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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Rose-Marie Arbour, "Ré-appropriation et transformation: six artistes québécoises". Un article publié dans la revue Resources for Feminist Research/Documentation sur la recherche féministe, RFR/DRF, no. 4, décembre-janvier 1984-1985. pp. 15-17. Republié dans Bibliography on Women/ Bibliographie sur les femmes, Bureau des études canadiennes, ACCC, Toronto, 1986. [Le 31 décembre 2006, Mme Arbour nous a autorisé à diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, toutes ses publications.]

Rose-Marie Arbour 

“Ré-appropriation et transformation:
six artistes québécoises”.
 

Un article publié dans la revue Resources for Feminist Research / Documentation sur la recherche féministe, RFR/DRF, no. 4, décembre-janvier 1984-1985. pp. 15-17. Republié dans Bibliography on Women/Bibliographie sur les femmes, Bureau des études canadiennes, ACCC, Toronto, 1986. 

Introduction
 
Lise Labrie et Lise Landry
Manon Thibault et Francine Larivée
Barbara Steinman et Lyne Lapointe

 

Introduction

 

Québec. Terre d’eau, de minerai, de forêt, de neige, de glace. Terre surtout peuplée le long du fleuve St-Laurent qui, tel un sillon de chaleur, vivifie, anime ce territoire, du coeur de l’Amérique à l’Atlantique nord. Au nord, dans ces terres abandonnées à l’exploitation abusive — voire au saccage — des ressources forestières, minières et hydrauliques, de rares Amérindiens qui ne sont pas dans les réserves, tentent d’y perpétuer leur mode de vie ancestral. Les seuls profits — en termes financiers — s’accumulent loin au sud, y compris au sud de la frontière canado-américaine. 

Ce pays aux limites économico-politiques ambiguës a constamment marqué l’imaginaire des artistes québécois. De plus, il est remarquable de constater que les artistes qui choisissent l’espace comme matériaux le font à cause de la possibilité de fusionner des expériences d’ordre perceptuel (esthétique) et social. Aussi, n’est-il pas étonnant qu’il y ait à l’œuvre dans les espaces configurés par plusieurs femmes-artistes, la dialectique du privé et du public: l’expérience personnelle de l’artiste s’y formalise en termes spatio-temporels. Le corps y joue de tous ses sens plutôt que d’être réduit à la seule opticalité; d’autre part, l’expérience personnelle des spectateurs rejoint par la même voie l’espace intime de l’artiste. 

L’espace traité par les six artistes dont il sera ici question, est modelé par des gestes, des actions qui ne tentent nullement d’en faire un lieu géométrisé, arraisonné; chez chacune de ces artistes, la dimension de l’espace est d’abord intime; il se traduit à travers des objets, des textures, des matériaux connotés par des références individuelles mais aussi collectives. L’espace réalisé est public, non-narcissique: il déborde la dimension strictement subjective particulière à chacune des artistes grâce à différentes approches qui en assurent la valeur collective et qui sont de l’ordre du symbolique (Manon Thibault), de l’écologique (Lise Labrie, Francine Larivée), de l’anthropologique (Lise Landry), de l’onirique (Barbara Steinman) et enfin du politique (Lyne Lapointe). 

Malgré la diversité d’échelle de ces productions — depuis les dessins de papier tissé de Lise Landry aux édifices publics ré-appropriés par Lyne Lapointe — quelque chose se rejoint dans le lieu du corps, dans l’espace des gestes définis par une expérience spécifique et imprégnés d’une mémoire collective.

 

Lise Labrie et Lise Landry

 

Les objets et matériaux recueillis et assemblés par Lise Labrie, les gestes et techniques réemployés de Lise Landry, ont une valeur anthropologique qui évoque, chez la première, des rituels amérindiens et chez la seconde, des «façons de faire» propres à des travaux traditionnels aux femmes (couture, reprisage...). 

