RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Rachad ANTONIUS, “La polarisation du discours sur l’islam en Occident: éléments d’analyse.” Un texte publié (avec des corrections linguistiques mineures) dans l’ouvrage sous la direction de Micheline Labelle, Jocelyne Couture et Frank W. Rémiggi, La Communauté politique en question: Regards croisés sur le multiculturalisme et l’interculturalisme, pp 145-170. Montréal: Les Presses de l’Université du Québec, 2012, 390 pp. [Autorisation accordée par l'auteur le 23 mai 2014 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

[1]

Rachad ANTONIUS

sociologue, professeur, Département de sociologie, UQÀM.

La polarisation du discours
sur l’islam en Occident :

éléments d’analyse”. *

Un texte publié (avec des corrections linguistiques mineures) dans l’ouvrage sous la direction de Micheline Labelle, Jocelyne Couture et Frank W. Rémiggi, La Communauté politique en question : Regards croisés sur le multiculturalisme et l’interculturalisme, pp 145-170. Montréal : Les Presses de l’Université du Québec, 2012, 390 pp.

1.  Introduction : une polarisation problématique
2.  Les manifestations de la polarisation : des exemples du Québec
3.  Le contexte géopolitique international
4.  Polysémie des symboles : les significations changeantes du voile islamique
4.1. Le cas du niqab : une différence fondamentale

5.  Les paradigmes de lecture
5.2. Les trois sphères de rapports de pouvoir

6.  Conclusion
Bibliographie


1. Introduction.
une polarisation problématique

La présence en Occident de communautés immigrées en provenance de sociétés musulmanes est la source d’un désarroi, qui prend des allures de crise, quant à la place de la religion dans l’espace public. Pour diverses raisons historiques, l’islam a joué un rôle plus important que d’autres religions dans cette situation. Les questions qui touchent à l’islam ont été la source, durant les dix dernières années, de débats plus virulents et de positionnements plus tranchés. On connaît les débats suscités au Québec et en France par la question du hidjab, (voile ou foulard), par celles du niqab [1] (voile intégral cachant le visage) et par les demandes de lieux de prières dans les écoles et les universités. Des questions similaires agitent la plupart des pays européens, y compris l’Angleterre, où des voix se mettent à remettre en question les orientations multiculturelles prises dans ce pays. Sur l’ensemble de ces questions, on constate une polarisation entre une attitude alarmiste qui semble quelquefois exagérée, et une attitude apologétique des pratiques conservatrices, qui semble minimiser ou nier les problèmes liés à l’influence de l’islam radical.

Cette polarisation est source de malaise pour plusieurs raisons. D’abord, de chaque côté du clivage, on soulève dans la position adverse des problèmes réels et des contradictions qui n’ont pas de solution évidente. De plus, cette polarisation ne suit pas les lignes idéologiques classiques, et des acteurs sociaux qui sont proches idéologiquement prennent quelquefois des positions diamétralement opposées. Le malaise est aussi dû au fait que les justifications avancées pour appuyer une prise de position ou pour la contester ne sont pas satisfaisantes, et qu’elles tendent à ignorer certains aspects fondamentaux de la réalité empirique. Les acteurs sociaux qui prennent des positions normatives ou prescriptives sur ces phénomènes les défendent comme s’il s’agissait de prises de position non problématiques. Nous croyons au contraire qu’il faut creuser ce qu’il y a de problématique et de contradictoire dans ces prises de position, dans le but de mieux clarifier les enjeux.

Le présent chapitre vise à explorer les termes du débat sur la place de l’islam dans l’espace public dans les sociétés occidentales, et à comprendre pourquoi cette question sème tant de controverse. Ce faisant, nous tenterons d’identifier certaines impasses conceptuelles, qui découlent des « angles morts » des paradigmes de lecture, c'est-à-dire des aspects du phénomène qui sont difficiles à conceptualiser à partir d’une position théorique donnée. Nous affirmons que certains de ces angles morts sont inévitables, et tenterons d’expliquer pourquoi ils le sont. En particulier, nous voulons examiner les angles morts des approches féministes postcoloniales. Nous avons analysé, ailleurs, les manifestations du discours islamophobe (Antonius, 2002). Nous espérons que le présent texte apportera un éclairage complémentaire, et qu’il contribuera à développer les termes d’une critique de l’idéologie islamiste et des comportements qui en découlent et qui font l’objet de demandes d’accommodements. Cette critique, nous la [2] formulons à partir d’une attitude intellectuelle qui se veut anti-raciste et solidaire des groupes marginalisés par la culture dominante, mais aussi solidaire de ceux qui sont marginalisés par les cultures minoritaires, un point qui sera élaboré plus loin. Nous avons désigné cette attitude intellectuelle par le terme « empathie critique » (Antonius, 2008a).

Nous commencerons par illustrer comment la polarisation dont nous parlons s’est manifestée dans certains débats au Québec. Ensuite, nous soulignerons des éléments du contexte international qui sont pertinents pour notre propos. Enfin, nous proposerons des explications de la polarisation observée et du malaise qui en découle, en regardant de plus près le statut des cultures dites minoritaires, et la polysémie des symboles qui sont au centre du débat.

2. Les manifestations de la polarisation :
des exemples du Québec


Nous allons illustrer la polarisation dont nous parlons en faisant référence aux débats sur le Projet de loi 94, déposé en 2010, et intitulé Loi établissant les balises encadrant les demandes d’accommodement dans l’Administration gouvernementale et dans certains établissements (Assemblée nationale du Québec, 2010). Le projet est plutôt mince, se contentant de soumettre les accommodements qui devraient être accordés aux principes d’égalité des sexes et de laïcité de l’État. Il se réduit essentiellement à trois brefs paragraphes dont le plus explicite (Article 6) est celui qui interdit de donner ou de recevoir des services dans l’administration publique avec le visage voilé. Le gouvernement a mené une consultation générale et des auditions publiques sur ce projet de loi. Ce dernier est problématique à plusieurs égards, et nous ne prétendons pas faire ici une analyse du projet ni des critiques formulées à son endroit. Nous voulons simplement examiner certains éléments importants de la polarisation qui s’est faite autour de ce projet de loi et qui s’est exprimée durant les auditions ainsi que dans l’espace public.

Nous distinguons deux tendances qui sont critiques du projet et qui ont recommandé son rejet, notre critère de démarcation étant la position prise face à la régulation des expressions religieuses dans l’espace public.

Une première tendance – c’est celle qui nous intéresse en premier lieu ici – rejette le projet dans son ensemble ainsi que ses objectifs, refusant d’utiliser l’argument de la laïcité ou de l’égalité des sexes comme argument pour exclure de l’espace public des femmes qui portent le hidjab ou le niqab. Elle attribue les motivations du projet de loi à des calculs électoraux : il s’agirait de séduire un électorat qui devient ouvertement xénophobe et islamophobe, en capitalisant sur la peur engendrée par la présence de l’islam et en jouant la carte identitaire. Cette tendance reproche au projet de viser les femmes musulmanes en particulier et de les marginaliser, tout en favorisant les expressions d’hostilité envers l’islam et les musulmans. Elle reproche au projet de vouloir priver les femmes qui portent le hijab et le niqab non seulement de l’accès aux services publics, mais aussi de la possibilité d’emploi dans le secteur public. Dans ses versions les plus radicales, ce courant accuse les courants féministes laïcs d’être animés par des conceptions xénophobes, sinon racistes.

Ces prises de position sont généralement celles des courants féministes de la tendance postcoloniale, ainsi que celles de certains organismes de défense des droits. Elles sont illustrées par le bref mémoire présenté par l’Institut Simone de Beauvoir de l’université Concordia (Institut Simone de Beauvoir, 2010), ou encore, avec quelques nuances, par le mémoire plus étoffé de l’Association canadienne pour les libertés civiles (2010) [2]. Mais ce sont aussi celles de plusieurs groupes religieux conservateurs minoritaires qui refusent que les expressions religieuses soient écartées de l’espace public. Les mémoires de la Fédération [3] des Canadiens Musulmans, du Forum Musulman Canadien et du Conseil orthodoxe juif pour les relations communautaires du Québec vont dans ce sens.

