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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Rose-Marie Arbour, Colloque Terre gravide, Par Marie-Victorin, Longueil, 16 et 17 juin 1995. Commentaire sur les exposés des intervenants du vendredi 16 juin de 17.00 à 20 hres. [Le 31 décembre 2006, Mme Arbour nous a autorisé à diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, toutes ses publications.]

Rose-Marie Arbour 

“Colloque Terre gravide”.

 

Colloque Terre gravide, Par Marie-Victorin, Longueil, 16 et 17 juin 1995.
Commentaire sur les exposés des intervenants du vendredi 16 juin de 17.00 à 20 hres.
 

 

Pour Serge Fisette, commençons par le plus optimiste, une chose existe quand elle est montrée. Cela la fait exister - c'est là sa conception de la diffusion et c'est pour lui la condition pour rendre réel le travail des femmes artistes qui travaillent dans le domaine du monumental, de l'art public. Il a évidemment raison. Il prévoit que le nombre de sculpteures en ce domaine de l'art monumental, de l'art public, va augmenter, atteignant peut-être bientôt le 50%. L'idéal. Mais Linda Covit ne voit pas les choses de la même façon: même si c'était le cas, elle rappelle que ce secteur de l'art public n'est quasiment pas couvert par la critique d'art, que l'art public est invisible dans le milieu artistique, sur le plan de la diffusion critique dans les médias (revues, journaux, télé ou radio). 

Pourquoi donc cette invisibilité de l'art public dans les medias? 

parce que l'art public se situe et se manifeste hors les murs des galeries, des musées, là où les critiques d'art se concentrent et se limitent. Habituellement. En ce sens j'ajouterais que cela est traditionnel au Québec du moins depuis les années 50 où la question d'alors, celle d'un art mural (intégration à l'espace urbain) était rarement commenté par les critiques d'art même si certains artistes mettaient cette pratique au premier plan de leur projet de socialisation de l'art. 

Serge Fisette nous dit que les femmes auraient maintenant une compétence égale à celle des hommes en art public. Je voudrais pourtant rappeler qu'en ce qui a trait à l'art monumental intégré à l'architecture, qui a fleuri au Québec dans les années 60, de nombreuses femmes y furent actives: pensons dans les arts textiles et leur transfert dans le champ de l'art contemporain, à Mariette Rousseau-Vermette, à Micheline Beauchemin; à Laure Major connue comme peintre mais qui réalisa plusieurs travaux d'intégration de l'art à l'architecture et qui furent quasiment inconnus du public. Rita Letendre, mais surtout pensons à Marcelle Ferron avec son "verre écran" - la station de métro Champ de Mars en est un exemple on ne peut plus frappant. C'est pour cela que je serais assez réticente à affirmer que c'est maintenant que les femmes sont à compétence égale avec les hommes dans le domaine de l'art public. En fait cette compétence est complexe: elle comprend des questions d'ordre technique et d'ingénierie, d'ordre de la gestion de projet, de travail en équipe et de coordination de tous ces éléments hétérogènes - ce qui n'est pas une mince affaire, ni pour les femmes ni pour les hommes. Je pense d'autre part que l'optimisme de Serge Fisette est fondé sur le fait que depuis les débuts des projets du 1% (1972), il y a maintenant près de la moitié des projets assumés et réalisés par les femmes sculpteures ce qui n'était pas le cas au début de ce programme. Mais ce n'est pas, à mon avis, parce qu'elles n'avaient pas avant d'expérience ni d'expertise en ce domaine. Notons que Linda Covit fait la différence entre les commandites assez contraignantes des projets du 1% et les réalisations plus libres en art public - comme en est un exemple les oeuvres réalisées dans le contexte de ce présent symposium. 

Un autre aspect qui a été abordé est que les femmes artistes parlent et considèrent comme primordial la dimension esthétique et expressive de valeurs dites "humaines" dans le domaine de l'art public. Il y aurait du féminin dans ces oeuvres, du féminin qui exprime un type particulier de rapport au monde où des valeurs d'ouverture, de liens à établir entre les éléments et l'imaginaire des gens et non seulement des questions de fonctionnement formel de l'oeuvre - cela est à souligner quand il s'agit d'un art conçu en regard des exigences d'un environnement précis qui pourrait souvent se confiner à des effets strictement visuels et plastiques. 

