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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Rose-Marie Arbour et Suzanne Lemerise, "Le rôle des Québécoises dans les arts plastiques depuis trente ans". Un article publié dans la revue Vie des Arts, vol. 20, no. 78, printemps 1975, pp. 16-24. [Le 31 décembre 2006, Mme Arbour nous a autorisé à diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, toutes ses publications.]

Rose-Marie Arbour et Suzanne Lemerise 

Respectivement PhD, histoire de l'art,
et PhD anthropologie sociale et historique, UQÀM
 

“Le rôle des Québécoises
dans les arts plastiques depuis trente ans”.
 

Un article publié dans la revue Vie des Arts, vol. 20, no. 78, printemps 1975, pp. 16-24. 

 

C'est globalement que nous voulons cerner le rôle des femmes dans le domaine des arts plastiques au Québec, au cours des trente dernières années, domaine où il y a émergence et reconnaissance officielle de certains artistes, de certains styles, de certains médiums. Il n'y a qu'à feuilleter les articles de revue et les livres d'art (entre autres, les livres de Harper et de G. Robert) pour prendre conscience de l'importance numérique des femmes dans les pratiques artistiques - et ce, dès le XIXe siècle -, rôle beaucoup plus grand dans les arts que dans d'autres domaines bien fichés, tels le droit, la médecine, les disciplines scientifiques. 

Dès les années trente, plusieurs femmes anglophones travaillèrent avec Lyman à la promotion de l'art contemporain. Plus tard, parmi les quinze signataires du manifeste Prisme d'yeux, publié en février 1948, on compte deux noms de femme alors que le Refus global, paru en août suivant, comptait sept noms de femme sur quinze signataires. Connaissant l'impact culturel et politique du Refus global, il est révélateur que les femmes fussent si nombreuses à le signer. Cependant, en février 1955, le Manifeste des Plasticiens n'est signé que par des hommes, et l'exposition de janvier 1959, intitulée Art abstrait, ne comptait aucune femme peintre [1]. 

Dans la décennie 1950-1960, officiellement du moins, les femmes artistes n'appuient pas le mouvement géométrique en peinture. Le post-automatisme leur est un champ d'exploration privilégié que d'aucuns vont qualifier d'alignement conventionnel sur les effets stylistiques de l'automatisme: "À Ottawa, on pense selon les modèles officiels américains et les artistes canadiens ne seront diffusés abondamment que s'ils se conforment à ces mouvements artistiques. À Québec, on est plus conventionnel, on a pris mesure sur le père Couturier, on aime les choses de bon goût, on a même admis l'abstraction lyrique, mais celle surtout véhiculée par les femmes peintres après l'automatisme" [2]. En effet, l'ère de la Révolution tranquille s'ouvre en partie sous le signe du post-automatisme avec l'exposition qu'organise la Galerie Nationale du Canada avec les membres de l'Association des Artistes Non-figuratifs de Montréal, dont neuf peintres sont des femmes sur un total de vingt-deux exposants. Ce sont Kittie Bruneau, Henriette Fauteux-Massé, Marcelle Ferron, Rita Letendre, Laure Major, Marcelle Maltais, Suzanne Meloche, Suzanne Rivard, Tobie Steinhouse. A la suite de l'opposition entre le post-automatisme et l'intellectualisme du mouvement géométrique, il y eut identification de la peinture gestuelle (abstraction lyrique), aux états d'âme qualifiés de féminins: cri, sincérité, sensualité, élans instinctifs, émotivité. On constate donc que cette promotion nouvelle des femmes artistes, donc que cette promotion nouvelle des femmes artistes,au début des années 60, a été promptement interprétée comme un encouragement à un certain académisme, en l'occurrence le post-automatisme, et la participation plus grande des femmes au système artistique a été immédiatement classée dans la catégorie de service reliée aux intérêts d'une classe culturelle dirigeante québécoise. Ce type de jugement à l'emporte-pièce se garde bien de mentionner les hommes peintres qui pratiquaient le post-automatisme, tels Dulude, Salette, Gendron, Ulysse Comtois, Jean McEwen, Pat Ewen, et d'autres. 

Une étude récente [3] fait assez bien ressortir la dévaluation institutionnalisée de la production des femmes dans le domaine des arts plastiques: elle montre que le profil du créateur en arts plastiques, homme ou femme, est le même sur le plan de la formation préprofessionnelle. Les différences se font voir au niveau de la pratique professionnelle: domaines réservés aux femmes, comme le batik et la tapisserie; exclusion presque totale de la sculpture et de la joaillerie; concentration des femmes dans le domaine de la peinture et de la gravure. 

