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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Yao Assogba, “Ivan Illich. Essai de synthèse.” in revue Critères, no 26, 1979, pp. 217-235. [Autorisation de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales accordée par l’auteur le 14 août 2008.]

[217]

Yao Assogba *

Professeur en travail social, Université du Québec en Outaouais

Ivan Illich.
Essai de synthèse
.”

Un article publié dans la revue Critères, Montréal, no 26, 1979, pp. 217-235.


Quelques principes de base
Crise des sociétés actuelles
Seulement la société conviviale
Commentaires critiques sur la pensée d’Illich
En guise de conclusion

Nous nous proposons dans le présent article, d'une part, de commenter Le chômage créateur d'Ivan Illich [1] et de situer cet ouvrage dans l'ensemble de ses thèses sur les sociétés contemporaines industrialisées ou en voie d'industrialisation et, d'autre part, de porter un jugement critique sur cette pensée dans le cadre d'analyse général des sciences sociales.

La dernier livre d'Ivan Illich n'est pas une analyse « scientifique » (sciences sociales) du phénomène du chômage dans les sociétés contemporaines ; il ne s'agit pas non plus d'une recette pour les chômeurs de ces sociétés, qu'elles soient développées ou en voie de développement. Le chômage créateur s'inscrit plutôt dans le cadre très précis de la pensée d'Illich, désormais connue et célèbre : pensée critique et radicale, pensée protestataire mais au fond non révolutionnaire, pensée implicitement utopique.

Quelques principes de base

Illich part du postulat suivant : lorsque l'institution se développe et dépasse une certaine limite ou un certain seuil, elle devient nuisible et fortement dysfonctionnelle par rapport à ses propres objectifs et finalités. L'institution devient alors contre-production, contre-productivité. Elle aliène l'être humain et détruit la société globale.

[218]

Lorsqu'une activité outillée dépasse un seuil défini par l'échelle ad hoc, elle se retourne d'abord contre sa fin, puis menace de destruction le corps social tout entier[2]

L'activité outillée doit être entendue ici dans le sens d'une institution qui dispose de moyens donnés (technologie, science, organisation) pour remplir des fonctions précises. Illich constate que les sociétés contemporaines en général et les sociétés industrielles avancées et hyper-productives en particulier ont dépassé le seuil naturel permis et s'acheminent vers leur propre destruction. En effet, ces sociétés ne visent qu'un seul but : « produire le plus possible pour consommer le plus possible grâce à une institutionnalisation des besoins et des valeurs. » Pour éviter le chaos, pour redonner à l'homme sa destinée originelle ici-bas, Illich propose une solution sinon la solution à savoir : « l'inversion des institutions ».

Inverser les institutions signifie dans la pensée d'Illich « désinstitutionnaliser ». il emploie même le mot « dis-establich » ; c'est-à-dire enlever ou faire perdre aux institutions leur aspect administratif, leur caractère de masse, et supra-individuel.

Cette solution, contrairement à ce qu'on croit, dit ou écrit, n'est pas une révolution sociale violente ; ce n'est pas non plus un changement radical et organisé des institutions. Il s'agit plutôt d'une révolution individuelle, c'est-à-dire d'une libération qui doit se faire dans et par chaque individu. Illich écrit à propos de la « déscolarisation » :

C'est seulement en se libérant soi-même de l'école que l'on peut dissiper de telles illusions. La découverte du fait que la plus grande partie du savoir ne requiert aucun enseignement ne peut être provoquée ou organisée. Chacun de nous est personnellement responsable de sa déscolarisation et nous sommes les seuls à pouvoir le faire. Nul ne peut être excusé s'il ne parvient pas à se libérer de l'éducation scolaire[3]

Cette libération individuelle de l'école (institution scolaire) est valable pour l'hôpital (institution de la santé), les mass media (institution de l'information), etc. C'est ainsi et ainsi seulement que l'on peut « inverser » les institutions [219] contemporaines qui, précise Illich, ont dépassé le seuil naturel permis de leur productivité.

Illich s'en est d'abord pris à l'école : il faut « déscolariser » la société (Deschooling Society, 1971). Ensuite le co-fondateur du CIDOC propose la désinstitutionnalisation des transports et de l'énergie (Énergie et Équité, 1973), de la médecine (Némésis médicale, l'expropriation de la santé, 1975) et de la société globale (Libérer l'Avenir, 1972 ; La Convivialité, 1973).

La convivialité

En inversant toutes les institutions qui se chargent de l'éducation, du transport, de la santé et de l'information des citoyens, ces dernières ne seront plus des services de masse ; les tâches qu'elles remplissent seront désormais à la portée directe et individuelle de chacun de nous en tant qu'individu libre, créatif et plein d'initiative dans la vie quotidienne. On ne dira plus : on nous instruit, on nous transporte, on nous soigne ; mais je m'instruis, je me transporte, je me soigne, etc. De tels vocables ne peuvent s'employer que dans une société conviviale où les rapports « individus-institutions » sont censés être abolis pour faire place à un tissu ou un réseau de relations directes « individus-individus ». Mais n'est-ce pas encore là un début d'institutionnalisation ?

