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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Yao Assogba, “Le NEPAD, "qu'ossa donne de neuf"? L'Afrique doit absolument rompre avec un modèle de développement extraverti.” Un article publié dans le journal LE DEVOIR, Montréal, le 3 juillet 2002, A6 — libre opinion. [Autorisation de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales accordée par l’auteur le 9 juillet 2012.]

Yao Assogba

Professeur en travail social, Université du Québec en Outaouais

Le NEPAD, "qu'ossa donne de neuf"?
L'Afrique doit absolument
rompre avec un modèle de
développement extraverti.”

Un article publié dans le journal LE DEVOIR, Montréal, le 3 juillet 2002, A6 — libre opinion.


Pour sortir du "gouffre impitoyable de la misère" (comme l'a dit Stephen Lewis, envoyé spécial de l'ONU pour le VIH-sida en Afrique), l'Afrique doit opérer une rupture avec le paradigme de développement extraverti qui l'a conduite à l'impasse. Loin de rompre avec ce modèle, le Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD, d'après l'acronyme anglais), récemment discuté au Sommet du G8) le renforce.

Pour le NEPAD, le développement, c'est la croissance économique par des transferts massifs de capitaux étrangers sous forme d'aide publique au développement (APD) et d'investissements privés. Le NEPAD a pour ultime objectif de combler le retard qui sépare l'Afrique des pays développés. Cette notion de fossé à remplir (bridging gap) est au coeur même du NEPAD. Le but du développement est-il vraiment qu'un pays "comble le fossé" qui le sépare par rapport à un autre? N'est-il pas que chaque individu dans chaque pays dispose de sécurité matérielle, ait accès à l'éducation et à des soins de santé, ait une espérance de vie relativement élevée et jouisse de droits fondamentaux? La croissance économique d'un pays n'a de sens que si elle débouche sur une amélioration des conditions d'existence et de la qualité de vie des populations. Dans le cas de l'Afrique, sur une période de 40 ans, cette qualité de vie a régressé au lieu de progresser.

Cette marche à reculons ne s'explique pas par un manque de financement extérieur. Certes, l'APD n'a pas cessé de baisser depuis que les programmes d'ajustements structurels (PAS) ont été imposés aux États africains par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Cependant, tel n'a pas été le cas durant les 20 premières années des indépendances africaines, qui ont été l'âge d'or de l'APD. Malgré cela, ces années ont été qualifiées de "décennies perdues du développement".

Le NEPAD passe sous silence les causes intérieures et extérieures (profondes, celles-là) de cette situation. Avant de mobiliser de nouvelles ressources pour réaliser le programme d'action du NEPAD, il aurait été logique d'étudier honnêtement les causes profondes de l'échec du développement en Afrique depuis 40 ans.

C'est le manque de volonté politique et le cynisme des chefs d'État africains eux-mêmes, qui n'ont pas réussi à engager les peuples africains sur la voie du progrès économique et social. Depuis 40 ans, les chefs d'État africains ont une gestion patrimoniale des ressources nationales. Despotes pour la plupart, ils ont néanmoins été courtisés, corrompus et armés par les grandes puissances du Nord afin de maintenir l'échange inégal du système économique mondial.

Pour réaliser un développement durable, le NEPAD préconise une stratégie de "vision à long terme" axée sur sept domaines prioritaires qu'on peut diviser en deux catégories: le domaine social (santé, éducation, ressources humaines) et le domaine économique et technologique (infrastructures, nouvelles technologies de l'information et de communications). Dans les secteurs sociaux, les objectifs à long terme du NEPAD sont les suivants: éradiquer la pauvreté et promouvoir le rôle des femmes dans toutes les sphères d'activité. Sur l'horizon 2005-15, le NEPAD veut parvenir à l'éducation primaire universelle et réduire de moitié l'extrême pauvreté et le taux de mortalité infantile. La lutte contre le VIH/sida et le paludisme fait aussi partie du plan d'action.

Si les buts visés sont clairement énoncés, les actions concrètes pour les réaliser ne le sont pas. Le NEPAD reste très vague sur les investissements dans les secteurs sociaux. Dans la logique du NEPAD, les droits fondamentaux ne sont pas vus comme des valeurs en elles-mêmes. La démocratie n'est donc pas une fin pour les peuples africains mais des moyens dont les chefs d'État africains disposent pour attirer des flux massifs de capitaux étrangers et de technologies dans leurs pays.

Sans détours, le document sur le NEPAD affirme qu'« améliorer les infrastructures, y compris le coût et la fiabilité des services, serait dans l'intérêt de l'Afrique comme de la communauté internationale, qui pourrait obtenir des biens et des services africains à meilleur marché ». Si c'est à cette fin que serviront les infrastructures qui seront développées en Afrique grâce au financement extérieur, il ne s'agit pas d'un nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique.

Le NEPAD s'annonce comme le "pacte" de la mondialisation de l'Afrique entre le G8 et les États africains, au détriment des besoins et des aspirations des peuples africains à un développement humain. Pour réaliser son vaste programme, le NEPAD veut mobiliser deux catégories de ressources. Les ressources nationales proviendront de l'augmentation de l'épargne intérieure et de l'amélioration de la perception des recettes fiscales. Cependant, la majeure partie de ces ressources devra être obtenue de l'extérieur du continent par la réduction de la dette et l'APD, d'une part, et par les apports des capitaux privés, d'autre part. Rien n'est dit sur le rapatriement des 360 milliards $US que les potentats africains ont détournés et placés dans des banques étrangères.

Dans son essence, le NEPAD s'inscrit dans le paradigme de tous les modèles de développement qui ont été tentés et qui ont échoué en Afrique depuis 1960. Pour se développer, un changement de paradigme s'impose en Afrique. À cet égard, il faut que les dirigeants africains tirent des leçons de l'histoire afin de rompre radicalement avec l'idée de "rattrapage" des pays développés à tout prix.

L'ouvrage de Fernand Braudel (Civilisation matérielle, économie et capitalisme, 1980) peut nous éclairer dans la recherche d'une solution alternative. Selon Braudel, l'histoire montre que le processus de développement des sociétés s'opère dans une dynamique entre diverses formes d'économie: l'économie de subsistance, l'économie sociale et l'économie de marché. L'économie de marché se développe sur la consolidation des deux premières. Malgré son importance dans l'histoire de l'évolution économique des sociétés, la théorie du développement va évacuer la consolidation de ses principes et mettre en avant le principe de "rattrapage".

Le nouveau modèle de développement de l'Afrique suppose l'utilisation maximale des ressources locales et nationales. Le passage de l'économie de subsistance à l'économie sociale vise l'autonomie alimentaire ainsi que le développement de petites et moyennes entreprises et d'industries. La consolidation de l'économie sociale débouche sur des économies de marché nationales, régionales et panafricaines. C'est ainsi que l'Afrique va s'inscrire solidement dans le système économique mondial. Le succès de ce paradigme ne peut être assuré que par les forces progressistes africaines résolument décidées à sortir l'Afrique du "gouffre" et à l'engager sur la voie de la Renaissance.

Yao Assogba

Sociologue, l'auteur est professeur à l'Université du Québec à Hull (UQAH) et chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada des collectivités de l'UQAH. Il a publié de nombreux articles et collaboré à plusieurs ouvrages sur les questions de développement et de démocratie en Afrique.



Retour au texte de l'auteur: Yao Assongba, sociologue, Université du Québec en Outaouais Dernière mise à jour de cette page le samedi 27 juin 2015 7:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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