De l’autre côté du clivage, on retrouve ceux et celles qui appuient la référence aux principes de laïcité et d’égalité des sexes mais qui reprochent au projet de loi de ne pas défendre ces principes adéquatement. Ces tendances ne sont pas contre l’idée d’interdire le hidjab ou le niqab pour les employées des institutions gouvernementales. Mais là, les positions varient grandement en ce qui concerne l’étendue des restrictions jugées souhaitables ou acceptables. L’éventail va de ceux qui souhaitent simplement que les personnes en position d’autorité ou de modèle (juge, policière, professeure) n’aient pas le droit de cacher leur visage entièrement, à ceux qui veulent interdire et le niqab et le hidjab dans tous les services gouvernementaux, tant pour les prestataires que pour les bénéficiaires. Parmi eux, la plupart souhaite que les principes d’égalité des sexes et de laïcité soient affirmés plus fortement, et qu’aucune concession ne soit faite sous forme d’exemptions au principe d’égalité des sexes pour des motifs religieux. Ces courants incluent aussi des ressortissants et surtout des ressortissantes de sociétés arabes ou musulmanes, qui ont vu les conséquences de la montée des courants fondamentalistes dans leur pays d’origine et qui analysent la situation en termes politiques et non seulement en termes de droits individuels.

Ce clivage observé à l’occasion de la consultation sur le projet de loi fait partie d’un clivage plus profond qui s’est exprimé dans l’espace public. Du côté de ceux qui critiquent la référence au principe de laïcité, on retrouve des courants anti-racistes, des associations de défense des droits et des libertés civiles, mais aussi des courants religieux qui militent activement pour un rôle plus visible de la religion dans l’espace public. Ces derniers courants incluent des islamistes et des salafistes [3] qui estiment que le port du voile ou même du niqab est une obligation religieuse, et que celles qui ne le portent pas sont des femmes dépravées. Cette proximité de prises de position entre courants féministes et associations de défense des droits d’une part, et courants conservateurs ou fondamentalistes d’autre part, qui procèdent de philosophies tout à fait opposées, est une source de confusion dans le débat et un signe du malaise dont nous avons parlé.

Du côté de ceux et celles qui mettent de l’avant les principes de laïcité, il y a surtout des courants qui puisent leurs racines dans une tradition républicaine, fondée sur les notions d’égalité des droits pour tous les citoyens, et qu’on peut difficilement accuser de xénophobie ou de racisme. Il y a aussi des courants féministes qui voient dans la laïcité un moyen de lutte aux tendances patriarcales. Mais il y a aussi des courants de la droite nationaliste qui a émergé récemment sous de nouvelles formes, et dont certains se sont radicalisés face à l’islam. Ces derniers se sont braqués sur l’islam en général (et non pas seulement sur ses manifestations fondamentalistes) et utilisent la laïcité comme arme de combat pour dénigrer tout ce qui relève de l’islam [4]. La proximité entre courants féministes en faveur de la laïcité et courants hostiles aux expressions de l’islam dans l’espace public, qui procèdent de philosophies tout à fait opposées mais qui ont des prises de position semblables sur la place de la religion dans l’espace public est, elle aussi, une source de confusion dans le débat et un signe du malaise évoqué plus haut.

La polarisation discutée plus haut se reflète dans d’autres débats concernant la place de la religion dans l’espace public. Par exemple, les débats sur la laïcité ont donné lieu à un manifeste signé par un grand nombre [4] d’intellectuels qui se prononcent pour un Québec pluraliste, et à une déclaration signée elle aussi par un grand nombre d’intellectuels qui réclament plutôt un Québec laïque et pluraliste [5].

Les deux manifestes partent des mêmes principes généraux d’égalité de tous les citoyens, de primauté du droit et de laïcité. Si les signataires diffèrent sur des points importants concernant la gestion de la diversité, les uns adoptant une approche plutôt multiculturelle et les autres plutôt interculturelle, on ne peut déceler de conflit de valeurs fondamental concernant la liberté, la démocratie, l’égalité, etc. Ce sont plutôt les modalités de la mise en œuvre de ces principes qui diffèrent, en fonction des lectures que l’on fait des données empiriques concernant l’émergence du facteur religieux dans les sociétés occidentales, surtout en rapport avec l’immigration.

Mentionnons enfin que cette polarisation et les brouillages qui s’en suivent ne sont pas limités au Québec ni à l’espace francophone. Un débat similaire a été lancé par Susan Moller Okin dans son texte Is Multiculturalism Bad for Women ? (Okin, 1999), dans lequel elle argumente que les politiques multiculturalistes, qui visent à favoriser les droits culturels des minorités, favorisent du même coup la reproduction des cultures patriarcales qui privent les femmes de certains droits [6].

Nous concluons cette section par deux remarques : c’est le principe de laïcité et les modalités de sa mise en œuvre dans l’espace public qui sont au cœur de la controverse, et ce sont spécifiquement les expressions religieuses liées à l’islam qui posent les difficultés les plus grandes (mais qui ne sont pas les seules évidemment). Nous ne souscrivons pas aux opinions qui attribuent ces difficultés exclusivement à une attitude chauvine, ou à de la xénophobie, ou à du racisme, puisque des deux côtés du clivage, on invoque la notion de droits et on la prend au sérieux : une laïcité plus ouverte pour assurer le respect des droits religieux des minorités d’un côté, et de l’autre, une laïcité plus stricte pour assurer à tous une jouissance égale de ces mêmes droits sans que certains n’empiètent plus que d’autres sur l’espace public. Nous croyons plutôt que la controverse résulte de deux facteurs : l’existence d’angles morts dans les paradigmes de lecture (eux-mêmes dûs au contexte international changeant) ainsi que d’un certain « brouillage » des catégories et des symboles. Ce brouillage résulte de la nature complexe et changeante des symboles religieux, en particulier en ce qui a trait à l’islam. Par ailleurs, ni le projet de loi lui-même, ni les mémoires qui remettent en question le principe de laïcité, ne font la distinction entre le hidjab et le niqab, traités identiquement sous la catégorie « signes religieux ». Ensuite, les manifestations de la religion dans l’espace public prennent un sens différent lorsqu’on prend en considération le contexte international dans lequel les expressions publiques de l’islam ont pris la forme qu’elles ont en ce moment. Nous allons examiner cette question à présent.

3. Le contexte géopolitique international

Les flux démographiques des dernières décennies, tant en Europe qu'au Canada, ont remis en question la façon dont les sociétés occidentales se définissent culturellement. Depuis que les législations de ces pays ont été transformées pour en diminuer le caractère discriminatoire dans le choix des futurs immigrants, il a été possible d'accueillir un nombre plus grand d’individus venant de cultures fort différentes. Comme dans le passé, ces flux migratoires ont quelquefois été perçus comme un danger. Maintenant, c'est l'islam qui est perçu comme le danger. Mais contrairement aux situations précédentes, les flux migratoires en provenance des sociétés musulmanes présentent des caractéristiques spécifiques concernant la place de la religion dans l’espace public.

