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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Rose-Marie Arbour, "Quelques remarques sur l'appropriation sans trompe-l'oeil en arts visuels". Texte d’une communication publié dans Illudere ou se jouer du trompe-l'oeil, pp. 41-52. Montréal : NBJ/GRAFF, octobre 1990. Colloque de Boissano (Italie): sur le thème du Trompe l'oeil. "Quelques remarques sur l'appropriation sans trompe l'oeil dans les arts visuels" 3/4 heure) 10 juillet 1989. [Le 31 décembre 2006, Mme Arbour nous a autorisé à diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, toutes ses publications.]

Rose-Marie Arbour 

“Quelques remarques sur l'appropriation
sans trompe-l'oeil en arts visuels”.
 

Texte d’une communication publié dans Illudere ou se jouer du trompe-l'oeil, pp. 41-52. Montréal : NBJ/GRAFF, octobre 1990. Colloque de Boissano (Italie): sur le thème du Trompe l'oeil. "Quelques remarques sur l'appropriation sans trompe l'oeil dans les arts visuels" 3/4 heure) 10 juillet 1989.

 

Introduction
 
Quelques remarques sur la citation comme prélèvement et destruction
Citation & tradition
Lieu naturel
Lieu de savoir
Lieux de culture savante
Lieu de service public. Martha Fleming et Lyne Lapointe.
 
Conclusion

 

Introduction

 

Le trompe l'oeil en peinture et dans d'autres médiums de représentation artistique, est une façon de nous faire croire que ce qu'on nous fait voir est là, devant nous. Le trompe l'oeil est un excès et une impasse de la peinture occidentale traditionnelle: la nature représentée est affirmée exister là, telle quelle paraît être et les différences stylistiques ne seraient dues qu'aux points de vue particuliers des artistes, à des différences de perception d'une même réalité. 

Stylistique et sémantique ont été indépendantes sinon en conflit dans l'histoire de l'art traditionnelle, en ce sens que la stylistique est une approche morphologique qui nie la dimension sémantique de l'image et que l'iconologie tend à mettre de côté la matérialité de la pratique picturale. 

Depuis la fin du X1Xe siècle les artistes de la modernité puis ceux des avant-gardes ont affirmé que la peinture enregistre autre chose que la nature. Les diverses formes qu'a prises cette remise en question démentent en fait que le culturel soit superficiel et éphémère et que le naturel soit universel et permanent. 

Dans le système de la modernité, le peintre ne se considère plus un simple instrument secondaire qui transcrit une réalité supposément commune à tous ou même encore le réel (le réel i.e. une réalité relative à chaque époque, mais il implique tout de même l'existence d'une réalité essentielle propre à chaque époque, ce qui est à questionner). Traditionnellement en effet la réalité était le sujet des artistes i.e. un monde supposé exister là absolument, et les difficultés et les solutions pour le faire a constitué l'objet de l'histoire traditionnelle de l'art: les nouveautés et les réactions ne venaient pas d'une problématique de la peinture, ni d'une réalité dont on aurait questionné l'existence, mais plutôt des embûches du peintre à représenter cette nature immuable. Les différences stylistiques ne seraient venues que de variations individuelles à propos de ce même objet: la nature. 

L'artiste moderne a d'abord questionné la centralité de la perception visuelle, ce questionnement s'est par la suite déplacé vers ce qui est placé hors la stricte ligne tendue entre le transmetteur (l'artiste) et le receveur (le public), hors cette ligne où justement joue et se joue le trompe l'oeil via les jeux de perception. En effet une partie de l'art actuel attire l'attention, plutôt que sur la perception visuelle comme telle, sur les codes produits par et dans la représentation que notre société et que chacun se fait de la réalité, elle attire l'attention sur le fait qu'une image ne peut être lue qu'en rapport avec un ensemble de codes et non en rapport avec une "expérience visuelle universelle" d'une nature immuable que tout un chacun expérimenterait ou pourrait expérimenter un jour ou l'autre, d'un siècle à l'autre. 

De même l'histoire de l'art aujourd'hui ne se dirige plus vers un point précis - le nouveau, le plus récent - car on ne peut plus décemment concevoir une oeuvre comme le point d'arrivée d'une évolution linéaire dont elle aurait été l'aboutissement logique, on ne peut plus concevoir l'histoire de l'art comme simple compte rendu des diverses formes qu'aurait prises la perception visuelle chez chaque artiste en décrivant une même nature. C'est en même temps détrôner l'objet d'art comme centre de l'art et c'est le relativiser dans l'ensemble que forme le système de l'art. 