Illich donne plusieurs définitions de la société conviviale. Rappelons seulement celle-ci : « Une société conviviale est une société qui donne à l'homme la possibilité d'exercer l'action la plus autonome et la plus créative, à l'aide d'outils moins contrôlables par autrui. » [4] Donc, dans une société conviviale, l'homme contrôle l'outil, c'est-à-dire que l'individu a le plein droit d'utiliser uniquement l'outil dont il a besoin, pour produire seulement ce dont il a besoin. Bref, dans la société conviviale, l'individu utilise l'outil pour satisfaire ses besoins tant comme producteur que comme utilisateur.

Crise des sociétés actuelles

Depuis qu'il fait le procès des sociétés industrielles et propose l'instauration d'une société conviviale, Illich n'a [220] touché qu'ici et là à ce que pourrait être une nouvelle politique du travail. Avec Le chômage créateur, il consacre un ouvrage entier à l'organisation du travail dans la société conviviale. En publiant ce livre, Illich complète logiquement sa pensée et son projet sociétal constitue désormais un tout. L'auteur en est d'ailleurs conscient et écrit : « Avec le présent essai se clôt, je l'es-père, une décennie de recherches sur la corrélation entre les outils d'une société et le sens de la justice qui y prévaut. » (Avant-propos : Le chômage créateur)

Critique des professions mutilantes

Dans Le chômage créateur, la démarche d'analyse d'Illich demeure la même que celle qu'il a suivie dans ses ouvrages précédents. C'est dans un style mordant et ironique, littéraire mais empirique, journalistique mais historique, que l'auteur fait la critique des « professions mutilantes » et de leurs experts. Le concept de professions mutilantes est employé par Illich pour dénoncer « les fonctions antisociales que remplissent les pourvoyeurs les moins discutés : éducateurs, médecins, spécialistes de l'assistance sociale, scientifiques et autres types bien ». (p. 31)

Les professionnels des professions mutilantes constituent une minorité, mais cependant leurs professions sont dominantes dans les sociétés super-industrielles vouées à la super-production et à la consommation. En outre, cette minorité vit et prospère grâce « au malheur » de la majorité des citoyens.

En fait, se demande Illich, de quoi vivent ces professionnels ? Qu'est-ce qui fait le bonheur de cette minorité et le malheur de la majorité des consommateurs de l'éducation, de la médecine, de l'information, de l'énergie, des voyages, etc. ? L'auteur répond : « les éducateurs vivent de l'aliénation de la société, les médecins prospèrent parce que le travail et les loisirs ont détruit la santé, les politiciens s'engraissent de la distribution des fonds d'aide sociale,... » (p. 11) Si les professionnels des professions mutilantes dominent dans les sociétés industrielles, c'est parce qu'ils sont investis de trois autorités principales : l'autorité sapientale, pour conseiller, instruire et conduire ; l'autorité morale pour conférer à leurs services un caractère obligatoire ; l'autorité charismatique pour proclamer, [221] au nom de leurs services, la défense des intérêts des clients. (p. 44)

C'est ainsi que dans les sociétés industrielles de l'Est ou de l'Ouest les économistes « affirment au public que le plein emploi dépend d'une surproduction d'énergie ; les éducateurs persuadent la société que le droit, l'ordre et la productivité dépendent de plus d'instruction ; les gynécologues clament que la qualité de la vie infantile dépend de leur intervention dans l'accouchement. » (p. 26) C'est ainsi également que les diététiciens prescrivent « la bonne bouillie » pour le bébé ; le psychiatre donne le « bon » antidépressif ; les avocats affirment être les seuls compétents à avoir le droit de proclamer le divorce. (pp. 46-47)

Illich passe d'autres professions (le journalisme, l'armée, la politique, la pharmacie) au crible et conclut que les professionnels de tous ces services mutilants et dominants sont des créateurs de besoins, des « experts » qui aliènent l'individu dans la société industrielle. Ils constituent des « gansters » qui ont le monopole lucratif du produit et qui contrôlent en même temps le circuit de la distribution. (p. 41)

Conséquences des professions mutilantes

Assumant principalement des fonctions de formation de consommateurs aliénés, de production et de création des besoins, les professions dominantes et mutilantes engendrent des conséquences néfastes sur le plan individuel et social.

C'est ici qu'Illich montre ses talents d'empiriste. Pour étayer ses thèses, il cite des faits quotidiens dans un style caricatural pour ne pas dire cynique. C'est sans doute cette approche empirique et factuelle de la réalité sociale qui frappe le lecteur et lui fait croire qu'Illich entreprend une analyse « objective et réelle » (c'est-à-dire scientifique) des sociétés industrielles contemporaines. Mais voyons maintenant l'empirisme cynique dont fait preuve l'auteur de Une société sans école.

Les professions mutilantes et les institutions dominantes ont standardisé les comportements quotidiens des individus. Tout le monde marche au « rythme de la même méga-machine ». Les actes conviviaux de jadis sont de jour en jour remplacés par des actes de productivité et dé consommation. Et Illich ne manque pas d'exemples.

