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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de François-Albert Angers, Les relations fédérales-provinciales sous le régime Duplessis”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction d'Alain-G. Gagnon et Michel Sarra-Bournet, Duplessis. Entre la grande noirceur et la société libérale, pp. 231-243. Montréal: Les Éditions Québec/Amérique, 1997, 397 pp. Collection: Débats. Programme d'études sur le Québec de l'Université McGill.

Texte de l'article

François-Albert Angers, Les relations fédérales-provinciales sous le régime Duplessis

Il y a beaucoup de choses à dire du régime Duplessis, qui s'est étendu, sauf un court interrègne libéral de quatre ans, de 1935 (car il contrôlait déjà la situation dans l'opposition après l'élection de 1935) à 1960. Mais si l'on regarde de haut le cours des événements au Québec depuis lors et jusqu'à aujourd'hui, l'histoire finira par reconnaître, je crois, qu'il a apporté une contribution majeure à l'histoire du Québec. Et cette contribution aura été le traitement accordé au problème des relations fédérales-provinciales. 

Selon moi, c'est probablement grâce à Duplessis, et à lui seul, si l'on ne s'occupe que des chefs politiques ou des politiciens, si le Québec n'a pas perdu aujourd'hui le sens d'un destin de peuple issu de son histoire et si son évolution se continue dans le sens d'une indépendance éventuelle. Devant les événements qui se sont imposés à lui à ce moment - un enclenchement à Ottawa et dans le reste du Canada d'une révision radicale de la conception dite « des Pères de la Confédération » - Duplessis a pris la position de la résistance, qu'on peut dire totale. Il a ainsi créé l'atmosphère et établi les bases qui ont rendu possible vers la fin de son régime la renaissance d'un mouvement indépendantiste, d'un mouvement de révolte totale en somme, contre le fédéralisme canadien tel qu'en voie de réinterprétation par les Saint-Laurent, Lamontagne, Trudeau, Chrétien et consorts. 

Pendant cette période, en effet, le Parti libéral, qui était le seul parti d'opposition, a cautionné les politiques fédérales, peut-être pas par des approbations formelles de tous leurs détails, mais en se contentant d'accuser Duplessis d'être seul responsable de l'impasse par son manque d'esprit de collaboration avec Ottawa. Dans les quatre années où il a été au pouvoir à cette époque, le Parti libéral a abandonné le contrôle des impôts directs par une « location » au gouvernement fédéral pour cause de guerre. Et Adélard Godbout a permis au fédéral de s'établir dans le domaine social de l'assurance - chômage en approuvant un amendement de la Constitution par un simple échange de correspondance avec Mackenzie King, alors Premier ministre du Canada, et ce, sans consultation de l'Assemblée législative. On a pu dire que ce fut un malheur pour le Québec de n'avoir pas eu alors à sa tête, pour une rare, sinon la première fois de son histoire, un premier ministre avocat doté de ce sens aigu des perspectives juridiques si fondamentales dans un pays comme le Canada. Une fois retourné dans l'opposition, en 1944, le Parti libéral se contenta de l'attitude négative anti-duplessiste précédemment indiquée sur la question. 

Maurice Duplessis, lui, descendait d'une famille de juristes, d'une famille de conservateurs en politique, dont les traditions historiques et juridiques plongeaient leurs racines dans le terreau des Pères canadiens-français de la Confédération. Jusqu'à ce moment-là d'ailleurs, la question des relations fédérales-provinciales n'avait pas vraiment divisé les deux partis politiques traditionnels qui occupaient le terrain électoral au Québec et avaient tous les deux généralement à leur tête des avocats ou des juristes. Alexandre Taschereau à Québec, Premier ministre libéral, et Lomer Gouin avant lui ; Ernest Lapointe, libéral dans le cabinet fédéral de Mackenzie King, avec toute la cohorte des avocats députés canadiens-français du Parti libéral fédéral ; Arthur Sauvé, chef de l'opposition à Québec et C.-H. Cahan, anglo-canadien, juriste, député québécois au parti conservateur fédéral, tous ces gens n'avaient qu'une seule voix sur les questions de relations fédérales-provinciales, dit domaine de « l'autonomie provinciale », un domaine quasi sacré où le gouvernement fédéral ne devait mettre ni le nez, ni encore moins le doigt. 

D'où cela venait-il ? On le comprend sans doute de moins en moins aujourd'hui, dans l'ignorance de plus en plus générale de l'histoire, de sorte que les relations fédérales-provinciales ne sont plus guère qu'une partie de football politique sur des questions d'efficacité administrative et de prestige politique lors de la distribution des chèques ou la publicité sur l'origine des subventions. La réponse : c'est que pour tous ces anciens, les relations fédérales-provinciales constituaient, dans le cours de notre histoire, la pierre de touche de l'identité canadienne-française comme peuple aspirant à s'administrer le plus possible lui-même. 