[5]

La période contemporaine dans le monde arabe a été marquée par une lutte idéologique intense entre deux grandes tendances. La première définit l’identité collective en référence à la nation et à la culture. Nul groupe religieux n’a alors de préséance de principe sur les autres à l’intérieur d’une même nation [7]. C’est cette tendance qui a été dominante durant l’ère des indépendances qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale. La mise en échec des courants nationalistes, surtout par les puissances coloniales (mais aussi à cause de facteurs internes à ces sociétés) a favorisé une deuxième tendance, celle qui fonde l’appartenance collective sur l’adhésion à un dogme religieux, dans ce cas l’islam. C’est cette tendance – et en particulier ses composantes les plus conservatrices – qui est aujourd’hui dominante dans les sociétés civiles arabes et dans certaines sociétés à majorité musulmane [8]. Or le rapport de l’islam politique à la modernité occidentale est problématique, en partie à cause des effets de la domination coloniale qui a handicapé les processus de modernisation ancrés dans la culture locale. En conséquence, l’islam conservateur est revendiqué dans de nombreuses sociétés islamiques comme fondement moral de la société, et comme cadre de référence normatif des comportements individuels, en opposition aux valeurs dites « occidentales ». La notion de sahoua islamyya (réveil islamique) est affirmée comme réalité empirique par de nombreux observateurs, et revendiquée par ses acteurs, qu’ils soient de tendance libérale, conservatrice ou autre [9]. L’identité islamique est revendiquée dans les sociétés musulmanes dans ses dimensions tant culturelles que politiques, et les comportements jugés compatibles avec cette identité sont établis en fonction du dogme religieux. Ce dogme étant considéré absolu, il entraîne des prises de positions rigides puisque la référence et la justification de ces prises de position sont considérées absolues et éternelles, donc non négociables. Une des stratégies des courants conservateurs a consisté à faire passer un certain nombre de pratiques culturelles comme le hidjab dans la catégorie des injonctions absolues [10]. Ce sont les retombées de ces phénomènes qui sont une des sources des dilemmes auxquels font face les sociétés occidentales.

Trois aspects particuliers qui sont en lien avec ce réveil islamique méritent d’être soulignés. Le premier est à l’effet que ce sont les revendications issues de l’islam le plus conservateur, et quelque fois radical, qui ont déterminé les enjeux des débats en situation de migration. Le débat sur le voile intégral en est un exemple. Or ce courant est minoritaire parmi les communautés musulmanes, mais c’est le plus visible. Cet aspect est une conséquence de la montée des courants conservateurs et de leurs répercussions parmi les minorités musulmanes en occident. Bien que ces revendications ne proviennent que de groupes minoritaires parmi les musulmans en Occident, elles affectent la dynamique entre les musulmans en général et les sociétés non musulmanes. Elles ont un impact décuplé par rapport au poids démographique réel des groupes qui les portent.

Le deuxième aspect est que les revendications religieuses minoritaires reliées à l’islam ne concernent pas seulement les comportements individuels, mais elles affectent directement la définition même de l’espace public et des règles du vivre ensemble. La satisfaction de certaines des demandes d’accommodement supposent bien plus que de [6] petits ajustements à faire pour des cas isolés. Ces demandes nécessitent la mise en place d’infrastructures, ou la modification de procédures institutionnelles. C’est le cas des demandes de lieux de prière dans les écoles et les universités, par exemple. En remettant des pratiques religieuses au cœur de l’espace public, c’est la définition même de l’espace public qui est remise en question.

Le troisième, enfin, est à l’effet que la montée de l'islam comme pôle identitaire minoritaire dans les sociétés occidentales a coïncidé avec la montée de l'islam à l'échelle internationale comme force politique de contestation des nouvelles formes de colonialisme. La cooccurrence, pour ne pas dire la convergence, de ces deux formes de contestation de l'hégémonie occidentale, de l'intérieur et de l’extérieur, a provoqué des réactions alarmistes [11]. En fait, nous affirmons que la contestation du système de l’intérieur a acquis une signification politique en grande partie à cause de sa contestation simultanée de l’extérieur.

Ces trois facteurs ont eu un impact sur les débats concernant la gestion de la diversité car la satisfaction des demandes d’accommodement, dans ce contexte, remet en question des acquis historiques qui touchent à la définition même des sociétés occidentales, à certains de leurs fondements normatifs et à la conception de l’espace public qui a résulté de longues luttes pour l’affirmation de l’individu et pour la séparation de la religion et de la politique. En conséquence, des craintes ont été exprimées à l’effet que l’identité des sociétés occidentales était remise en question par des processus qui relevaient d’autres espaces politiques et sur lesquels ces sociétés n’avaient aucune prise directe [12].

La complexité des processus historiques dont nous parlons est en partie responsable des controverses sur la façon d’aborder la question de la gestion de la diversité ethno-religieuse et surtout sur les arguments développés en faveur ou contre les diverses prises de position. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu une instrumentalisation des difficultés par des forces sociales diverses : les peurs identitaires ont effectivement été attisées par une couverture médiatique sensationnaliste, orientée d’une part par des choix de marketing, et d’autre part par des visions idéologiques, des représentations dominantes et des intérêts politiques qui désignaient les musulmans comme un danger (Antonius, 2008b ; Potvin, 2008). Cette situation a favorisé l’expression publique de visions ouvertement racistes sur les musulmans, surtout durant les audiences publiques de la Commission Bouchard-Taylor, ce qui a pu légitimer, par la suite, d’autres manifestations de racisme ou d’hostilité envers les musulmans et l’islam.

En résumé, les phénomènes observés ici en rapport avec l’islam et l’espace public ne peuvent être interprétés correctement que si on les met en lien avec le contexte des sociétés d’origine. Mais leur nature changeante a entraîné une autre difficulté, celle de la polysémie des symboles religieux.

4. Polysémie des symboles :
les significations changeantes
du voile islamique


Un aspect important des prises de position concernant les expressions religieuses dans l’espace public dépend des significations que l’on donne à ces expressions. Or elles sont polysémiques et ne se laissent pas circonscrire par une seule signification. Le hidjab en est un exemple. Son usage relève parfois de logiques fort différentes, voire opposées. Nous attribuons cette apparente incohérence aux rapports malaisés entre culture islamique traditionnelle et modernité, en particulier pour ce qu’elle signifie pour l’émergence de l’individu, qui se conçoit comme autonome de la culture dans laquelle il a été socialisé.

[7]

Le hidjab, ou voile [13], a été responsable de controverses interminables et il est devenu l’expression par excellence de l’altérité islamique (mais il est en voie d’être surpassé par le niqab, le voile intégral qui cache le visage et quelquefois les yeux). Nous allons insister dans ce qui suit sur le changement des significations sociales du voile, car il est un des phénomènes qui contribuent au brouillage des termes du débat.

Deux types de discours encadrent la discussion du phénomène contemporain du voile dit « islamique », qui était inconnu il y a quarante ans dans les milieux urbanisés arabes. D’une part, il est perçu par certains comme étant le symbole de l’islam radical qui confine les femmes dans une position subalterne, ou du moins comme un symbole religieux. Cette interprétation est soutenue par les textes religieux qui justifient le hidjab et par le discours dominant qui l’accompagne. Un discours opposé présente le port du hidjab comme étant un acte d’autonomie, celui des femmes musulmanes qui vont chercher dans leur culture religieuse des significations nouvelles, et les moyens d’une présentation de soi qui affirme leur dignité. Dans les secteurs conservateurs de leurs sociétés d’origine, elles n’ont pas toujours le choix de le porter ou pas. Selon cette perspective, même quand il est imposé par la pression sociale, le port du hidjab leur ouvre les portes de la mobilité physique et sociale, puisque, parées de cette image de respectabilité et de vertu, elles peuvent désormais aller seules à l’université, au travail, ou circuler ailleurs dans l’espace public [14]. En situation de migration, ce comportement constitue aussi un retournement du stigmate dont les musulmans et les musulmanes font l’objet, une affirmation de la dignité et de l’identité, ou simplement un repère identitaire dont on ne veut se départir au moment où l’acculturation menace l’équilibre intérieur des individus et des communautés (Hoodfar, 2001 et 2003).

