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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de François-Albert Angers, “Nous sauver par la coopération.” Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Roger-J. Bédard, L’essor économique du Québec, pp. 338-343. Montréal: Librairie Beauchemin, 1969, 524 pp. Texte originalement publié dans L’Actualité économique, janvier 1940, pp. 284-290. 399-409.


[338]

François-Albert Angers (1940)

Nous sauver
par la coopération
.

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Roger-J. Bédard, L’essor économique du Québec, pp. 338-343. Montréal : Librairie Beauchemin, 1969, 524 pp. Texte originalement publié dans L’Actualité économique, janvier 1940, pp. 284-290.


L'article que nous publiions dans L'Actualité Économique d'octobre sur la position économique des Canadiens français, s'il n'est pas de nature à nous réjouir, devrait au moins stimuler nos énergies. Il est triste, après avoir dû admettre que nous ne comptons pas dans la grande industrie, de constater que nous ne sommes pas non plus à la hauteur dans la petite. Toucher du doigt que nous sommes pratiquement absents du secteur de l'activité économique qui domine notre vie et dans lequel près de 70 pour cent des ouvriers canadiens trouvent leur emploi, découvrir ensuite que, non seulement dans le Canada mais dans la seule province de Québec, nous n'occupons pas dans le reste, c'est-à-dire la petite industrie exclusivement, la place que nous devrions tenir vu notre importance dans la population, voilà qui suffit à une race bien née non pour la décourager mais pour la convaincre que le moment n'est pas encore venu de s'asseoir et d'applaudir à ses succès. À peu près partout, sauf dans l'agriculture, nous sommes au service de l'Anglais, de l'Américain, du Juif ou du Canadien de langue anglaise bien que nous comptions pour 78% de la population de la Province. Il n'est pas de raison pour qu'il en soit toujours ainsi ; nous avons le droit de nous faire notre place au soleil par des moyens légitimes ; il est même indispensable que nous y arrivions si nous voulons survivre, c'est-à-dire rester français autrement que par un signe extérieur - la langue - vide de tout sens s'il ne s'appuie pas sur une activité culturelle française intense, impossible elle-même à réaliser sans une certaine indépendance économique.

Mais comment nous sauver, voilà la question un peu désabusée qui nous est posée ? Oui, comment nous sauver ? Avant d'en décider, beaucoup de gens sentent le besoin de chercher, dans l'histoire, les raisons de notre situation : certains châtieurs impitoyables de leurs compatriotes en profiteront pour fustiger, non sans raison, leur apathie ; certains esprits plus orgueilleux ou plus vindicatifs y verront, non sans raison également, une sorte de fatalité historique dans laquelle nous avons été jetés bien malgré nous, - ceux-là placeront toute la [339] responsabilité sur les autres, sur les non-Français, et parleront de solutions radicales : la tentation du socialisme grandira dans leur âme, parce que le socialisme d'État, dans un pays où les Canadiens français sont la majorité, expropriera au bénéfice des Canadiens français toutes les industries qui ne leur appartiennent pas.

Cette solution qui répugne à notre esprit de justice et à notre formation catholique, nous indique toutefois déjà dans quel sens devront porter nos efforts. Elle nous fait toucher du doigt que nous sommes les ils de la population de Québec ; que c'est nous, les consommateurs ; que c'est pour nous que travaillent toutes ces entreprises qui ne nous appartiennent pas. Peu importe donc l'histoire, il suffira que nous nous décidions de nous approvisionner chez les nôtres pour que les entreprises canadiennes-françaises poussent sur notre sol comme des champignons.

C'est ce que comprirent ceux qui lancèrent le mouvement de l'achat chez nous. Mais dans la mesure où ce mouvement demeurait quelque chose de sentimental, un simple conseil donné à des consommateurs de s'approvisionner chez des marchands canadiens-français, dont les tablettes sont elles-mêmes garnies de produits de fabrication non canadienne-française, nous n'étions guère plus avancés. Il restait à trouver les organismes capables de mobiliser la capacité d'achat du consommateur canadien-français et de l'utiliser à la création de nouvelles entreprises, de mobiliser également les capitaux des Canadiens français pour les placer dans ces nouvelles entreprises. Ces organismes, la coopération nous les offre, la coopération les rend possible comme si nous l'avions inventée exprès pour faire face à une pareille situation.

L'idée coopérative ne vise pas à autre chose, en effet, que d'organiser la distribution d'abord, puis la production ensuite, à partir du consommateur et pour le consommateur. Normalement, les organisations coopératives vont donc mettre l'économie au service de la consommation, c'est-à-dire, dans un pays où la majorité des consommateurs est canadienne-française, au service des Canadiens français.