L'efficacité organisationnelle des femmes dans le domaine de la tapisserie justifie leur succès. On peut citer Edith Martin et son atelier de Trois-Pistoles, Marie-Jeanne Contant, dont l'activité se partage entre son atelier Les Navettes volantes de Sainte-Dorothée et l'animation du Centre de tissage Leclerc, à Montréal. De plus, sur le plan de la reconnaissance individuelle, nous mentionnons, entre autres, Mariette Rousseau-Vermette, Monique Mercier, Louise Panneton. Depuis 1955, Micheline Beauchemin a dégagé la tapisserie de ses connotations régionalistes et matriarcales. Néanmoins, le préjugé n'en reste pas moins que la tapisserie est une pratique de type traditionnel dont la recette se résumerait à l'adéquation entre patience et femme. L'organisation matérielle de l'émaillerie et du batik est facilement adaptable à la vie ménagère, ce qui a amené un grand nombre de femmes à la pratique de ces techniques. Ces techniques, qu'on dit plus manuelles qu'intellectuelles, seraient pour cette raison le champ de prédilection des femmes artistes. À notre avis, jamais une telle raison simpliste n'aurait été invoquée par une critique sérieuse à propos de la production d'un artiste masculin, même émailleur. Plutôt que d'utiliser des catégories artistiques fondées sur la ségrégation, qui valorisent ou dévalorisent des techniques et des mouvements picturaux au profit d'une avant-garde masculine, il faudrait approfondir les conditions mêmes de ces pratiques. L'exemple de Françoise Sullivan et d'autres femmes sculpteurs est probant quant à la destruction de ces catégories ségrégationnistes; on a vite oublié, d'autre part, qu'une Sylvia Daoust, qu'une Anne Kahane, se sont affirmées très tôt comme sculpteurs; à partir de 1965, plusieurs femmes font partie de l'Association des Sculpteurs et exposent régulièrement: Yvette Bisson, Ethel Rosenfield, Lise Gervais, Claire Hogenkamp, Sarah Jackson, Lise Dupuis. Françoise Sullivan pratique la sculpture depuis 1960, la danse ayant été antérieurement son moyen d'expression. D'ailleurs, c'est le côté difficile et ardu de la danse qu'elle retrouve dans la sculpture, ainsi que ses possibilités spatiales et rythmiques. Elle utilisa d'abord le métal, puis le plexiglas, à partir de 1969; non seulement elle dément le préjugé que les médiums mous et la prédominance de l'instinct caractérisent les femmes artistes, mais elle dément aussi celui de l'anti-intellectualité des femmes, quant, fortement impressionnée par l'article de Joseph Kosuth, L'Art après la philosophie [4], elle entreprend une réflexion sur l'art conceptuel. 

Historiquement donc, la place occupée par les femmes dans les arts plastiques n'est pas négligeable, bien que la majorité des artistes féminins demeurent dans la quasi-marginalité. Il y a autant sinon plus de femmes qui fréquentent les écoles d'art; or, l'accès à la reconnaissance officielle est presque entièrement réservée aux hommes. La critique d'art hebdomadaire confirme le privilège de la reconnaissance pour l'artiste masculin: un relevé des noms d'artistes critiqués révèle, en 1968, que dix femmes sont mentionnées contre soixante-quatre hommes et, en 1969, le rapport proportionnel est le même puisque quinze femmes sont citées contre quatre-vingt-deux hommes. 

Escamotant de nombreuses étapes que devrait comporter une telle analyse, nous soulignons que dans le champ de l'art officiel deux aspects sont à considérer: l'historique et l'économique. Nous découvrons vite qu'on achète d'abord les oeuvres des hommes et que les revenus de la vente sont plus élevés chez les hommes que chez les femmes [5]. Alors étudiante à l'École des Beaux-Arts de Montréal, Francine Larivée était déjà consciente de la cote inférieure d'une signature féminine et omettait d'inclure son prénom en signant ses toiles. Comment peut-on, sans être ridicule, se pencher sur le problème de l'intégration des femmes dans le monde artistique, sans se préoccuper parallèlement de son intégration sur le marché de l'art à partie égale avec l'homme? Sans être ridicule, peut-on s'interroger sur le rôle des artistes dans la société actuelle, sans s'interroger sur le pouvoir financier qu'ils représentent? C'est pourquoi, à la limite, nous ne pouvons pas différencier les problèmes d'un homme artiste de ceux d'une femme puisque leurs productions respectives sont fondamentalement liées aux impératifs du marché. Néanmoins, sur ces plans, une femme part perdante malgré tout. Nous laissons la question ouverte. 