Des artistes actuels matérialisent un changement de perspective à l'égard de l'histoire en questionnant cette prétention à une perception visuelle universelle et accessible à tous qui est encore bien vivante (par exemple dans le mythe du progrès et la valorisation de l'accumulation), en utilisant de nouvelles méthodes de construction de l'oeuvre, par de nouveaux modes de relations entre la tradition et les codes de la représentation: ainsi la prédominance de la citation, de l'appropriation, est-elle un signe caractéristique de l'approche qu'on qualifie à tort ou à raison de post-moderne. 

Quant à elle, l'étude de l'histoire de l'art se fait aujourd'hui en regard des discontinuités et des ruptures plutôt que dans une continuité rassurante mais trompeuse. Les ruptures deviennent centrales quand on envisage comme objet de l'histoire de l'art le système de l'art plutôt que l'objet d'art, quand on rétablit les liens entre les oeuvres et leur producteur, entre les oeuvres et leur public. L'objet d'art comme tel est alors désinvesti d'une présence hégémonique qui le posait comme conclusion, aboutissement, fin. Mais la nostalgie de l'infini nous guette toujours: la fin comme solution est rassurante car elle permet d'en appréhender une autre et une autre encore et ainsi de suite comme dans une perspective en trompe l'oeil. C'est la fuite dans l'infini des fins et des recommencements qui est rassurant, qui trompe l'oeil et qui trompe le sens attaché aux oeuvres. 

Depuis la Renaissance italienne, la peinture occidentale a engouffré ses spectateurs dans un véritable filet mais en perspective par et autour d'un point de fuite, ce dernier étant signe et symbole d'infini. En effet, la logique du système perspectiviste favorise la force centripète du point de fuite dans la représentation picturale, et ce système se définit comme régime centralisateur. 

Le point de fuite est aussi une métaphore de triomphe et d'échec: triomphe du chef d'oeuvre, classification secondaire des oeuvres considérées comme mineures parce que placées dans le sillage et la dépendance du chef d'oeuvre, disposition hiérarchique des oeuvres en satellites autour de leurs soleils respectifs. Le système perspectiviste entraîne une classification également dans le temps: il met le présent au premier plan comme fondement du futur (point de fuite) et aboutissement du passé (ce qui est hors le tableau ou bien à gauche). Il y a là une valorisation de l'accumulation, et une position privilégiée du progrès comme effet d'accumulation. 

Cette perception de la représentation fondée sur le système perspectiviste ne nous apparaît plus adéquate depuis plus d'un siècle; son abandon s'est accompagné de l'abandon de la croyance en une vérité à atteindre, ou du moins la croyance en un but ultime de l'art. Mais chez certains artistes cet abandon s'est fait assez tard. On n'a qu'à rappeler la dimension héroïque propre aux artistes américains d'avant garde des années 50, dont la mission était d’éclairer le sublime, d'approcher l'innommable. Aujourd'hui ce n'est pas tellement que nous ne voulons plus croire en cette dimension héroïque de l'artiste, mais nous ne pouvons plus y croire. Car c'est un peu comme si nous ne pouvions plus croire en une vision du futur, vision qui constitua pendant longtemps une mission privilégiée des artistes. Plutôt que de se situer au premier plan du tableau et de regarder le futur comme point de fuite, plusieurs artistes se situent maintenant consciemment au point de fuite même, dans un futur antérieur d'où ils-elles peuvent regarder le présent i.e. vers le premier plan. Ce renversement de perspective leur permet d'interroger le présent, ou du moins ce qui peut être considéré comme fondement du futur. 

Ce présent est examiné comme on examinerait un objet archéologique; grâce à cette distance acquise, les codes, les savoirs qui étaient familiers, deviennent ainsi presqu'étrangers, autres.

A travers ces oeuvres nous réexaminons néanmoins notre présent comme on examine ce qui n'est déjà plus nous-mêmes, avec curiosité, avec compassion, avec lucidité, avec émotion. Le point de fuite où ces oeuvres nous situent, en tant que spectateurs, nous obligent en effet à interroger ce qui fait encore notre présent. On constate entre autres la disparition des grandes causes, écoulées entre les failles des systèmes trop rigides et autoritaires et que nous avons laissés tomber comme des coquilles vides. 

x x x 

Ces quelques constatations nous permettent-elles de discerner quoique ce soit par rapport à des pratiques actuelles en art? et ne serait-ce pas faire illusion en tentant de tracer encore une mise en perspective de ce qui pourrait être, mais qui n'est pas encore là? 

