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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Création de richesses en contexte de précarité: l’expérience de l’Afrique de l’Ouest. (2003)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Yao Assogba, Habiboullah Kane, Sambou Ndiaye, et Youssouf Sanogo sous la direction de Louis Favreau, Création de richesses en contexte de précarité: l’expérience de l’Afrique de l’Ouest. VERSION PROVISOIRE. Cahiers de la Chaire de recherche du Canada en développement des collectivités (CRDC). Série Comparaisons Internationales Nord-Sud et Sud-Sud No. 3. Université du Québec en Outaouais, mai 2003. 95 pp. [Autorisation de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales accordée par l’auteur le 9 juillet 2012.]

[5]

Création de richesses en contexte de précarité:
l’expérience de l’Afrique de l’Ouest


Avant-propos

La comparaison Nord-Sud et Sud-Sud
en économie sociale
et en développement local est-elle faisable,
viable et pertinente ?


par

LOUIS FAVREAU, titulaire

Chaire de recherche du Canada en développement des collectivités (CRDC)
Université du Québec en Outaouais (UQO)


1. La comparaison internationale :
une question sociopolitique,
surtout la comparaison Nord-Sud

Le Québec, société du Nord, disposant de toutes les caractéristiques de ces sociétés, est-il comparable à des sociétés du Sud comme, par exemple, le Mali, la Mauritanie ou le Sénégal ? Ces pays occupent le 164e, le 135e et le 154e rang des pays du monde en vertu de l’IDH (indice de développement humain du PNUD) alors que le Canada est au 3e rang (il a déjà été au premier rang). Le Québec ne doit pas être tellement loin et figure certainement dans les 10 ou 12 premiers rangs à côté de la France ou des États-Unis. À première vue, la différence est trop forte pour supporter la comparaison. De plus, moralement parlant, certains pourraient s’indigner. Dans des discussions improvisées sur ce sujet, deux commentaires du même ordre m’ont été adressés à cet effet. Le premier venait d’un Argentin avançant que les problèmes de développement de l’Argentine sont sans commune mesure avec ceux du Canada ou du Québec, le second provenant d’un Sénégalais nous affirmant que l’économie sociale des pays du Nord ne représente tout au plus que 10% de l’économie générale. Elle n’avait donc à ses yeux que peu de choses à voir avec l’économie populaire prévalente en son pays car celle-ci doit bien représenter quelque 90% de l’économie générale. Il convient donc de s’arrêter quelque peu sur cette question posée sous son angle sociopolitique.

La mondialisation en cours a ceci de positif. Si d’un côté, elle met en évidence les inégalités et les différences culturelles très importantes entre les populations de la planète, elle nous permet par ailleurs de voir se dessiner des problèmes communs : la revitalisation de quartiers en difficulté, l’écologie urbaine, l’emploi, le transport collectif, l’habitat et la santé, l’éducation et les services sociaux…sont des problèmes similaires même s’ils n’ont pas la même ampleur et la même densité.

Il faut surtout ajouter qu’il existe des pratiques communes de transformation sociale de nos sociétés qu’elles soient du Nord ou du Sud. N’est-ce pas le cas historiquement du syndicalisme tant au Nord qu’au Sud. Les différences sociales entre le Nord et le Sud ont-elles conduites à la création séparée d’organisations exclusivement du Nord et exclusivement du Sud. Plutôt le contraire ! Le mouvement syndical a tout fait pour se donner des organisations véritablement internationales. Le mouvement coopératif avec l’Alliance coopérative internationale a fait de même. Il ne s’agit pas de nier les différences mais de les surpasser à l’intérieur de dispositifs internationaux qui se disent et se veulent réciprocitaires même si la chose ne relève pas de l’évidence. En témoignent aujourd’hui le Forum social mondial et les nombreux réseaux internationaux d’ONGD, [6] d’entreprises et d’organisations d’économie sociale et solidaire, de développement local. Sans compter l’interdépendance croissante des sociétés qui légitime encore plus le renforcement de la connexion Nord-Sud.

Finalement, il faut aussi rendre compte des nouvelles dynamiques en cours : l’aide au développement fait de plus en plus place à la solidarité internationale et à la création de réseaux internationaux de débat, de réflexion et d’engagements dans de nouvelles stratégies d’action collective à cette échelle où gens du Nord et gens du Sud cherchent à se sonner des espaces de dialogue interculturels et des espaces d’échanges économiques nouveaux (le commerce équitable en est un). Dans cette perspective, le simple repérage conjoint d’initiatives économiques populaires innovatrices ici et là, au Nord et au Sud, constitue déjà une tâche politique et scientifique disposant d’une bonne capacité de démonstration et de mobilisation. Parce qu’il vient illustrer qu’une autre mondialisation émerge simultanément au Nord et au Sud et que celle-là travaille à rendre la planète plus équitable.