[222]

Les professionnels de l'énergie ont développé et généralisé chez les gens « le geste du bras vers le commutateur » et cela a entraîné l'abandon des façons conviviales « qui présidaient à l'allumage des feux, des bougies, des lanternes ». (p. 12) L'auteur cite des chiffres à l'appui : en dix ans, le nombre mondial des usagers de commutateurs a triplé. Soit ! Mais le monde n'est pas unitaire. Il y a les pays développés et les pays sous-développés. Illich se présente d'habitude comme un défenseur du Tiers-Monde où il retrouve une forme de convivialité. Et pourtant il passe sous silence la situation de ces pays où l'électricité est à peine utilisée par 10% des populations ! L'auteur de La convivialité a vécu en Amérique latine et il a certainement lu Le tiers-monde en chiffres de Pierre Jalée ! Pourquoi oublier la réalité pour défendre « la convivialité » ? Nous y reviendrons.

Par ailleurs, continue Illich, le développement de l'industrie laitière a eu pour conséquence la disparition d'un travail convivial : celui de traire la vache. « Sur les bords de la Seine comme sur ceux du Niger, on a désappris à traire depuis que le liquide blanc s'achète chez le marchand. » Et les mères riches ou pauvres voient leur sein tarir parce que cet organe ne « remplit plus son office ». (pp. 14-15) Ici, Illich ne trouve plus d'activités conviviales dans le Tiers-Monde en général et en Afrique en particulier ! Et pourtant on trait encore la vache dans les pays du Sahel, si le cheptel n'est pas dévasté par la sécheresse. De plus, dans les pays sous-développés, la majorité des familles n'ont pas d'argent pour acheter le lait. On nourrit les bébés au sein maternel ou à la bouillie de maïs ou de mil. Illich ne -cite donc que des exemples qui font son affaire, même si la réalité est tout autre.

L'industrie de la construction a remplacé la construction artisanale des cases et des maisons. C'est ainsi que les toits de paille, d'ardoises et de tuiles ont été remplacés par « du béton pour quelques-uns et par du plastique ondulé pour la multitude » ; le plastique s'est substitué à la terre cuite, le soda à l'eau, le valium à l'infusion de tilleul, etc. (pp. 14-15) L'industrie du transport nous fait « avaler des kilomètres ». La médecine et la multiplication des maternités ont « supprimé les accouchements à la maison », etc. (voir pp. 34, 47, 66, 68) On ne vit plus dans une civilisation de production de valeurs d'usage, mais [223] dans une civilisation de valeurs marchandes. On dépend des marchés locaux, régionaux et inter-régionaux. (p. 20)

L'individu ne peut plus produire son propre « habitat », il faut qu'il ait recours aux industries de construction. Il ne fait plus de voyages d'agrément à pied ou à bicyclette, mais il est transformé en passager pendant « environ 1/6 de son existence (temps de sommeil exclu) ». (p. 60) L'homme n'est plus libre dans la mesure où il ne satisfait plus ses besoins selon un mode convivial de subsistance, de production de valeurs d'usage. À cause de la machine, le muscle humain s'est affaibli ; à cause de l'instruction, la curiosité individuelle s'est émoussée ; à cause des professions mutilantes, l'action de l'homme jadis autonome et créatrice (parce que basée sur des outils conviviaux) s'atrophie. (p. 15)

En un mot, dit Illich, l'homme n'est plus définissable en tant que tel parce qu'il « n'est plus capable de modeler ses propres besoins par l'emploi plus ou moins compétent des outils que lui fournit sa culture ». (p. 67) Il y a donc une « crise ». Et le mot crise peut signifier « l'instant du choix ». Le moment est venu de choisir, c'est-à-dire de prendre conscience qu'on est enfermé dans une cage et qu'il faut trouver le moyen d'en sortir. Où est alors la solution ?

Pas d'autres solutions que ...

Illich rejette toutes les solutions proposées jusqu'ici par quelques professionnels « mutilants », tels les économistes et sociologues du Club de Rome, les médecins du Club de Cos et autres qui préconisent la « Halte à la croissance » et le renoncement à la chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie dans le traitement des cancers. « Les professions libérales ont commencé par convaincre le public de la nécessité de leurs services en promettant de veiller à la scolarité, à la moralité ou à la formation sanitaire des couches les plus pauvres. » (p. 81) Il s'agit là de ce que Illich appelle le « nouveau professionnel », contre lequel il nous met en garde. Trois mises en garde s'imposent.

1. Mise en garde contre « la récupération par l'autocritique », qui proclame la limitation de la production et l'utilisation raisonnable de l'énergie. Mais en réalité ce mouvement auto-critique, représenté en particulier par [224] le Club de Rome, ne renonce pas à la société de production et de consommation (c'est-à-dire à la société anti-conviviale). Au mieux, il ne détermine que les productions auxquelles les industries doivent renoncer, afin que le système industriel fonctionne librement et donc se renforce. (p. 80) C'est pourquoi il est financé par Fiat, Ford, Volkswagen.

2. Mise en garde contre « la récupération par l'auto-investiture », que l'on retrouve surtout dans le monde de la médecine et qui consiste « à organiser et coordonner les prestations des professionnels afin de couvrir tous les aspects des problèmes humains ». (p. 82) On s'inspire ici de l'analyse systémique et de la recherche opérationnelle ; opération qui coûte cher, mais qui ne donne aucun bon résultat.

