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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

"Arts visuels et espace public: l'apport de deux femmes artistes dans les années 60 au Québec,
Micheline Beauchemin et Marcelle Ferron
(1989)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Rose-Marie Arbour, "Arts visuels et espace public: l'apport de deux femmes artistes dans les années 60 au Québec, Micheline Beauchemin et Marcelle Ferron", Recherches féministes, hiver 1989, vol. 2, no.1. pp. 33-50. [Le 31 décembre 2006, Mme Arbour nous a autorisé à diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, toutes ses publications.]

Introduction

La mise en perspective du travail artistique de ces deux femmes artistes dans le contexte de changement socio-politique et culturel des années 60 au Québec, vise à inscrire leur apport en regard d'un nouveau rapport de l'art au public par le biais entre autre de ce qu'on pourrait nommer un art public, par la recherche d'un nouveau rôle social de l'artiste, par une réappropriation de pratiques et médiums traditionnels dans un contexte moderne et urbain. 

Les oeuvres qu'elles réalisèrent dès la fin des années 50 et au cours des années 60 mettaient en cause la vision traditionnelle de la femme peintre. Il faut rappeler qu'entre 1955-1965 les femmes peintres avaient acquis une réputation de novatrices au sein du courant post-automatiste au Québec et que leur compétence était reconnue en fonction d'une capacité d'expression qu'on leur disait naturelle. Certes il serait irréaliste et inexact d'affirmer que des femmes artistes révolutionnèrent alors le langage visuel ou encore le rôle de l'art sur la place publique et dans la Cité; on peut néanmoins avancer que les artistes dont il sera ici question contribuèrent à modifier le rapport de l'artiste à la tradition en adoptant un processus de ré-appropriation de techniques et médiums traditionnels et en les réinvestissant dans une pratique tenant compte d'impératifs propres au nouveau contexte socio-culturel des années 60 au Québec. 

En analysant les dossiers de Micheline Beauchemin et de Marcelle Ferron, on s'aperçoit combien ces artistes furent des figures majeures en tant que femmes et en tant qu'artistes dans leur contexte propre. Mais il suffit de revoir un film de Giraldeau intitulé Faut-il se couper l'oreille? (ONF, 1970) pour saisir l'ampleur de l'indifférence dans lequel le travail des femmes artistes novatrices était généralement laissé dans l'ombre: film réalisé à partir d'une table ronde dont le thème était le rôle de l'artiste face aux nouvelles technologies et aux nouveaux enjeux sociaux pour l'artiste, aucune femme artiste n'y prit la parole: pourtant plusieurs d'entre elles avaient des réalisations majeures reliées à ces questions. 

Une perspective féministe en histoire de l'art met en lumière, dans un premier temps, ce qui a été mis de côté par le milieu artistique contemporain mais aussi ce qui a été retenu du travail artistique des femmes novatrices: la reconnaissance de plusieurs d'entre elles par le milieu artistique des années 60 contribua à maintenir la construction sociale de la différence sexuelle qui dominait alors: ainsi de la croyance que l'expressivité en peinture convenait merveilleusement à la nature féminine encline à la communication. Plusieurs artistes furent reconnues en autant que ce qui était considéré comme des caractéristiques féminines coïncidaient avec des traits privilégiés par l'art actuel de cette décennie et plus généralement par le climat idéologique dominant. Ainsi, au milieu des années 60, on délaissa les valeurs d'expressivité et de liberté qui avaient permis au post-automatisme (peinture gestuelle et lyrique) et à un nombre impressionnant de femmes artistes de se manifester et s'imposer sur la scène artistique entre l955 et l965, pour valoriser en art les orientations formelles davantage liées aux nouveaux matériaux technologiques, aux phénomènes optiques et à l'efficacité formelle au détriment des valeurs de subjectivité, d'expression et de contenu qui avaient préavalues jusque là et dont les femmes avaient été reconnues les spécialistes naturelles. 

Micheline Beauchemin et Marcelle Ferron s'adaptèrent à ce nouveau contexte idéologique et technologisant en se réappropriant des techniques traditionnelles et artisanales et en les transformant en pratiques et médiums actuels; elles maintinrent aussi les valeurs d'expressivité qui avaient caractérisé leur art au cours de la décennie antérieure. Elles furent reconnues par le milieu artistique en ce qu'elles répondaient, du moins en partie, à l'appel des dirigeants politiques de la Révolution tranquille à jeter un regard neuf sur le patrimoine artistique et culturel des Canadiens français. À ce titre ces artistes furent novatrices tant sur le plan formel, esthétique que technique. Micheline Beauchemin haussa la tapisserie artisanale et folklorique traditionnellement pratiquée par les femmes à la dimension de muraille pour utiliser son propre terme, en réalisant entre autres son monumental Rideau de scène (1968) pour le Centre national des arts à Ottawa. Marcelle Ferron s'appropria une discipline (vitrail) traditionnellement pratiquée par les hommes dans un contexte religieux, pour l'ériger en monument urbain à la Station de métro du Champ-de-Mars à Montréal (l967). 