Pourtant, faire retour sur sa propre histoire, la citer et la déconstruire pour la citer, sont des entreprises actuelles qui tentent de défocaliser le regard du spectateur, l'entraînant hors la relation exclusive qui était celle privilégiée entre le l'objet d'art et le receveur (le spectateur) comme je l'ai déjà mentionné. Le regard de qui regarde est maintenant attiré par le contexte soit de l'oeuvre ou bien encore par celui propre aux éléments cités dans l'oeuvre. 

Notre regard est davantage capté par ce qui constitue la représentation que par ce qui est représenté, par les codes qui nous ont servi et nous servent encore à nous construire un réel et que dorénavant nous questionnons.

 

Quelques remarques sur la citation
comme prélèvement et destruction

 

Les métopes, frises et frontons du Parthénon d'Athènes arrachés par Lord Elgin en 1802 et réinstallés dans les caves du British Museum à Londres l'ont été au prix de la destruction de ce temple déjà bien abîmé. La prétention colonialiste de sauver en extirpant et en prélevant n'a pas assuré en fait la conservation de la vérité des marbres qui était d'être partie du temple: même si cette appropriation en avait assuré la conservation jusqu'à aujourd'hui - et cela est fort discutable - la prétention est d'abord légitimée par le profit qui en revient aux mains qui possèdent ces marbres, objets et symboles de savoirs et de pouvoirs historiques. Car en les déplaçant, ce qui fondait leur vérité historique a été altéré et à jamais dévoyé. La vérité de Périclès et de Phidias n'est pas interchangeable: elle s'est évanouie dans les mains de Lord Elgin. Ce qui est dans les caves du British Museum est moins une vérité qu'un pouvoir extorqué.

 

Citation & tradition

 

A l'antipode de ce mode d'appropriation par extorsion, il y a la citation dont les diverses modalités tentent aussi à s'approprier sinon une vérité du moins un pouvoir. Dans notre univers médiatisé en effet, comment citer notre propre histoire sans faire illusion, sans tromper l'oeil, sans tuer la vérité de ce qu'on cite? Comment dire le réel sans faire illusion sur la réalité? 

Les médias de communication transforment le public en autant de bouches pleines de dents dont la fonction est de mâcher et de remâcher ce que d'autres avant lui ont produit de discours, d'images, d'objets. Et quand on ne sait plus nommer le présent, on régurgite du passé. L'absence de mémoire, c'est faire du sur place, c'est répéter indéfiniment le Même sous l'apparence de l'inédit. 

Mais il y a des artistes pour qui la citation est un mode d'appropriation qui leur permet de révéler, par les fragments cités, non pas des vérités antérieures pour s'en approprier un pouvoir, mais pour éclairer des règles, des codes, dans ce qu'ils ont au contraire d'aliénant. Ces citations nous renseignent sur notre présent: c'est aussi le pouvoir de la mémoire de faire cela, mais comment représenter quoi que ce soit qui ne soit pas trompe l'oeil, trompe sens? 

Au X1Xe siècle, la réalité était communément représentée par le mélodrame. L'univers moral du mélodrame était simple: les méchants étaient punis, les bons récompensés. Les fictions étaient transformées en réalité par des comportements qui semblaient naturels et les gens étaient appelés à imiter une conduite donnée. Cela est aujourd'hui bien connu par les générations éduquées par la télé, les films, les médias. 

Kate Linker a fait appel à cette notion de mélodrame pour analyser et présenter - sinon qualifier - le travail d'artistes actuels [1]. Je lui emprunterai cette notion ici. 

Le mélodrame - dans son utilisation actuelle - est qualifié par elle d'appauvri : les spectateurs de la fin du XXe siècle ne sont plus en effet comme ceux du X1Xe siècle, capables d'entrer dans la simple expérience mélodramatique. L'actuel spectateur de l'âge des médias ne peut pas répéter cela car il ne peut pas entrer dans la mise en scène comme si de rien n'était, comme naturellement, en y croyant comme en quelque chose qu'il pourrait vivre. Un mélodrame appauvri signifie que la médiation est indiquée, consciente, et qu'il existe une distance critique: c'est l'évocation ironique de sentiments authentiques qui ont déjà été ressentis comme tels mais dont on est aujourd'hui incapables de ressentir la pareille. 

Le mélodrame du X1Xe comme celui d'aujourd'hui d'ailleurs, était organisé simplement, par antithèses et hyperboles, ce qui rendait le public confiant car il comprenait à travers des effets exagérés, des scénarios simples. Une réalité prévisible était toujours en conclusion et un univers stable était évoqué, libre de doute et d'ambiguïté. Enfin l'expérience mélodramatique se condensait dans des "patterns" connus. 

