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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Rose-Marie Arbour, Art qui s'engage”. Table ronde organisée par la revue Possibles, 12 mars 1998 à l’occasion d’un numéro intitulé : “art qui s’engage”. [Le 31 décembre 2006, Mme Arbour nous a autorisé à diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, toutes ses publications.]

Rose-Marie Arbour

art qui s’engage

 

Table ronde organisée par la revue Possibles, 12 mars 1998 à l’occasion d’un numéro intitulé : “art qui s’engage”.  

avec J.-P. Lefebvre, Luc Lavallée, 

Communication de Rose Marie Arbour 

 

«Un art qui s'engage» - par rapport à l'expression d'art engagé - insiste sur le mode actif; l'expression souligne l'interaction de l'art avec son environnement culturel et social; il est de ce fait indissociable d'une collectivité et est très souvent issu d'un projet collectif en lien avec un changement social. Je voudrais situer ici la question de l'art qui s'engage par rapport à ce qu'on appelle la crise de l'art contemporain qui sévit depuis plusieurs années, ailleurs et ici, qui est traitée sur tous les tons, trop souvent en rendant coupables les oeuvres de tourner à vide, en tant qu'objets formels, et les artistes qu'on accuse d'être responsables du fossé existant entre le grand public et l'art contemporain. Je considère de tels reproches et accusations contre l'art contemporain partie du débat sur la nature d'un «art qui s'engage». En effet comment peut-on trouver justifiable un «art qui s'engage» lorsque la croyance généralisée veut que l'art soit un lieu d'évasion et de contemplation passive non seulement pour un individu mais pour les foules? 

La crise de l'art contemporain que plusieurs situent à la fin des années 60, a pris une ampleur grandissante jusqu'à aujourd'hui. Cette crise a pour fondement ce qui est nommé impasse de la modernité sur les scènes artistiques et culturelles. Selon les auteurs, elle est dite post-moderne et ce, plus souvent qu'autrement dans le sens négatif du terme. 

Il y eut une liberté certaine pour l'artiste moderne liée à la marginalité sociale qui lui est échue au XIXe siècle, avec le passage d'une société de type aristocratique à une société industrielle et bourgeoise : il invente de nouvelles règles et rejette les anciennes, il se préoccupe de ce qu'il ressent devant le monde pour en faire un sujet inédit, il réinvente des liens avec la vie qu'il veut révolutionner. Il est à l'avant-garde. Il est isolé aussi mais fait partie d'un milieu artistique d'abord restreint. Ce milieu s'est peu à peu consolidé, étendu. Les cercles de l'avant-garde artistique ont fini par tourner à vide après la 2e guerre: et la complexité de la tension entre l'art et la vie a été réduite à un binarisme réducteur selon le modèle offert par le nouvel ordre mondial: l'échiquier politique fut dominé par l'affrontement de deux blocs apparemment monolithiques. 

En art ce binarisme se traduit par l'opposition entre la musique classique vs la musique actuelle, l'art figuratif vs l'art abstrait, la composition vs l'improvisation, la forme vs le contenu, l'art vs le non-art, etc... 

Passons aux reproches fait à l'art contemporain et qui concerne la question que nous abordons ici: 

On a reproché aux années 60 d'avoir mené l'art contemporain à une impasse - celle du modernisme -: entre autres avec l'art minimal (ex les monochromes) qui apparut à plusieurs critiques le pendant de la culture du moi, du subjectivisme à outrance; entre autres avec l'art conceptuel (qui n'avait plus eu besoin de réaliser le projet de l'artiste et s'en tenait à une énonciation verbale ou écrite). On a trop souvent omis de considérer que ces formes d'art étaient alors en opposition au marché de l'art envahissant, le marché qui menace de déterminer à lui seul les valeurs artistiques et esthétiques. La société de consommation est le contexte de tels courants artistiques mais les détracteurs - mais aussi les musées - vont s'acharner à détacher ces oeuvres de leur contexte propre pour les brandir comme des objets vides, des lieux de projection narcissique ou de jeux formels gratuits. 

Continuons sur ces reproches faits à l'art contemporain: 

la subjectivité hypertrophiée, dénuée d'humanité du fait de son repliement sur elle-même Elle aurait réduit la portée de l'oeuvre rendue incompréhensible pour le grand public qui ne possède plus les codes de reconnaissance, et ce, depuis longtemps. On constate aussi que le statut de héros que l'artiste moderne avait détenu, l'artiste post-moderne l'a perdu pour devenir un ange déchu, coupé de sa collectivité et du monde. C'est l'artiste en derviche tourneur. 

