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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Rose-Marie Arbour, "Pour un corps différent". Un article publié dans le catalogue Corps et jouissances: regards de femmes, Musée régional de Rimouski, Québec 1986, pp. 5-7. [Le 31 décembre 2006, Mme Arbour nous a autorisé à diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, toutes ses publications.]

Rose-Marie Arbour 

“Pour un corps différent”. 

Un article publié dans le catalogue Corps et jouissances: regards de femmes, Musée régional de Rimouski, Québec 1986. pp. 5-7. 

 

Cet événement dont le texte et le thème sont "Corps et Jouissances", qui regroupe des artistes de diverses parties du Québec et d'horizons différents, est connoté par le sous-titre "Regards de femmes" qui en oriente bien le genre; il indique d'entrée de jeu le projet d'exposer et d'explorer la spécificité, la différence sinon les limites et les réserves repérables dans le langage visuel propre aux oeuvres réalisées par des femmes. 

Ce texte ne peut évidemment porter sur les oeuvres qui sont présentées au Musée de Rimouski dans le cadre d'une telle exposition, faute de les avoir vues avant de mettre ce texte sous presse. Cela n'empêche pas de songer aux diverses voies qui pourraient être celles des artistes sans pour autant préjuger des oeuvres à venir sur le plan formel, sur le sur le plan d' un contenu. Plutôt, je préférerai ici réfléchir sur le langage à tenir sur ces oeuvres. En effet, les oeuvres de femmes sont l'objet de discours multiples depuis déjà plus d'une décennie. On en a parlé et on a écrit sur elles de toutes sortes de façons; il semble aussi que les analyses de type sociologique et formaliste aient eu jusqu'à présent grande difficulté à se rencontrer et à se mixer, telles l'huile et l'eau.

 

Comment parler des oeuvres? 

 

Ainsi ce texte (écrit) pourrait se faire traduction d'un autre langage (visuel), il pourrait le commenter en le verbalisant, en lui imprimant des sillons qui en révèlerait mieux certaines structures profondes, certaines significations, certains contenus de prime abord imperceptibles, invisibles pour les spectatrices-eures et que la parole s'efforcerait de "traduire". Ou bien ce texte pourrait encore passer au crible le langage visuel des femmes-artistes, il pourrait se faire méta-langage, langage sur le langage, devant dès lors s'admettre étranger au langage visuel, affirmer du coup qu'il ne peut véritablement le traduire mais simplement l'interroger sur ses modes d'expression et de communication, sans toucher à son contenu. Il ferait ainsi voir son fonctionnement, ses instruments et ses rouages. Il délaisserait aussi l'ambition d'expliquer un tableau, une sculpture, un environnement, pour se limiter à initier au fonctionnement d'un langage visuel et spatial plutôt que de lui faire raconter des histoires . Sûrement est-ce là une façon très valable pour un langage d'en rencontrer un autre. 

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Si je ne peux prédire, encore moins prévoir les oeuvres qui s'offriront au regard du public, je peux néanmoins réfléchir sur le titre, Corps et jouissances qui aura été l'amorce, du moins la référence thématique du travail artistique. Réfléchir sur une expérience artistique -- celle-ci en particulier -- c'est réfléchir sur une activité où le corps s'inclut et est inclus dans un travail sur la forme et dans l'espace et qui plus est, annexe la notion de jouissance au sein de ce rapport que constitue essentiellement le processus créateur, rapport qui en est un entre soi et le monde. Le titre pose comme pré-requis que sont réunis ici corps et jouissance et j'ajouterais souffrance car elle est indissociable et du premier et de la seconde. On pouvait penser que ce terme de souffrance a été retranché du thème de cette exposition parce que traditionnellement hypostasié dans la perception du corps féminin, corps attaché fatalement aux fonctions de procréation en opposition à la création ; dans cet ordre-là, la jouissance n'a consisté qu'à un prélèvement fait par l'autre sur le corps des femmes. Cette aliénation du corps des femmes a été montrée et démontée et nous en sommes ici, dans cette exposition, à l'étape non plus de la dénonciation, non plus du rejet d'une telle aliénation, mais à celle de la prise en charge du corps et de ses multiples sens si longtemps occultés et réduits à une opposition binaire dont la plus tenace culturellement et économiquement est bien celle de la procréation/création. De même qu'on ne peut séparer le corps du travail créateur, on ne peut neutraliser sa différence sexuelle au profit d'un art dont on voudrait faire croire qu'il ne partage pas les conditions de la vie commune. De même, faire se rejoindre la jouissance et la souffrance c'est reconnaître au corps sa capacité à être au monde; faire se rejoindre l'art et le corps c'est reconnaître que l'art n'est pas uniquement le produit d'une évolution historique de la forme ni celui d'un état privilégié accessible à de rares individus à qui le sens créateur est octroyé, mais qu'il participe du même espace, du même temps que le corps et qu'à ce titre on ne peut l'approcher ni l'entendre en dehors du langage du corps. 

Après que le mouvement des femmes ait mis au premier plan l'urgence de se reconnaître comme entité complète et autonome et non simplement l'autre des hommes , la question de la jouissance s'est posée logiquement . La rage qui anime l'Albertine de Michel Tremblay ne cristallise-t-elle pas cette image de la femme brisée, morcelée qui fut celle de tant de femmes écrasées dans leur corps autant par la pauvreté matérielle que par une religion appauvrie, appauvrissante et profondément patriarcale? Corps sans désir et replié sur lui-même comme pour ne recevoir que des coups, enchaîné à la procréation comme à une fatalité cruelle, laissé à lui-même dans cette solitude dont rien ne peut plus le distraire qu'une plus grande misère encore, ce corps-là, s'il existe encore aujourd'hui, se fait dorénavant voir et nommer de sorte qu'il n'est plus enfermé dans sa fatalité traditionnelle. Mais nommer et faire voir ce qui maintenant dresse le corps des femmes au-delà de la seule fonction de reproduction, n'a pas fini d'être interrogé. Il s'agit ici de défaire des fictions judéo-chrétiennes tenaces: celles la dichotomie du corps et de l'esprit, de la souffrance et de la jouissance; il s'agit de remettre ces termes en frictions de sorte qu'ils puissent apparaître tels qu'ils sont, éléments d'une dynamique et d'un va et vient incessants qui ont à voir avec la constitution d'un rapport plutôt que celui d'un simple équilibre. Ce corps féminin de nouveau embrasse et s 'embrase. 

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Le comportement, la posture d'un corps, son rythme et ses mouvements ne sont pas indifférents au regard qui l'enveloppe, le scrute, le cerne. Allure de femmes, jouissance de femmes, regard de femmes sont différemment vécus et vus en fonction de qui les appréhende. Cette exposition repose sur des regards et des corps de femmes, sous-tendus d'une jouissance et d'une souffrance de femmes. Cela n'est pas indifférent et pose dès lors que l'art est profondément sexué qui maintient une différence à la fois salutaire et essentielle issue du corps de l' artiste même, différence qui apporte un ordre au chaos. Le corps est un lieu, un contexte, un réseau où rien n'est vraiment saisissable , où tout est échange et perte, réception et passage. Jouissance et souffrance. C'est dans ses rapports au monde qu'il se construit, se défait et se refait et il n'est pas indifférent, au sein de tels rapports, d'être un homme ou une femme. 

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Le thème de cette exposition, Corps et jouissances, indique donc ici cette pulsation entre le corps et le monde, entre le corps et le travail créateur. Corps-monde-création: en définitive on ne peut penser l'art en dehors de cette circulation à trois termes. En retrancher le corps entraînerait à croire que l'art est une Fille née sans mère. En retrancher le monde entraînerait à penser que l'histoire peut expliquer l'art, le réduisant à une stricte autoréférentialité pour l'assimiler à la Machine. Issus de rapports multiples et hétérogènes entre le corps et le monde, l'art et la jouissance sont ordonnance et signification du corps et paradoxalement en cette ère hypertechnologisé, le corps peut revendiquer sa différence et par le droit à la dissidence.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 11 mai 2007 15:11
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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