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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Georges Anglade, CARTES SUR TABLE. VOLUME 3.
JONCTIONS ET CARREFOURS. Cinq ans d'une quête: 1983-1987
. (2000)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Georges Anglade, CARTES SUR TABLE. VOLUME 3. JONCTIONS ET CARREFOURS. Cinq ans d'une quête: 1983-1987. Port-au-Prince, New York, Montréal: Coéditions Éditions Henri Deschamps / Études et recherches critiques d'espace, 1990. Éditions ERCE et Georges Anglade, pp. 401-599. Une édition numérique en préparation par Marcelle Bergeron, professeure retraitée de l'enseignement à l'École polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi. [Autorisation accordée par l'auteur le 28 mai 2009 de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[p. 409]

Introduction

Jonctions et Carrefours


D'abord le médium, la parole comme vecteur. Ensuite le message, une parole comme discours. Donc, ce troisième volume est un recueil de PAROLES qui, après, ont été consignées par écrit dans les quatre principaux genres que sont les ENTREVUES à la jonction du politique et du scientifique (chapitres 1, 2, 3), les TABLES RONDES aux carrefours des théories et des pratiques (chapitres 4, 5, 6), les PRESTATIONS sur la mutation de la géographie en un nouvel outil opérationnel (chapitres 7, 8, 9) et les ENGAGEMENTS pour les liaisons entre intérieur et extérieur, et la conjugaison du développement et de la démocratie (chapitres 10, 11, 12).

Ce n'est évidemment pas pour rien que nous avons pris, pour exergue de tout le volume, l'aphorisme de Nietzsche sur la difficulté de vivre parmi les hommes comme difficulté de se taire. On y retrouve les deux acceptions de la parole, le moyen de communication le plus subversif (pale) et le message communiqué comme discours subversif (pale pawòl). C'est que parler pour ne rien dire n'est pas parler, et personne, pas plus que la dictature, ne s'en est jamais pris à la parole insignifiante/insignifiante. Non, on ne s'en prend à la parole que quand elle dit, au point que la seule épitaphe digne de toutes les victimes, réduites au silence selon l'expression consacrée, devrait être qu'elles "PARLAIENT ", hommage au double niveau de ce que parler veut dire.

*

Disposons en premier de l'outil : la parole comme vecteur. Il faudrait faire la peau au SILENCE et faire savoir à tous ceux qui nous suivront qu'en notre temps le silence fut le complice de toutes les médiocrités, aussi bien dans les Pouvoirs que dans les Oppositions de cette deuxième moitié de siècle. À se murer ainsi dans le silence propice aux magouilles, on en est venu à créditer le silence d'intelligence et le mutisme de profondeur, à prendre le morose pour habile et le taciturne pour stratège... Drôle de temps. L'on peut comprendre qu'en saison dangereuse, pour couvrir de grandes et de petites lâchetés, on se soit ainsi accommodé de ce silence tellement favorable à tous les abus ayant conduit à cette débâcle nationale. Mais, c'est que l'on continue encore à glorifier le silence et à en faire la première qualité politique, après la preuve que c'est la manière la plus commode de prendre ensuite tout le monde par surprise. On ne débat jamais des motivations, des objectifs et des moyens de la gestion de la chose publique, puisque ce serait rompre le pacte de silence au fondement de la société probablement la plus inégalitaire de nos Amériques. Le lamentable de notre état actuel est pour beaucoup à [p. 410] créditer à cette propension individualiste à glorifier le silence comme voie royale du sauvetage individuel. Bref, il faut se la fermer et régler ses propres affaires en tirant son épingle du jeu... tous les sages vous le diront. Le collectif, la chose publique, le social total, le pays, la patrie... on connaît pas ! Qui doute encore des raisons pour lesquelles nous sommes les bons derniers dans ces Amériques ?

L'explosion de paroles du 28 novembre 1985 au 7 février 1986, ces dix semaines de la finale du régime Duvalier, fit la preuve, s'il en était encore besoin, que le silence était le venin indispensable à l'oppression et à la répression, et que l'antidote était de libérer la parole. Encore avait-il fallu longuement préparer cette libération de la parole par toute une série de prises de paroles, dont celles-ci. Que vienne maintenant un temps de paroles qui à jamais ne soient plus bâillonnées... semble bien faire consensus. Alors, s'il nous fallait des mots-symboles pour la suite, comme ailleurs PERESTROÏKA, que PARLER en soit.

