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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Rose-Marie Arbour, Une nature sans histoire”. Un article paru dans le catalogue de l'exposition de groupe Espèces d'espace, Galerie UQAM, septembre 1989. [Le 31 décembre 2006, Mme Arbour nous a autorisé à diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, toutes ses publications.]

Rose-Marie Arbour 

“Une nature sans histoire”. 

Un article paru dans le catalogue de l'exposition de groupe Espèces d'espace,
Galerie UQAM, septembre 1989. 

 

[À propos du travail artistique de Francine Larivée

 

 

La spécificité du matériau visuel et plastique qui a constitué un des aspects fondamentaux des problématiques artistiques des années '60 et d'une partie des années '70, a perdu dans les années '80 de son importance ou du moins de son hégémonie au profit de ce qui en constitue le contexte même. L'hétérogénéité s'est imposée, de pair avec la complexité des rapports entre les choses, entre les éléments et leur environnement. Le respect et la signification du matériau, délivrés de la vision close propre au formalisme en art, se sont enrichis d'être mis à nouveau dans une perspective environnementaliste. L'aseptisation visuelle, effet excessif du processus de réduction formaliste, s'est muée en rumeur par le biais de la polyvalence des matériaux, du prolifique, de l'hétérogène. Ce qui était réduit à la simplicité est maintenant laissé libre d'afficher sa complexité dans la multiplicité de ses données, de ses exigences et de ses contingences. 

Le travail artistique de Francine Larivée relève d'un projet créateur à la fois simple et complexe. En effet la décision d'adopter comme matériau de son art des mousses vivantes, a multiplié à l'infini les choix et les décisions à prendre, les données dont il faut tenir compte, les exigences de toutes sortes propres à la manipulation. Si ces installations de mousse offrent matière à réflexion sur de nouvelles exigences artistiques elles offrent également matière à différents plaisirs: le visuel n'est plus le seul domaine où le sens s'élabore; l'olfactif, le toucher s'y ajoutent. Malgré une apparence de simplicité, les dimensions et les niveaux de travail artistique sont ici complexes tant au plan de la conception et de la réalisation des oeuvres qu'au plan de leur perception et de leur réception publique. Pour être général, cette constatation doit s'entendre comme particularité du travail d'artistes qui ont introduit dans leur travail une réflexion sur le spécifique comme essentiellement tributaire de l'environnemental, sur l'actuel comme marqué par l'histoire, sur la nature des objets dans leur usage, dans leur signification sociale et culturelle et non seulement dans leur construction matérielle et formelle. Ici, il y a référence non seulement à l'histoire mais à la préhistoire: l'usage des mousses réfère au règne végétal dans sa formation plutôt qu'au genre humain et à son histoire, plutôt qu'à ce qui est signé et consigné. 

Depuis 198.. Francine Larivée s'est attachée à une mise en scène et une mise en place du fruit de ses cueillettes en forêt qui, à part les mousses, incluent aussi des bois de formes et de textures diverses, des débris d'ossements, des cailloux. 

Ces mises en scène sont des représentations qui pointent une nature primordiale, à la fois réelle et fictive: ce qu'elles disposent sous nos yeux existe matériellement tout en étant une vision utopique d'un monde qui aurait existé, au plus qui pourrait peut-être exister un jour. Plutôt que de se réfugier - tel le personnage du roman Le Parfum de Patrick Süskind - dans un lieu aride et désolé où toute trace humaine est absente, Francine Larivée nous propose une nature où l'humain n'est pas encore intervenu, une nature pleinement végétale, olfactive, tactile. C'est ici le règne du plein, non du vide, le lieu de concentration de ce qui est à l'origine d'une nature idéale. 

***** 

Les installations de mousse qui sont présentées dans le cadre architectural de la Grande Place de l'UQÀM, le sont dans l'eau, sur le sol ou bien encore les mousses s'agrippent au mur de béton qui relie deux bassins d'eau de niveaux différents. À une échelle réduite, ces installations nous font pénétrer dans un monde à la fois matériel et imaginaire qui est aussi celui des jardins et plus particulièrement des jardins chinois. Mais pour être un monde sans humains, ces installations de mousses sont à la fois près de sociétés hautement cultivées et politisées qu'une nature totalement artificielle a évoquées par la disposition des éléments dans des espaces relativement réduits et clos où il était possible de déambuler. Ici chaque mousse pourrait figurer un arbre, un bosquet; les agglomérats de mousses, des forêts. Les mousses greffées sur un treillis métallique modelé à volonté, deviennent ainsi des collines et des montagnes, des vallées et des replis profonds de terrain: nous ne sommes pas ici devant des maquettes d'un monde réel mais devant une représentation réelle d'un monde imaginaire et utopique. 

Les îlots flottants dans les deux bassins d'eau sont des continents à la dérive que relient entre eux les chemins de mousses disposés en V et agrippées aux murets de béton. 

Quel est ce matériau ici utilisé et que nous nommons simplement "mousses"? En connaître même superficiellement la nature et le comportement, s'impose ici, de même qu'il n'est pas indifférent de connaître la langue qui nous fait parler. Les muscinées, groupe du règne végétal, comprend les mousses, les hépatiques et les sphaignes. Quelques modifications dans leur développement les distinguent entre elles. Les muscinées se rapprochent d'une part des fougères et autres cryptogames supérieures et d'autre part forment un lien entre ces dernières et le groupe des algues et les lichens. Les différentes espèces de muscinées se rencontrent dans les cours d'eau, les marécages et les tourbières, sur les arbres qui voisinent les étangs dans les bois et les troncs d'arbres pourris, sur les rochers siliceux et calcaires, sur les matières organiques en décomposition. C'est après un temps pluvieux que la cueillette est la plus fructueuse car on peut apercevoir bon nombre de petites espèces qui passeraient inaperçues par temps sec. Les mousses et les sphaignes se dessèchent en très peu de temps et se préparent assez bien pour l'herbier ou pour ces installations ici présentées. Les sphaignes servent de base sur laquelle sont disposées et fixées les mousses. Les personnages présentés dans la galerie sont d'ailleurs en sphaigne. Les hépatiques pour leur part sont beaucoup plus fragiles et doivent être manipulées très délicatement. 

**** 

Pourrait-on dire que Francine Larivée vise dorénavant un "retour à la nature" après avoir fait un retour sur les codes et les conventions personnels et collectifs entre hommes et femmes (La Chambre nuptiale, 1976)? Son travail actuel s'inscrit-il dans une tendance "primitiviste" axée sur la recherche d'une nature perdue, sorte de conjuration face à la rapide détérioration de notre environnement naturel? Le matériau utilisé a indéniablement une signification qui nous porte à le croire; de même une toile blanche sur laquelle s'apprête à intervenir le peintre a une signification qu'on ne peut nier. 

Ici, le matériau sent quand il se gonfle d'eau, ses couleurs et sa texture se modifient au fil des changements climatiques qui l'affectent: il est donc question de temps, du temps qu'il faut pour parcourir des cycles de vie avec ce qu'il y a d'interminable et de répétitif dans les cycles. Les mousses réfèrent à l'humus, à la nature organique du sol et à ses accumulations au cours des millénaires. Est désignée ici une figure première à la source de toutes les autres: la terre mère dans sa dimension mythique, le mythe en voie de destruction. Le passage du temps, le présent sans histoire: ces installations représentent une nature dans le temps mais a-historique, elles sont des microcosmes d'espace-temps par l'évocation faite de la terre et de ses eaux, des cycles qui président aux modifications de sa structure, de ses textures, de ses modulations colorées. Ces installations représentent ce qu'il faut pour refaire un monde. 

La mémoire, une mémoire sans nom, sans sexe ni frontière, est ici figurée, et c'est pour cela qu'elle est utopique ou du moins qu'elle contient l'utopique en ce que cet état contient de réalité et d'imaginaire. 

Enfin c'est aussi de savoir qu'il s'agit ici, de savoir qui est remis en question dans le lieu même du haut savoir, l'université. Ces mousses sont des figures métonymiques d'un monde en voie d'effritement et le savoir semble ignorer la ou les clés de sa survie. Le savoir est frappé d'un point aveugle où il ne saurait plus déchiffrer rien et que tente de refouler l'omniprésence de l'information. C'est ce point aveugle du savoir qu'évoque l'opacité de ces mousses qui sont une interrogation désarmante de simplicité non parce qu'elles sont disposées dans un ordre réflexif que l'art a pour objet de construire. L'interrogation porte aussi sur les liens entre le savoir et le pouvoir, sur les limites du savoir déterminées et sanctionnées par les intérêts du pouvoir. 

C'est en vivant actuellement de notre univers de béton et de verre, d'air climatisé, d'eau recyclée et des lumières artificielles que ces mousses pointent notre présent: elles vivent et se dessèchent au sein de nos contradictions et de nos éclatements dans l'air qui nous est quotidien. Mais ces installations, en tant qu'art, disent l'artifice plutôt que la nature et par là, évitent la nostalgie, car le propos de ce travail artistique désigne ce qui disparaît plutôt que ce qui est éternel.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 11 mai 2007 9:40
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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