On objecte généralement à ce point de vue qu'il contredit l'un des principes fondamentaux de la coopération : ne pas pratiquer de distinctions confessionnelles ou raciales. Mais l'objection ne tient pas. Il n'a jamais été question d'enfreindre ce principe ; personne n'a jamais parlé - du moins parmi ceux qui dirigent chez nous le mouvement [340] coopératif - de n'admettre dans nos coopératives que des Canadiens français et d'en exclure tous les autres habitants du Québec. Ce serait pratiquer un ostracisme inutile ! La coopérative s'appuyant sur le consommateur, il va de soi qu'elle joue en faveur du groupe ethnique qui, dans un pays, constitue la majorité. S'il peut arriver que les éléments minoritaires soient en majorité dans telle coopérative particulière, ce ne peut être qu'à titre exceptionnel. Dans une économie coopérative, les Canadiens français, comptant pour 78 pour cent de la population québécoise, doivent donc l'emporter fatalement, dans le Québec, sans léser qui que ce soit, sans formuler d'interdiction contre qui que ce soit. Même si les dirigeants de la coopérative ne font pas preuve d'esprit national, cela se produira quand même, à plus longue échéance, mais indiscutablement, parce que c'est dans la ligne même du développement des coopératives selon l'intérêt de leurs membres. Voyons plutôt.

Regardez le magasin du coin. Son intérêt à lui, c'est de vendre avec profit. Peu importe les marchandises qu'il vend ; la seule chose d'importance, c'est que le consommateur les accepte ; et c'est demander au consommateur un héroïsme de tous les instants - et se leurrer - que d'attendre de lui qu'il insiste toujours et à chaque achat pour un produit canadien-français. Et puis s'il n'en existe nulle part, il lui faudra bien se contenter de ce qu'on lui donnera ! Quant à l'épicier, une fois son argent gagné, il n'a aucun intérêt spécial à devenir producteur : il dépensera son argent en produits quelconques ou le placera dans des institutions qui le mettront à la disposition des producteurs déjà en place. Lui demander de faire plus dans l'intérêt national, de promouvoir le développement des industries canadiennes-françaises, ce serait lui proposer une chose à laquelle il n'a aucun intérêt particulier immédiat, exiger aussi de lui un acte d'héroïsme. Or, l'héroïsme n'est pas vertu plus courante chez la masse des épiciers que chez celle des consommateurs ; elle est toujours partout un fait exceptionnel.

Tournez-vous maintenant vers le magasin de la coopérative. Son intérêt à lui, c'est de réduire le coût de la vie au minimum pour ses membres. Pour cela, il va d'abord supprimer le profit pur et le retourner aux membres. Mais ce n'est pas là le plus important ! Afin d'assurer aux consommateurs des prix encore plus avantageux, la [341] coopérative va être poussée à mettre de côté un peu de capital afin de pouvoir un jour produire elle-même les marchandises qu'elle vend et réduire ainsi les prix davantage. Comme, de plus, la coopération n'est pas un mouvement individualiste, le magasin en question va être associé à tous les autres magasins en une fédération où l'on pratiquera l'achat en commun et par l'intermédiaire de laquelle les petits capitaux de toutes les coopératives pourront se grouper et devenir des entreprises de production appartenant aux consommateurs. C'est ainsi que les coopératives d'Angleterre, après avoir débuté modestement à Rochdale sont devenues plus de 1,000 sociétés, comptant plus de 7 millions de membres ; et que toutes ensemble, elles sont devenues propriétaires de nombreuses usines de produits alimentaires et de vêtements, de plantations de thé aux Indes néerlandaises, de bateaux qui transportent leurs marchandises, d'une banque même. Transplantez, la même organisation dans le Québec ; constituez des coopératives de cette force ; par le fait même les consommateurs deviendront propriétaires de quantités d'entreprises de production qui leur échappent aujourd'hui ; et qui dit consommateurs dans le Québec, dit Canadiens français.

Si, à cet instinct naturel de la coopérative, on ajoute un peu de sens national chez les dirigeants du mouvement, les effets de la coopérative dans le domaine national vont se faire sentir bien avant que les coopératives soient devenues des institutions d'une très grande puissance. Déjà par l'intermédiaire de la Familiale, de nombreux produits canadiens-français sont mis à notre portée que, pour notre part, nous ne trouvions pas auparavant chez nos fournisseurs habituels. L'achat chez nous fait un pas de plus : au lieu de ne porter que sur le choix du marchand, il s'attache au choix du producteur lui-même, qui après tout détient les clefs de la vie économique. Dès que les coopératives représenteront de plus une capacité d'achat suffisante de tel produit pour que leur clientèle fasse vivre une entreprise, il leur suffira de stimuler des entrepreneurs canadiens-français pour que les établissements des nôtres se multiplient, même si la coopérative n'est pas parvenue à constituer le capital suffisant pour les créer. Cela, nous le répétons encore, se fera tout naturellement et sans discrimination des races et des confessions ; une coopérative a le droit, comme n'importe qui, de confier ses commandes à qui lui plaît. Et comme la majorité des membres en sera à peu près partout canadienne [342] française, à peu près partout la tendance naturelle sera à préférer le fournisseur canadien-français.

Voilà pour la coopérative de consommation. Nous en pourrions dire autant de la coopérative de crédit, qui groupera nos épargnes et les mettra à notre disposition, alors qu'aujourd'hui nous les confions à des institutions qui les dirigent naturellement vers des canaux dans lesquels nous avons difficilement accès. Rôle d'autant plus important que les coopératives de consommation, en diminuant le coût de la vie, et les coopératives agricoles, en assurant à l'agriculteur un meilleur prix pour ses produits, accroîtront notre puissance d'achat et d'épargne et accéléreront la formation de nouveaux capitaux canadiens-français, que, grâce à l'organisation coopérative du crédit, nous pourrons mettre au service de notre réhabilitation.

La conclusion est évidente : la coopération dont le travail silencieux n'a peut-être pas le panache de telle campagne à grand fracas contre les trusts, reste dans le domaine des relations pratiques ce qui se prête le mieux à la reconquête de la position économique à laquelle nous avons droit. Elle y arrive par un processus normal, sans léser personne, par le seul jeu des majorités. La solution à notre problème économique est donc là à notre portée ; elle n'exige ni capital important au départ, ni connaissances techniques spéciales pour commencer ; elle attend seulement le concours de toutes les bonnes volontés. Et ce concours ne signifie pas, sauf pour quelques zélateurs, fournir un effort considérable. Se laisser convaincre, s'inscrire dans une coopérative, y faire ses achats comme on les fait partout ailleurs, voilà tout ce que cette solution exige de la plupart.

Sans doute, la coopérative de consommation en soi ne guérira pas tous nos maux ; et nous pensons ici, entre autres choses, au problème de l'éducation et de la compétence technique que certains mettent toujours de l'avant comme la principale cause de nos insuccès. Ceux-là oublient souvent un fait d'expérience : sauf dans les pays où un génie a pu à un moment donné influencer le développement des institutions et les amener, par sa prévoyance, à être en avant de leur temps, donc prêtes à affronter les temps nouveaux, celles-ci ont toujours évolué sous la pression des circonstances - « le besoin crée l'organe ». Et c'est chez nous comme ailleurs parce que le besoin n'a été que d'ordre intellectuel et sentimental - les exigences de [343] notre survie - parce qu'il ne s'est pas traduit en une demande pressante de main-d'œuvre experte que nos institutions d'enseignement ont évolué moins rapidement que celles des Anglo-Canadiens vers cette adaptation nécessaire de nos programmes aux conditions modernes. Or si cette demande n'a pas existé spécialement pour nous malgré le développement considérable de notre pays, c'est en grande partie parce que les entreprises nous échappent, qu'elles se penchent peu vers nous, qu'elles ont vite recours à l'immigration quand la demande de main-d'œuvre compétente ou de hauts fonctionnaires n'est pas satisfaite par le contingent Anglo-Canadien.

Nous retombons donc dans le même problème. Il faut trop souvent aux Canadiens français, non seulement la compétence, mais des qualités exceptionnelles pour arriver à entrer, puis à faire leur chemin dans les grandes administrations. Et encore là, ils demeurent toujours au service des autres. En partant du marché, en s'en emparant pour le confier à des fabricants canadiens-français, la coopérative va contribuer pour sa part à créer ce besoin, cette demande de techniciens canadiens-français par le développement des industries canadiennes-françaises ; en nous rendant maîtres chez nous, elle va constituer l'organe qui créera le besoin et orientera l'évolution nécessaire de notre système d'enseignement dans le sens qui convient à notre situation. Voilà tout le grand espoir qu'on peut placer dans le mouvement coopératif si la population de cette province veut bien guider son sens national sur le sens des réalités. Nous sauver économiquement en donnant à chacun l'occasion de réaliser chaque année des économies appréciables sans grand effort supplémentaire, voilà ce qu'il nous offre. N'est-ce pas merveilleux ? comment résisterons-nous à l'appel de ses protagonistes ?


François-Albert ANGERS,
École des Hautes Études Commerciales



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 30 novembre 2011 18:15
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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