RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Insertion des jeunes, organisation communautaire et société.
L'expérience fondatrice des Carrefours jeunesse-emploi au Québec
. (2000)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Yao Assogba, Insertion des jeunes, organisation communautaire et société. L'expérience fondatrice des Carrefours jeunesse-emploi au Québec. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal, 2000, 153 pp. Collection Pratiques et politiques sociales. Une édition numérique réalisée par ma grande amie, Gemma Paquet, âgée de 84 ans, professeure de soins infirmiers retraitée du Cégep de Chicoutimi. [Autorisation de diffuser ce livre en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales accordée par l’auteur le 9 juillet 2012.]

[1]

Insertion des jeunes,
organisation communautaire et société
.

L’expérience fondatrice des Carrefours jeunesse-emploi
au Québec.

Introduction

Les sociétés de la modernité n'ont pas réussi à recomposer un lien social de type organique, permettant à chacun des acteurs sociaux de s'appréhender comme une partie nécessaire du tout social. Or, les phénomènes d'exclusion, dans leur occurrence matérielle ou symbolique, semblent bien découler de ces trouées du tissu social résultant de multiples ruptures en cours ou déjà effectuées.
Martine Yiberras, Les théories de l'exclusion, 1993.

Depuis la fin des années 1970, dans la plupart des pays industrialisés d'Amérique du Nord et d'Europe, la persistance de l'abandon prématuré des études à l'école secondaire et l'accroissement du chômage chez les jeunes ont remis en question le rôle des institutions qui assurent habituellement l'intégration sociale, à savoir l'État, l'école, l'Église, la famille, etc., et leur efficacité à assurer à elles seules l'insertion des jeunes dans la société. Devant l'exclusion d'un grand nombre de jeunes du système scolaire, jeunes qui se trouvent ainsi dépourvus de formation spécialisée, le marché du travail est devenu de plus en plus exigeant en matière de diplômes et de préparation à l'emploi. L'ensemble de ces facteurs rend plus difficile le passage de l'école au monde du travail.

[2]

Au tournant de la décennie 1970-1980, la situation des jeunes dans les pays occidentaux hautement industrialisés se caractérise donc par l'ampleur du décrochage scolaire, du chômage, des emplois précaires, de la pauvreté, de l'exclusion, etc. Lointaine semble être l'époque à laquelle le passage de l'école à la vie active se faisait presque automatiquement. La période de transition de la formation à l'emploi s'est allongée dans le cycle de vie des individus (Galland, 1991). Divers mécanismes nouveaux ou inédits ont été initiés par l'État, le secteur privé, les syndicats et le mouvement communautaire pour contribuer à l'insertion socioprofessionnelle des jeunes largement frappés par le chômage et la rareté des emplois. Si les mesures proposées par les uns et les autres visent le même objectif, force est de constater que leurs modes d'action auprès des groupes concernés, de même que leur efficacité, sont très variables. C'est ainsi qu'en particulier, devant la rigidité administrative et l'anonymat des mesures étatiques d'insertion, les jeunes, notamment les plus défavorisés, préfèrent se tourner vers les pratiques « alternatives » des organismes communautaires de leurs milieux d'appartenance. Ils s'y sentent reconnus comme des individus à part entière, à la fois sujets et acteurs, et non pas nécessairement comme des « cas problèmes ». Ils semblent également y retrouver des espaces de valorisation où ils peuvent apprendre à se tromper dans un certain encadrement qui les aide soit à « raccrocher » le système scolaire, soit à trouver un emploi.

Le défi de l'insertion et de la réinsertion des jeunes est devenu tellement complexe, dans la conjoncture de « l'après-crise pétrolière » du début des années 1970, que l'État et d'autres institutions sociales se sont mis à s'intéresser aux expériences alternatives issues du milieu local pour éclairer leurs réflexions, l'élaboration des politiques sociales et leurs programmes d'intervention. Financés ou non par l'État et le secteur privé, œuvrant en partenariat avec le réseau public et mettant à contribution les syndicats, les organisations communautaires et associatives ont pris une certaine importance dans le système de régulation que représente le « sous-système d'intégration » des acteurs sociaux, ici les jeunes, dans la société.

Dans la majorité des pays industrialisés, y compris bien sûr le Canada et le Québec, les initiatives locales en matière d'insertion des jeunes se sont largement multipliées au cours des vingt dernières années, c'est-à-dire au pire de ce qu'il est convenu d'appeler la « crise économique » des pays hautement industrialisés. Dans l'Outaouais québécois en particulier, où les taux de décrochage scolaire et du chômage [3] des jeunes sont parmi les plus élevés du Québec, les milieux de l'organisation communautaire ne sont pas restés indifférents aux difficultés qu'éprouvent les jeunes sur le plan scolaire et socioéconomique. Bien au contraire, ils ont réagi en lançant au début des années 1980 une expérience novatrice d'insertion socioprofessionnelle des jeunes. Il s'agit de la création d'un dispositif dénommé à ses débuts Centre communautaire des jeunes sans emploi (CCJSE), et plus tard Carrefour jeunesse-emploi de l'Outaouais (CJEO). Conçu et mis sur pied dans la première moitié des années 1980 par un groupe d'organisateurs communautaires de trois centres locaux de services communautaires (CLSC) des villes de Hull et Gatineau, ainsi que par des gens du secteur privé et coopératif, le CJEO devait être une solution de rechange aux problèmes d'abandon scolaire, de délinquance et de chômage des jeunes de la région.