3. Mise en garde contre la « récupération par la professionnalisation du client », qui encourage encore la consommation en ce sens que les clients qui auront réussi l'examen d'auto-médication auront la permission d'acheter des médicaments et de les administrer à leurs enfants. (Pp. 85)

Illich ne se réclame pas non plus du mouvement de la technologie « douce » ou technologie « appropriée » ; car, précise-t-il, cette nouvelle technologie d'auto-intervention dans des domaines divers comme la santé, l'agriculture, l'enseignement... « n'est qu'une autre forme de puissante sujétion à l'égard de la fourniture de biens ». (p. 71)

Enfin, Illich refuse de prendre pour acquis l'emploi d'outils conviviaux (bicyclette par exemple) chez certains paysans ou travailleurs asiatiques et africains « démunis », et chez des étudiants et professionnels « nantis ». Ces deux utilisations extrêmes d'un moyen de transport convivial ne sont que des phénomènes marginaux et éphémères. Dans le premier cas, l'automobile remplace de plus en plus la bicyclette et, dans le second, il s'agit de loisir ou de snobisme. (p. 71)

La seule solution qui reste pour résoudre la crise, c'est la convivialité.

Seulement la société conviviale

La convivialité

Pour résoudre la crise, Illich préconise l'instauration d'une société postindustrielle mais conviviale. La société conviviale [225] est celle où l'homme donne un sens nouveau à l'outil moderne et à la personne.

J'appelle société conviviale une société où l'outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d'un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l'homme contrôle l'outil[5]

L'outil convivial est limité, mais il est plus efficient que l'outillage primitif. Et à la différence de l'outillage industriel, l'outillage convivial est à la portée de chaque individu. Dans la société conviviale, le droit de l'homme-individu est respecté quant à l'utilisation de ce dont il a besoin pour produire ou consommer. Il joue un rôle de premier plan dans la production. L'homme-individu est assuré d'avoir accès à toutes les choses utiles pour s'occuper de lui-même et des autres. [6]

Comment construire ou instaurer la société conviviale ? Les moyens qu'Illich propose peuvent être regroupés pour le moment en deux types « d'inversions ».

D'une part, il faut « déprofessionnaliser » les activités humaines qui sont mutilantes et dominantes : activités éducatives, médicales, juridiques, etc. Pour y parvenir, il faut que les citoyens commencent par dénoncer les « illusions qui légitiment l'hégémonie des professions » ; en outre, il faut qu'ils détruisent les élites qui légitiment le rapport « marchandise-satisfaction » [7] ; enfin, chaque citoyen doit adopter une attitude sceptique et condescendante à l'égard des spécialistes, car « la reconstruction sociale commence par la naissance du doute chez les citoyens ». (Cf. Le chômage créateur, p. 32) La « déprofessionnalisation » conduit à la suppression de la production spécialisée et institutionnalisée et à l'émergence d'une production individuelle et conviviale.

D'autre part, il s'agit d'inverser les structures économiques fondées sur la productivité et d'instaurer des structures économiques qui rendront possible la convivialité.

Une gauche politique, pour avoir un sens, devra renoncer aux diverses tentatives de rendre nos institutions viables. Elle [226] devra se concentrer sur la tâche de renverser leur tendance actuelle à l'augmentation de la productivité qui rend la convivialité contraire au fonctionnement du système[8]

En un mot, déprofessionnalisation et inversion radicale des structures économiques actuelles conduisent à une société conviviale. Quelle est l'organisation économique et politique dans une telle société ? Quelles en sont les valeurs sociales et culturelles ? Qui est l'habitant de la société conviviale ? Que fait-il ? Illich répond bien sûr à toutes ces interrogations.

L'organisation économique

La société conviviale est fondée sur une économie qu'Illich a décidé d'appeler économie de « subsistance moderne ». Pourquoi cette appellation ? Tout simplement parce que les activités économiques de cette société ressemblent à celles des sociétés traditionnelles (économie de subsistance), mais au lieu d'outils traditionnels, les habitants de la société conviviale emploient des outils modernes dans un contexte socio-politique précis.

En fait, le mode de vie convivial est basé sur une économie postindustrielle qui réduit la dépendance des gens à l'égard du marché. Les techniques et les outils servent, en premier lieu, « à créer des valeurs d'usage non quantifiées et non qualifiables par les fabricants professionnels de besoins ». (cf. Le chômage créateur, pp. 87-88) Il s'agit donc d'un « réoutillage de la société contemporaine au moyen d'outils conviviaux et non plus industriels ... » Ces outils sont dits conviviaux parce que, d'une part, tous les individus y ont accès et, d'autre part, ils produisent seulement des valeurs d'usage. (p. 67) Les principales activités vont des travaux domestiques, de l'artisanat, de l'agriculture de subsistance, à l'éducation, à la médecine, à la justice, etc. Mais ces activités se déroulent dans un contexte convivial qui garantit à chaque individu la liberté de façonner les objets à son goût et de s'en servir avec et pour les autres, la liberté aussi d'être lui-même producteur et consommateur de biens et de services. L'homme-individu retrouve ainsi sa dignité de créateur, d'inventeur et de démocrate.