Les relations fédérales-provinciales sont, en effet, l'aboutissement d'une longue histoire et on ne peut en comprendre le sens véritable qu'en connaissant cette histoire. Ce qu'on peut dire de Duplessis, à qui on peut reprocher bien des faiblesses intellectuelles notamment en matière sociale, c'est qu'il la connaissait bien l'histoire, et en particulier dans sa portée juridique constitutionnelle. Sa réaction était en fonction de ce qu'elle signifiait. Il n'était pas « séparatiste » ; mais il n'était pas non plus souple sur les questions de droit impliquant une réinterprétation ou adaptation des clauses protectrices des droits du Québec. À une conférence fédérale-provinciale où le procureur-général du Manitoba avait déclaré que le Québec était un obstacle au progrès du Canada, Maurice Duplessis avait rétorqué froidement : « Si l'on considère la présence du Québec au sein de la Confédération comme un obstacle, nous sommes prêts à nous retirer ». 

L'histoire des relations fédérales-provinciales ne peut donc être comprise correctement qu'en remontant jusqu'à la Conquête de 1760 dont elles dépendent directement. À ce moment-là, le roi d'Angleterre prend l'initiative de soumettre la Nouvelle-France à l'anglicisation et à la protestantisation totale. C'est la Proclamation royale de 1763. Mais tout de suite la résistance s'amorce en Nouvelle-France, qui aboutira, 11 ans plus tard, à l'Acte de Québec. La Nouvelle-France - dorénavant la province de Québec - est restaurée dans son droit de garder sa langue, ses institutions et ses lois, sauf le droit criminel, dans l'Empire britannique. Une Nouvelle-France confirmée, en particulier, dans le droit à ses institutions catholiques, était quelque chose d'énorme à l'époque où le catholicisme était interdit en Angleterre même. 

Plusieurs de nos historiens, même nationalistes, ont eu tendance à trop minimiser l'importance de l'événement sous prétexte que ces droits ne nous avaient été reconnus qu'en raison de la menace de la Révolution américaine. Il est vrai que ce facteur a joué, au point que les documents secrets nous montrent le gouvernement britannique planifiant la création d'un Québec français et catholique sur toute l'étendue du territoire couvrant alors l'Ontario du sud d'aujourd'hui et une partie du territoire américain jusqu'au confluent du fleuve Mississippi et de la rivière Ohio. « Et s'il n'est pas désirable que des sujets anglais s'établissent dans cette région », écrit lord Darthmouth, pilote du projet de loi, à lord Hillsborough qui proteste contre l'institutionnalisation du catholicisme sur un pareil territoire, « rien ne peut mieux les dissuader d'une telle tentative que cette partie essentielle du bill ». Mais il y eut plus que cela. 

Le débat sur l'Acte de Québec fut dans l'histoire de la pensée humaine l'un des débats les plus importants quant au droit des peuples. Le roi fut censuré pour une proclamation considérée comme contraire au droit international de l'époque, selon lequel le droit de conquête, quand il s'agissait d'un peuple civilisé, ne permettait que l'administration du pays et non pas la privation de la population des institutions et lois qui lui sont propres. Et telle fut la définition que les juristes de la Couronne donnèrent du Québec, d'où le caractère libératoire des institutions britanniques de l'Acte de Québec. Comme l'écrit lord Darthmouth lui-même : « il est pourvu à l'établissement d'un gouvernement civil pour les établissements de nombreux sujets français, mais qui ne renferme nullement l'intention de coloniser davantage les terres comprises dans cette extension » (suit la citation précédente). Par la suite, le problème des relations fédérales -provinciales va surgir de deux faits : d'abord le gouvernement britannique ne pourra pas refuser aux Loyalistes, après la Révolution américaine, l'accès à la province de Québec ; et ensuite de ce que ceux-ci vont protester qu'on les oblige à vivre, eux, loyaux sujets de Sa Majesté, dans un territoire catholique et français. 

La première réaction de Londres est une action séparatiste : fidèle quand même aux arrangements (et peut-être engagements) de 1774, on crée le Haut-Canada pour les Anglais et, de la province de Québec réduite, on fait le Bas-Canada catholique et français. Mais un conflit entre l'Exécutif et l'Assemblée conduit à la Rébellion de 1837-1838. L'Angleterre procède alors à la réunification des deux Canadas. Dans ce nouveau régime, un conflit équivalent à notre problème de relations fédérales-provinciales s'élève, et se réglera finalement par un système de double majorité. Le fonctionnement cahoteux de la formule nous conduisit à la Confédération de 1867. 