Dans les quelques oeuvres dont il sera ici question, il y a usage de certains aspects du mélodrame: il y a une certaine simplicité dans la présentation des situations en jeu, mais si ces oeuvres n'ont plus rien de moralisant dans le sens manichéen de bien et de mal. Elles sont néanmoins le produit d'une attitude morale de l'artiste dans la pratique de son art. 

Les lieux et sites évoqués et investis par ces artistes que je présente ici, ont prétendu et prétendent encore à l'héroïque mais ces artistes montrent qu'ils ne le sont plus. Lieux de savoir (la bibliothèque, Nicole Jolicoeur), lieux naturels (la nature vierge, Francine Larivée), lieux civiques (bureau de poste, poste de pompier, théâtre Lyne Lapointe et Martha Fleming), lieux de haute culture (musée, Melvin Charney). Il n'est pas insignifiant de constater que ces lieux artificiels, même la nature idéale de Francine Larivée. 

Ces artistes travaillent sur des lieux de représentation déjà existants, qui ont depuis longtemps modelé notre conscience historique et notre imaginaire; ce retournement sur nos propres lieux institutionnels et nos propres lieux de pouvoirs idéologiques a pour effet de déconstruire les trompe l'oeil qui ont contribué à instaurer la légitimité de ces lieux et c'est en ce sens que nous pourrions qualifier de morale l'entreprise de ces artistes.

 

Lieu naturel

 

Les installations de mousse de Francine Larivée forment un contraste direct avec l'environnement industriel et urbain tout en étant une sorte de fiction réelle qui ne rompt ni la vue, ni l'odorat, ni le toucher: ses mousses en situation sont de la matière vivante, disposée pour former la représentation métonymique d'un non-territoire qui a peut-être existe, qui existera peut-être. Mais là n'est pas la question. Nous savons que nous ne pouvons entrer dans ces paysages de mousses, qu'ils ne sont pas des maquettes d'un pays ou d'un territoire réel, qui aurait déjà existé; mais il y a là du réel, ne serait-ce que l'extraordinaire odeur de ces mousses vivantes qui surprennent l'odorat, la riche gamme de verts et d'émeraudes, d'ôcres et de bruns, de rouges et de roses que la vue capte, dont le regard se repaît. Il n'y a là ni trompe l'oeil ni trompe sens. Il n'y a pas ici de métaphore. Cette nature appartient au présent tout en y étant une fiction: nous sommes amenés ainsi à réfléchir sur comment rendre possible l'utopie. Mais il n'y a pas ici d'utopie en trompe l'oeil.

 

Lieu de savoir

 

Nicole Jolicoeur travaille depuis quelques années sur et avec les photographies des malades de Charcot - médecin à l'hôpital de la Salpêtrière à Paris au XIXe siècle et grand promoteur d'une maladie qu'il a nommée l'hystérie. Avec l'aide de ses malades - des femmes pour la plupart - il a fait photographier les phases les plus significatives de cette maladie, l'hystérie, qu'il orchestrait dans ses moindres postures, donnant par la suite un titre évocateur à chacune des poses prises par la malade. 

Nicole Jolicoeur agrandit ces documents et les superpose en dessin pointillé sur d'autres photographies de l'époque: résidence de Charcot, le jardin, les loisirs de sa famille. C'est l'évocation ironique d'un certain bonheur bourgeois, aussi normalisé, orchestré et idéologisé que ne l'était l'hystérie elle-même. 

Récemment, l’artiste a utilisé l'immense baie vitrée de la façade d'une bibliothèque municipale. Sur une mince couche de peinture qu'elle y avait apposée, elle y a inscrit les dessins des corps convulsionnés, calqués des photographies d'hystériques de Charcot. La lumière du soleil, à certaines heures du jour, se profilait dans les parties vides des dessins et se projetait sur la paroi du mur intérieur qui faisait face à la baie vitrée. 

C'est l'évocation également ironique d'un savoir qui s'est voulu scientifique et absolu, mais qui s'avéra une fumisterie. C'est aussi, dans le cadre précis d'une bibliothèque publique, le questionnement du savoir allié à un pouvoir qui lui donne un poids et une autorité qu'en réalité il n'a pas. En fait, plus que des savoirs, c'est un savoir à prétention d'objectivité qui est ici visé mais dont la prétention même n'est possible qu'en autant que les intérêts du pouvoir en place le soutiennent.