[227]

Le travail dans la société conviviale étant surtout destiné à produire des valeurs d'usage, les individus étant à leur propre service et au service des autres sans être rémunérés, Illich convient de parler, pour caractériser l'activité productrice dans cette société, de « chômage créateur ». Les valeurs fondamentales de la société conviviale sont la survie, l'autonomie individuelle, la créativité et l'équité. [9]

Mais Illich reconnaît que les idéaux d'une société conviviale ne peuvent se réaliser sans contrainte ni organisation. Les gens seront libres à condition de fixer une limite aux libertés individuelle et collective. La productivité sera conviviale à condition de limiter la production et la consommation.

Une société fondée sur l'emploi moderne et efficace des libertés productives ne peut exister si l'exercice de ces libertés-là n'est pas limité de façon égale pour tous. (p. 89)

D'où la nécessité d'une organisation politique.

L'organisation politique

Comme toute société, la société conviviale sera fondée sur des contrats sociaux qui garantiront à chacun l'accès le plus large et le plus libre aux moyens de production. Pour cela, on mettra sur pied un système politique qui assumera la protection des libertés individuelles et qui renforcera « l'exercice optimal de la ressource la mieux répartie dans le monde : l'énergie personnelle que ne contrôle personne ». [10] En fait, il s'agit d'une politique d'austérité, mais alors d'une austérité conviviale. C'est pourquoi Illich appelle l'habitant de la société conviviale l'Austère, dans la mesure où il connaît ce que les Espagnols nomment « la convivencialidad ». [11]

L'austérité conviviale proscrit les outils et les lois qui entravent l'exercice de la liberté personnelle, limite les dimensions de ces outils, protège la liberté des valeurs d'usage et permet à chaque individu de satisfaire directement ses besoins. Dans cette société, le travail ou le chômage créateur ne sera pas planifié, dirigé et contrôlé par [228] des professionnels, mais par l'individu lui-même. On guérira des fractures sans aller nécessairement dans une clinique ; les gens seront en bonne santé sans surveillance médicale, mais ils s'auto-soigneront. Les accouchements se feront à la maison et non plus dans les maternités. Les jeunes et les adultes s'instruiront sans professeurs diplômés, au mieux ce sera un enseignement mutuel. Les femmes resteront à la maison pour élever leurs enfants et s'occuper des autres. (cf. Le chômage créateur, pp. 71-76)

Est-ce à dire que dans la société conviviale il n'existe pas d'institutions ? Comme nous l'avons déjà dit, la réponse est négative. En effet, Illich reconnaît qu'on ne peut éviter la mise en place d'institutions si l'on veut garantir et réussir les mesures de son projet sociétal. Cependant, Fauteur donne un sens nouveau aux fonctions des institutions conviviales. L'austérité conviviale consiste aussi à maintenir les « institutions inversées », c'est-à-dire à tolérer seulement celles qui respectent la liberté de l'homme-individu producteur et consommateur des valeurs d'usage et les limites fixées pour la production et les dimensions des outils. « Les institutions tolérables seront celles dans lesquelles les buts de productivité et de convivialité se tempéreront mutuellement. » [12]

L'institution est là non pas pour produire, mais pour rendre possible la production individuelle. C'est ainsi que dans la société conviviale d'Illich, l'école « désinstitutionnalisée » est un « tissu d'occasions de rencontres avec les hommes et les choses » qui rend possible l'auto-éducation. L'austérité conviviale de « l'école inversée » doit remplir trois exigences :

- « permettre à tous ceux qui veulent apprendre d'avoir accès aux ressources disponibles à n'importe quel moment de leur vie » ;

- « donner la possibilité à ceux qui veulent partager ce qu'ils savent de rencontrer ceux qui veulent apprendre » ;

- « fournir à tous ceux qui veulent présenter un problème au public les moyens de le faire ». [13]

[229]

De même, l'hôpital convivial ou « institution-hospitalière-inversée » n'a pas pour fonction de soigner, mais plutôt de rendre possible la guérison du malade par lui-même ou par les voisins. L'Office de logement n'a pas à construire des H.L.M., mais à permettre à l'individu de construire sa propre maison. Bref, les institutions de convivialité ont pour but de « permettre à des non-spécialistes de s'instruire, de se soigner, de se déménager ou de se loger les uns les autres, dans l'espoir que des gens qui auraient participé une fois à l'une de ces activités spécialisées initieraient d'autres personnes aux rôles qui demeurent provisoirement aux mains des spécialistes ». [14]

La science et la technique (conviviales) accroîtront le pouvoir des individus à créer plus efficacement des valeurs d'usage, à assumer une production autonome. Le bonheur convivial consiste à trouver dans le chômage créateur (le travail) une jouissance intérieure, une satisfaction directe et un équilibre parfait ; car l'individu est l'auteur des biens dont il a besoin, il est lui-même responsable de son éducation, de sa santé, etc.