Le domaine de l'art ne comprend pas seulement les producteurs artistiques. Un vaste domaine paraartistique s'articule à divers niveaux autour de l'art, soit les secteurs de la promotion, de la diffusion, de l'enseignement, de l'entretien, des services. La femme y jouerait-elle un rôle plus efficace et rentable que dans la production artistique? Deux des carrefours dynamiques pour la promotion des arts plastiques à Montréal furent la Galerie 1640, dirigée de 1961 à 1971 par Estelle Hecht, et la Galerie Agnès-Lefort; d'autres galeries, telles Marlborough-Godard, Média-Gravures, Espace 5, bien qu'aux antipodes quant aux productions exposées, n'en sont pas moins, chacune dans sa sphère, des plus importantes à Montréal et elles sont dirigées par des femmes. Un autre pas vient d'être franchi, qui ne manquera pas d'être taxé de féminisme: l'ouverture de la Galerie Powerhouse, entièrement consacrée à des artistes féminins. L'objectif de cette galerie est simple: étant donné que les galeries traditionnelles n'exposent qu'un nombre très limité de femmes, celle-ci leur est ouverte exclusivement. Cette possibilité nouvelle leur permettra, selon l'expression de ses fondatrices, de permettre aux "femmes en tant qu'artistes" de jouer un rôle dans la vie artistique montréalaise, à la condition de s'imposer les mêmes normes de qualité, quant au choix des oeuvres, que dans les autres galeries officielles - le reproche d'amateurisme ayant été le prétexte de leur rejet de ce circuit. À un niveau différent, certaines femmes ont joué et jouent un rôle décisif dans l'orientation des politiques culturelles: le Musée d'Art Contemporain, la revue Vie des Arts, sont dirigés par des femmes. D'autre part, dans un domaine moins prestigieux mais dont l'objectif est de rendre la formation artistique accessible à tous, nul n'ignore le rôle décisif des femmes dans l'enseignement des arts, de la maternelle à l'université; dans ce domaine, on ne peut oublier l'importance d'Irène Sénécal en tant que pionnière, et ce, pendant trente ans. 

Nous considérons comme aussi important un autre secteur périartistique où les femmes ont une place considérable mais dont les statistiques ne peuvent évaluer les répercussions: c'est celui des souteneuses bénévoles de l'art et des artistes, idéologiquement similaire aux entreprises de bonnes oeuvres de toute catégorie, institutionnalisées ou pas. Le culte de l'art a ses vestales à travers le bénévolat féminin dont les musées ont toujours profité (activités éducatives et visites guidées); le phénomène du bénévolat est encore plus caractérisé en province où, avant la création des centres culturels, toute la vie culturelle se cristallisait et se réalisait grâce aux cercles féminins qui dressaient les calendriers d'événements artistiques: représentations théâtrales, expositions, conférences. Bien que la plupart du temps ces événements ne fussent que le pâle reflet de ce qui se passait à Montréal ou à Québec, et que les productions locales fissent plus ou moins bonne figure face à cette qualité artistique dont ils rêvaient, ces cercles féminins n'en contribuèrent pas moins à secouer l'ennui et l'apathie des petites villes et à préparer l'implantation des centres culturels dont les femmes continuent, d'ailleurs, d'être les principales animatrices. Elles firent longtemps contrepoids à la médiocrité des salles de cinéma et des petites vues des salles paroissiales. Si on reconnaissait le rôle de ces femmes, animatrices avant la lettre, la liste serait aussi longue que celles des artistes officiels religieusement dressée par un Ministère. Il ne suffit que de mentionner, parmi tant de noms, ceux de feu Mme Anaïs Rousseau, de la région des Trois-Rivières, de Mme Françoise Gaudet-Smet, dans la région de Sherbrooke, pour qui les cercles de fermières recevaient autant et plus d'attention que les vedettes artistiques qui se donnaient rendez-vous à sa maison de Claire-Vallée. Il y a encore ce travail en tandem, le plus anonyme de tous et passé sous silence, celui de ces femmes d'artistes ou de ces maîtresses dévouées. Le phénomène est loin de s'éteindre et est, parmi bien d'autres, le plus difficile à analyser objectivement, car il embarrasse tout le monde: tour à tour inspiratrice, conseillère, aide manuelle, secrétaire improvisée à vie, agent d'affaires et de promotion, modèle sans salaire, et, surtout public de choix vingt-quatre heures par jour. 

