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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Bernard Arcand, “Comptes rendus. Marcel RIOUX: Essai de sociologie critique. Collection sociologie, Cahiers du Québec, Hurtubise HMH, Montréal, 1978, 182 pages.” Un article publié dans la revue Anthropologie et Sociétés, vol. 3 no 3, 1979, pp. 163-164. Numéro intitulé: “Questions d’ethnocentrisme”. Québec: Département d'anthropologie, Université Laval.

Bernard Arcand

Anthropologue, professeur émérite, département d’anthropologie,
Université Laval.
 

Comptes rendus.
Marcel RIOUX:
Essai de sociologie critique.
Collection sociologie, Cahiers du Québec,
Hurtubise HMH, Montréal, 1978, 182 pages.”

 

Un article publié dans la revue Anthropologie et Sociétés, vol. 3 no 3, 1979, pp. 163-164. Numéro intitulé : “Questions d’ethnocentrisme”. Québec: Département d'anthropologie, Université Laval. 

 

 

L'avertissement survient aux toutes dernières lignes de l'ouvrage « S'il est une certitude qui surnage, c'est qu'aujourd'hui les hommes sont condamnés à inventer leur avenir et que le temps n'est plus où ceux qui critiquaient l'ordre établi croyaient que la solution de rechange existait toute faite dans les traités des maîtres-penseurs ». Le livre nous est présenté comme « un rapport d'étape », le bilan de plus de vingt ans d'étude de la société et on y trouvera ni solutions faciles ni méthode précise d'analyse de la société industrielle. Rioux essaie plutôt de cerner les conditions, les écueils possibles et les richesses d'une véritable sociologie critique, de cette sociologie qu'il faut encore inventer et qui chercherait avant tout à comprendre l'auto-création de toute société. 

Reprenant la distinction introduite par Ernest Bloch entre le courant froid du marxisme, critique de la société contemporaine, et son courant chaud qui veut repérer les conditions de création du radicalement nouveau et les pratiques de dépassement, Rioux n'est pas toujours tendre envers le premier de ces courants. Sa critique s'ajoute à celles qui veulent secouer tous ceux qui s'enferment encore dans la platitude d'un matérialisme historique facile. À la suite de Baudrillard, Rioux s'inquiète de ce que Marx ne remit jamais en question la conception européenne de la domination humaine de la nature ni même les notions de travail et de productivité, et qu'en cela, même si la satisfaction des besoins des individus doit pour lui remplacer la recherche du profit, Marx ne soit pas différent des capitalistes de son siècle : « C'est le meilleur tour que puisse jouer aux analystes le mode de production capitaliste que se faire juger sur ses propres catégories : c'est peut-être pour cela que les critiques de ce système entonnent eux-mêmes des hymnes au développement des forces productives, au travail et à la satisfaction des besoins ». Un important courant marxiste a depuis longtemps sombré dans l'économisme et le positivisme. Lorsque Godelier, Leslie White ou d'autres exportent les concepts de l'économie politique, ils font figure de victimes du fait que c'est au XIXe siècle que les lois du marché réussirent à contrôler toute la société et ils demeurent aveugles au fait que c'est là précisément la rupture la plus radicale que cette société instaure. Rioux cite Karl Korsh : « Le terrain de l'économie politique est toujours le terrain de l'ennemi... » Pire encore, l'autonomisation de l'économie, la capacité d'isoler le développement des forces productives séparé des rapports de production et du reste du socio‑culturel, pour enfin en arriver à croire que la superstructure est un reflet de l'infrastructure, tout cela mène à Staline. 

Il est urgent, selon Rioux, de purger la sociologie marxiste de tout réductionisme économique. Il faut retrouver la notion de praxis que Marx abandonna en voulant de plus en plus faire oeuvre d'économiste : «... il veut devenir scientifique, parce que l'économie politique est une science naturelle qui ne connaît ni la praxis, ni la critique, ni le dépassement ». Il faut reprendre le raisonnement de Marx et ne plus se limiter à démontrer le rôle de la marchandise comme rapport social incluant tous les rapports entre individus et aboutir à analyser l'exploitation proprement économique : « Une analyse de la société capitaliste en termes d'aliénation aurait abouti sur l'autonomisation de l'économie, ce qui est bien différent ». Et l'essentiel est justement cette autonomisation, car elle constitue la contradiction fondamentale et distincte de la société capitaliste, celle qui donne naissance à toutes les autres et sans laquelle on ne gagnerait rien à faire la critique économique du mode de production capitaliste. 

S'il est assez convaincant de faire la critique d'une économie politique trop réduite et trop simpliste pour expliquer l'essentiel de la vie sociale, d'une économie politique qui n'est en somme que le miroir du mode de production qui l'a fait naître, il est par contre beaucoup plus difficile de tracer les voies d'une sociologie nouvelle. Rioux indique seulement quelques sentiers possibles. Il faudrait retrouver la praxis comme objet d'étude, remplacer la notion trop étroite de besoin par celle de désir et prendre enfin conscience de l'importance du symbolique comme opposition à la séparation et à l'aliénation « la destructuration symbolique apparaît comme la conséquence la plus radicale du caractère distinctif du mode de production capitaliste l'aliénation ; « l'homme nu » de Marx est, en dernière analyse, l'être symboliquement déstructuré ». 

À partir de ce moment, la thèse devient plus incertaine. D'une part, Rioux refuse la certitude du marxisme mécanique qui voit le prolétariat incarner les idéaux de la Révolution, même s'il ne se conduit pas comme une classe révolutionnaire. D'autre part, il refuse aussi le pessimisme ontologique de l'école de Francfort qui admet ne jamais pouvoir définir à priori la société juste et devoir se limiter à dire ce qui est mauvais dans la société capitaliste. Il veut au contraire demeurer optimiste et chercher « les groupes qui sont porteurs de projets d'émancipation, c'est-à-dire qui luttent pour l'abolition de l'exploitation, de l'aliénation et de la domination ». Ces projets émancipatoires ne peuvent toutefois être qu'imaginés, ce sont des projets de société qui visent à re-totaliser, à re-globaliser tout ce qui a été séparé dans le mode de production capitaliste. Rioux semble mal à l'aise d'en fournir des exemples et chaque fois qu'il suggère les projets d'autogestion, le mouvement écologique, ou la « nouvelle culture », il évite d'en discuter et s'empresse de passer à autre chose. Pourtant, il lui semble intuitivement que Lénine avait probablement raison d'attendre la Révolution des sociétés les plus avancées et Rioux croit voir davantage de ces nouveaux projets de société aux États‑Unis et même au Québec. Mais tout cela ne forme pas un projet politique clair et ces comportements émancipatoires et révolutionnaires, pourtant l'objet privilégié de la sociologie critique, demeurent à jamais mal définis. C'est que, pour Rioux, l'aspect vraiment progressif du social-historique, tout ce qui est création et radicalement nouveau, n'est jamais théorisable par le sociologue. Le réel nourrit la théorie qui ne peut ni édicter des lois ni prévoir l'avenir. Le théoricien ne peut que refléter les pratiques émancipatoires et réfléchir sur leur accord à une position morale définie une fois pour toutes dans les idéaux de la Révolution Française. 

En fin de chapitre, Rioux cite Gramsci « La crise consiste justement dans le fait que le vieux se meurt et que le neuf ne peut pas naître ». Cet essai continue l'autopsie de la vieille sociologie critique tout en témoignant des difficultés d'accouchement de la nouvelle. Rioux aura peut-être surtout le très grand mérite d'avoir bien identifier l'état de crise. 

 

Bernard Arcand
Université Laval


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 4 mai 2008 8:43
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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