base », faire participer les bénéficiaires. Mais il semble que les ONG, dans leur ensemble, ont failli dans un domaine prioritaire en Afrique, soit l'hydraulique villageoise dans laquelle les pratiques des ONG se sont inspirées jusqu'à récemment du paradigme déterministe dominant et du type de pratique participative qui en découle (Braeckman, 1987 : 7). Cependant, dans la foulée de la Décennie internationale de l'eau potable et de l'assainissement (DIEPA : 1980-1990), les ONG en général et celles du Canada en particulier tendent à rompre avec la participation de type I puis à s'inscrire dans la perspective de la participation de type II (Whyte, 1987). Le projet d'hydraulique villageoise que le CUSO réalise au Togo depuis 1984 en est un bon exemple.

[162]

La nouvelle orientation que prennent les ONG en matière de participation communautaire leur pose toutefois un défi. L'étude de cas du PHV-CUSO, jugé comme exemplaire de la nouvelle tendance, nous permet de mettre en relief quelques indicateurs non moins importants de ce défi. Le recours à la pratique participative de type interactionniste dans un projet de développement communautaire exige de la part des intervenants qu'ils saisissent la culture du milieu d'intervention, qu'ils connaissent et tiennent compte des stratégies, des motivations et des aspirations des populations cernées. Cet effort d'appréhension de la logique des acteurs ainsi que de leur contexte social doit être une préoccupation constante des intervenants et ceci, avant, pendant et après le projet de développement.

Le cas du PHV-CUSO nous montre qu'en la matière, les phases du suivi et de l'évaluation sont aussi importantes, sinon plus, que les premières phases d'un projet. Si le paradigme déterministe dominant a habitué les intervenants d'ONG à développer des méthodologies d'évaluation-suivi qui tendent à associer les populations concernées par les projets comme des « objets d'évaluation », le paradigme interactionniste en émergence suppose que les agents d'ONG ou d'intervention communautaire élaborent et appliquent une méthodologie qui permet de considérer les populations comme des acteurs dotés d'une rationalité socio-culturelle et économique, puis de les impliquer comme tel aussi dans les phases du suivi et de l'évaluation. C'est ce que nous appelons la « pratique développe-mentale de l'individualisme méthodologique » (Assogba, 1988).

Nous présumons que l'intérêt de la participation de type interactionniste (type II) pour le développement communautaire en Afrique est, d'une part, la réduction potentielle des effets pervers « choquants » qui ont si souvent accompagné les projets et, d'autre part, la mise en branle d'un réel processus de prise en charge et d'auto-développement des commmunautés villageoises africaines.

Sigles

AQOCI

Association québécoise des organismes de coopération internationale.

ACDI

Agence canadienne de développement international.

CUSO

Canadian University Services Overseas.

CVD

Comité villageois de développement.

[163]

ONG

Organisation non gouvernementale.

PHV

Projet d'hydraulique villageoise.


Bibliographie

ACDI (1987). Rapport d'évaluation du projet d'hydraulique villageoise au Togo, Hull, ACDI.

ASSOGBA, Yao (1988). « Le paradigme interactionniste et le processus du développement communautaire », Revue canadienne d'études du développement, vol. 9, no 2, 203-218.

BERGER, Peter (1978). Les mystificateurs du progrès, Paris, PUF.

BOUDON, Raymond (1984). La place du désordre, (Critique des théories du changement social), Paris, PUF.

BRAECKMAN, Colette (1987). « Les ONG, nouvelle panacée du sous-développement », Le Devoir, 4 février, 7.

CONAC, Françoise (1985). « Les enjeux de la participation paysanne dans les politiques de l'eau », in Gérard Conac, Les politiques de l'eau en Afrique, Paris, Economica, 101-113.

CONAC, Gérard et al. (1985). Les politiques de l'eau en Afrique. Développement agricole et participation paysanne, Paris, Economica.

CUSO (1984). Hydraulique villageoise au Togo. Entente entre l'Agence canadienne de développement international et le CUSO, Ottawa, Hull.

DESJEUX, Dominique (1985). L'eau. Quels enjeux pour les sociétés rurales ? Paris, L'Harmattan,

D'ORFEUIL, Henri Rouille (1984). Coopérer autrement. L'engagement des organisations non gouvernementales aujourd'hui, Paris, L'Harmattan.

FRIBERT, Mats et HETTNE, Bjôrn (1988). « La mobilisation au niveau local et la politique du système mondial », Revue internationale des sciences sociales, no 117, 381-401.

[164]

MEISTER, Albert (1977). La participation pour le développement, Paris, Les éditions ouvrières, 128-174.

MENDRAS, Henri et FORSE, Michel (1986). Le changement social, Paris, Armand Colin.

MONDJANNAGNI, Alfred (1984). La participation populaire au développement en Afrique noire, Paris, Karthala.

OAKLEY, Peter et MARSDEN, David (1986). Vers la participation dans le développement rural, Genève, BIT.

ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ [OMS] (1986). Décennie internationale de l'eau potable et de l'assainissement. Examen des données régionales et mondiales, Genève, OMS.

PETIT, Marie-Magdelaine (1987). Contribution à l'étude de la dracunculose dans la préfecture du Zio, Thèse de Doctorat, présentée et soutenue publiquement à l'Université du Bénin, Lomé, Togo.

ROSTOW, W.W. (1963). Les étapes de la croissance économique, Paris, Seuil.

SCHNEIDER, Bertrand (1985). La révolution aux pieds nus, Paris, Fayard.

WHITE, Anne (1987). Principes directeurs pour la planification de la participation communautaire aux projets d'approvisionnement en eau et d'assainissement, Genève, OMS.



[1] On entend généralement par l'hydraulique villageoise les projets d'approvisionnement en eau potable au moyen de puits, des pompes à eau moderne ou des fontaines publiques dans les régions rurales du tiers monde. Cet aspect technique peut être suivi ou non d'éducation sanitaire.

[2] Peter Berger cite notamment les programmes de mécanisation de l'agriculture en Afrique orientale et de contrôle des naissances dans les villages du Punjab qui ont échoué parce que ces programmes ont ignoré les définitions indigènes de la situation.

[3] L'histoire du PHV-CUSO remonte en 1979 alors que le Togo aurait présenté une requête « Petite hydraulique villageoise » à une délégation canadienne qui assistait à une conférence de l'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) à Lomé (Togo).

[4] Trois ministères du Togo sont partenaires du CUSO dans le PHV : le ministère de la Santé, des Affaires sociales et de la Condition féminine, le ministère des Travaux publics et le ministère du Développement rural.

[5] Des villages nécessiteux ont été privés du PHV parce que les populations y étaient peu réceptives.



Retour au texte de l'auteur: Yao Assongba, sociologue, Université du Québec en Outaouais Dernière mise à jour de cette page le samedi 27 juin 2015 7:20
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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