On notera que toute cette histoire, de nature constitutionnelle, est dominée, conditionnée, par une volonté, à Londres, de respecter les ententes de 1774, et au Canada par la pression des Britanniques pour une unification assimilatrice du pays. C'est cela la signification profonde du déroulement des relations fédérales-provinciales. 

Avec la Confédération, Londres espérait toutefois avoir réglé ce genre de conflits. Il procède à une nouvelle opération séparatiste, en restaurant la province de Québec dans ses frontières d'après la première séparation de 179 1, mais crée en même temps une fédération qui permet le partage des pouvoirs entre un gouvernement central et des provinces. Le partage est effectué en regardant la province de Québec et en donnant aux provinces les pouvoirs considérés indispensables pour qu'un peuple puisse s'administrer lui-même dans ses lois et institutions fondamentales. Pour éviter les conflits, il est prescrit que les pouvoirs respectifs des provinces et du gouvernement central sont « exclusifs » (art. 91 et 92), sauf tempéraments pour des circonstances exceptionnelles. Les Anglais des colonies que sont encore les futurs Anglo-Canadiens réclament une union législative avec persistance ; Lord Carnavon leur dira : « Le Bas-Canada est jaloux et fier, à bon droit, de ses coutumes et de ses traditions ancestrales ; il est attaché à ses institutions particulières et n'entrera dans l'Union » (et on y tient au Canada pour des raisons économiques) « qu'avec la claire entente qu'il les conservera ». 

Si les relations fédérales-provinciales ont pris l'importance qu'on leur connaît, c'est que le Canada anglais n'a jamais accepté la clause de l'« exclusivité » des pouvoirs et a sans cesse tenté, avec des intensités diverses, de la contourner, puis de l'ignorer, et d'aller de l'avant, sans vergogne, à partir de l'ère Duplessis, pour concentrer de plus en plus de pouvoirs. 

Tel est le conditionnement d'esprit de Maurice Duplessis, dans la perspective de ses traditions familiales historiques et juridiques, au moment où il revient au pouvoir, en 1944, pour ses mandats successifs. Face à toute invasion (de pouvoirs), il n'y a pour lui qu'une réponse : Non ! vous ne passerez pas ! « Rendez-nous notre butin », dit-il. Et en cela bien appuyé par la jurisprudence du Conseil privé de Londres qui, contre des tentatives centralisatrices, a jugé que les provinces sont « aussi souveraines dans leur domaine que le Parlement de Westminster lui-même » ; et qui, devant la législation sociale Bennett de la première moitié des années 1930, a déclaré que le fait pour le gouvernement fédéral d'avoir un pouvoir général de dépenser ne le justifie pas de dépenser dans des domaines de compétence provinciale. L'on sait que le gouvernement fédéral allait se débarrasser de ces entraves en abolissant le droit d'appel au Conseil privé et en plaçant à la tête de la Cour suprême un juge en chef bien décidé à éliminer la jurisprudence du Conseil privé du droit constitutionnel canadien. 

Quand Duplessis revient au pouvoir en 1944, il trouve la situation déjà sérieusement compromise par l'épisode libéral 1939-1944. Le contrôle de tous les impôts directs est passé à Ottawa par les accords de « location » ; le régime d'assurance-chômage est créé au niveau fédéral par l'amendement autorisé par Québec à la Constitution ; et les allocations familiales s'établissent selon la réinterprétation par Louis Saint-Laurent du « pouvoir de dépenser » du gouvernement fédéral. 

D'autre part, à Ottawa, le plus vigoureux défenseur de l'autonomie provinciale, Ernest Lapointe, bras droit de Mackenzie King, est décédé. La guerre est terminée et le gouvernement fédéral dévoile ses batteries : le ministre des Finances fédéral, Ilsley, annonce qu'il n'est plus question de reconnaître le contrat de location des pouvoirs fiscaux provinciaux. Les nouvelles perspectives de l'économie d'après-guerre, sous l'éclairage de la pensée keynésienne, ne permettent plus, dit-il, le partage des compétences fiscales ! Un régime de subvention des provinces par le gouvernement fédéral est substitué à l'autonomie fiscale. C'est à prendre ou à laisser, et ceux qui le laisseront devront envisager la double imposition de leurs contribuables, et de toute façon la perte des subventions qui sont liées à la signature des accords. 