Commentaires critiques
sur la pensée d'Illich

Le chômage créateur complète la pensée d'Illich qui comprend deux aspects : l'analyse critique des sociétés actuelles et le projet d'une société à instaurer (société conviviale). Ce dernier ouvrage, avons-nous déjà dit, n'est guère différent des précédents quant au style, au contenu et à la démarche d'analyse. De façon générale, Illich insère son étude et son analyse dans un cadre socio-historique global et emploie des concepts clés comme productivité, contre-productivité, rapport individu-institution, limite maximale de production et de consommation, contrats sociaux, etc. Cette approche d'analyse sociale de la réalité a amené plusieurs critiques (sociologues, économistes, politicologues) à présumer qu'Illich se présente comme un « chercheur en sciences sociales » et à critiquer ses thèses en recourant aux faits et aux lois objectives qui régissent les sociétés. [15]

[230]

L'empirisme dont fait preuve Illich dans ses essais nous permet de prendre conscience des conséquences de l'industrialisation très poussée de certaines sociétés : production excédentaire des biens et services, abondance et consommation. Illich nous fait également réfléchir sur les faiblesses des professions dominantes comme l'éducation, la médecine, l'économie, etc.

Le style lyrique qu'il emploie pour évoquer le passé contre le présent crée chez le lecteur une sorte de nostalgie du temps passé. Le parallèle qu'il fait de temps en temps entre l'église d'hier et l'école ou l'hôpital d'aujourd'hui, entre le prêtre d'hier et le professeur ou le médecin d'aujourd'hui nous montre qu'il y a effectivement dans les sociétés actuelles une religion de l'école, de l'hôpital, etc.

Mais une étude attentive des thèses qu'Illich développe sur les sociétés contemporaines (industrialisées ou en voie d'industrialisation) montre qu'au-delà de J'empirisme et du lyrisme son analyse ne tient nullement compte des lois objectives qui régissent les sociétés et leur développement. Qu'il suffise de citer quelques exemples.

Illich divise le monde actuel en deux grands types selon le mode de satisfaction des besoins économiques : d'un côté, les sociétés « sous-développées » « où la plupart des gens dépendent, pour la plupart des biens et services dont ils ont besoin, de l'humeur, de l'amabilité ou du talent d'une autre personne » ; de l'autre, les sociétés « développées » « où la vie consiste désormais à passer des commandes sur un grand catalogue ». [16]

Dans le premier cas, la vie sociale serait dominée par la convivialité ; dans le second, elle ne serait que productivité et consommation. Si convivialité il y a dans les pays du Tiers-Monde, Illich ignore-t-il que dans cette partie du globe il y a aussi l'exploitation, la guerre, la famine, etc. ? Il n'ignore certainement pas que depuis des siècles ces sociétés ne produisent plus des valeurs d'usage mais des valeurs marchandes, qu'il s'agisse du cultivateur, de l'artisan, du commerçant ! Enfin, Illich doit savoir que ces sociétés ne sont pas faites seulement de gentillesse, d'amabilité et de bonne humeur. Des traditions et des croyances font vivre les gens dans la crainte et l'inquiétude de la [231] malédiction du sorcier, du diable, etc. ? Alors, pourquoi passer sous silence ces réalités au nom d'un projet sociétal appelé convivialité ? Par ailleurs, les relations conviviales ne sont pas l'apanage des sociétés « sous-développées ». Je connais des régions dans les pays « développés » où on retrouve la convivialité telle qu'Illich la définit !

Pour l'auteur d'Une société sans école, les sociétés ne sont faites que d'institutions et d'individus. Il semble ainsi oublier que les sociétés humaines sont composées de groupes sociaux, de classes sociales, de groupes ethniques, de races ... qui s'opposent, s'affrontent, mais coexistent également par alliance ou domination ! Ne pas prendre en considération la lutte des classes, les antagonismes sociaux et raciaux dans une entreprise aussi importante qu'un essai d'analyse des sociétés réelles et un projet sociétal, c'est faire une oeuvre inachevée.

Illich veut « inverser » les institutions par la simple imagination des individus et leur bon désir de ne plus vivre dans le « système ». Encore une fois, le fait de négliger l'apport des sciences sociales dans son essai l'empêche de considérer que « si les faits psychologiques interviennent incontestablement dans le cadre général de la causalité des faits sociaux, ils ne forment pas, néanmoins, l'élément moteur de cette causalité ». [17] On ne saurait donc expliquer les phénomènes sociaux d'une importance révolutionnaire seulement à partir des faits psychologiques. Il nous semble que pour « inverser » ou changer les institutions, il faut inverser, transformer les rapports sociaux qui régissent ces institutions, et ce changement ne peut se faire que dans le cadre d'une action collective organisée et ayant un caractère politique.

L'analyse d'Illich est pleine de contradictions et d'ambiguïtés. L'auteur n'a pas réussi à donner une définition précise et unique du concept clé de convivialité. Tantôt c'est l'austérité, tantôt il s'agit d'une relation amicale et directe. Tantôt la bicyclette, le marteau et la pelle sont des outils conviviaux, tantôt c'est l'ordinateur, qui programmera les thèmes éducatifs et organisera les « tissus d'occasions de rencontres » (l'école déscolarisée), qui constitue un outil convivial !

[232]

Le rapport qui existe entre le programmeur et l'ordinateur n'est-il pas un rapport institutionnel ? Qui dirigera les rencontres éducatives ? Ceux qui savent plus que les autres, répond Illich. N'est-ce pas là une autre institutionnalisation de l'éducation, même si ces rencontres sont éphémères et ne durent que le temps de « l'instruction mutuelle » ?