Les discontinuités propres à la modernité en art apparaissent chez ces artistes moins comme des stratégies de tabula rasa que des ruptures réintégratrices de valeurs culturelles et non limitées à la seule dimension techniciste. 

Elles ont su maintenir ce qui était alors dévalorisé au nom d'une ère technologiste et productionniste: l'expressivité et par là un certain contenu à l'art. 

Nous présentons ici les dossiers de ces deux artistes afin de mettre en lumière leurs conditions de production artistique ainsi que celles de la réception de leurs oeuvres, réception qui a été responsable à la fois de leur reconnaissance et de leur oubli relatifs. 

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À la fin des années 50, à Montréal comme à Québec, la question d'un art mural et monumental [1] avait déjà été posé au sein du milieu artistique québécois comme lieu d'intervention valable. Des concours pour "pièces murales" avaient été organisés en l956 et 1957 par le Musée des Beaux-Arts de Montréal et l'Ecole des Beaux-Arts. Le critique d'art Rodolphe de Repentigny (1957) avait néanmoins souligné l'ambiguïté et la difficulté de ce domaine: "(...) la presque totalité des artistes qui ont participé à ces concours n'ont pas la moindre idée de ce qui peut faire une pièce murale" [2]. En 1957, il y avait eu un concours pour une murale destinée au Pavillon canadien à Bruxelles et une vingtaine de projets furent soumis: Mario Merola y avait remporté le prix du meilleur projet et celui de Micheline Beauchemin fut qualifié de "plus intéressant dans l'immédiat, avec sa complexité organique" mais Rodolphe de Repentigny (1957) craignait "qu'il ne se trouve aucun artisan au pays capable de réaliser, en ce moment, un tel travail" [3]. La faiblesse relative du projet de Micheline Beauchemin lui semblait résider là, mais cette artiste allait bientôt relever le défi en allant chercher au Japon les moyens techniques nécessaires qui lui manquaient alors. 

Ce rappel historique souligne l'importance attachée à un art mural qui s'inscrive dans un monde actuel et qui amena, à la fin des années 50, plusieurs artistes québécois dont Micheline Beauchemin et Marcelle Ferron, à s'impliquer en ce domaine qui touchait à ce qu'on appelait alors l'intégration de l'art à l'architecture et à l'environnement, à l'art social. La destination et la fonction traditionnelles de l'oeuvre d'art et ses processus de réalisation étaient de ce fait questionnés: on voulait sortir l'objet d'art de l'espace privé du collectionneur et le propulser sur la place publique pour en faire un art social, on projetait de faire éclater l'isolement de l'artiste non seulement en insérant son travail dans le contexte d'une architecture publique mais en en modifiant le processus créateur même par l'établissement de liens nouveaux, dans le contexte urbain actuel, entre l'artiste et le public et avec des intervenants d'autres disciplines (artistiques et non-artistiques). 

Les tentatives de regroupements multidisciplinaires marquèrent en effet la fin des années 50 et les années 60. Un climat d'ouverture et de changement dans la conception de l'art et de sa production contribua à expliquer entre autres l'existence éphémère du Groupe des arts libres (fondé par Armand Vaillancourt, Marcelle Ferron, André Fournelle, Jean Lefébure, Yves Trudeau) en l966, puis du groupe Création en l968 [4]. 

En 1969, l'objectif de Création était de devenir une centrale d'information sur les arts, à la fois pour des artistes et des créateurs mais aussi pour des techniciens . Comme l'expliquait sa porte parole Marcelle Ferron, allier art et efficacité, artistes et techniciens seraient l'effet d'une communication, d'une circulation d'information entre les praticiens de sorte que la création en serait grandement stimulée et l'isolement de l'artiste rompu. L'art s'en trouverait ainsi modifié (Lévy, 1971): "les obstacles techniques surmontés et certains impératifs reconnus, l'artiste abordera alors son travail autrement c'est-à-dire avec la conscience d'un plus vaste choix. Ainsi la technologie au service de l'art ou mieux encore intégrée réellement à l'art imprime plus qu'une dimension nouvelle (...)" [5]. 

On le constate, le groupe se situait dans un mouvement de désaffectation envers la standardisation qui avait constitué un des effets du Bauhaus et privilégiait une attention beaucoup plus grande à la qualité de la vie par le biais de l'esthétisation de l'environnement urbain. 