*

C'est dans cet esprit d'un urgent besoin que des paroles se parlent aussi bien au pays où l'on étouffait de trop de silence depuis le 28 novembre 1980 qu'en diaspora où l'on dérivait de trop peu de paroles, que nous avons entrepris notre troisième période quinquennale de 1983 à 1987, en quête des jonctions et carrefours. Le hasard a voulu que ce soit dans le genre par excellence pour parler une parole que se termina la première année de cette période, un discours de réception de prix pour lequel l'éloge que nous choisîmes de faire fut celui de la PAUVRETÉ. L’accueil de l'opuscule fut à la mesure du sujet : révélateur d'un silence rompu et significatif d'un tabou transgressé.

C'était l'occasion de prendre prétexte de ce discours qui devait être un « éloge » pour préciser les enjeux de l'après Duvalier : il fallait bien commencer par nommer le degré national à atteindre dans une échelle des différents niveaux de bien-être collectif. Dans cette échelle à cinq paliers principaux que sont la RICHESSE, L'AISANCE, LA PAUVRETÉ, l’INDIGENCE ET LA MISÈRE, nous avons choisi d’interpeller la pauvreté qui est au centre de cette hiérarchie. En dessous de la pauvreté, l'indigence et la misère, qui sont les deux catégories les plus largement représentées en Haïti, sont des états de dénégation de la personne humaine, des états de non-être, le tout moun pa moun. Tandis que au dessus de la pauvreté, les situations d'aisance et de richesse sont des états de bien-être. En somme, la pauvreté comme milieu se donne pour un état dans lequel se fonde l'être, quelque chose comme l'accès de tous et de chacun à cette dignité de personne humaine, le kretyen vivan du créole, prélude au tout moun se moun.

[p 411]

Il est clair que cet "Éloge de la pauvreté" contrait la douce folie dans laquelle baignaient ceux qui croyaient naïvement, ou voulaient faire croire cyniquement, que la richesse et l'aisance pour tous les Haïtiens et toutes les Haïtiennes nous seraient un jour données en cadeau, miraculeusement... pas plus qu'il n'a pu dessiller quelques autres qui n'ont visiblement pas dépassé la lecture du titre en se cramponnant à ce qu'ils croyaient savoir du concept de pauvreté. Mais pour le plus grand nombre, l'ouverture de ce temps de paroles, par l'audace conceptuelle d'un éloge de la pauvreté, s'annonçait comme une consolidation de la ligne de rupture tracée dans les travaux du quinquennat 1978-1982, et comme une quête de fondements aux audaces organisationnelles et aux audaces politiques nécessaires à l'opérationnalisation, un jour, du cadre de cohérence et du plan directeur qu'esquissait l’Atlas critique d’Haïti.

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C'est principalement à l'exploration de la jonction du politique et du scientifique que l'on s'est adonné dans les ENTREVUES (chapitres 1, 2, 3). L'intérêt du public pressenti comme lecteur des entrevues est alors circonscrit dans cette zone de convergence entre l'objet de connaissance, relevant du scientifique, et le projet d'application, relevant du politique. Pour animer cette zone intermédiaire qui semble être le territoire des entrevues, on fait appel au sujet pour qu'il s'explique sur sa relation à l'objet et au projet.

L'entrevue est donc essentiellement une interpellation du sujet qui est sommé non seulement d'expliciter sa propre conception de la logique de ses découvertes, ou du moins ce qu'il croit en savoir à ce moment-là, mais encore de dévoiler jusqu'où pourrait aller son éventuelle prise de participation dans la gestion de ses propositions. Chaque entrevue est donc un exercice d'équilibrisme entre le scientifique et le politique, étant entendu que le lecteur moyen d'entrevues, dans notre société à la surpolitisation dérisoire, est finalement un voyeur binaire qui à la fin de n'importe quel échange va choisir entre deux propositions : candidat ou pas-candidat. En cette saison manichéenne, c'est à se demander parfois si dans la conversation politique courante l'on sait compter jusqu'à trois !

Ce réductionnisme qui a longtemps été la négation de la démarche scientifique, a cédé place, au long de la décennie 1980, à la découverte de ce qu'est la reproblématisation d'une question, le travail de formulation d'un nouveau paradigme, le processus d'émergence de nouvelles bases aux cadres de cohérences et aux plans directeurs... Et c'est généralement le territoire des entrevues comme paroles du sujet sur son objet et son projet qui a permis au public d'accéder assez rapidement à ces transformations et de procéder aux réajustements qui s'imposaient.

[p. 412] Bien que nous ayons accordé beaucoup d'entrevues dans la décennie 1970, c'est à partir des années 1980 qu'elles deviennent des contributions systématiques à la diffusion de la reproblématisation qui venait de prendre corps, à la jonction du scientifique et du politique.