Sortons maintenant du champ artistique officiel et de ses domaines satellites, et entrons dans un vaste no art's land qui fait sourire tout artiste qui se respecte, mais qui, assez curieusement, est devenu, surtout depuis la flambée du Pop Art, une source d'approvisionnement en sujets, matériaux, attitudes qui viennent alimenter les nombreux mouvements d'anti-art, tels le Junk Art, l'Art pauvre, le Body Art, ... Ce n'est plus la femme qui est le modèle, mais le monde qu'elle fabrique quotidiennement dans ce no art's land qu'est le chez-soi, avec sa cuisine, son salon, ses chambres à coucher, ses balcons ou ses parterres gazonnés et fleuris, ses cordes à linge; la fabricante d'objets faits-maison, la tricoteuse, la couseuse amateur, la faiseuse et éleveuse d'enfants. Ces objets et ces comportements sont récupérés par l'art d'avant-garde, fasciné par le quotidien: tous ces petits arts, tels l'art culinaire, l'art du maquillage, l'art de s'habiller, l'art de joindre les deux bouts, l'art de la consommation de programmes de radio et de télé, les Hot lines. Sauf le lieu où elles se produisent, quelle différence y a-t-il vraiment entre ces activités et celles de certains mouvements d'avant-garde? En 1917, Marcel Duchamp a eu le coup de génie de transférer ces objets quotidiens dans une galerie pour faire croire à l'absurdité du système de l'art: ce système ne s'en est jamais mieux porté. Ce que Monsieur Duchamp avait oublié de faire, ce fut de retourner les objets d'où ils venaient: son porte-bouteille à la cuisine, son bidet dans la salle de bain, ce qui aurait ainsi pu faire jouir du titre de galerie tout intérieur domestique et revaloriser ainsi la vie de celles qui y vivent. Ce que Monsieur Duchamp s'est bien gardé de souligner, c'est l'implication financière qui s'attachait à ses objets quotidiens dès qu'il leur avait fait franchir le seuil d'une galerie ou d'un musée, créant à sa suite une grande partie du marché de l'art contemporain. Mais ça, c'est l'histoire de l'impérialisme de l'art face à la vie de tous les jours, dont les femmes ont fait et font les frais. Un krach de l'art actuel est impensable dans le système capitaliste. 

Un autre problème est celui du Nu: ce Nu, symbole de l'académisme en art, détrôné théoriquement par la Joconde à moustaches de Marcel Duchamp, n'en a pas moins continué, pratiquement, une carrière glorieuse, culminant dans les photos de Playboy et les nus sur velours des magasins de 15 cents, qui, dans le vaste champ du camouflage d'interdits sexuels et de voyeurisme, dévoilent ce que ne dévoile plus la peinture. Il n'est pas étonnant qu'une femme artiste décide de prendre la relève en renversant la règle du jeu: les attributs sexuels masculins sont soumis à de saugrenus camouflages artistiques par Tanya Rosenberg, qui présentait récemment à la Galerie Powerhouse un attirail complet de cache-sexes dont les différentes allusions formelles allaient de la plus simple ironie et du calembour visuel aux dénonciations virulentes des politiques du sexe. 

Le mythe de l'art pour l'art renaît constamment de ses cendres, justifié alternativement par l'objectivité de l'art et/ou par son pouvoir de reflet de la vie intérieure, l'apolitisme et la haute technicité se rejoignant dans cette fuite des contradictions quotidiennes au profit du triomphe de l'ordre artistique. Un exemple récent de transgression de ce mythe a été tenté au théâtre, dans Mon prince, un jour viendra, par la troupe du Grand Cirque Ordinaire et, surtout, par le Groupe Mauve qui, délaissant la scène, présenta dans les centres d'achat un spectacle de pantomime puisé dans les expériences vécues quotidiennement par les femmes. 