L’approche juridique des questions d’accommodement a été marquée par la sacralisation de ce comportement : pouvant être motivé par des croyances religieuses sincères, il devient en quelque sorte non négociable. On peut refuser à une femme qui a un look « punk » ou « gothique » un emploi dans un service de relations publiques, par exemple, où elle est l’interface entre une entreprise et ses clients, et il est peu probable qu’elle demande un accommodement qui tienne compte de ses goûts vestimentaires. Par contre, l’interprétation dominante de la Charte canadienne des droits et libertés est à l’effet qu’on ne peut refuser cet emploi à une femme qui souhaite porter le voile si elle affirme que, pour elle, ce comportement est une injonction religieuse. La liberté de conscience est non seulement celle de croire ou de ne pas croire, mais aussi celle d’agir en public en fonction de ses croyances.

Ce qui donne de l’importance à cette question est que le voile ne se réduit pas à un choix vestimentaire : il est accompagné de valeurs et de visions du monde qui, bien que diverses et changeantes, trouvent leur origine dans une conception plutôt rigide du dogme religieux, et dont certaines nécessitent des accommodements aux règles qui régissent le fonctionnement habituel des institutions en Occident. Par exemple, après avoir été engagée dans un restaurant, une femme voilée pourrait refuser de servir du vin aux clients puisque cela irait à l’encontre de ses croyances (ceci s’est effectivement produit). C’est le comportement associé au port du voile, plutôt que le voile lui-même, qui a été à l’origine des prises de position hostiles à l’endroit de celles qui le portent. Mais par la suite, le voile est devenu le symbole de ces comportements et il a fini par être tellement [8] associé à des images négatives, qu’il déclenche chez certains citoyens des réactions viscérales d’hostilité, comme on a pu le voir durant les audiences de la Commission Bouchard-Taylor.

Le problème est que les diverses significations attribuées au port du voile peuvent être toutes vraies. Actrices de processus historiques en pleine transformation, les sociétés islamiques peuvent héberger, à divers moments ou même simultanément, l’une ou l’autre de ces significations. À un même moment, des femmes différentes peuvent effectuer le même choix en lui donnant des significations opposées, en fonction de leurs trajectoires individuelles, de leur statut, de leur classe sociale, etc. Une même femme peut le porter à un moment donné, mais cesser de le faire par la suite, ou le contraire. C’est là une des sources du brouillage de sa signification.

Mais quelle que soit la signification qu’on lui donne, le fait de porter le hidjab résulte d’une injonction religieuse, ce qui limite un peu l’éventail possible des interprétations. Le discours religieux conservateur sur le voile est fondé sur deux stratégies rhétoriques : il insiste d’abord sur l’opinion que le port du voile est une injonction claire dans le Coran, confirmée par les Hadith (paroles et faits de la vie du prophète codifiés bien après sa mort), et donc une obligation. Déroger à cette obligation signifie qu’on est une femme aux mœurs douteuses et qu’on s’expose à l’enfer. C’est ce que le discours religieux conservateur martèle avec insistance. Ce discours insiste sur le fait que celles qui ne portent pas le voile, désignées par le terme péjoratif de mutabarrijat (traduction : celles qui montrent leur beauté de façon ostentatoire et provocante) sont des femmes de mauvaise vie, dépravées, et qui iront certainement en enfer [15]. Il est utile de souligner ici que les penseurs de l’islam contemporain ne considèrent pas tous le voile comme une injonction religieuse. Par exemple, Gamal Al Banna, frère du fondateur de la Confrérie des Frères musulmans, Hassan Al Banna, ne considère pas que le voile est une obligation religieuse (Banna, 2002). Ses livres sur la question ont subi la censure des autorités religieuses d’Al Azhar, mais on les trouve quand même sur le marché.

Le voile contemporain a donc été, depuis le début des années 1970, un étendard de l’islamisme conservateur, voire radical. Là où ce mouvement a pu s’exprimer sans entraves, ses partisans ont réussi, avec l’aide des pétrodollars saoudiens, à le vendre comme une obligation religieuse fondamentale (certains critiques diraient : à le traiter comme s’il s’agissait du sixième pilier de l’islam !). Il a été adopté d’abord dans les classes défavorisées en Égypte. Une fois la pratique bien établie dans les classes populaires, et une fois qu’elle est devenue le symbole de la vertu et de la modestie, ce symbole a été récupéré par les classes montantes pour démontrer que leur nouvelle richesse était conforme aux injonctions morales de l’islam et fournir ainsi une certaine légitimité à leur position sociale. Le phénomène s’est propagé quelques années plus tard en Algérie, au Maroc et en Tunisie. Ce sont donc des processus sociaux (que nous n’analyserons pas ici) qui ont propagé la conviction qu’il s’agissait d’une obligation religieuse non négociable. Il a alors été adopté de façon majoritaire, et est passé, du coup, de symbole d’une vision islamiste à symbole d’identité islamique [16]. De ce point de vue, la bataille du voile est temporairement perdue pour les courants laïcs : il n’est pas facile de contester un comportement qui a acquis l’approbation de la majorité, et qui de plus est sacralisé par cette majorité, qui le considère comme une manifestation de piété, souvent considérée comme obligatoire. Même en situation de migration, la pression pour le porter [9] peut être forte. Quand elle s’exerce, il est difficile de la contester sans faire de rupture. Or l’appui de la communauté est importante, quand on est nouvellement immigrée. Les enquêtes terrain sur ce sujet souffrent d’un biais inévitable, pour la raison suivante : celles qui le portent par choix, avec le consentement de leurs parents ou contre leur opinion, auront tendance a affirmer que c’est leur choix. Mais celles qui choisissent de se conformer pour ne pas causer de rupture avec leur communauté ne peuvent pas l’admettre publiquement, puisque une telle admission constituerait une rupture et entraînerait des conflits avec leur milieu social immédiat. De temps en temps des exemples émergent et deviennent difficiles à cacher, comme l’a montré le meurtre d’une adolescente à Mississauga (Ontario) en 2007, Aqsa Parvez, qui refusait de porter le hidjab et que son frère et son père ont assassinée essentiellement pour son refus de se conformer [17].

Mais considérons aussi ce que le voile est devenu à présent, maintenant que la majorité dans la plupart des sociétés islamiques l’a adopté. À côté de celles qui lui attribuent les significations et les fonctions suggérées par les courants islamistes conservateurs, on voit de plus en plus de femmes qui en changent tant la pratique que les significations. Porté en couleurs harmonisées avec le reste des habits, griffé, accompagné d’épingles ou de broches recherchées, porté sur des habits étroitement ajustées, des femmes, surtout les jeunes adultes, en ont fait un outil de séduction, y compris dans les classes populaires. Leurs comportements sociaux dans l’espace public, leurs visions de l’égalité, leur attitude face au travail, à la science ou au sport ne les distinguent pas beaucoup de leurs amies non voilées. C’est au niveau de leur identité première qu’elles en diffèrent.

Entre ces deux tendances polarisées, une certaine banalisation a eu lieu. Le hidjab est devenu « normal », le simple signe d’une respectabilité ancrée dans la culture locale, justifiée par la croyance que c’est une obligation religieuse, peut-être sans signification particulière autre que celle de ne pas vouloir être différente de la majorité des femmes d’un milieu social donné. La divergence de ce comportement « par défaut » est rare dans les milieux populaires, moins rare parmi la bourgeoisie. Cette normalisation varie aussi selon les pays : le processus est bien établi en Égypte, de plus en plus en Algérie et au Maroc, un peu moins en Tunisie, etc.