 

Lieux de culture savante

 

La confrontation, dans les installations de Melvin Charney, du pouvoir et de l'anti-pouvoir, se réalise matériellement dans la traversée d'un édifice institutionnel, l'Art Gallery of Ontrio (AGO) en l978, par une paroi en bois qui semblait le traverser de part en part et en diagonale. L'espace des normes et des conventions artistiques est ici pointé dans ce qu'il a de faux, d'artificiel. En fait on peut se demander lequel était plus vrai que l'autre: du musée en béton ou de la paroi en bois qui le fragmentait. L'artificialité des normes devient la réalité qu'est le musée ou du moins, ce qu'il prétend être grâce à l'idée que chacun s'en fait. Cette réalité apparaît donc ici comme un effet de mise en scène, comme un trompe l'oeil qui se fige en trompe sens, mais il n'y a pas pour autant ici de vérité proposée. Il y a une certaine utopie à vouloir ainsi ouvrir le musée, il y a ici un affrontement entre une thèse et son antithèse. Mais contrairement au mélodrame manichéen du siècle passé, il n'y a pas ici de solution proposée au conflit entre la réalité et la fausseté, ni d'opposition claire entre le bon et le mauvais. Mais il y a plastiquement et esthétiquement une proposition de réflexion, de prise de conscience laissée à chacun de prendre en charge sa prore pensée et sa propre position face aux institutions qui nous ordonnent et nous gouvernent et dont l'autorité est ici présentée comme trompe l'oeil.

 

Lieu de service public.
Martha Fleming et Lyne Lapointe.

 

Elles s'installent dans des lieux désaffectés, sites d'une ancienne activité sociale de service: poste de pompier, bureau de postes, théâtre de début de siècle. Plutôt que de pointer ces édifices de l'extérieur, elles les éclairent et les montrent depuis l'intérieur. Elles n'installent pas quelque chose dans un lieu, elles font voir le lieu, en dégagent les traces multiples par le nettoyage et le démontage partiel, en révélant les structures et leur fonctionnement propre, en éclairant un sens oublié parce que souvent occulté. Elles révèlent ce pour quoi l'édifice public existait, ce par quoi il exerçait un pouvoir. Le Musée des Sciences sis dans un ancien Bureau de Postes (l986), révélait les effets mais aussi les fondements aliénants des savoirs inféodés au pouvoir, offrait au regard les contours déformés de corps manipulés par la science plutôt que soignés et guéris par elle. Ces artistes, en aménageant des édifices publics désaffectés, désignent la finitude des systèmes de savoirs et de pouvoirs. Ces édifices, dont elles nous ont ouvert pour quelques jours à nouveau les portes, sont en quelque sorte des méttonymies d'une histoire qui aurait craqué sous son propre poids, dont les piliers faits de croyances mortes auraient été fissurés, érodés par les effets nocifs de ces savoirs mêmes qui les avaient construits. Ces artistes éclairent ainsi l'envers des scènes publiques où sont contrôlés les comportements, les modes de pensée, les modes de faire sous le couvert du bien public. Sous le trompe l'oeil, elles montrent un autre sens.

 

Conclusion

 

Ce qui est montré par ces artistes et représenté au moyen de la citation et de la ré-appropriation, c'est le caché, le perverti, le dégradé, l'occulté au sein même de ce qui est vu et qui paraît normal, naturel: les codes, les conventions, les intérêts cachés, les pouvoirs usurpés sont mis en scène, le sens des trompe l'oeil tuilisés pour tromper le sens, est mis au jour. Un présent difficile à cerner, à nommer, est dès lors signifié, qui est davantage un présent conditionnel qu'un présent indicatif. 

Devant ces oeuvres nous ne sommes pas aux prises avec une récupération du passé; ici il n'y a pas de perte de mémoire, qu'on tenterait d'évoquer en trompe l'oeil. Il y a ici une prise en charge du présent plutôt que le recouvrement du passé aux dépens du présent. Une responsabilité sociale de l'artiste est ici affirmée, par le questionnement de notre présent ou de notre passé immédiat. Ces artistes sont des éveilleurs, ils et elles assument une position morale en art par leur art. Et plutôt que de piller le passé pour en faire de l'art, ils et elles décontruisent les trompe l'oeil institutionnels proposés comme réalités et contribuent ainsi à assumer une certaine part du réel en mettant en question le mythe du progrès, le mythe de l'accumulation sans fin du savoir. Ces artistes assument chacun-e à leur façon, une position éthique en art. 

Plutôt que de tromper l'oeil, ils-elles font de l'art un lieu de prise de contact avec un certain réel, avec leur présent, plutôt que d'évoquer un passé nostalgique, un nowhere improbable, ou un futur sans attache.


[1] Linker, Kate, "Melodramatic Tactics", Art Forum, sept 1982



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 11 mai 2007 16:19
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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