Nous savons, comme chercheurs et comme intervenants, que ce n’est évidemment pas suffisant de s’en tenir là. Il faut rassembler des expériences et les analyser, ce qui offre, à nos yeux, un très bon moyen de faire avancer le mouvement général émergeant de l’économie sociale et solidaire de par le monde. Car l’analyse offre la possibilité de la mise en perspective favorisant ainsi, par delà les différences de pays, de culture et de continent, des convergences, des lignes de force communes. Tout cela finit par pouvoir inspirer, voire même donner lieu à de nouveaux projets d’autres acteurs un peu partout de par le monde autour notamment de trois enjeux et de trois dynamiques très actuelles en matière de relations entre le Nord et le Sud : celle du développement local conduisant à celle de la démocratie locale et participative et à celle la coopération décentralisée. Pourquoi ces enjeux en particulier ? C’est que, au Nord comme au Sud, le cheminement de beaucoup de praticiens et de chercheurs engagés dans des initiatives de développement local et de la nouvelle économie sociale est, la plupart du temps, le fait de gens qui ont travaillé dans des quartiers délaissés par le développement économique dominant. Ce faisant, nous étions à même de voir que cela conduisait à découvrir des logiques socioéconomiques et institutionnelles sur l’ensemble de la ville et donc d’en arriver à poser la question générale de la gestion urbaine avec ses problèmes d’emploi, d’habitat, de transport collectif, d’équipements socioculturels mais aussi ces problèmes de citoyenneté urbaine et donc de démocratie locale et de formes nouvelles de gouvernance à développer. Bref, un certain nombre d’entre nous sommes passés de l’organisation communautaire de quartiers dits défavorisés à une participation à l’organisation de la démocratie urbaine, conviction fondée sur des expériences du Sud comme du Nord.

2. La comparaison internationale :
une question scientifique

Pourquoi Nord-Sud si on pousse un peu plus loin la réflexion ? Parce que, par là, il y a la possibilité de vérifier de manière empirique comment les problèmes et les contraintes socio-économiques sont vécus autrement ailleurs que dans les pays du Sud d’une part mais aussi de trouver réponse à un autre type de questions plus [7] importantes encore : quelles sont les marges de manœuvre et les stratégies des acteurs dans un environnement politique et social plus favorable, où le niveau de démocratisation est plus évolué que dans les pays du Sud ? Quelle est la portée d’initiatives économiques populaires de création de richesses et les conditions de sa redistribution lorsqu’elles se réalisent dans un cadre politique et économique plus institutionnalisé, comme c’est le cas en Europe (Belgique, France et Suisse) et au Canada, pays au cœur du bassin de la richesse mondiale. Quelles sont également les nouvelles avenues de coopération Nord-Sud ? Une meilleure connaissance des dynamiques propres de développement des pays du Sud et du Nord peut favoriser des formes de coopération Nord-Sud plus appropriées.

Pourquoi Sud-Sud ? Comme nous l’affirmons dans notre projet de recherche (Fall et Favreau, 2002), la prise en compte des facteurs tels que les caractéristiques et déterminants de la pauvreté, les liens entre la croissance et les programmes d’ajustement structurel (PAS), les évolutions démocratiques et les mouvements de la société civile, permet d’identifier des similitudes dans l’organisation socio-économique de pays de l’Afrique de l’Ouest et de l’Amérique latine car ces pays se caractérisent généralement par des externalités très fortes, en particulier leur dépendance par rapport aux économies modernes mondiales européennes et américaines sous le contrôle permanent de la Banque Mondiale et du FMI.

Cette question de la comparaison Nord-Sud et Sud-Sud en appelle donc une autre : celle de la recherche transnationale en sciences sociales (Oyen, 2001). Qu’on le veuille ou non, les deux premiers obstacles auxquels nous faisons face en sciences sociales lorsqu’il s’agit d’étudier l’économie sociale et le développement local sont les suivants : 1) les frontières nationales demeurent encore prévalentes dans la très grande majorité des travaux en sciences sociales y compris dans les conceptualisations qui se veulent les plus générales [1] ; 2) la recherche en sciences sociales sur des sujets qui traitent des questions de développement comme la nôtre est aussi largement dominée par des projets à court terme souvent hégémonisés par des “boîtes” de consultants en gestion qui produisent des études de cas sensées être des “best practices” mais sans qu’aient été examinées plus à fond les conditions d’émergence et de développement de ses pratiques, c’est-à-dire les systèmes d’acteurs, les différents types de partenariat présents, les différents types de financeurs, les différentes approches (stratégies et théories) de développement sans compter les liens avec les conditions sociopolitiques générales des pays.