On y compte entre autres des représentants des usagers, c'est-à-dire des jeunes, d'une caisse populaire, d'un CLSC, de petites et moyennes entreprises, de l'Université du Québec à Hull, du Collège d'enseignement général et professionnel de l'Outaouais (cégep). Tous les membres du CA sont élus par l'assemblée générale de la corporation. Dès la présente décennie, il accueille annuellement environ 5 000 jeunes et ce nombre s'est élevé à 8 000 en 1998. Les états financiers du 31 mars 1998 indiquent que le CJE administre un budget de 1,5 million de dollars et compte 34 employés réguliers et une dizaine d'employés dans des projets dits spéciaux. Les principaux bailleurs de fonds du CJE au milieu de la décennie 1990 étaient le gouvernement fédéral, le gouvernement du Québec, les organismes publics dont, entre autres, la ville de Gatineau, les secteurs privés et communautaires dont les parts représentaient respectivement 50%, 17%, 23% et 10% du total des sources de financement du CJE [1].

Déjà, en 1986, Fernand Dumont diagnostiquait la relative « marge de manœuvre des pouvoirs politiques » eu égard aux difficultés d'insertion des jeunes dans une société où ces pouvoirs « ne peuvent s'appuyer sur un certain consensus et où les contraintes des organisations sont devenues paralysantes ». Pour tenter de sortir quelque peu d'une telle situation sociale il faut, soutenait-il, se tourner vers les populations locales afin de « recueillir les tentatives, les expériences qui [4] se sont faites jour un peu partout, en constituer un défi envers la déliquescence des aspirations et la rigidité des organisations. Il faut remettre en branle l'imagination » (Dumont, 1986, p. 9).

Cette assertion de Dumont résume clairement les objectifs du présent ouvrage qui sont :

1. de mieux comprendre le processus social général qui, au début des années 1980, a provoqué l'émergence des organisations communautaires, au sein des sociétés de la modernité, dans le champ politique de l'insertion socioprofessionnelle des jeunes qu'on qualifie désormais d'exclus, ce champ appartenant « traditionnellement » aux grandes institutions comme l'État, le système d'éducation, les institutions religieuses, le secteur privé, etc. ;

2. de mieux cerner sociologiquement les actions innovantes mises en œuvre par le mouvement communautaire en matière d'insertion des jeunes adultes dans les sociétés industrielles avancées en général et au Québec en particulier. Nous illustrerons dans ce livre le cas du Québec par une étude sociohistorique de l'innovation d'une organisation communautaire de l'ouest québécois, le Carrefour jeunesse-emploi de l'Outaouais (CJEO) ;

3. de voir quelle configuration sociétale empirique l'insertion socioprofessionnelle des jeunes prend, quelles sont les tendances lourdes de cette insertion dans nos sociétés lorsque ces actions novatrices sont mises en œuvre par une organisation communautaire ;

4. de rappeler brièvement les grandes théories sociologiques classiques et contemporaines de la cohésion sociale, concept fondamental qui renvoie nécessairement à l'analyse des rapports dialectiques entre exclusion et insertion ainsi qu'à la notion clé de lien social. Ce faisant, nous nous inspirerons, d'une part, des pratiques sociales innovantes en cours depuis vingt ans dans le domaine de l'insertion socioprofessionnelle et, d'autre part, des théories de la cohésion sociale (précédemment cernées) afin de présenter une esquisse d'éléments théoriques et de données empiriques, pour en faire une synthèse cognitive et performative des rapports sociologiques entre les notions de cohésion sociale, d'exclusion, d'insertion, de lien social, etc. La pertinence de cette esquisse réside dans la contribution qu'elle peut apporter au débat sur le renouvellement des pratiques sociales d'insertion socioprofessionnelle dans les sociétés de la modernité avancée.

[5]

Les cinq chapitres qui composent l'ouvrage recoupent ces objectifs. Le premier chapitre reconstitue la trajectoire historique de la « crise économique., dans les pays industriels avancés, dont le signal fut « le premier choc pétrolier » en 1973. En outre, ce chapitre rappelle, à grands traits, les conséquences sociales de la crise eu égard notamment à l'intégration sociale des jeunes qui sont, en grande majorité, les plus frappés par cette crise dans la population. On y fait une critique du sens populaire du mot crise, n'en retenant que le sens étymologique en raison de son intérêt épistémologique et méthodologique. En effet, ce sens permet une meilleure compréhension des mutations qui ont entraîné l'émergence du communautaire dans le champ politique de l'insertion socioprofessionnelle des jeunes qu'on qualifie désormais de socialement exclus ou bien qui vivent le phénomène de l'exclusion sociale dans les sociétés contemporaines.