À la conférence fédérale-provinciale de 1945, Duplessis s'inscrit naturellement en faux contre ces prétentions. Il refait l'histoire politique et constitutionnelle des relations fédérales-provinciales et proclame l'intangibilité des compétences provinciales en matière d'impôt comme dans le reste de l'article 92 de l'AANB. Il refuse de collaborer à toute solution qui ne partira pas du respect intégral de la Constitution et des compétences exclusives reconnues aux provinces. Il prend vraiment l'attitude d'un chef de peuple face à une invasion. Et dans la défaite, il se fait résistant : il refuse l'argent des subventions compensatoires devant tout empiètement fédéral et exige le respect du pouvoir du Québec avec compensation financière si le gouvernement fédéral persiste dans ses projets pour les autres provinces. Le Parti libéral du Québec continuera de s'en tenir à blâmer Duplessis de ne pas collaborer avec Ottawa et de l'accuser de faire perdre de l'argent au Québec. 

Les décisions que Duplessis prend à la suite de la conférence de 1945 sont ensuite soumises à la ratification par le peuple aux élections de 1948. Nos historiens, que je sache, n'ont pas suffisamment mis en valeur le caractère plébiscitaire de cette élection. Duplessis y remporte toutes les circonscriptions canadiennes-françaises, et l'opposition est réduite à la portion congrue de représentante du vote anglophone. Par la suite, jusqu'à sa mort, la question soulevée en 1945 ne s'étant jamais réglée, Duplessis gagnera toutes ses élections avec ce thème de l'autonomie provinciale, malgré les oppositions, à sa politique sociale entre autres, et les promesses libérales aguichantes à l'électorat. Je comprends mal que, malgré ces faits, tant de gens aient continué de prétendre que les électeurs ne sont pas intéressés par les questions constitutionnelles et qu'il faut leur parler, pour gagner, de pain et de beurre ! 

La crise des relations fédérales-provinciales sous Duplessis a culminé, en 1957, avec l'intervention du gouvernement fédéral dans le financement des universités, à la suite des recommandations d'une autre commission fédérale centralisatrice, la Commission Massey-Lévesque. Duplessis intervint pour interdire aux universités d'accepter ces subventions. Et le gouvernement fédéral, qui commençait à être gêné des pertes financières que ses politiques imposaient au Québec, par suite de la résistance de Duplessis, décida de mettre l'argent de côté au nom du Québec en attendant de meilleurs jours politiques. À la mort de Duplessis sont apparus ainsi les premiers signes que le gouvernement fédéral ne pouvait plus continuer bien longtemps à pénaliser le Québec parce qu'il refusait d'obtempérer à ses tentatives de refaire la Confédération sur de nouvelles bases centralisées. D'ailleurs, Duplessis venait, peu avant, de passer du stade des refus à celui d'actions concrètes d'affirmation en instituant son propre impôt sur le revenu et en forçant, par la pression de l'opinion publique, le gouvernement fédéral à lui céder 10% du champ fiscal. 

Mais la mort de Duplessis amena des changements significatifs. Il y eut Paul Sauvé, avec son « désormais », mais bientôt disparu, décédé à son tour. Et les destinées de l'Union nationale furent confiées à Antonio Barrette, un ex-ouvrier. Un parallèle est ici intéressant par rapport à l'idée de l'importance d'un juriste pour diriger le Québec. Antonio Barrette, à la tête de l'Union nationale, produira sur le plan des relations fédérales-provinciales un peu l'effet d'un Adélard Godbout à la tête du Parti libéral. À l'inverse, c'est un avocat astucieux, Jean Lesage, qui prendra la tête du Parti libéral. Jean Lesage arrive d'Ottawa où il était ministre dans le cabinet Saint-Laurent, le plus centralisateur des gouvernements fédéraux depuis la Confédération avant Pierre Elliott Trudeau. Lesage y était le plus vociférant adversaire de Duplessis sur sa politique fédérale-provinciale. Une fois élu premier ministre du Québec en 1960 et interrogé à savoir comment il allait pouvoir se tirer d'une prochaine conférence fédérale-provinciale, il répondra sans vergogne : « Quand j'étais à Ottawa, je défendais les intérêts d'Ottawa ; maintenant que je suis à Québec, je défendrai les intérêts du Québec. » 

Mais tout d'abord, il reprend l'héritage de Lapalme à la tête du parti. Dans Lesage s'engage, il met toute la faute de l'impasse constitutionnelle sur le refus de collaborer de Duplessis. Puis au printemps de 1960, il entreprend une tournée du Québec et il en revient en déclarant qu'il a constaté que la province veut du nationalisme. Le Parti libéral lui en donnera, dit-il. Effectivement, le programme du parti est alors révisé et devient le programme le plus nationaliste jamais adopté par un des deux grands partis au Québec. Il parle même de l'État du Québec, ce que Duplessis, que je sache, n'a jamais osé, ou voulu. 