On a reproché à l'art contemporain des années 70 la coupure entre l'art et le public: on omet alors le sens radical de nombre d'éléments que les artistes ont réintroduit dans leurs oeuvres: l'intime, l'autobiographique, des questions sociales reliées à la vie privée, à l'identité. Le contenu de l'art est légitimé. La phrase des artistes féministes «le privé est politique» a réintroduit la question éthique en art, a questionné la nature et le rôle de l'artiste, la nature de l'art dans le tout social, le type de lien avec le public. 

Plus généralement, les formes éclatées des oeuvres: performances, installations, environnements, ont établi un rapport nouveau avec le spectateur qui fait dorénavant partie de l'oeuvre. 

Malgré l'option de plusieurs artistes pour mettre en valeur l'interaction art-environnement, une des tartes à la crème contre l'art contemporain est l'accusation d'élitisme: l'art contemporain ne s'adresserait qu'à une élite, à un groupe restreint. 

Or au Québec, des bilans ont été réalisés qui témoignent au contraire de multiples voies amorcées par des artistes et qui établit un lien direct entre l'art et la vie, l'artiste et le public:

dans les années 70, Québec underground- 1962-1972 en 3 volumes faisait ce bilan et participait de l'élan des artistes pour de nouvelles formes d'art dont on pourrait dire qu'il s'engageait - en ce sens que les artistes cités travaillaient en groupe, avaient des préoccupations face à la vie quotidienne en lien avec leur art, cherchait à rejoindre un public élargi. Cette publication ne fustigeait pas ce qui était en voie de se former sous prétexte de chaos: au contraire il y avait un soutien apporté aux artistes dans cet effort même de mise en scène de notre histoire récente. 

Colloques, catalogues livres sur ce rapport art/société y inclus la question des femmes: 

Ces dernières années la publication des deux tomes sur Les arts visuels au Québec dans les années soixante et qui mettent constamment la production artistique comme un agencement en lien avec le contexte social. 

Il n'y a qu'à feuilleter les récentes publications sur l'art actuel produites par la galerie Skol sur les installations, celle publiée par les éditions Inter sur les performances (à l'échelle canadienne) et très récemment celle de Guy Durand, sur l'art comme alternative pour comprendre que l'art conçu non comme objet mais comme élément d'un tout social ont été depuis longtemps une préoccupation de nombreux artistes et de nombreux critiques et historiens d'art qui ne traînent pourtant pas les pieds dans la nostalgie de ce qui fut moderne. 

Mais on continue de parler, dans certains médias et certaines revues spécialisées, de coupure définitive entre l'art et le public: serait-ce l'audimat qui est la véritable question dans ce débat contre l'art contemporain à qui est justement reproché de ne pas être lié au monde? Il est certain que nombre d'oeuvres contemporaines sont difficiles d'accès justement parce qu'elles établissent des liens (formels, expressifs, de contenu) avec notre environnement réel qui lui est difficile à comprendre, à vivre, à orienter. Renoir attire les foules: encore faut-il se demander pourquoi. Il est en effet plus rassurant et exotique pour un foule de gens, de contempler dans un tableau de Renoir, une figure de femme tachetée de soleil. L'art comme évasion vs l'art comme éveil: il me semble qu'une partie de la question est là, dans cette question de «l'art qui s'engage», et de la «crise» de l'art contemporain. 

Je propose une coupe rapide dans l'histoire des arts visuels au Québec, par le biais de quatre artistes ou plutôt de 4 entreprises d'artistes - coupe qui montre une tradition vieille de plus d'un demi siècle de conscientisation par et dans l'art, d'opposition au conservatisme, au repli sur soi, à la consommation inconditionnelle à toutes sortes de niveaux. 

Borduas et Lemoyne, F Larivée
et Fleming Lapointe.

 

Ces artistes ont comme dénominateur commun que l'art a un rôle de conscientisation sociale. Ces artistes ont plusieurs points en commun: chacun est lié à un groupe qui partage sinon le style du moins des aspirations semblables sur les plans artistique et social; le lien entre art et vie, s'il ne constitue pas explicitement le contenu de toutes les oeuvres, est tout de même au coeur de leur projet artistique; c'est en opposition ou en critique d'un contexte social, culturel et politique dominant que leur oeuvre respective s'est élaborée, diffusée; enfin un public élargi est visé. 