Lise Labrie évoquait pour nous un univers indigène millénaire, par une installation «Outre-tombe ou la sacrifiée», dressée au bord du fleuve St-Laurent, à St-Jean Port-Joli (été 1983 en collaboration avec Domingo Cisnéros). On rejoignait le site, métaphore d’un cimetière amérindien, seulement à marée basse, après avoir parcouru des sentiers et longé le fleuve, pour aboutir à une pointe, accessible. Là, étaient disposés des sarcophages fabriqués avec des cages d’anguilles: à l’intérieur, étendu sur un lit d’herbe, reposait un squelette d’androïde, formé d’ossements de canard et dont le crâne était garni de cheveux. Ces «sarcophages» appelés à disparaître au fil des saisons et des intempéries, veillaient sur le fleuve mais aussi sur la terre. Nous voici face à une pratique incantatoire liée au cycle de vie et de mort, pratique d’origine amérindienne universellement intelligible et traitant, dans un contexte actuel, de l’oppression des aborigènes de ce continent, de la dégradation de l’environnement et de la méconnaissance des cycles naturels. 

Lise Landry reprend, quant à elle, la gestuelle d’une culture différente, celle de générations de femmes dont elle réactualise les façons de faire anonymes (couture, broderie, tressage, reprisage, piquage) qui ont assuré l’entretien des corps au fil des générations et au sein de la vie quotidienne. Le matériau (papier ) est traité comme une étoffe: ces «dessins» sont tressés, épinglés, cousus; sont inscrites là les références à une économie domestique sans âge et le travail actuel de milliers de femmes employées à rabais dans les manufactures de vêtements. Sur le plan pictural, nous sommes ici dans la «modernité» (Modernist tradition) qui rend au support son pouvoir de signifier sans qu’il y ait à proprement parler de référent: pourtant, ces «dessins» ont de surcroît une signification anthropologique et sociale qui désigne une culture qui s’affirme de plus en plus comme historique. 

Pré-histoire et histoire, mort et vie: ces deux artistes désignent la mémoire comme fonction vitale actuelle, comme fondement de leur pratique artistique de leur esthétique. 

 

Manon Thibault et Francine Larivée

 

Ce qu’il y a de commun entre ces artistes est un rapport dialectique avec lequel elles jouent, celui de la nature et de la culture. 

Dans l’installation au curieux titre: «Un fauve et blafard déjeuner de soleil où la reine Lu-Lu Vermeille enterre ses petits cris rouges dans le sable chaud» (1983). Manon Thibault a posé au sol dans un carré limité par des poutres d’aluminium, du sable comme une plage, des textures granulaires, des poudres de couleurs primaires, des pots d’eau, d’alcool, de jus d’orange. Les textures granulaires recouvrant partiellement des écritures posées à plat, dans deux boîtes au sol, sont manipulées par le spectateur qui découvre par fragments, en dynamisant ainsi le dispositif en place, l’écriture qui les sous-tend. La métaphorique osmose des textes et des textures, critique ici le rapport hiérarchique entre culture et nature. De même, l’horizontalité de l’installation exprime un rapport au monde: la verticalité y est signifiée mais niée par les longues tiges de bois noir déposées là, appuyées sur une boîte, en attente, et les textes sont mis à jour en autant que le spectateur se penche pour les découvrir et les lire; la nature dominée reprend ici ses droits par l’affirmation de l’horizontalité tant sur le plan physique que psychique. 

L’installation de Francine Larivée, Test I: les Mousses en situation, incite le spectateur à déambuler autour de la figure géométrique du cercle et, après une hésitation, à le pénétrer par un passage qui en constitue le diamètre. Comme s’il était un oiseau, le spectateur appréhende ce «terrain» d’en haut et abaisse le regard pour contempler et scruter ce territoire accidenté et montagneux, miniaturisé et grandiose à la fois; le cercle, symbole d’unité et d’infini, se matérialise dans un matériau fongueux, mousse humide qui affecte l’apparence de forêts et de rochers. L’impression de fragilité et de vulnérabilité de cette «nature» en même temps que sa vigueur quasi miraculeuse dans l’environnement climatisés de ce Corporation Building du centre-ville (Place Ville-Marie, octobre 1983) tenait en partie à sa position horizontale au sein de cette verticalité de verre et d’acier. L’aire circulaire, rompue en sa partie médiane par un passage, réfère à une symbolique de l’union des parties en un tout qui les transcende et rappelle (point out) cette rupture d’avec la nature dont notre société est fondamentalement porteuse. 

Ces deux artistes nomment la nature comme culture; elles aspirent à l’effacement, sinon au dépassement de la dichotomie profonde qui les a affectées et les affecte toujours. 