Se servir de l'art comme moyen de dénoncer la condition de la femme se retrouve également dans des manifestations artistiques même conventionnelles, telles les dessins oniriques et caustiques de Louisette Mitchell, les Poupounes de Denise Landry-Aubin et les gros plans ambigus des formes de Michèle Bastin dont le contenu est voilé sous un formalisme aguichant. L'utilisation de médiums non-artistiques, telle la vitrine de grand magasin, a permis de nouveau au Groupe Mauve (chez Dupuis Frères, en 1971) de présenter à la femme de la rue une image d'elle-même qui ne soit pas une incitation à la consommation. La création d'environnements a l'avantage d'établir un lien plus direct avec le spectateur qui y circule; les appareils audio-visuels permettent d'enregistrer la réponse du spectateur et de transférer cette réaction dans l'organisation globale de cet environnement: cette possibilité de feed-back incite des artistes, telle Francine Larivée, à tenir compte de la réalité sociale des participants. Pour elle, la production artistique ne peut être séparée des contradictions de la vie quotidienne et, en ce sens, elle se sert de l'art pour révéler des problèmes sociaux. Aussi, les préoccupations esthétiques comme telles, de même que les problèmes purement techniques, n'ont pas de place dans son processus d'organisation de l'espace: "Il faut, dit-elle, que tu arrives à dire ce que tu as à dire avec le moins de dépendance possible". D'où le rejet de la vieille notion d'autonomie de l'art, où les étapes progressives sont conditionnées par l'apprentissage et la maîtrise de certaines techniques, comme dans le monde du sport, par exemple. C'est pourquoi elle utilise sans discrimination les moyens plastiques traditionnels et les médiums tels le vidéo, les diapositives, le magnétophone, à titre d'outils seulement. 

D'autre part, certaines femmes artistes ont pris position vis-à-vis la définition de la formation artistique conventionnelle donnée dans les écoles d'art, et plusieurs d'entre elles ont pris part activement à la contestation de 1968 à l'École des Beaux-Arts de Montréal. Après avoir quitté l'École, quelques-unes s'intéressèrent aux manifestations culturelles non reconnues, tel l'art des patenteux avec Lise Nantel, Louise de Grosbois, Raymonde Lamothe. Après les événements d'Octobre, au Salon des Métiers d'Art de 1970, Lise Landry créa, parmi les exposants de la S.A.P.Q. (Société des Artistes Professionnels du Québec), une situation conflictuelle à propos des mesures de guerre: le soir du vernissage, sa peinture Mensonge fut dévoilée, montrant un Patriote accompagné de quelques lignes du manifeste F.L.Q.; à notre connaissance, aucune autre oeuvre d'art ne véhicula un tel contenu politique à ce moment-là. 

Cette tentative de bilan sur les rapports qu'entretiennent les femmes avec les arts plastiques se regroupe donc autour des deux axes suivants: l'intégration de l'art à la société fait apparaître la double difficulté pour les femmes d'y participer en tant que femmes d'abord, en tant qu'artistes ensuite. Le second axe s'articule autour de la notion d'art et de contestation: la mise en question d'une des fonctions de l'art, qui consiste à révéler les contradictions sociales touchant la femme et la société en général, est une des préoccupations majeures des femmes artistes. C'est pour cette raison que leur intégration dans l'art officiel est d'autant plus problématique. 

Tanya Rosenberg, mettant la dernière main à son exposition de cache-sexes masculins à la Galerie Powerhouse (Automne 1974), s'entendit dire: "You must be dangerous!". Au vernissage de l'Exposition Montréal plous ou moins, au Musée des Beaux-Arts de Montréal, (Été 1971), six dames en robe de mariée gravirent majestueusement les escaliers du musée puis, se retournant, se servirent de leur voile comme d'un linge "J" pour épousseter les colonnes du parvis. Une dame ébahie leur souffla: "Vous étiez pourtant si belles!".


[1] Le catalogue de l'exposition est néanmoins présenté par un texte de Fernande Saint-Martin.

[2] Yves Robillard, Underground vs overground, ou comment s'en sortir, s'il y a lieu, ou bien y rester, en l'occurrence, in Quebec Underground, Montréal, Ed. Médiart, t. III, p. 107.

[3] Rosaire Garon, Les Créateurs en arts plastiques de la région métropolitaine de Montréal, Service de recherche du Ministère des Affaires Culturelles, 1974; 159 p.

[4] Joseph Kosuth, "Art after Philosophy".

[5] Rosaire Garon, op. cit.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 12 mai 2007 9:18
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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