Il faut des activités de recherche plus globales, de moyen et de long terme, car le développement aujourd’hui, avec la mondialisation de la culture comme de l’économie et de la politique, posent de façon différente de vieux [8] problèmes tel le décollage industriel d’un pays par exemple et de nouvelles questions tels l’impact social des migrations du Sud au Nord, l’effet de retour de flux financiers de ces migrations sur les communautés d’appartenance au Sud, le développement des économies locales sans investissement privé externe... Nous sommes encore bien mal équipés pour faire ce type de recherche [2]. Plus spécifiquement, la contribution de cette nouvelle série de cahiers dits de comparaison Nord-Sud et Sud-Sud à la CRDC cherchera à combler le vide notamment par nos travaux de recherche portant sur la création de richesses en situation de précarité, et cela, dans des contextes culturels fort variés : que veut vraiment dire “développer des entreprises sociales et solidaires” et “faire du développement local” dans des pays comme le Mali, le Pérou, le Québec pour ne citer que ces pays ? [3]

Voilà pourquoi ce texte, comme les autres qui suivront dans le cadre de cette nouvelle série initiée par la CRDC et intitulée “comparaisons internationales Nord-Sud et Sud-Sud”, s'inscrit dans le cadre d’une programmation transnationale de recherche dont le thème est “Création de richesses en contexte de précarité”. Ce programme est initié et co-dirigé par Abdou Salam Fall (IFAN/Sénégal) et Louis Favreau (CRDC/Canada). Il se veut un programme de recherche transnational réunissant des équipes de recherche d’Amérique latine, d’Afrique, d’Europe et du Canada. Ce programme, qui a un cadre comparatif Nord-Sud et Sud-Sud, porte sur : 1) les pratiques de création de richesses par l’économie populaire, sociale et solidaire ; 2) les gouvernances locales, c’est-à-dire les différents formes de collaboration entre associations, ONGD, gouvernements locaux et PME/PMI pour favoriser le développement. En voici la proposition centrale :

Programme de recherche
“création de richesses en contexte de précarité

L'érosion des compromis sociaux et des types dominants de régulation économique et sociale qui ont constitué la base des modèles de développement de l'après-guerre tant au Sud qu'au Nord constitue le cœur de la crise actuelle. C'est dans cette mouvance générale que les mouvements sociaux ont commencé (recommencé) à occuper et à créer un espace d'innovation et de transformation sociale au cœur de la crise. Ce qui nous amène à formuler dans ce cadre comparatif Nord-Sud et Sud-Sud à partir de cette hypothèse générale quatre propositions :

la création de richesses par l'économie populaire, sociale et solidaire devient de plus en plus importante dans le nouveau paysage économique et social mondial. Une partie de la montée d'une société civile à l'échelle mondiale se caractérise par une résistance à la mondialisation néolibérale ;

une partie de cette société civile, moins visible, a émergé. Elle est faite de créateurs de richesse inscrits dans l’économie populaire, lesquels sont devenus de nouveaux acteurs collectifs de développement ;

cette production de richesses s’inscrit dans le “local” qui est un nouveau “local”. Il ne s'agit ni d'un développement local par en haut (issu de l’aide internationale), ni d'un développement par en bas de type alternatif. Il met à contribution des acteurs multiples répondant à des logiques d’actions diverses. Cette création de richesses par l’économie populaire obéit surtout à une logique mixte plutôt qu’à une logique strictement économique car l’économique est enchâssé dans le social ;

ce nouveau “local” et cette économie populaire, sociale et solidaire sont susceptibles d'ouvrir de nouvelles voies au développement et à la démocratisation du développement. Les bâtisseurs de cette économie populaire sont surtout des acteurs qui adhèrent à des idéaux et à des valeurs de groupe (réussite économique et sociale collective).

LOUIS FAVREAU, titulaire

Chaire de recherche du Canada en développement des collectivités (CRDC), Université du Québec en Outaouais (UQO)



[1] Par exemple l’approche de la régulation comme celle de l’économie sociale et solidaire ont bâti leur théorie dans le cadre de sociétés où l’État social est très développé et où le travail qui prédomine est très majoritairement salarié. Ces approches se heurtent au Sud à la prévalence d’un travail qui n’est pas un travail salarié (travail indépendant dans le cadre d’une économie dite informelle) et à des États très peu développés du point de vue des transferts sociaux.

[2] En dépit d’efforts louables dans certaines institutions internationales comme le projet MOST à l’UNESCO ou le programme scientifique de lutte contre la pauvreté par l’économie sociale (STEP) au Bureau international duTtravail (BIT) ou dans certains centres de recherche comme le Centre de recherche en développement international (CRDI).

[3] Ce qui nous conduira, dans les premiers textes de cette série, à des monographies nationales de l’économie sociale et du développement local en Afrique de l’Ouest (Mali, Mauritanie, Sénégal, Togo), puis vers des monographies nationales en Amérique latine (Brésil, Chili, Pérou) et vers des études sur la coopération internationale décentralisée de la Belgique, du Canada (Québec), de la France et de la Suisse.



Retour au texte de l'auteur: Yao Assongba, sociologue, Université du Québec en Outaouais Dernière mise à jour de cette page le jeudi 26 septembre 2013 13:07
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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