Le deuxième chapitre décrit et analyse la conjoncture socioéconomique de l'« après-choc pétrolier » dans les pays industriels avancés en général, et plus particulièrement au Canada et au Québec. On y montre, d'une part, la portée et les limites des mesures que l'État néolibéral a mises en place au cours des dix premières années de la crise pour contrer l'exclusion sociale de la jeunesse et, d'autre part, les réponses novatrices que les mouvements sociaux dans ces sociétés ont, par leur rôle historique dans les changements sociaux, données pour résoudre les difficultés d'insertion des jeunes qui sont en dehors du marché du travail ou vivent la précarité d'emploi. La reconnaissance de ce rôle par les pouvoirs publics et le secteur privé est également mise en évidence. On cherchera à décrire plus spécifiquement l'« irruption » du mouvement communautaire québécois dans le champ politique de l'insertion socioprofessionnelle, ses rapports à l'État, aux entreprises privées, aux syndicats et aux collectivités locales. Quant au troisième chapitre, il est consacré à l'étude des conditions d'émergence du dispositif d'insertion Carrefour jeunesse-emploi de l'Outaouais (CJEO).

Dans le quatrième chapitre, on présente d'abord le tableau général des programmes du CJEO, puis on y fait l'étude de trois programmes de façon approfondie. Ces programmes ont été sélectionnés en fonction de leur caractère exemplaire du point de vue historique (programme Option Travail Outaouais (OTO), premier programme dans l'histoire du CJEO) ; ou de la sphère sociétale d'exclusion à laquelle le programme d'insertion s'adresse, en raison de l'importance relative de cette sphère dans les processus de désinsertion et d'insertion du jeune. C'est le cas du programme Choisir et [6] Réussir qui est destiné aux décrocheurs de l'école secondaire et du collège d'enseignement général et professionnel (cégep). La région de l'Outaouais connaît le plus haut taux de décrochage scolaire dans le système d'enseignement secondaire au Québec après la Côte-Nord, région plus défavorisée que l'Outaouais sur le plan socioéconomique. Or, le décrochage scolaire est la première forme d'exclusion sociale du fait que le niveau de scolarité, toutes choses étant égales par ailleurs, est en amont du processus de l'exclusion sociale. Le programme Choisir et Réussir est justement destiné aux décrocheurs scolaires de la catégorie des jeunes adultes de 16 à 35 ans. Ce chapitre se termine par la présentation des trajectoires sociales générales et une typologie d'insertion des participants du programme OTO.

Le troisième programme sélectionné s'appelle Enjeu Outaouais. Il s'adresse aux jeunes adultes de 35 ans et moins qui veulent mener à bien leur projet d'entreprise. Enjeu Outaouais est un programme d'insertion par le travail axé sur l'entrepreneuriat comparativement à OTO qui est un programme d'employabilité, et à Choisir et Réussir, qui vise le raccrochage scolaire. Les usagers d'Enjeu Outaouais se distinguent donc de ceux des deux autres programmes par la sphère de désinsertion de leur capital scolaire, de même que par leur capital socioculturel et économique potentiellement plus élevé.

Le cinquième et dernier chapitre constitue l'épilogue de l'ouvrage. Nous menons une réflexion autour de trois défis auxquels les carrefours jeunesse-emploi du Québec auront à faire face en tant qu'organisations communautaires. Il s'agit de leur rapport à l'État et aux institutions parapubliques, de leur utilité sociale dans l'insertion socioprofessionnelle des jeunes et, enfin, de l'inscription du mouvement communautaire dans le processus plus global de développement local. En se fondant, d'une part, sur les études théoriques et sur les enquêtes empiriques portant sur les différents modes d'insertion et en tirant, d'autre part, des enseignements de l'ensemble de ces travaux des vingt dernières années, nous proposons un nouveau mécanisme d'insertion socioéconomique qui serait, du point de vue de l'idéal-type de Weber, mieux adapté à la nature du travail et de l'emploi. Cet idéal-type renverrait aux différentes formes possibles d'intégration sociale des individus et des groupes dans les sociétés de la modernité avancée.

Cet ouvrage est le fruit d'une synthèse sociologique des données empiriques et des connaissances théoriques que nous avons pu accumuler au cours des quinze dernières années dans le domaine de [7] l'insertion sociale et professionnelle des jeunes adultes de 16 à 30 ans par les organisations communautaires au Québec. Notre « laboratoire d'observation» est le CJEO, premier organisme de type communautaire d'insertion des jeunes chômeurs en son genre au Québec et instigateur du réseau de 94 carrefours jeunesse-emploi (CJE) sur tout le territoire québécois.

[8]



[1]  Carrefour jeunesse-emploi de l'Outaouais (CJEO), Orientations générales 1998-1999, documents d'archives, miméo ; États financiers au 31 mars 1998, documents d'archives, miméo.



Retour au texte de l'auteur: Yao Assongba, sociologue, Université du Québec en Outaouais Dernière mise à jour de cette page le mercredi 17 mai 2017 12:55
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref