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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article d'Odina Benoist, “Langue et identité en Europe.” Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Gil Charbonnier, L’Europe des langues. Les Presses universitaires Aix-Marseille, 2016, 136 pp. [Autorisation formelle accordée par l’auteure le 19 avril 2017, et confirmée par M. Jean Benoist, de diffuser en libre accès à tous cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Odina Benoist

Maître de conférences en anthropologie, Aix-Marseille Université,
Laboratoire interdisciplinaire de droit des médias et des mutations sociales
(LID2MS ; EA 4328)

Langue et identité en Europe.” [1]

Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Gil Charbonnier, L’Europe des langues. Les Presses universitaires Aix-Marseille, 2016, 136 pp.

Introduction

I.  Une question universelle : langue et identité

II. La situation dans l’espace européen


INTRODUCTION

Le hasard a voulu que le colloque « L’Europe des langues » se soit tenu au moment où le gouvernement français soumettait à l’assemblée nationale une proposition de loi constitutionnelle visant à aboutir à la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires [2]. On sait en effet que, depuis la signature de la charte par la France, en 1999, le processus est bloqué car la charte comporte une contradiction avec la Constitution. Les débats récents ont montré que si, en France, certains craignent ses conséquences, d’autres les souhaitent. D’où leurs positions opposées, tandis que les partis politiques sont divisés, devant une population largement indifférente à l’exception de militants dont l’activité demeure assez limitée.

Nous avons donc eu la chance de réfléchir au bon moment, mais tout en étant en mesure de garder distance vis-à-vis des polémiques, sur une question qui sous un dehors apparemment simple se révèle d’une grande complexité. Complexité politique, certes, mais elle n’est que la partie explicite d’une complexité sous-jacente, qui touche aux profondeurs de l’identité et qui se rattache aux fondements idéologiques de la république.

Bien plus : nous devons être conscients qu’il existe en France un niveau encore plus profond de l’attachement à la langue et à la défense de son unité. Les poètes de la Pléiade, en s’appuyant sur le livre Défense et illustration de la langue française, publié en avril 1549 par Joachim du Bellay, faisaient du français le socle d’une identité, mais ils allaient plus loin car ils constituaient le français comme vecteur unique de la culture. Et cette conviction reste vivante dans bien des milieux ; elle enseigne aux francophones, qu’on le veuille ou non, que le français possède là une vocation spécifique, qui lui donne une universalité telle que tout ce qui viendrait freiner sa prépondérance s’inscrirait dans un passéisme opposé à la valeur d’universalité.

Au sein de l’union européenne, l’alignement avec les autres langues nationales et avec la valeur que chaque membre attache à sa langue – en particulier à sa dimension identitaire – vient limiter ces illusions d’universalité portées par le français ; non seulement il le réduit à sa dimension nationale, mais, de plus, il le somme de répondre aux questions posées par la place que réclament les autres langues présentes sur le territoire de la nation.

Dégager quelques idées claires sur le rôle identitaire des langues dans les divers espaces sociaux de l’Europe exige donc de passer en revue au préalable les fondements des liens intimes de la langue avec l’identité. C’est à ce niveau que l’on peut comprendre l’extrême sensibilité des sociétés à la question de leur langue. Et c’est à partir de là que nous pourrons réfléchir, prudemment, à l’articulation entre langue et identité dans l’espace européen [3].

I. Une question universelle :
langue et identité


Toute société se reconnaît dans certains traits culturels qui lui sont propres, ou qu’elle estime tels : les objets qui font partie de la vie de tous les jours, ceux qu’au contraire on ne montre qu’à une occasion plus ou moins exceptionnelle, les gestes qui accompagnent les interactions, les vêtements et les ornements qui mettent le corps en valeur, les prières qui mettent en contact les hommes avec leurs dieux, les plats quotidiens et ceux des grands jours, le cadre de l’habitat, les légendes et les chansons qui viennent de loin dans le temps, les mots à travers lesquels on s’exprime. Pratiquer sa culture est une façon de dire à soi-même et aux autres qui on est, d’où on vient et de qui on se distingue. Posséder une culture, c’est être capable de sentir les messages des objets, des croyances, des gestes et des attitudes propres à son groupe et de les utiliser spontanément ; c’est les avoir complètement intériorisés au point d’en avoir fait des constituants identitaires indélébiles.

Mais allons plus loin : les traits culturels que l’on pourrait répertorier chez un peuple n’ont pas, tous, la même capacité de signifier, de dire l’identité des membres de ce peuple. Certains sont en quelque sorte assez neutres, d’autres pèsent lourd et ils agissent comme des symboles qui condensent l’identité du groupe : pour tel peuple ce sera un type de vêtement, pour tel autre un chant, ou des marques corporelles, pour un autre encore une devise et une date marquante de son histoire.

Dans un travail fondateur de l’approche interactionniste de l’ethnicité, l’anthropologue norvégien Fredrick Barth [4] a bien montré qu’il est plus important, pour comprendre les relations entre des groupes ethniques, d’explorer leur frontière et la façon dont elle fonctionne que de centrer son observation sur ces groupes considérés seulement en eux-mêmes. Il entend par là que c’est au niveau de la frontière que fonctionne leur système relationnel et que se révèlent les mécanismes de mise à distance, la perception des différences. La frontière n’est pas une barrière, mais elle est un filtre, et chaque partie accepte ou refuse le passage à tel trait culturel de son voisin. Les intercommunications sont ainsi équilibrées par des moyens pour chaque groupe de conserver son identité à travers contacts et interpénétration, si denses qu’ils puissent être.

Fredrik Barth constate que, de façon très générale, un groupe choisit toujours parmi les éléments de sa culture ceux qui deviennent les emblèmes de son identité. Ainsi l’emblème identitaire que retient un groupe est-il peu prévisible, il « ne peut pas être déduit d’une liste descriptive de traits culturels ou de différences culturelles » [5]. Autrement dit, il n’y aurait pas d’éléments type de la vie en société qui, bien entendu déclinés différemment d’une société à une autre, apparaîtraient partout – universellement – comme des emblèmes identitaires. Non. C’est au sein de l’inventaire de ses traits culturels que chaque société choisit elle-même celui ou ceux qu’elle transforme en emblème de son identité et qui marque ainsi la frontière qui la sépare d’autres sociétés. Il s’agit, en ce sens, d’un choix apparemment aléatoire : ainsi que le fait remarquer Barth, « on ne peut pas prédire d’après des principes premiers quels seront les traits que les acteurs souligneront ou rendront pertinents comme traits organisationnels » [6].

La justesse de cette remarque est indiscutable de façon très générale, car la diversité d’emblèmes identitaires est un constat. Toutefois, s’il est un élément culturel présent par définition dans toute société, et dont la qualité d’emblème est presque une constante, c’est bien la langue [7] : la langue, par laquelle on communique avec ses proches, et, plus intimement, sur laquelle s’appuie la pensée, dans laquelle on rêve, par laquelle on exprime ses sentiments..

Le lien intime entre langue et culture, c’est-à-dire, cette façon particulière dont chaque langue exprime le monde tel qu’il est perçu par le groupe humain qui la parle, a conduit, dans les années 1950, deux chercheurs américains, Edward Sapir (linguiste et anthropologue) et Benjamin Lee Whorf (linguiste), à concevoir ce que l’on connaît aujourd’hui comme « l’hypothèse Sapir-Whorf », selon laquelle la langue que parle une société n’est pas seulement un moyen de communication, mais elle conditionne, par sa structure, la façon dont cette société pense le monde. La langue ne ferait pas qu’exprimer la pensée, elle la structurerait. Elle devient alors réellement une de sources de l’identité.

Formulée à l’époque où le relativisme culturel s’affirmait avec force en anthropologie, cette hypothèse a été accueillie avec beaucoup d’enthousiasme. Mais les critiques n’ont pas tardé, et elles ont été aussi radicales que le succès initial. On doit certainement restreindre l’ambition explicative des auteurs. Ainsi que de nombreuses critiques l’ont signalé, on peut difficilement admettre que la structure grammaticale d’une langue conditionne entièrement la façon de penser de ceux qui la parlent (une langue qui ne connaîtrait pas l’imparfait comme temps verbal empêcherait-elle ses locuteurs de concevoir ce que nous exprimons par l’imparfait ?). Mais l’intérêt de cette hypothèse reste grand : il tient au « rapport intime et réciproque qu’elle institue entre le travail du langage et de la pensée » [8] et au fait qu’elle « permet de comprendre […] comment l’examen d’un langage peut être aussi l’examen d’une forme de vie (sociale) » [9].

La langue d’un peuple est son instrument premier de socialisation. Elle est forgée par lui et il est identifié par elle. « Dire [de quelqu’un] “il parle comme nous” revient à dire “il est comme nous” » [10]. « L’autre », c’est d’abord celui qui parle une autre langue ou qui parle notre langue différemment (en raison de son accent, en raison de son vocabulaire). À cause de cela il apparaît comme étant fondamentalement différent.

Frontière, barrière qui s’impose non seulement entre peuples étrangers, mais aussi, au sein d’un pays, entre ceux qui parlent une langue régionale et le reste des citoyens. Pour ceux-ci, la langue identitaire est la langue nationale ; pour les autres, c’est le parler de leur terroir qui a valeur d’emblème, et leur rapport avec la langue nationale est variable selon les situations politiques et historiques. Il existe toujours une langue véhiculaire (souvent la langue propre au groupe dominant de la société, comme la langue nationale ou celle des envahisseurs dans des situations coloniales ou de conquête), hiérarchiquement valorisée face à celle d’un groupe régional. La diglossie [11] s’installe alors et se maintient justement en raison du poids identitaire de celui des parlers qui est sous-valorisé. En fait les choses sont encore plus complexes. La valeur identitaire d’une langue, peut elle être bien évaluée en termes contrastés ? N’est-il pas plus juste de concevoir que pour chaque groupe de locuteurs, chacune des langues employées s’inscrit sur une échelle de valeur identitaire, la langue véhiculaire se situant alors plus bas qu’un parler régional ?

Nous entrons là au cœur de notre sujet : les contours de ce « nous » uni par une langue commune peuvent s’élargir ou se restreindre, selon les situations : il y a un « nous » qui rapproche tous ceux qui dans le monde ont une même langue comme langue maternelle, un « nous » de l’ensemble du territoire d’une nation, un « nous » d’une région, marquée par un accent et par des termes peu usités ailleurs, et qui peut même être subdivisé en cercles plus étroits, correspondant à chacun des « nous » de plusieurs villages voisins.

II. La situation dans l’espace européen

Tournons-nous donc vers ce qui est plus spécifiquement européen. Penser « Langue et identité en Europe », c’est rencontrer le chevauchement de dialectiques parfois contradictoires. Par exemple, lorsqu’il s’agit de définir les conditions d’accès d’étrangers à la citoyenneté, les responsables administratifs et les pouvoirs politiques doivent choisir entre des priorités diverses pour déterminer les demandes qu’ils acceptent et celles qu’ils rejettent [12].

Si nous observons la situation des langues en Europe, il faut certes partir des données de base que fournit la recherche linguistique. Elle révèle la grande diversité des situations, les limites territoriales et les chevauchements de grandes langues nationales ; il en va de même des langues régionales ; à la suite de divers mouvements de l’histoire, certaines langues minoritaires sont strictement cantonnées à des espaces bien délimités, d’autres interfèrent entre elles dans une mosaïque. Les situations respectives et les usages des langues viennent préciser ces premiers constats : s’agit-il de situations de monolinguisme, de bilinguisme, de diglossie, ou même de positions résiduelles mises en relief par des militants ? Comment les locuteurs choisissent-ils la langue d’usage selon les situations de communication ? Par quelle langue s’identifient-ils ?

Mais l’approche linguistique révèle vite ses limites. Le sujet devient politique lorsque l’on passe du simple usage de langues vernaculaires (usage lié à une pratique quotidienne qui ne fait l’objet d’aucune législation) à une position légale constitutive de droits. Le sujet est politique car il implique d’abord la définition de la nature de la puissance publique qui est en mesure de régenter ces droits. Il est politique aussi, dans un sens plus large, parce qu’il implique une façon de concevoir les rapports des citoyens avec l’Etat. La question de l’identité est certes toujours présente lors de revendications de droits linguistiques, mais elle n’est pas seule en cause car la question de la langue n’est jamais indépendante d’autres dimensions communautaires : religieuses ou économiques en particulier. L’identité et la langue sont alors instrumentalisées à des fins qui les dépassent. 

En France, la République se proclame « une et indivisible », l’État-Nation se veut en relation directe avec chacun des citoyens, modèle qui ne laisse a priori aucune place à des lois qui instaureraient des différences entre citoyens, car en France la différence fait toujours craindre l’inégalité. De ce fait, la langue française, qui a un rôle prépondérant dans la construction de l’identité nationale, est vue comme l’expression et la condition de l’unité de la république. Dans cette conception, l’attribution des droits que prône la Charte des langues régionales ou minoritaires s’avère menaçante en altérant et en fragmentant cette identité.

Poussées par la lame de fond du multiculturalisme, dont l’empreinte sur notre continent semble de plus en plus forte malgré les réticences qui montent sous l’effet de ce qui est vécu par les populations comme des abus, les objections à cette position unitaire classique ne manquent pas. Elles s’appuient sur de nombreux arguments, les uns tenant à des choix idéologiques, d’autres visant à régler des situations concrètes que révèlent les travaux de sociologues et de linguistes concernant la langue, en particulier ceux qui sont relatifs à l’apprentissage scolaire ou à la grande sensibilité qu’implique la question linguistique.

Malgré certaines ouvertures au niveau de l’enseignement [13], les positions de fond ne bougent guère. Car la mise au premier plan de la seule langue nationale comme facteur d’unité et comme définisseur d’identité ne cherche pas à s’ajuster aux évolutions « à la base » : elle traduit une représentation qu’aucun argument issu de la réalité ne peut changer. Cette représentation est d’ailleurs un projet national, dans lequel la langue joue un rôle d’outil comme cela apparaît clairement dans la promotion institutionnalisée de la francophonie. L’importance qui lui est attribuée prouve, s’il en était besoin, combien l’Etat-Nation tel qu’il est conçu est indissociable de la langue nationale et ne peut s’affirmer et rayonner qu’à travers elle: la langue n’est pas seulement l’identité des individus qui la parlent, mais celle de la nation qui la possède. Il apparaît donc que les politiques de la langue ne sont pas traitées à partir de questions spécifiques à la langue : elles s’enracinent dans une représentation de l’identité appuyée à la fois sur une référence à l’histoire et sur un projet national.

Si l’on compare la situation française à celle d’autres pays beaucoup plus ouverts aux langues régionales, il ressort de ce qui précède que la place faite aux langues minoritaires est en corrélation avec la place réelle faite aux régions. Langue, identité, autonomie régionale se tiennent et l’on ne peut traiter de la question linguistique en Europe sans tenir compte du lien étroit qui existe en ce domaine.

On peut se poser une dernière question surtout à notre époque où il est coutume de regretter un déficit d’identité européenne. Une langue commune à toutes les nations européennes pourrait-elle conduire au sentiment d’identité continentale ? L’avenir de l’Europe exige-t-il de s’appuyer sur une langue à valeur identitaire forte ? On peut en tout cas douter qu’il suffise d’une langue véhiculaire à fonction purement opératoire – l’anglais, ou une langue artificielle, comme certains le proposent – pour jouer le rôle de lien, de consécration d’appartenance à un « nous » européen. Réponse sceptique à une question  plus complexe et plus difficile qu’il semble de prime abord, réponse qui en tout cas permet de conclure que la question des langues et de leur force identitaire ne peut se régler par « l’aménagement linguistique » à lui seul, mais concerne le champ culturel tout entier.

Et nous sommes, comme malgré nous, poussés à une conclusion un peu inattendue.

Il est clair que la valeur identitaire de la langue est considérable. La langue maternelle d’une communauté est un bien fondamental, de ceux sur lesquels on ne transige pas. Il en va ainsi tout autant de la plupart des langues nationales que des langues dites minoritaires. Mais cette valeur identitaire d’une langue n’est telle que pour une communauté particulière. Certes des langues telles que le français auparavant ou l’anglais maintenant peuvent prendre une extension internationale, mais en tant que langues véhiculaires ; elles ne sont pas alors le support linguistique d’une identité. Elles confortent un espace de communication, mais elles n’ont pas à tenir lieu d’emblème d’un « nous » européen ; leur adoption et leur abandon aisés selon les circonstances le montrent suffisamment.

Mais l’absence d’une langue identitaire en Europe ne permet nullement de nier l’existence d’une identité européenne. Nous sommes finalement conduits à conclure que c’est hors du champ linguistique que l’on doit chercher les emblèmes d’une identité qui, ignorant les frontières nationales, rassemble les Européens dans un « nous » partagé.

On sait que l’identité procède de deux sources : une source intérieure, que les individus connaissent et à laquelle ils tiennent, et une source extérieure, celle d’une identité assignée par d’autres qui, percevant les traits culturels distinctifs d’une communauté, en usent pour définir un autre culturel et le distinguer d’eux-mêmes. La dialectique devenue classique sur l’identité juive met bien en relief ces deux sources de l’identité, celle de l’identification de soi-même et celle de l’identification par les autres.

Ne serait-il alors pas sage et intéressant de se tourner vers ce que perçoivent et expriment d’autres peuples quant à ce qui symbolise l’Europe et les Européens, de comprendre ce sur quoi se fonde leur perception, de quels signes ils usent pour les caractériser ? La langue apparaîtra alors comme très secondaire quant à la définition d’une identité européenne, tandis qu’elle se présentera comme fondamentale quant à celle des groupes particuliers – nationaux comme régionaux – qui constituent, à eux tous, l’Europe.

Au-delà des refus politiques de se référer à une source religieuse, ne constate-t-on pas, de l’extérieur de l’Europe, et même en son sein, que, sous des formes idéologiques souvent opposées entre elles, cette source est faite de valeurs partagées ? Ces valeurs, qui fondent une identité européenne qui dépasse celle des nations, jouent le rôle de lien, de consécration d’appartenance à un « nous » européen et elles s’affaiblissent et même souvent s’effacent aux frontières de l’Europe.



[1] Je remercie le professeur Robert Chaudenson pour la relecture de ce texte et pour ses commentaires.

[2] La Charte européenne des langues régionales et minoritaires du Conseil de l’Europe (Strasbourg, 1992) a le double objectif de sauvegarder et de promouvoir les langues régionales et minoritaires en tant que patrimoine culturel, et d’encourager leur emploi aussi bien dans la sphère privée que dans la sphère publique, les langues liées à l’immigration récente n’étant pas concernées. La Charte entend ainsi favoriser l’emploi de ces langues dans l’enseignement, les médias, la justice, l’administration, le domaine économique et le monde culturel. Signée par la France en 1999, sa ratification a été à l’époque rendue impossible par une décision du Conseil Constitutionnel en raison de son incompatibilité avec l’article 2 de la Constitution, qui dispose que « [l]a langue de la République est le français ». La réouverture du processus de ratification de la Charte faisait partie des promesses de campagne de François Hollande, et il a failli être abandonné à la suite d’un avis négatif du Conseil d’Etat, pour qui « une série de problèmes juridiques [...] la rendent impossible à adopter ». Il y a eu par la suite des réactions des mouvements régionalistes et la pression de l’Europe, et le dossier a été repris. La Charte a alors été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée Nationale dans la semaine du 20 janvier 2014, et le 28 janvier les députés ont adopté par une large majorité (361 voix contre 149) une proposition de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte.

[3] L’ampleur des réactions à la décision du gouvernement ukrainien contre la place faite à la langue russe vient à point nous rappeler la fragilité des équilibres linguistiques dans bien des pays, leur importance quant à la cohésion nationale, et les difficultés que peut susciter la remise en cause d’une situation linguistique.

[4] Fredrik Barth, « Les groupes ethniques et leurs frontières », in Philippe Poutignat et Jocelyne Streiff-Fenart, Théories de l’ethnicité, PUF, 1995, pp. 203-249. Ce texte, dans sa version originale de 1969, est l’« Introduction » d’un ouvrage collectif réalisé sous la direction de Fredrik Barth, intitulé Ethnic Groups and Boundaries. The Social Organization of Culture Difference (Universitetsforlaget, Bergen-Oslo-Tromsö / Little, Brown and Company, Boston / George Allen & Unwin, London).

[5] F. Barth, op. cit, p. 211.

[6] F. Barth, op.cit., p. 211.

[7] Il y a toutefois des exceptions, notamment dans des cas où deux peuples opposés voire ennemis partagent une même langue (Tutsis et Hutus, Croates et Serbes), qui ont donc la nécessité d’autres identifications.

[8] Sandra Laugier, « Hypothèse Sapir-Whorf », in Sylvie Mesure et Patrick Savidan, (sous la direction de), Le dictionnaire des sciences humaines, PUF (« Quadrige »), 2006, pp. 590-592, p. 590.

[9] Sandra Laugier, op. cit., p. 592.

[10] Robert Deliège, Une histoire de l’anthropologie, Seuil, 2006, p. 107.

[11] En sociolinguistique, la diglossie désigne la situation où deux variétés linguistiques coexistent sur un territoire donné et ont, pour des motifs historiques et politiques, des statuts et des fonctions sociales différents, l'une étant représentée comme supérieure et l’autre comme inférieure au sein de la population. Les deux variétés peuvent être des dialectes d'une même langue ou bien être deux langues très différentes.

[12] Qui doit être prioritaire : l’étranger qui a un emploi et des papiers en règle mais ne parle pas la langue nationale, ou celui qui la parle et l’écrit, en tant que ressortissant d’une ancienne colonie, mais qui, une fois sur le territoire national, n’arrive pas à se faire embaucher ?

[13] La loi Deixonne de 1951, relative à l’enseignement des langues et dialectes locaux, marque une première étape dans ce processus d’ouverture de la part de l’État français, qui reconnaît ainsi le droit à l’enseignement du basque, du catalan, du breton et de l’occitan dans l’enseignement public. Cette reconnaissance a été ensuite accordée au corse en 1974, au tahitien en 1981 et à quatre langues mélanésiennes (l’ajië, le drehu, le nengone et le paicî) en 1992. En 1994, la loi Toubon, tout en ayant comme objectif la protection du patrimoine linguistique français, prévoit, dans des cas justifiés, « l’enseignement des langues et cultures régionales » (art. 11, § I), et stipule que « [l]es dispositions de la présente loi s’appliquent sans préjudice de la législation et de la réglementation relatives aux langues régionales de France et ne s’opposent pas à leur usage » (art. 21). En 2001, le gouvernement de Lionel Jospin a instauré la création d’un Capes de créole, enseigné en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique et à La Réunion.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 27 novembre 2017 6:26
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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