Lourdes Cue nous parle d'oeuvres de femmes sculpteures qui assument des relations nécessaires, urgentes même, entre l'art et la nature, entre la culture et notre monde à la fois actuel mais aussi ancestral: elle parle de mémoire, d'actualité de la mémoire, des mythes où les humains - les femmes particulièrement - sont en contact avec les forces telluriques, les mouvements de la nature, les traits de l'environnement. Lourdes Cue propose même un art public que je décode en termes à la fois pré et post modernes. Les femmes artistes qu'elles a citées dans son exposé montre que l'art est une activité spécifique liée à la vie, aux mythes anciens qui sont issus et ont formé l'imaginaire de la collectivité des Mexicains et des Latino américains. L'art amènerait selon lourdes Cue, la vie à une profondeur et une spiritualité dont lui seul est capable: historiquement il en a toujours été ainsi dans son pays et ce pouvoir le rend essentiel à la vie sociale et spirituelle. 

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Selon Serge Fisette donc, il n'y aurait plus aujourd'hui de distinction sur le plan de la compétence entre les artistes hommes et femmes: on pourrait donc en déduire que ce symposium a pour objectif d'être moins un soutien aux femmes artistes en tant que femmes - afin de contrer une discrimination dûe à leur appartenance sexuelle - qu'à promouvoir une distinction qui marquerait leurs oeuvres mêmes. Linda Covit pense cela d'ailleurs: ce qui pour elle marquerait le travail des femmes sculpteures c'est le rapport au site, un rapport de non-domination: il n'y aurait pas dans le travail des femmes un sentiment de victoire par rapport à l'environnement, au site, mais plutôt l'intériorisation de valeurs et d'expériences qui ont trait à un rapport d'échange et de respect avec la nature environnante. 

Ou bien si tel n'est pas l'objectif de ce symposium, on pourrait penser qu'il aura été de contrer une discrimination dont souffriraient les femmes artistes à cause de leur genre, artistes qui pourtant sont à compétence égale aux hommes dans le domaine de l'art public. Cet événement serait là pour soutenir d'abord des femmes sans considérer pour autant qu'existe une expressivité singulière sur le plan de la forme et de l'expression dans leurs oeuvres. L'optimisme mènerait à croire que, dans les prochaines années, l'ascension des femmes permettra de dire qu'elles constituent la moitié des artistes à réaliser les projets en art public. Mais Covit a apporté des chiffres et des constatations qui sont moins optimistes - il est vrai qu'elle fonde son argumentation sur les recherches faites aux USA en ce sens - elle cite un critique d'art (Calvin Tomkins) qui a montré combien les femmes ont été importantes, dans les années 70, dans l'art public (Mary Miss, Nancy Holt, Alice Aycock....) et qu'au début des années 80 elles représentaient 40% des artistes en ce domaine mais Marcia Tucker est moins optimiste: elle dit que rien n'a bougé depuis les années 70. Je ne veux pas trancher ici sur l'analyse de la situation aux USA mais il faut croire que tout n'est pas si facile à évaluer - et de quel point de vue - en ce domaine de la présence des femmes. Comme avertit Lise Lamarche, il faut se méfier des statistiques, et ne pas croire qu'elles représentent ce qui est vécu par les artistes: une moyenne n'est pas la vie comme telle mais une relation abstraite entre des chiffres d'abord. Linda Covit rappelle le fait qu'en Ontario, il n'y a que le 1/4 des femmes sculpteures qui sont présentes sur la scène de l'art public, alors qu'au Québec on s'approche du 50%... En ce sens, elle partage l'optimisme de Serge Fisette qui par ailleurs a raison de dire que ce présent symposium est historique: il n'y en a jamais eu de pareil du moins au Québec et on sait qu'habituellement et historiquement les symposiums de sculpture sont des affaires de gars. En ce sens les femmes peintres ont été beaucoup plus exposées dans des événements de ce type que ne l'ont été les femmes sculpteures. 

Cet événement-ci est en ce sens des plus importants si on pense que l'artiste, pour assurer un rôle social et être confirmé comme artiste, doit prendre place sur la place publique, déborder les murs des espaces réservés habituellement à l'art. Encore faut-il voir comment ce passage se fait, comme le public convié fait partie des données selon lesquelles la mise en vue de l'oeuvre s'organise. Comment réagissent les critiques d'art, les médias. 

Quant à moi je soulignerais l'importance de la multi et interdisciplinarité en arts - la prolifération, depuis plus d'une décennie, d'installations à l'intérieur comme à l'extérieur, de réalisations d'art monumental sur le site, le démontrent: nous ne sommes plus à exclure la sculpture au profit de la peinture, à mettre de côté la peinture au profit de la photographie... Qui peut affirmer aujourd'hui les limites précises entre les disciplines quand elles se croisent ainsi et se restructurent mutuellement? 

L'art public et monumental favorise le travail d'équipe, en même temps que le favorise l'inter et la multi disciplinarité. Le rapport de l'art avec toutes sortes de questions qui ressortissent à l'environnement, à des questions d'ordre scientifique, au social, au culturel et même au politique se fait si on peut dire "naturellement". Et c'est en ce sens qu'il s'agit ici moins de sculpture mais d'activité artistique décloisonnée sur le plan des disciplines en arts visuels et sur le plan de disciplines reliées à l'environnement, à la culture, aux modes de vie. 

Je terminerais avec la réflexion de Lise Lamrache qui est une réflexion sur la notion même de diffusion: 

qu'est-ce que diffuser? 

est-ce aller en ligne directe de l'atelier à la scène internationale? ne serait-il pas possible de changer ce modèle linéaire et de penser la diffusion en terme non pas vertical mais en terme horizontal, en terme de réseau - où les musées échangent avec les centres d'expositions, où les artistes font circuler leurs oeuvres d'un type d'endroit à un autre type d'endroit sans discrimination ou hiérarchie - ce qui permettrait de former un tissu qui ne positionne pas un type de lieu de diffusion par rapport à un autre en les opposant pour en inférioriser un par rapport à l'autre, mais en considérant que chaque lieu de diffusion est lié à son propre contexte et répond à des besoins particuliers. J'espère que je ne déforme pas sa pensée. Et en ce sens, si la notion de diffusion se modifiait, se modifierait aussi la notion de ce qu'est le succès pour l'artiste. Est-ce devenir une vedette à l'échelle internationale? la question pour Lise Lamarche est non résolue d'autant que ce type de diffusion entraîne chez la plupart des artistes un sentiment d'échec en ce sens que ce n'est jamais assez et que du même souffle est dévalorisée la diffusion à l'échelle locale. A ce titre j'ajouterais que ce symposium permet une rencontre importante à divers niveaux: d'abord entre les artistes de deux pays périphériques aux grands centres, Québec et Mexique; entre des artistes qui ont des intérêts communs au site, à la nature telle qu'elle est devenue (les berges du fleuve), au local à travers le site de Longueuil et enfin dans une rencontre avec un public élargi, différent en partie de celui qui fréquente le milieu de l'art actuel. 

Mais attention avertit Lise Lamarche: les femmes ne devraient pas nécessairement viser à tout prix le vedettariat international (star system) où elles seront elles aussi, comme beaucoup de leurs confrères, toujours frustrées. Il faut plutôt chercher dans des réseaux de collaboration et d'échanges des liens beaucoup plus en profondeur et non hiérarchisés eu égard à la fonction et au rôle que les artistes attribuent à l'art actuel. 

Je terminerais par cela: 

que la pratique artistique aille dans le sens d'un approfondissement des valeurs qui permettent de se relier, en tant que sujet et citoyenne, en tant qu'artiste, au monde et à ses réalités complexes, pour mieux vivre et peut-être pour contribuer, touchant l'imaginaire, à modifier la vie dans les problèmes qui l'affectent actuellement et qui nous touchent en tant qu'individus et collectivités - tant dans le domaine de la production de l'art que de sa diffusion.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 10 mai 2007 12:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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