Ainsi, après avoir été l’étendard de l’islam conservateur, le voile peut être aussi perçu comme le symbole d’un renouveau islamique ouvert sur le monde, d’une modernité qui ne rompt pas avec son ancrage culturel. Son port est un acte de modestie, certes, et une manifestation de piété, mais il peut très bien se conjuguer avec un large éventail de comportements sociaux. Dans le cas où l’islam est minoritaire, comme en situation de migration, il peut être aussi un symbole de respectabilité sociale aux yeux des autres musulmans considérés comme constituants le groupe de référence, et comme symbole de dignité et de fierté de l’identité religieuse, voire comme affirmation identitaire relevant d’une dynamique de retournement du stigmate. Son port peut devenir alors un acte libérateur et d’affirmation qui a une fonction de renversement du rapport de pouvoir symbolique entre la majorité et les communautés musulmanes minoritaires (Hoodfar, 2001 et 2003). Cette signification que peuvent lui donner des individus n’est évidemment pas contradictoire avec son usage politique.

Ces deux aspects du phénomène du voile, et leurs nombreuses variantes, existent simultanément. Il n’est donc pas possible de déterminer la « vraie » signification du voile puisqu’il n’y en a plus une seule : il peut signifier l’une ou l’autre de ces choses. Les courants hostiles au port du voile qui veulent l’interdire dans la fonction publique peuvent se baser sur une réalité sociale et historique et sur le [10] discours des courants conservateurs qui en font la promotion pour fonder leurs interprétations. Ils trouveront aisément dans la littérature islamiste de quoi confirmer leur positionnement. Ces courants existent aussi dans les sociétés islamiques et regroupent de nombreux immigrants musulmans. Les courants qui le revendiquent (pour eux-mêmes ou pour d’autres) comme un choix volontaire, assumé, et qui n’est pas perçu comme étant contradictoire avec les valeurs de la République, peuvent le faire également, et ils trouveront eux aussi, dans la réalité sociale et dans le discours de certaines femmes voilées de quoi appuyer leurs interprétations. Ceci est possible car le voile est avant tout un symbole.

Et pour compliquer le tout, les courants qui veulent en faire une obligation religieuse, qu’ils imposent lorsqu’ils sont en situation de pouvoir, le revendiquent comme un choix individuel lorsqu’ils sont en minorité, mobilisant un discours fondé sur les droits pour changer le rapport de force en faveur d’une idéologie qui ne reconnaît pas ces mêmes droits. Ceci complique encore plus l’interprétation du phénomène, et fournit un exemple éloquent de la « description dense » dont a parlé Clifford Geertz à partir de son travail de terrain au Maroc. La difficulté, mentionnée par Geertz à titre d’illustration, de distinguer un clignement d’œil instinctif, un clignement d’œil intentionnel pour communiquer quelque chose, et une parodie de clignement d’œil vient à l’esprit dans ce contexte (Geertz, 1998 : 2).

Il s’en suit que le fait de porter le hidjab peut se combiner avec un large éventail de comportements sociaux et de conceptions du monde. On peut choisir d’ignorer sa signification sociale et politique, et le considérer uniquement comme un choix individuel. D’aucuns argumenteront qu’il n’est pas nécessaire de mettre la moindre restriction au port du voile dans les institutions publiques, estimant que toute législation dans ce sens est une intrusion indue de l’État dans l’intimité des pratiques vestimentaires des femmes « subalternes », et qu’elle relève d’une vision raciste de supériorité « blanche » sur les femmes « de couleur ». Le paradoxe est que sa non régulation entraîne d’autres conséquences – certains diront bien plus graves – sur les dynamiques des rapports entre groupes dans l’espace public et sur la définition même des règles qui organisent le vivre ensemble. Non pas à cause du symbole lui-même, mais à cause des comportements qui peuvent l’accompagner. Toute politique concernant le voile, y compris celle de n’y voir qu’un simple vêtement qui ne concerne que celles qui le portent, comporte donc des « angles morts » qu’il convient d’explorer.

4.1 Le cas du niqab : une différence fondamentale

Cette diversité des significations est moins grande pour le niqab, et dans ce cas il est beaucoup plus facile de démêler les enjeux. Le discours salafiste qui le promeut est plus clairement associé à l’intolérance et au dénigrement de l’altérité, et quelquefois à un discours haineux envers les non-musulmans et les musulmans non salafistes [18]. Il est aussi associé à la délimitation du rôle social des femmes et de leur responsabilité dans la sphère privée, sauf pour ce qui concerne la défense et la propagation de l’islam. La pratique est issue originellement du système tribal de la péninsule arabe, où les femmes ne doivent être reconnues dans l’espace public que comme membres du harem d’un homme, et c’est là son sens le plus central. Elle a été popularisée dans l’ensemble du monde arabe depuis une trentaine d’années par l’émergence du wahhabisme, qui est la version officielle, en Arabie Saoudite, de l’islam rigoriste.

Sa transformation en simple manifestation de piété, qui peut se combiner avec un rôle social actif pour les femmes, reste théoriquement possible, cependant (Mahmood, 2005), même si elle est plus ardue et certainement plus artificielle. N’étant pas considéré comme une obligation religieuse, il est [11] difficile de l’imposer aux femmes qui ne voudraient pas le porter. En conséquence, le voile intégral est le plus souvent un choix assumé, surtout en contexte d’immigration. Ici, loin des structures répressives qui l’imposent contre le gré des femmes, c’est souvent sans coercition directe qu’elles l’adoptent, et qu’elles en font quelquefois un moyen de recherche spirituelle ou d’affirmation identitaire, ce qui n’exclut pas du tout qu’il fasse partie d’un mouvement de prosélytisme. Il peut alors, dans de rares cas, se combiner avec des trajectoires professionnelles diverses, y compris des études universitaires aux cycles supérieurs. Même si cette coupure reste exceptionnelle et qu’elle s’inscrit généralement dans une logique de militantisme islamiste, et même si le port du niqab est bien ancré dans un discours très conservateur qui est dénigrant pour les femmes, elle permet de défendre l’idée que le niqab n’est pas automatiquement associé à un rôle subalterne pour les femmes. Cela permet à certains courants théoriques, surtout associés au féminisme postcolonial, de voir toute tentative de réguler son usage comme de l’intolérance, voire du racisme, car il est toujours possible de trouver un contre-exemple qui remet en question l’analyse proposée de la signification du niqab.

Mais même comme choix assumé, son interdiction chez des fonctionnaires des institutions publiques n’entraîne pas les mêmes controverses. On peut argumenter de la nécessité de ne pas le permettre chez les agents de l’État non pas en évoquant la position subalterne des femmes qu’il suppose, mais en invoquant le respect pour ceux à qui on s’adresse en se cachant le visage alors que les interlocuteurs sont « découverts ». Il faut souligner que le niqab est fondamentalement différent du hidjab en ce qu’il cache ce qu’il y a de plus distinctif chez l’être humain : le visage, qui est le moyen par excellence de l’expression humaine. Est-ce un biais culturel de l’affirmer ? L’assumer, en tant que société, ne consiste pas en un dénigrement de l’altérité. L’affirmer ne signifie pas un rejet de tout ce qui se rapporte à l’Islam, mais un rejet d’une idéologie particulière, qui est marginale dans le temps et dans l’espace de la culture musulmane. Dans ce sens, l’interdiction du port du niqab par les fonctionnaires des services publics ne pose pas autant de controverse que le hidjab. Ceci n’a pas empêché certaines associations de considérer que toute réglementation en ce sens relève du racisme. Nous croyons que cette prise de position est fondée sur une conception des rapports entre la majorité et ses minorités qui comporte des angles morts, que nous voulons examiner à présent.