 

Barbara Steinman et Lyne Lapointe

 

Les dimensions rituelles, symboliques et écologiques qui caractérisent les environnements et objets de Labrie, Landry, Thibault et Larivée, deviennent réalistes dans et par la mise en scène d’un passé personnel (mémoire d’une maladie chez Steinman) ou celles d’un site urbain (mémoire d’un édifice public désaffecté chez Lapointe). 

Barbara Steinman a reconstitué avec soin une chambre d’hôpital avec ses objets d’origine, meubles, draps, accessoires mobiliers («Installation», 1982). Cinq draps enduits de résine sont suspendus au plafond et rattachés au lit, gonflés tels les voiles d’un bateau, par le vent. À la périphérie de cette mise en scène de la maladie et de l’absence — aucune figure humaine n’occupe cet espace désolé — sur les murs de la chambre d’hôpital-galerie d’art, des diapositives sont projetées, trouant la pénombre comme des phares. Les deux lieux se chevauchent entretenant ainsi l’ambiguïté qui caractérise cette installation où le rêve et la réalité se confondent. Les draps sont-ils gonflés par un souffle de mort ou d’espoir? Les yeux ouverts, le spectateur contemple ce monde surréel. Une tension est créée par la mise en présence de mondes inaccessibles a priori — celui intime de l’artiste, celui anonyme des spectateurs — mais qui deviennent soudain perméables: la mémoire intime et douloureuse de l’artiste devient collective. 

Lyne Lapointe, assistée de Martha Fleming et Monique Jean, intervient dans des édifices à fonction publique, actuellement désaffectés et mis en vente. Un Poste de pompiers (Montréal, janvier 1983) et un Bureau de poste (Montréal, février 1984) sont devenus ainsi pour quelques jours (6 à 12 jours) des lieux à explorer par le public et à voir autrement. À l’intérieur de ces édifices, des échappées hors les fonctions anciennes ont été pratiquées. Les lieux ont subi un grand ménage: la peinture écaillée a été grattée, les planchers lavés, les boiseries décrassées. Par des interventions subtiles (peinture et dessins aux murs, aux plafonds, aux planchers) et quelques fois imperceptibles tellement elles s’intègrent bien dans la texture des lieux, Lapointe a interrogé la fonction institutionnelle en regard du sort des individus qui constituent l’objet de toute institution; elle a exploré les rapports entre vie privée et vie publique, entre la science et la guerre, entre la médecine et les femmes dans un Bureau de poste qu’elle a, pour quelques jours, transformé en Musée des Sciences avec l’assistance de Martha Fleming et Monique Jean. Guidé par l’artiste, le spectateur circule là où le passé et le présent coïncident pour un court laps de temps: en effet, ici et maintenant, s'entrecroisent deux temps différents dans un seul et même lieu. L’espace est à la fois vrai et fictif. Comme on dit d’un métalangage qu’il est langage sur un langage, le spectateur se trouve dans ce lieu, mais il en est en même temps distant. Les fonctions de l’édifice sont mises à jour et le savoir qu’il contient et représente est montré comme fondamentalement aliénant car lié au pouvoir institutionnel. 

De longs mois de travail de la part de Lapointe et de Fleming ont précédé l’ouverture de ces lieux (aménagement matériel, pourparlers avec les autorités locales), mais la mémoire des visiteurs est et sera le seul lieu de «conservation» de cette entreprise artistique qui déborde indubitablement sur le politique. 

En ces temps que rien d’imprévu ne ponctue — même la destruction atomique ayant peu à peu été intériorisée par les individus — il y a, chez ces artistes, la mise à jour de la mémoire individuelle et subjective qui ne répond pas nécessairement aux critères de l’Histoire. Avec cette autre mémoire ces femmes remodèlent l’espace, les matériaux, les textures. Les rapports de l’individu au pouvoir et au savoir, sont exposés là par le biais du corps et de ce qui lui est directement lié. Ce qui lie ces artistes est de l’ordre de l’imaginaire et du politique. Logiquement l’organisation spatiale et plastique l’exprime. Ces six femmes-artistes, et plusieurs autres dont il a été impossible de parler ici, travaillent dans et sur cet interstice de l’art et du politique dont on a dit qu’ils étaient réfractaires au mélange, tels l’huile et l’eau. C’est au sein d’une remise en question des limites entre nature et culture, entre autres, que si situe actuellement leur travail artistique et elles établissent, du coup, qu’une conscience politique sous-tend cette pratique.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 11 mai 2007 19:54
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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