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Cette entrée en matière sur la question d'un rapport nouveau entre artiste et architecte, artiste et ingénieur qui prévalut à la fin des années 50 et jusqu'au début des années 70 au Québec, nous permet d'aborder ici le contexte artistique et idéologique (la décennie 55-65) propre aux artistes Micheline Beauchemin et Marcelle Ferron. Si Marcelle Ferron se faisait volontiers le porte parole du groupe Création en 1968, c'est que depuis 1964 son travail artistique s'était orienté vers un art public qui a contribué justement à donner un nouveau rôle social à l'art.

Micheline Beauchemin (à partir de la fin des années 50) et Marcelle Ferron (au début des années 60) utilisèrent chacune des techniques et des méthodes de travail répondant aux nécessités d'un art monumental. Leur intérêt pour les nouvelles technologies et les nouveaux matériaux ne constituaient pas un but en soi mais des outils qui leur permettaient de réaliser leurs projets respectifs. Il va de soi que l'espace de l'atelier, traditionnellement lieu de solitude, se déplaça ainsi vers l'usine, vers les ateliers interdisciplinaires et ouverts aux collaborations de toute. 

Sortes [6]. Si Micheline Beauchemin et Marcelle Ferron furent toutes deux attirées par la technique du vitrail, c'est qu'elles furent d'abord intéressées par un art mural et un art public . Ces artistes aspiraient à un rapport nouveau de l'art avec l'architecture et avec l'espace environnant et, dans le cas de Marcelle Ferron surtout, à un rapport plus démocratique entre l'art et le public. 

Dans la perspective d'un art public, l'importance de ces deux artistes fut de premier ordre autant par leurs réalisations que pour l'impact qu'elles eurent sur un public qui souvent se trouvait confronté pour la première fois à l'art actuel. Or on a souvent dit que lorsque les femmes s'inscrivent à l'avant-garde des courants artistiques et contribuent à l'élaboration et la mise en place de concepts novateurs, elles profitaient simplement d'une conjoncture favorable. Il y a conjoncture chaque fois qu'il y a changement ou rupture historique et cette conjoncture existe indépendamment du sexe de l'artiste. Nous allons ici tenter de cerner ce qui a rendu possible l'apport spécifique de ces deux artistes à la prise en charge d'un sens public dans et par leur pratique artistique. 

Ce texte tentera donc d'éclairer un pan de notre récente histoire de l'art, domaine qui a quasiment sombré dans l'oubli et qui pourtant concerne un aspect de la fonction sociale de l'art dans le rapport qu'il a su établir avec l'espace environnant et l'architecture publique.


[1] La terminologie est flottante: art décoratif, art intégré, art monumental étaient couramment utilisés au cours des années 50 et 60 dans le milieu artistique québécois.Souvent imprécises, ces notions pointaient nénamoins une volonté de changement du rôle traditionnel de l'arte dans la société de ces années 50-60. On peut les critiquer mais on ne peut nier qu'elles exprimaient telles des leitmotiv, des pensées et des aspirations reliées à une conception différente de la réalité artistique. Le terme d'art public a été utilisé ici pour bien marquer le lieu public auquel certaines formes d'art étaient destinées, soulignant ainsi le grand format qui les caractérisaient, l'espace architectural dans lequel elles s'inséraient, et l'effet de modification d'ambiance qui les caractérisaient.

[2] Rodolphe de Repentigny, "Le problème mural posé, mais non résolu, par plusieurs peintres", La Presse, 6-12-57.

[3] id. Photos des projets, La Presse, 30-11-5.

[4] Il avait été décidé que le groupe Création serait: 1. un organisme consultationnel, 2. un organisme d'éducation auprès des jeunes artistes, 3. un organisme qui favoriserait le décloisonnement des arts et l'échange entre les artistes, 4. un organisme qui ferait de très fortes pressions auprès du gouvernement afin de l'obliger à engager des groupes multidisciplinaires dans des projets d'envergure, surtout en architecture, 5. un organisme qui protégerait les auteurs.

[5] Bernard Lévy, "Création: opération "pourquoi"?", Vie des Arts, no. 62, printemps 1971. p. 24. Cet article trace une image assez exacte du groupe Création.

[6] En l967 dans une brochure destinée à promouvoir le rapport entre sculpture et architecture au Canada à l'occasion de l'Expo 67 on pouvait lire, au masculin, l'exaltation de la technologie comme but et non comme outil (c'est l'auteure qui souligne): "Le jeune sculpteur, en effet, renonce à la tour d'ivoire des académies; il est homme, et au lieu de créer des objets de décor, il entend explorer l'esprit et la technologie de son époque", Hugo Mac Pherson, Architecture et sculpture au Canada, Pavillon du Canada, Expo 67. p. 6. Du projet d'un art social particulièrement défendu par Marcelle Ferron, il n'est pas question ici.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 10 mai 2007 10:55
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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