5. Les paradigmes de lecture

Comment se fait-il que des courants de pensée qui partagent en gros les mêmes orientations normatives se retrouvent dans des positions opposées sur des questions spécifiques concernant la place de la religion dans l’espace public ? Il nous semble qu’on ne peut ramener toutes les divergences à des divergences idéologiques. Les polarisations que nous avons évoquées et les rapprochements inusités qui en résultent révèlent une difficulté plus profonde, celle que nous formulons à l’aide du concept d’« angles morts » des paradigmes de lecture de la situation. Les angles morts des paradigmes de lecture sont des éléments théoriques ou empiriques difficiles à intégrer dans un paradigme donné parce qu’ils entrent en contradiction avec d’autres éléments du même paradigme. La nécessité de penser les polarisations dans ces termes vient du fait que les arguments présentés par les divers acteurs, dans les controverses évoquées plus haut, nous semblent en général bien articulés et font preuve de cohérence interne. La cohérence interne est rendue possible par le fait que la source d’incohérence est gardée à distance. Les aspects de la situation empirique qui sont plus difficiles à intégrer sont simplement ignorés.

Nous formulons l’hypothèse que chacune des approches prises par les acteurs sociaux laisse des angles morts, découlant des paradigmes qui structurent la lecture des réalités empiriques. Un aspect particulier, empirique, de cette hypothèse peut être formulé comme suit : [12] l’angle mort des approches postcoloniales est le caractère de discours majoritaire de certaines des revendications qui sont portées par des groupes minoritaires. En d’autres termes, des groupes minoritaires peuvent être porteurs d’une culture dont la logique profonde est celle d’une culture majoritaire. Les revendications qui en découlent ne sont pas perçues comme émanant d’un discours majoritaire, justement parce qu’elles sont portées par des groupes minoritaires qui vivent, par ailleurs, des processus de marginalisation partielle. Si nous avons spécifié les approches postcoloniales, c’est que la notion de « groupe subalterne » y est centrale, mais cet angle mort est commun à plusieurs courants qui prennent la défense des pratiques les plus intégristes en fondant leurs justifications sur l’aspect minoritaire, voire marginalisé, de ces pratiques dans les sociétés occidentales.

Cette hypothèse s’applique particulièrement non pas à l’islam, mais bien à l’islam politique, c'est-à-dire aux courants qui visent à mettre la normativité religieuse, surtout dans ses versions les plus conservatrices, au cœur des processus politiques. Les revendications qui en découlent ne font pas partie de pratiques culturelles en cours dans les sociétés arabes actuelles, mais bien de nouvelles pratiques, actualisées à partir d’anciennes traditions, qui ont été portées par les courants de l’islam salafiste, et qui visent à instaurer un ordre social contraignant pour tous, où l’espace public est régi par des normes religieuses. Tous les courants de l’islam politique réclament que la chari’a soit le fondement de l’ordre social, et que ses injonctions soient imposées par l’État. Une injonction religieuse sous-tend cet objectif : al nahyy ‘an al munkar, wal amri bil ma’rouf (la dissuasion de ce qui est détestable, et l’injonction à obéir à ce qui est vertueux). L’objectif explicite de la prise du pouvoir souhaitée par ces courants est l’imposition de cet ordre social par l’État à l’ensemble de la société. Les États qui ne le font pas sont considérés comme des États impies, apostats, ou simplement non musulmans. C’est dans le cadre de cette nouvelle culture politique qu’un certain nombre de comportements ont été promus par les courants islamistes, incluant une pratique religieuse ostentatoire et des signes visibles qui démarquent les musulmans des autres.

Ce discours majoritaire ne trouve évidemment pas sa logique dans le contexte canadien. Le port du niqab n’est pas un produit de la société canadienne, ni de la société québécoise, ni dans leurs tendances majoritaires ni minoritaires. Ce sont les courants de la droite islamique qui proposent la culture dont le niqab fait partie, de la même façon que les courants chrétiens fondamentalistes produisent une culture de domination dans ce qu’on appelle le « Bible Belt ». Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’une logique de société majoritaire qui exclut, marginalise, et stigmatise ceux et celles qui ne se conforment pas à ses injonctions, sacralisées par référence à la religion. Car le seul fait, pour quelqu’un qui fait partie du groupe, de ne pas se conformer remet en question le caractère obligatoire de se conformer à une pratique donnée. Il est important de souligner que le port du niqab qui se généralise de plus en plus dans les sociétés arabes est porté par un discours qui réclame l’imposition par l’État des comportements qu’il propose. L’État est déclaré « apostat », kafer, infidèle, quand il n’impose pas les règles les plus strictes. Or l’existence de minorités, dans les sociétés arabes et musulmanes, qui ne sont pas tenues de respecter les injonctions proposées par les courants islamistes remet en question le caractère obligatoire de ces injonctions. Il devient donc nécessaire, si on veut qu’un comportement tel que le hidjab ou le niqab devienne populaire, d’étiqueter ceux et celles qui le contestent comme étant « autres », différents, et de stigmatiser cette différence. Dans le discours salafiste, ces autres sont les chrétiens, les juifs, les musulmans de tendance laïque, etc., mais aussi les musulmans chi’ites [19].

[13]

C’est tout cela qu’il y a derrière l’apparition récente, dans les sociétés arabes urbanisées, d’un phénomène tel que celui du niqab et des revendications qui en découlent en Occident [20]20. Mais, transposée en situation de minoritaire, cette logique disparaît. Elle devient un angle mort des approches fondées sur les droits individuels ou encore sur la notion de culture subalterne qui est portée par certains immigrants marginalisés.

Ce que ces remarques signifient, c’est qu’une lecture politique des revendications de type religieux conduit à les voir comme un élément d'une affirmation politique qui a pour effet [21] d’instaurer des espaces où les règles de l’État laïc ne s’appliquent pas, ce qui devient possible si une mobilisation se fait autour de ces revendications. Celles-ci deviennent alors autorisées à la faveur de rapports de pouvoir modifiés en faveur des demandeurs. Donc, à partir d’un paradigme républicain, on peut reprocher aux approches fondées sur le droit individuel absolu le fait que la reconnaissance sans balises du droit à la différence entraîne une différence des droits (Geadah, 2006). Un paradigme « républicain » serait hostile à une telle éventualité, mais il pourrait lui-même entraîner une situation où des droits individuels pourraient être sacrifiés au nom du bien commun. C’est dans la façon dont ce dilemme là est résolu que se trouve en grande partie la différence entre les approches française et canadienne de la gestion de la diversité.

Les remarques qui précèdent ont, ici, le statut d’hypothèses dont nous avons illustré la plausibilité. Pour les confirmer et les approfondir, il faudrait appliquer la méthode utilisée par le courant des études postcoloniales à la pensée salafiste qui produit le niqab, considérée comme pensée majoritaire dans son contexte social. En tournant le regard vers ces cultures majoritaires là-bas, transposées en situation subalterne ici, les travaux de Golberg (1993) ou de Razack (2008) peuvent alors devenir extrêmement éclairants et déconstruire les processus d’affirmation hégémonique qui les sous-tendent. Sherene Razack nous dit que les discours de défense des valeurs cachent les hiérarchies qu’ils expriment (Razack, 2008, p. 8) [22]. Nous souscrivons. Mais cette remarque s’applique avec beaucoup plus de pertinence au discours islamiste qui est fondé non seulement sur une défense des valeurs, mais sur un plaidoyer pour les imposer de force à tous les individus, de préférence par l’État, par le biais de la législation, appuyée par des milices chargées de la coercition comme on en voit dans les sociétés où les courants islamistes sont au pouvoir.

Mais on pourrait faire une analyse qui part de prémisses inverses, et qui examinerait de façon critique les paradigmes qui se centrent sur la valeur de symbole politique des signes religieux, pour faire ressortir leurs angles morts. On pourrait alors faire ressortir l’appropriation active de ces symboles par les individus, qui en transforment les significations. Les sociétés arabes et musulmanes n’étant ni monolithiques ni statiques, et vivant, au contraire, des processus vigoureux de transformation, de contestation, et de contre-réforme, les différentes significations de ces phénomènes sociaux sont possibles simultanément. Ceci complique leur régulation en situation de migration car l’une des tendances suppose, comme nous l’avons dit plus haut, une redéfinition de l’espace publique et une remise en question des normes courantes du vivre-ensemble, dans un sens qui va à l’encontre des victoires chèrement acquises, au bout de longues luttes d’émancipation des individus des carcans religieux traditionnels.