Illich parle d'inverser simultanément toutes les institutions, mais plus loin il dira qu'il faut maintenir la société industrielle à condition de substituer à « l'outillage industriel des outils conviviaux ». Illich oublie-t-il que l'outillage industriel fait partie de la société qui l'a inventé ? Dans ce sens, la technique industrielle implique une culture, une économie, une hiérarchie sociale industrielle et non un contexte socio-économico-culturel. convivial.

Pierre Kende, économiste, auteur de L'abondance est-elle possible ? et critique (non indulgent) d'Illich, a raison d'écrire : « En matière d'utopie, il faut d'abord garder le sens du réel. »

Avec Le chômage créateur, Illich a complété sa pensée. L'auteur est resté fidèle à lui-même et à ses thèses depuis Une société sans école en passant par La convivialité, Némésis médicale et les autres. Et par la même occasion, la plupart des hypothèses explicatives avancées par les critiques se trouvent confirmées et resteront valables jusqu'au moment historique où la société conviviale d'Illich ne sera plus une société utopique mais une société réelle.

Il est intéressant de rappeler brièvement quelques-unes de ces hypothèses. Tous les critiques, philosophes, ethnologues, sociologues, économistes, etc. s'accordent pour dire et montrer qu'il ne s'agit pas ici d'une oeuvre « scientifique » (sciences sociales) mais bien plutôt d'une utopie, -c'est-à-dire que le projet sociétal d'Illich est vrai, mais inapplicable dans les conditions sociales réelles et actuelles. A ce propos, on peut lire avec intérêt le numéro spécial de la revue Esprit intitulé « Illich en Débat ». [18]

[233]

Dans un article récent [19], nous avons, quant à nous, montré que cette utopie est d'ordre monastique ou cénobitique. Jean Baubérot [20], de son côté, a montré que le personnage d'Ivan Illich possède les caractéristiques du prophète telles que la sociologie wébérienne les a définies. Dans Le chômage créateur, Illich ne joue-t-il pas au prophète qui annonce la fin -d'un temps et l'approche d'un autre, lorsqu'il écrit : « On se souviendra de l'Âge des Professions comme de ce temps où la politique s'est étiolée... On s'en souviendra aussi comme de l'Âge de la Scolarité... » (p. 39)

Pour Herb Gintis [21], le projet sociétal proposé par Illich ne remet pas réellement en question les fondements de l'économie des sociétés industrielles avancées et sa société conviviale pourrait même être considérée comme un « capitalisme de petits entrepreneurs ».

Nous avons vu, en effet, que dans son dernier ouvrage où sont définies de façon explicite les structures économiques et la politique du travail de la société conviviale, Illich emploie le concept de « subsistance moderne » pour désigner « le mode de vie dans une économie postindustrielle au sein de laquelle les gens ont réussi à réduire leur dépendance à l'égard du marché ... » et à protéger la liberté des individus (pp. 87-89). En d'autres termes, la société conviviale d'Illich est une société postindustrielle où abondent les outils conviviaux que chaque individu peut utiliser librement pour produire des valeurs d'usage. Par ailleurs, les indices qu'il trouve dans les sociétés actuelles pour illustrer la société conviviale sont les petites entreprises commerciales et les petites ou moyennes fermes agricoles ou d'élevage que détiennent présentement certains entrepreneurs locaux ou régionaux et certains professionnels aisés. Les idées développées dans Le chômage créateur viennent confirmer l'hypothèse déjà avancée par H. Gintis.

[234]

On sait que la convivialité implique également la notion de « limite maximale » de la production et des besoins de consommation et le respect par chacun des individus de cette limite. C'est l'austérité conviviale ou la politique qui assume cette fonction. Mais qui parmi les Austères (citoyens de la société conviviale) définira cette politique ? Illich parle de quelques « dirigeants », des gens qui « savent plus que les autres ». Cette réponse d'Illich confirme l'hypothèse déjà avancée par l'ethnologue Michel Panoff, à savoir que l'austérité conviviale est une sorte de « despotisme éclairé des technocrates ». Car en fait, précise Panoff, pour fixer la limite maximale, il faut « faire la révolution d'abord, puis donner les pleins pouvoirs à une poignée d'ascètes et d'experts qui décideront pour nous tous du plafond que la productivité ne devra pas dépasser ». [22]

N'est-ce pas par cette idée qu'Illich conclut son dernier livre ?

Une société fondée sur l'emploi moderne et efficace des libertés productives ne peut exister si l'exercice de ces libertés-là n'est pas limité de façon égale pour tous. (p. 89)

Dans ce cas, la convivialité parfaite n'existera pas plus dans cette société que dans nos sociétés actuelles. Tant mieux ! car les êtres humains continueront toujours de lutter pour la liberté.