Borduas:  

si la forme de sa peinture est nouvelle le contenu concerne l'expression de besoins profonds de l'artiste; dans le contexte de la société d'alors, engoncée dans le conformisme et le carcan de la religion, sa peinture est radicale. Mais ce qui établit un lien direct avec une volonté de changement social, c'est le manifeste qui s'adresse à tous. Borduas et les automatistes sont dans la tradition moderne des avant-gardes sous ce chapitre.

 

Serge Lemoyne:  

à la fin des années 60 et tout au long des années 70 - et il ne s'arrête toujours pas - il a revendiqué, avec d'autres jeunes artistes, un art qui transgresse les hiérarchies disciplinaires, qui s'oppose à la séparation de l'art et de la vie quotidienne tout en poussant les questions picturales à leur limite. 

Borduas et Lemoyne, sont consciemment dans la contitnuité des avant-gardes historiques: le projet artistique moderne dans la forme est en lien avec une volonté de changement social. 

Les choses se présentent différemment avec: 

F. Larivée: en 1976, dans le cadre du célèbre Corridart, (Charney) l'environnement monumental de la CN est présenté à la Place Desjardins. Sur le plan artistique, il y a une rupture radicale avec les normes du modernisme formaliste encore dominant alors: il y référence à l'architecture chrétienne traditionnelle, l'iconographie et le style réfèrent à un monde issu de la publicité et de l'imagerie religieuse quétaine. Si la CN fait la critique des normes qui fondent notre société, elle se pose aussi contre les normes artistiques dominantes.

 

Fleming et Lapointe: 

Une dizaine de projets sur le site d'immeubles publics désaffectés constituent leur oeuvre en commun de 1983 à maintenant. 

J'en rappelle quelques-unes: 

En 1984 dans un acien bureau de poste dans la petite Bourgogne, elles créent un Musée des Sciences où des découvertes scientifiques sont montrées comme issues de l'exploitation du corps des femmes. En1987, le théâtre Corona à St-Henri est rendu provisoirement accessible pour rappeler l'importance de la projection/production imaginaire de sa vie pour pouvoir la changer. 

Ces installations ont toutes pris en charge l'environnement urbain, sa décomposition, celle du tissu social, culturel, économique où se situe l'édifice réapproprié. Ces artistes visent le grand public et font appel à la mémoire des individus afin qu'ils comprennent ce qui se passe dans leurs propres vies. 

Conclusion: 

tenter de cerner un «art qui s'engage» ne relève pas d'un jugement de valeur. 

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Remarques: 

Une remarque sur le phénomène des rejets de l'art contemporain: je dirais que ces rejets se caractérisent par des condamnations et des désignations si générales qu'elles deviennent des faussetés quand elles font l'économie de l'analyse des objets réels et particuliers; plus souvent qu'autrement pour des questions d'argent et de luttes autour des subventions par différents groupes de créateurs. 

Ces accusations sont à l'origine de préjugés commodes qui servent admirablement bien la pensée toute faite et consommable médiatiquement mais aussitôt jetable. Les généralités séduisent à cause de l'impression de savoir qu'elles dégagent et qui ont un effet de pouvoir sur les autres. 

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Autre remarque: travailler sur les limites des territoires habituellement séparés - l'esthétique, les savoirs, l'éthique - est un projet sans fin et habituellement les artistes qui s'y commettent une fois, s'y commettent tout au long de leur pratique d'artiste. 

Autre remarque: l'oeuvre d'art est comme un organisme vivant: elle s'auto-organise i.e. son ordre n'est pas imposé de l'extérieur, par l'environnement mais établi par le système artistique dont elle fait partie culturellement, historiquement. Cela ne signifie pas que l'oeuvre soit isolé de son environnement. Il y a entre eux une interaction qui cependant ne détermine pas l'organisation de l'oeuvre comme entité. 

Ceci étant dit je résume: 

- un art qui s'engage
 
- est relié d'une façon ou d'une autre è une collectivité, à un groupe
 
- prend position par rapport à un fait de société sur un mode actif
 
- le sens de l'engagement d'une oeuvre réside non dans l'oeuvre comme objet mais dans sa relation à un contexte. C'est pourquoi une oeuvre peut perdre ce sens (d'engagement) après un temps. 


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 10 mai 2007 8:58
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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