Cette situation met en lumière ce que nous appelons l’« incomplétude normative » des [14] philosophies politiques de gestion de la diversité : à partir des valeurs dominantes dans la société québécoise, il n’est pas possible de trancher clairement comment se positionner par rapport aux difficiles questions posées par l’émergence des symboles religieux dans l’espace public. La neutralité de l’État, codifiée ou non dans une charte éventuelle de la laïcité, est une valeur généralement acceptée et qui découle en partie des Chartes de droits canadienne et québécoise. C’est en vertu de ces principes que l’on demande à un conseil municipal de ne pas faire de prière (catholique) avant ses réunions. Mais comment régler alors le cas d’une policière ou d’une juge qui voudrait porter le hidjab ? L’interdire serait une violation de sa liberté de conscience, le permettre serait une reconnaissance d’une normativité autre que celle de l’État par des personnes en position d’autorité. La loi électorale ne prévoyait sans doute pas qu’il viendrait l’idée à quelqu’un de vouloir se présenter à un bureau de vote avec le visage entièrement caché. Il n’y a donc pas d’interdiction en ce sens. Le préciser est-il un signe d’islamophobie, ou une exigence de civilité ? Sur un certain nombre de questions similaires, la réponse n’est pas évidente, à partir des grands principes qui font consensus dans les sociétés canadienne et québécoise.

Notre conclusion est à l’effet que les politiques de gestion de la diversité ne peuvent pas protéger simultanément tous les droits qu’elles souhaitent promouvoir. Les systèmes normatifs dans le cadre desquels nous fonctionnons sont incomplets, dans le sens qu’ils ne déterminent pas de façon non ambiguë l’issue de certaines questions fondamentales qui se posent à nous. Comment expliquer cette situation ? Nous terminerons ce texte avec une proposition explicative, énoncée brièvement ici mais qui devra être développée ailleurs, celle de l’interaction de trois sphères de rapports de pouvoir dont chacune subit directement les effets des deux autres sans avoir de prise directe sur les grands facteurs qui structurent ces autres sphères.

5.2. Les trois sphères de rapports de pouvoir

Les rapports des sociétés qui se réfèrent à l’islam avec l’altérité se déclinent dans trois sphères différentes, qui ont chacune leur logique propre : a) la sphère des rapports entre les minorités musulmanes issues de l’immigration et les autres composantes sociales ou religieuses (majoritaires ou autres minorités) dans les sociétés occidentales ; b) la sphère des rapports coloniaux, néocoloniaux et postcoloniaux, qui se jouent sur la scène internationale entre les puissances occidentales et les sociétés du grand Moyen-Orient ; et c) la sphère des rapports de pouvoir dans les sociétés à majorité musulmane, entre ces majorités et les minorités confessionnelles, musulmanes ou non musulmanes, dans ces sociétés. Dans chacune de ces sphères, on peut déceler clairement l’effet de processus sociaux, idéologiques et politiques qui se déroulent dans les autres sphères. Nous affirmons que les significations données aux luttes pour établir ou consolider l’hégémonie d’un groupe dans chacune de ces sphères, ou au contraire la contester, ne peuvent être bien saisies qu’en référence aux deux autres sphères. Il s’agit donc d’une véritable articulation de rapports de pouvoir [23].

Il est facile d’illustrer la pertinence de poser la question ainsi. Par exemple, l’appui apporté aux réseaux islamistes arabes de la nébuleuse Ben Laden par l’administration américaine est fort bien documenté (voir par exemple Mamdani, 2004). Cet appui a résulté d’un calcul stratégique visant à mobiliser les islamistes du monde entier pour aller déloger les Soviétiques en Afghanistan. Ce calcul stratégique, qui se déroule dans la sphère des rapports coloniaux, a eu des conséquences profondes dans les deux autres sphères : ceux qu’on a désignés par le terme « Afghans arabes » sont retournés dans leur pays arabes d’origine une fois démobilisés, et ils ont contribué très activement à la croissance du courant salafiste. [15] Ils ont donc eu un premier effet sur le discours majoritaire, dans les pays arabes, envers les non-musulmans, qui se situe dans la troisième sphère. Mais ils ont eu un autre effet dans la première sphère, celle des rapports entre minorités musulmanes et majorités dans les sociétés occidentales, par le biais de deux processus. Celui de la migration, dans le cadre duquel des revendications de type salafiste ont déterminé les enjeux des débats sur la laïcité. Puis celui de l’agenda sécuritaire, qui a eu un impact direct sur les libertés civiles des citoyens et des résidents arabes ou musulmans surtout, mais aussi sur les libertés civiles de l’ensemble des citoyens.

6. Conclusion

Cette réflexion est partie d’un constat, celui de la polarisation qui oppose des individus et des groupes – pourtant proches idéologiquement – au sujet de la façon de gérer les manifestations religieuses dans l’espace public. Notre analyse nous a amené à conclure qu’il n’était pas possible de satisfaire simultanément certaines exigences normatives opposées, qui devenaient contradictoires du fait qu’elles résultaient de processus qui se passaient ailleurs, mais dont les effets se font sentir en situation de migration. De plus, l’irruption de la religion dans l’espace public se fait à travers des symboles qui sont polysémiques, de telle sorte qu’aucune régulation de l’usage de ces symboles ne parvient à tenir compte des diverses significations qu’on peut leur attribuer. Toute régulation protège donc certains droits mais ne parvient pas à protéger d’autres, entraînant des controverses qui ne sont pas réglées. Dans ce sens, on peut dire que les systèmes de valeurs qui guident la gestion des demandes de type religieux dans l’espace public sont incomplets, puisqu’ils ne permettent pas de déterminer l’issue des controverses qui surgissent dans l’espace public à ce sujet. Nous concluons en disant que cette question ne peut être discutée adéquatement en se restreignant au contexte local : il faut prendre en considération ce qui se passe ailleurs, dans les deux autres sphères de rapports de pouvoir indiquées plus haut, pour pouvoir interpréter les processus sociaux qui résultent de l’immigration dans toute leur complexité. La globalisation a des effets bien plus profonds que ceux qui résultent de l’économie, et que l’on n’a pas fini d’identifier. C’est une tâche qui reste à faire.

Bibliographie

Amghar, S. (dir.) (2006). Islamismes d’Occident. État des lieux et perspectives, Paris, Lignes de Repères.

Al-Banna, G. (2002). al-mar`a al-muslima baina tahrir al-qur`an wa taqjid al-fuqaha` (La femme musulmane entre la libération [apportée par] le Coran et la contrainte des juristes), dar al fikr al-islami, Le Caire.

Al-Banna, G. (2002). al-hejab (Le Voile), dar al-fikr al-islami, Le Caire.

Antonius, R. (2008a). « L’Islam au Québec : les complexités d’un processus de racisation », Cahiers de recherche sociologique, n° 46, pp 11-28.

Antonius, R. et al. (2008b). « Les représentations des Arabes et des musulmans dans la grande presse écrite du Québec », Rapport de recherche pour Patrimoine Canadien (PCH).

Antonius, R. (2006) « The concepts of power and domination in the paradigms used to study Arab and Muslim communities in Western societies », manuscrit présenté lors du Congrés annuel de la Middle East Studies Association, Montréal.

Antonius, R. (2002). « Un racisme ‘respectable’ », in Jean Renaud, Linda Pietrantonio, Guy Bourgeault (sous la direction de) (2002) Les relations ethniques en question. Ce qui a changé depuis le 11 septembre 2001, Les Presses de l'Université de Montréal.