Dans les années 1950, Duplessis avait créé une commission royale d'enquête pour faire pièce à la Coinmission Sirois : la Commission Tremblay. Le rapport de la Commission proposait un réaménagement constitutionnel qui replaçait le Canada à l'heure de ce qu'on appelait « l'esprit des Pères de la Confédération », du moins tel que compris au Québec, dans le respect intégral des exclusivités, des compétences garanties aux provinces par l'article 92 de l'AANB, y compris celui d'un espace fiscal bien délimité et permettant au Québec d'exercer ses pouvoirs. Ce rapport, Duplessis l'avait glissé sous le tapis parce qu'il contenait, sur d'autres sujets de politique provinciale, notamment l'éducation, des idées qu'il n'aimait pas. Lesage s'empara du rapport et décida qu'il le déposerait à la prochaine conférence fédérale-provinciale comme représentant la position du Québec. 

À l'élection de 1960, la donne est donc changée : l'Union nationale, avec Barrette, fait du social ; le Parti libéral, avec Lesage, fait du nationalisme, du « Maîtres chez nous ». Et c'est Lesage qui gagne. Lesage va-t-il vraiment continuer la politique de Duplessis ? En parole, oui ! Mais en acte, il ne sera plus un résistant, mais un contestant seulement. Il dénoncera vigoureusement les empiètements fédéraux à partir des mêmes constantes historiques, mais devant le refus du gouvernement fédéral de reculer, il acceptera l'argent des compensations pour occupation des pouvoirs provinciaux. Il le déclare explicitement. À mon sens, c'était sonner le glas de toute gêne fédérale à empiéter : la mentalité anglo-saxonne sait s'accommoder des protestations verbales qui ne sont pas suivies d'actions probantes. 

À l'encontre de cette opinion, on me rappellera le grand succès de Lesage dans le cas du régime des rentes du Québec et de la Caisse de dépôt et placement. Mais on n'a pas dit qu'il le devait à la sagacité de Duplessis. Dans son premier mandat, Duplessis avait autorisé le gouvernement fédéral à amender la Constitution pour lui permettre d'établir son régime de sécurité de la vieillesse, mais il avait exigé que l'amendement comporte la mention que toute loi provinciale ultérieure sur le sujet aurait priorité sur toute loi fédérale, de sorte qu'Ottawa ne pouvait bloquer les intentions de Lesage. 

C'est là que, dans le climat d'irrédentisme de l'attitude duplessiste et la mollesse des positions libérales, prit vigueur, une vigueur enfin efficace, le mouvement séparatiste en quelque sorte traditionnel, en sourdine dans toute l'histoire du Québec. Cette résurgence vigoureuse eut toutefois un curieux effet sur les relations fédérales-provinciales : le mouvement souverainiste prit le parti de n'avoir plus rien à voir avec Ottawa, donc de ne plus rien contester ou négocier vu que l'indépendance allait régler tout cela d'office. 

Porté au pouvoir, ce mouvement devenu le Parti québécois se retrouva confronté aux tiraillements quotidiens de la situation, mais il en avait perdu le sens identitaire en cours de route et n'en discuta plus guère qu'en terme de pouvoir au sens politique politicienne ou d'efficacité administrative contre les dédoublements, les chevauchements, etc. Mais surtout, il est résulté de ce changement de ton une perte sensible par la population ordinaire du sens de notre problème identitaire, qu'elle touche plus facilement du doigt dans le cours des effets quotidiens que dans les déclarations de principe, qu'on aurait tort toutefois de croire hors de sa portée. 

Le rôle de Duplessis dans la transmission aux générations actuelles du sens de la souveraineté d'un peuple assujetti fût-ce « démocratique­ment », à une majorité étrangère à sa culture, ne peut en aucune façon être sous-estimé. C'est par le biais de sa résistance farouche aux empiètements fédéraux et du rappel constant de la signification historique des relations fédérales-provinciales que s'est maintenu dans la population canadienne-française le sentiment d'une différence culturelle qui était peut-être sur le point de se perdre dans une « intégration lucide » au Canada proposée ou pratiquée implicitement par des membres canadiens-français éminents du Parti libéral.


Retour au texte de l'auteur: François-Albert Angers, économiste, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le mardi 23 janvier 2007 6:51
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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