En guise de conclusion

Nous espérons avoir montré dans cet article que Le chômage créateur s'inscrit dans la pensée générale d'Illich et boucle pour l'instant une série de réflexions. C'est pour cette raison d'ailleurs que nous avons entrepris la présente étude qui constitue une sorte d'analyse critique et de synthèse des thèses qu'Illich a développées sur l'école, la médecine, le transport, l'énergie et sur l'ensemble des sociétés contemporaines en « crise ». Ces thèses ont eu un écho et continuent certes d'en avoir dans divers milieux qui s'interrogent sur les institutions et la société actuelles.

L'oeuvre d'Illich est à la fois une analyse de la situation présente et une proposition de solutions aux problèmes ainsi connus. Nous ne reviendrons plus sur le caractère [235] « scientifique » ou « non scientifique » de cette analyse de la réalité sociale. Mais puisque nous cherchons tous une solution aux problèmes de « sous-développement » et de « développement », de « sous-industrialisation » et de « sur-industrialisation » des sociétés contemporaines, nous terminerons notre étude par quelques commentaires critiques sur les solutions que propose Illich.

Nous ne pensons pas que la pensée d'Illich, et en particulier la convivialité telle qu'il l'entend, réponde vraiment aux problèmes que connaissent et les pays du Tiers-Monde et les pays industrialisés. Pourquoi ? Parce que, pour les premiers, la sous-scolarisation appelle la sur-scolarisation et non la déscolarisation ; la rareté des biens et la famine appellent la croissance de la production et la satisfaction maximale des besoins biologiques et non une « limite maximale » ; la dictature et la domination d'une majorité par une minorité appellent la démocratie ; la maladie appelle la médecine, etc. Pour les seconds, nous pensons que des mouvements pour la limitation de la production et de la consommation, pour l'utilisation des sources d'énergie intarissables et peu polluantes, pour le développement de la médecine préventive et sociale, pour l'école progressiste, etc., proposent des solutions plus réalistes que le « Deschooling society », « l’expropriation de la santé », « l'inversion des institutions », « la convivialité ».

Illich croit défendre les intérêts des démunis de là et d'ici en proposant « le chômage créateur », c'est-à-dire le travail non rémunéré et destiné à produire uniquement des valeurs d'usage. Dans les sociétés contemporaines, seuls les nantis ont la possibilité de pratiquer le chômage créateur. Si les démunis, les pauvres et les défavorisés des pays sous-développés et développés tentent d'être des chômeurs créateurs, eh bien ! ils seront toujours pauvres et de vrais chômeurs. En ce sens, j'aurais pu titrer le présent article : « Ivan Illich ou le créateur du chômage ». Illich est sans doute un professionnel mutilant.



* Sociologue ; étudiant, au niveau du doctorat, en Administration et Politique scolaires, Sciences de l'Éducation, Université Laval.

[1] Ivan ILLICH, Le chômage créateur (Postface à La Convivialité), Paris, Éditions du Seuil, 1977, 89 p.

[2] Ivan Illich. La convivialité, Paris, Éditions du Seuil, 1973, p. 11.

[3] Ivan Illich, « Pour en finir avec la religion de l'école », dans Esprit, no 12, décembre 1970, p. 847.

[4] Ivan Illich, La convivialité, op. cit., p. 43.

[5] Ivan ILLICH, La convivialité, op. cit., p. 13.

[6] Ivan ILLICH, « Inverser les institutions », dans Esprit, no 3, mars 1972, pp. 329-330.

[7] Ivan ILLICH, La convivialité, op. cit., p. 37.

[8] Ivan ILLICH, « Inverser les institutions », art. cit., p. 353.

[9] Ivan ILLICH, La convivialité, op. cit., p. 31.

[10] Ibid., p. 29.

[11] Ibid., p. 13.

[12] Ivan ILLICH, « Inverser les institutions », art. cit., p. 353.

[13] Ivan ILLICH, dans Esprit, no 6, juin 1971, pp. 1125-1126, cité dans H. HANNOUN, Ivan Illich ou l'école sans société, Paris, Ed. ESF, 1973, p. 71.

[14] Ivan ILLICH, « Inverser les institutions », art. cit., p. 354.

[15] Voir en particulier, Jean BAUBEROT, « Ivan Illich, l'éthique médicale et l'esprit de la société industrielle », dans Esprit, no 2, février 1976, pp. 288-314 ; H. HANNOUN, Op. cit.

[16] Ivan Illich, « Inverser les institutions », art. cit., p. 329.

[17] H. Hannoun, Op. cit., p. 112.

[18] Esprit, no 3, mars 1972, pp. 321-408. On y lit les articles d'auteurs comme Th. Adam (psychologue), Michel Panoff (ethnologue), Pierre Kende (économiste), Jean-William Lapierre (sociologue).

[19] Yao ASSOGBA, « Deschooling Society ou l'illichisme : une utopie monastique », dans la Revue des Sciences de l'éducation, vol. IV, no 2, 1978, pp. 181-203.

[20] Jean BAUBEROT, art. cit.

[21] Herb GINTIS, dans Les Temps Modernes, sept. 1972, no 314, p. 531, cité dans H. HANNOUN, op. cit., p. 132.

[22] Michel PANOFF, dans Esprit, no 3, mars 1972, p. 408.



Retour au texte de l'auteur: Yao Assongba, sociologue, Université du Québec en Outaouais Dernière mise à jour de cette page le samedi 27 juin 2015 7:13
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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