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Le territoire des TABLES RONDES est tout à fait différent de celui des entrevues, quoique ce soit aussi une zone de jonctions et de carrefours. Ce que l'on y questionne principalement ce sont les conditions du passage des théories aux pratiques (chapitres 4, 5, 6). Le discours devient alors celui des modalités de réalisation des travaux de recherches dans les Caraïbes comme au chapitre quatre, des contraintes d'application des théories du développement dans les Tiers Mondes comme au chapitre cinq et des supputations sur les modes de participation à la politique haïtienne comme au chapitre six.

Toutes ces considérations sur les voies et moyens des applications le sont collectivement par des participants choisis pour la complémentarité de leurs expériences où de leurs positions. Les échanges procèdent moins par une confrontation de points de vue contraires que par une continuelle adjonction par chacun des nuances et des particularités propres à son terrain d'application. La table ronde est ainsi une construction collective où chacun tour à tour rajoute son matériau. Le résultat de ces tours n'est jamais vraiment garanti ; Babel et Pise pouvant faire envie.

L'intérêt des tables rondes n'est donc pas, comme dans les autres genres de prises de paroles, dans la cohérence finale du produit, mais plutôt dans le consensus de débattre collectivement certains aspects d'une question qu'un regroupement de spécialistes identifie comme faisant problème. Ce sont alors les thèmes abordés qui informent, et, évidemment, la position de chaque participant sur ces thèmes.

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Les PRESTATIONS (chapitres 7, 8, 9) sont toute la gamme des exposés que l'on peut regrouper en conférences, communications, causeries... de nature universitaire. Ce sont ici des prises de paroles académiques pour l'illustration et l'approfondissement de ce qu'est devenue la nouvelle géographie. Après un quart de siècle d'une sérieuse crise d'orientation, cette discipline s'est retrouvée au seuil de la décennie 1980 complètement renouvelée, s'inscrivant alors fermement en sciences du social après avoir levé l'essentiel des ambiguïtés épistémologiques qui le handicapaient.

Le territoire de la prestation relève clairement des trois composantes de la tâche du professeur d'université de qui est attendu une reproblématisation d'objets de recherches, l'enseignement de ce cheminement et la diffusion de cette re-lecture. Compte tenu de la [p. 413] conjoncture particulière d'une sortie de crise de la discipline, l'essentiel des prestations de géographes ayant contribué à ces renouvellements sont actuellement de mettre à l'essai le tout nouvel outil capable de rendre compte de ce qu'est l’ESPACE d'une société et d'identifier les voies et les moyens des transformations souhaitables.

Par ces deux démarches, l'une de théorisation pour dire ce qu'est l'espace de la société et l'autre d'intervention pour construire le levier des transformations, la nouvelle géographie prend option pour une contribution déterminante dans la relance de l'espace national haïtien, les adjonctions en diaspora comprises.

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Les ENGAGEMENTS (chapitres 10, 11, 12) relèvent directement de la sphère du politique à laquelle nous avions décidé de consacrer une année, mais pas plus d'une année, de avril 1986 à mars 1987, pour marteler ce que nous savions être incontournablement la question spécifique haïtienne de cette fin de siècle et du siècle prochain : PENSER LA DIASPORA. Toutes les autres dimensions d'importance comme la production d'une troisième catégorie d'espace avec les bidonvilles ou la réanimation des Provinces... ne diffèrent pas vraiment de ce que l'on retrouve ailleurs. Le spécifique haïtien est et sera le rapport du pays à sa diaspora, pour encore au moins 100 ans ! Cela valait bien l'année passée à animer le MAS, Mouvman Ayisyen Solidarite.

Le territoire des engagements a donc été pour nous celui des liaisons entre intérieur et extérieur, par la confrontation des acquis de la sphère scientifique aux exigences de la sphère du politique. Nous devons à cette incursion d'une année beaucoup des renseignements et des enseignements qui nous ont été nécessaires à la formulation de plusieurs de nos avancées sur une politique de relance du pays.

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En nommant ce troisième volume Jonctions & Carrefours, nous avons voulu signifier que les textes retenus témoignaient d'un travail de mise en relation entre une série de deux termes : le scientifique et le politique pour les entrevues, la théorie et la pratique pour les tables rondes, l'ancien et le nouveau pour les prestations disciplinaires, l'intérieur et l'extérieur pour les engagements, le développement et la démocratie pour l'ensemble. Il en est ressorti finalement que les réponses que nous cherchions étaient beaucoup plus dans les liaisons entre les termes (leurs jonctions et leurs carrefours) que dans la connaissance que nous pouvions avoir de chacun des termes séparément. Cette ultime découverte est lourde de sens et de conséquences en ce que pour CHAQUE INTERVENTION dans ce pays l'on devra assumer que ses fondements ont l'inquiétante fragilité, et la redoutable complexité, de ne reposer que sur la multitude des rapports entre des termes multiples.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 26 juin 2011 15:28
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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