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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Vers une analyse anthropologique de la pornographie:
notes préliminaires au début d'une recherche
.” (1983)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Bernard Arcand, “Vers une analyse anthropologique de la pornographie: notes préliminaires au début d'une recherche.” Un article publié dans la revue Anthropologie et Sociétés, vol. 7 no 2, été 1983, pp. 29-45. Québec: Département d'anthropologie, Université Laval.

Introduction

Entreprendre une analyse anthropologique de la pornographie en Occident en considérant d'abord les discours des Occidentaux sur la question, rendra vite évident que le sujet leur est difficile. La sexualité est ici un sujet tabou et sa représentation génère des émotions fortes : l'extase, la gêne, l'hilarité, le choc ou la rage. La pornographie, en particulier, est souvent reçue par le rire ou les grincements de dents. La sexualité demeure ce qui devrait être privé et son exposition publique la rend obscène et la pornographie est donc d'emblée du côté de l'impur, de la cochonnerie, du grossier et du mal. 

Le sujet est délicat, il fascine ou dégoûte, et puisque l'obscène doit demeurer secret, c'est aussi ce dont on ne veut pas parler. Comme le bol des toilettes qui, parce que honteux, demeure l'objet le plus mai conçu et mal dessiné de nos espaces domestiques, la pornographie est le plus souvent mal faite, médiocre et pour consommateurs dont la bêtise ne cesse d'étonner. Les divers commentaires sur la pornographie reflètent souvent cette même honte du sujet intraitable. 

Voilà qui en fait un excellent test de méthode. Génératrice de passions, la pornographie est d'autant difficile à comprendre et il y a probablement peu de champs d'étude où on se soit permis aussi légèrement le trucage des données empiriques, les citations tronquées ou les affirmations gratuites. C'est que les débats sur la pornographie ne relèvent pas essentiellement de la science mais de la morale et de visions politiques de la société. Le résultat est un foisonnement d'opinions et d'intuitions parfois fort intéressantes, mais, sauf quelques rares exceptions, très peu d'enquêtes dont le sérieux ne peut être mis en question. Par exemple, malgré une littérature sur le sujet déjà considérable, nous ne disposons encore d'aucune véritable ethnographie de la pornographie en Occident. Ce qui nous mène à parler de ce que nous connaissons assez mal. 

En plus du tabou social entourant l'empire des sens, la gêne des analystes vient aussi de ce que la pornographie a parmi ses effets celui de stimuler l'imaginaire et que c'est là un mécanisme complexe au sein d'un domaine que nous avons toujours beaucoup de mal à saisir. Entre l'image obscène et la jouissance sexuelle intervient le jeu de l'imagination qui aura à parcourir le plus long chemin. Et le fantasme semble pouvoir mener n'importe où : au plaisir comme à l'horreur. C'est ainsi qu'une même image sera pour l'un prélude à des ébats jouissants et pour l'autre prélude au cauchemar du viol. L'étude de ce mécanisme appartient en partie à la psychologie et les sciences sociales y paraissent souvent mal à l'aise. 

Par ailleurs, tous ces malaises ne sont probablement pas étrangers à l'échec de la plupart des tentatives voulant définir la pornographie en lui attribuant un contenu distinct et particulier. C'est là le travail habituel des juristes et des censeurs qui doivent tracer, souvent avec une minutie épidermique, la limite du socialement acceptable : il leur faut opérer avec une définition précise de l'obscénité, qui ne semble avoir d'autre destin que d'être constamment et chaque fois remise en question. En général, les commentateurs n'atteignent jamais la précision du censeur et se satisfont plutôt de quelques vagues distinctions entre l'érotisme, contre lequel personne ne s'élève, et la pornographie à la défense de laquelle nul ne s'abaisse. D'autres refusent toute définition : 

« Je ne m'attarderai pas aux multiples difficultés de définir la pornographie. Cette rhétorique, dont on abuse, contourne les questions fondamentales et justifie la passivité. D'ailleurs, quand bien même je proposerais trente définitions, elles ne satisferaient personne. Celles qu'on retient sont toujours les définitions formulées par les gens du pouvoir. Est-il réaliste de s'attendre qu'ils proposent ou adoptent des définitions qui servent les intérêts des contestataires et des personnes exploitées, en l'occurrence des femmes ? » (Carrier 1981 : 6) 

Il est pourtant essentiel de connaître pourquoi une société attribue ici ou là le sceau du pornographique et savoir ce qu'on veut promouvoir, tolérer, contester ou interdire. Les critères de sélection sont en fait notre seule prise sur la pornographie comme phénomène social. 

Éliminons tout de suite les critères individuels qui définissent le pornographique comme pouvant être n'importe quoi : du vieux juge américain disant que c'était tout ce qui lui procurait une érection jusqu'à la téléspectatrice protestant contre l'obscénité dans laquelle sombre « l'homme invisible » chaque fois qu'il enlève ses bandeaux. À ce niveau, le seul déterminant demeure l'oeil du voyeur. 

Phénomène social, la pornographie est une représentation de la sexualité humaine produite et consommée en masse. Elle ne constitue évidemment pas le seul discours occidental sur la sexualité (entre autres, la religion, l'art, la criminologie et la biologie en parlent beaucoup), mais elle seule a pour fonction de transgresser un interdit. La pornographie, par définition, va trop loin. Et ce trop loin est de ne parler que de sexe, sans mise en place, sans contexte, sans autre référence. 

« Bref, ce ne sont plus les corps qui sont obscènes, c'est la gratuité de leur ostentation. Du dévoilement lui-même, le grief se déplace vers son absence de signification. Pour mériter l'épithète de cochon, il faut être deux fois dévêtu : d'habits et de transcendance. » (Bruckner et Finkielkraut 1977 : 56) 

À chaque moment de l'histoire, sera déclaré pornographique ce qui sépare le sexe de ce qu'on perçoit être ses attributs essentiels, ce qui lui retire trop de transcendance. Au cours des derniers cent ans, l'Occident passe ainsi de l'obscénité de presque toute nudité hors de la chambre matrimoniale, à l'acceptation de la nudité lorsqu'indigène (National Geographic), à l'interdit de représenter le sexe pédophiliaque. La nature des référents externes varie avec les époques mais ils appartiennent tous à un même continuum évolutif vers une représentation purement matérielle de la sexualité : le jeu de parties de corps. 

Aujourd'hui, cette même attribution de transcendance pousse à voir une différence entre le David de Michel-Ange et une photo de Burt Reynolds posant nu dans Playgirl. Elle explique comment l'artiste américaine Judy Chicago peut rendre hommage à des femmes célèbres en représentant leur vagin sur des assiettes et pourquoi la même oeuvre de la main de Hugh Hefner aurait été comprise différemment (English 1980 : 25). C'est aussi la transcendance qui permet de comprendre qu'une image de femme déshabillée, battue et mise à mort peut être déclarée carrément pornographique, tandis que celle d'un homme déshabillé, battu et mis à mort peut n'être ni pornographique ni même érotique si l'individu en question est cloué à une croix dans toutes les églises de la chrétienté. 

Il serait donc relativement facile d'être pornographique puisque, comme disait Herbert Marcuse (1963), toute la puissance de la moralité joue contre l'usage du corps comme simple objet, instrument de plaisir. Le sexe doit toujours révéler quelques valeurs supérieures et la sexualité doit toujours être dignifiée par l'amour. Le fait que nos analyses, ajoute Susan Sontag (1967), se résument à une alternative entre le réductionnisme psychanalytique et le vocabulaire religieux est encore un écho de la dénigration de l'expérience du sexe dans cette culture où il n'y a que l'imagination religieuse qui soit culturellement crédible comme totalité. 

C'est aussi Susan Sontag, je crois, qui disait combien il est difficile de parler du mal lorsqu'on a perdu les mots religieux et philosophiques pour le faire. Dans un premier temps, il faut voir comment les experts occidentaux, les ethno-scientistes, réussissent à parler du mal. Ensuite, considérer le débat suscité par la pornographie comprise comme discours idéologique sur les rapports entre les sexes. Enfin, chercher à saisir la pornographie comme fait de société et l'essor de sa commercialisation à un moment historique particulier.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 4 mai 2008 8:33
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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