Geadah, Y. (2006). Accommodements raisonnables : Droit à la différence et non différence des droits, Montréal, VLB.

Geertz, C. (1998). « La description dense. Vers une théorie interprétative de la culture ». in Enquête, anthropologie, histoire, sociologie, No. 6, 1998, Marseille, Éditions Parenthèses, reproduit dans : Enquête: Revues.org.

Goldberg, D.T. (1993). Racist Culture. Philosophy and the Politics of Meaning. Blackwell, Cambridge, USA.

[16]

Hoodfar, H. (2003). « More than Clothing : Veiling as an adaptive strategy » dans Sajida Alvi, Homa Hoodfar and Sheila McDonough (eds.), The Muslim Veil North America : Issues and Debates, Toronto, Canadian Scholars’ Press, p. 3-40.

Hoodfar, H. (2001). « The Veil in their minds and on our heads : Veiling Practices and Muslim Women » dans Elizabeth Anne Castelli and Rosamond C. Rodman (eds.), Women, Gender, Religion : A Reader, Palgrave Macmillan, p. 420-446.

ICG (2004). « Indonesia Backgrounder : Why Salafism and Terrorism Mostly Don't Mix », ICG Asia Report, n° 83, 13 septembre.

Institut Simone de Beauvoir (2010). « Simone de Beauvoir Institute’s Statement in Response to Bill 94 », mémoire présenté à la Commission des institutions dans le cadre de la consultation générale et des auditions publiques sur le projet de loi n° 94, Québec, Institut Simone de Beauvoir, avril, Assemblée nationale, consulté le 21 juin 2014 [JMT].

Mahmoud, Saba (2005). Politics of Piety : The Islamic Revival and the Feminist Subject, Princeton, NJ, Princeton University Press.

Mamdani, M. (2004). Good Muslim, Bad Muslim : America, the Cold War, and the Roots of Terror, New York, Pantheon Press.

Okin S.M. (1999). Is Multiculturalism Bad for Women ? S.M. Okin with respondants, Edited by Joshua Cohen, Michael Howard, and Martha Nussbaum. Princeton, NJ, Princeton University Press.

Potvin, M. (2008), Médias et accommodements raisonnables. L’invention d’un débat. Analyse du traitement médiatique et des discours d’opinion dans les grands médias québécois sur les situations reliées aux accommodements raisonnables, du 1er mars 2006 au 30 avril 2007. Rapport de recherche présenté à la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles.

Qaradawy, Y. (2006). Al sahoua al islamyya bayna al jouhoud wal tatarrof (Le réveil islamique, entre déni et radicalisation).

Québec. Assemblée nationale (2010). Loi établissant les balises encadrant les demandes d’accommodement dans l’Administration gouvernementale et dans certains établissements, Assemblée nationale, consulté le 25 mars 2011.

Razack, S.H. (2008). Casting Out. The Eviction of Muslims from Western Law & Politics, Toronto, University of Toronto Press.



* La recherche qui sous-tend ce texte a été menée durant ma résidence à l’Institut Méditerranéen de Recherches Avancées (IMéRA), à Marseille, en 2009-2010 et elle a bénéficié de l’appui de l’IMéRA que je remercie.

[1] Nous préférons les termes hidjab et niqab aux termes voile, foulard ou voile intégral car ils sont plus précis et sont devenus largement utilisés. Le niqab couvre le visage au complet, en laissant quelquefois une fente pour les yeux.

[3] Courants conservateurs qui ont émergé récemment dans les sociétés musulmanes et qui font la promotion d’un retour strict au mode de vie des « pieux ancêtres » (salaf).

[4] On peut inclure dans ce courant des groupes tels que Riposte laïque, qui a des échos et des alliés actifs au Québec.

[5] Le manifeste et la déclaration se trouvent respectivement sur les sites www.pourunquebecpluraliste.org/ et www.quebeclaique.org/.

[6] Le texte de Okin, publié à l’origine dans le Boston Review, avait entraîné lui aussi une polarisation des positions, qui se sont traduites par un ouvrage collectif où le texte original et quinze répliques ont été regroupés (Okin, 1999).

[7] Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de discriminations fondées sur la religion ou sur des critères ethniques.

[8] La récente vague de révoltes arabes (début 2011) risque de modifier cette donne. Ceci reste à déterminer.

[9] En fait, la notion de réveil islamique est le sujet d’un livre du Cheikh Youssef Al Qaradawy, publié sur son site (www.qaradawi.net) en date du 6 décembre 2004 (Qaradawy, 2006). Le Cheikh Al Qaradawy est le président de l'Union internationale des savants musulmans et du Conseil européen pour la recherche et la fatwa.

[10] À titre d’exemple, durant les premières années de sa fondation (les années 1980), le parti Hezbollah, au Liban, avait comme slogan : « Ton hidjab, oh ma sœur, est plus précieux que mon sang » (Hijabik ya okhtah, aghla min dammi). À cette époque peu de jeunes femmes chiites le portaient. Aujourd’hui, c’est devenu la norme.

[11] Nous avons développé ce point ailleurs (Antonius, 2008b).

[12] Il y a cependant un lien historique car les dynamiques actuelles dans les sociétés arabes et musulmanes sont en partie le résultat des rapports coloniaux dont on n’est pas encore tout à fait sortis.

[13] La traduction littérale du terme hidjab est effectivement voile, et c’est ce terme qui est souvent utilisé. Le terme « foulard » est plus précis, mais il ampute le hidjab de sa signification première : celui de cacher, de voiler les cheveux, qui sont considérés faire partie des zones « privées » ou « impudiques » (aoura) que les femmes doivent cacher aux hommes qui ne sont pas membres de leur famille immédiate. C’est pourquoi nous préférons le terme hidjab qui fait partie du vocabulaire commun, à présent.

[14] On pourrait évidemment rétorquer que sans la montée de l’islamisme, elles auraient été plus libres de circuler, de travailler ou d’étudier, avec ou sans hidjab.

[15] Une recherche sur l’internet avec le terme translittéré mutabarrijat a produit des résultats fort intéressants de sites musulmans dans les pays occidentaux qui fustigent les femmes qui ne portent pas le hidjab et qui leur prédisent l’enfer avec certitude.

[16] « […] le terme ‘islamisme’ sert d’abord à désigner un ensemble de courants politico-religieux qui voient dans l’islam une idéologie, et dont la prise de pouvoir est l’un des objectifs » (Amghar, 2006 :16). L’adjectif qui lui correspond est « islamiste ». Le terme « islamique » désigne plutôt ce qui se rapporte aux croyances associées à l’islam.

[17] Ce cas est complexe et ne peut être ramené uniquement à la question du hidjab. Il semble que ce qui était en jeu, ici, c’était le refus de la jeune fille de se conformer à un ensemble d’injonctions, le refus du hidjab étant le symbole d’une rébellion qui a été punie par la mort.

[18] Les prêches salafistes aisément trouvables sur Internet et dans la littérature islamiste le démontrent aisément.

[19] Ces remarques découlent d’un travail d’analyse des contenus des chaînes satellitaires salafistes en Égypte, qui est en cours. Cette dernière catégorie de l’altérité peut surprendre, mais elle est conjoncturelle, et s’explique par le choix stratégique de l’Arabie Saoudite, qui finance les groupes salafistes, de contrer l’influence politique iranienne dans la région en promouvant l’hostilité contre les arabes chi’ites.

[20] Le niqab est courant dans les sociétés de la péninsule arabe, mais il avait complètement disparu de la plupart des autres pays arabes.

[21] Ce n’est pas nécessairement le résultat d’une intention, mais certainement une conséquence de ces revendications.

[22] « […] value talk conceals the hierarchy it expresses ».

[23] Un point que nous avons développé dans Antonius (2006).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 12 août 2014 6:23
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref