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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Frédéric Scheider, Arthaud de Lyon, aliéniste missionnaire. (2009)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Frédéric Scheider, Arthaud de Lyon, aliéniste missionnaire. Paris: Les Éditions Glyphe, 2009, 338 pp. [Livre diffusé en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales avec l'autorisation conjointe de l'auteur et des Éditions Glyphe accordée le 23 octobre 2019.]

[11]

Préface

Joseph Arthaud est un aliéniste du xixe siècle, aujourd'hui bien oublié. Il faut savoir gré à Frédéric Scheider de nous avoir restitué son parcours, avec une érudition et une profondeur de réflexion soutenues par une plume alerte.

Médecin lyonnais responsable de la division des aliénés à l'Hôpital de l'Antiquaille, promoteur du nouvel asile départemental de Bron, élevé sur les terrains de la ferme du Vinatier, devenu le premier professeur de psychiatrie de la Faculté de Médecine de Lyon, à sa création, Joseph Arthaud se situe à l'entrecroisement des tensions qui opposent légitimistes et libéraux, catholiques et laïques, partisans d'une médecine scientifique fondée sur l'anatomopathologie et tenants d'un vitalisme spiritualiste. Élevé lui-même dans un milieu profondément religieux, il fait partie de cette génération de chrétiens sociaux, influencés par leur professeur de philosophie du Collège de La Trinité, l'abbé Noirot, parmi lesquels s'illustrera Frédéric Ozanam, le fondateur des Conférences Saint Vincent de Paul. Cette filiation et une foi affirmée ne l'empêchent pas d'adopter, contre le vitalisme montpelliérain, les thèses de l'École de Paris, clairement organiciste, et de s'intéresser, de manière très moderne, à l'épidémiologie et à la statistique. Tout en recueillant l'héritage pinélien du traitement moral individualisé, rendu de plus en plus impraticable du fait de l'encombrement des services hospitaliers, il s'intéresse aux problèmes de santé publique et participe au mouvement hygiéniste, en plein développement. Le médecin y [12] prend, peu à peu, la place du directeur de conscience et, en surveillant l'« l'hygiène des familles » (c'est le titre du livre d'un collègue lyonnais contemporain d'Arthaud) cherche à prévenir des pathologies, reliées par certains à une dégénérescence de la race. Arthaud ne semble pas avoir partagé cette théorie eugéniste mais se préoccupe des conditions sociales susceptibles de favoriser les troubles mentaux. Au Dispensaire de Lyon, à la création duquel il a participé, il prodigue des soins ambulatoires aux classes populaires. S'il se consacre à planifier un asile capable de répondre aux prescriptions de la loi de 1838 qui régit l'internement des aliénés, il s'intéresse aussi aux solutions « alternatives » à l'hospitalisation: communauté d'accueil dont, depuis le Moyen Âge, le village de Gheel, en Belgique, donne l'exemple, ferme agricole ou service de « patronage » assurant la post-cure. Envoyé par le Gouvernement impérial à Morzine, où sévit une épidémie d'hystérie collective « démonopathique », il préconise, en association avec des dignitaires ecclésiastiques éclairés, une approche qu'on pourrait qualifier de sociothérapique.

En même temps qu'il traduit la formation et l'ascension d'une nouvelle classe sociale, celle des notables éduqués, le destin d'Arthaud montre la place du militantisme dans le développement de la psychiatrie et, plus largement, de la santé publique. Homme discret, voire effacé, n'aimant pas le conflit, Arthaud poursuit néanmoins, contre les autres mais aussi peut-être contre lui-même, un combat inlassable pour la victoire de ses idées qui mérite l'épithète de « missionnaire » que lui accole Frédéric Scheider. Pris dans des luttes d'influence qui le dépassent, entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux, entre les puissants Hospices Civils de Lyon, émanation d'une bourgeoisie traditionaliste, et un Conseil Général dominé, après 1870, par les radicaux anticléricaux, il doit naviguer à vue, accepter parfois des compromis. Mais son passé de président de la Conférence Saint Vincent de Paul et son catholicisme évident finissent par entraîner son éviction. Quasiment comme Moïse, Joseph Arthaud restera à la porte de sa terre promise, l'asile d'aliénés dont pendant plusieurs décennies il avait rêvé l'édification. Les sœurs du Verbe Incarné, dont il avait fait ses collaboratrices auprès des malades, le suivront de peu dans son exil. L'asile de Bron sera alors, définitivement, une institution départementale strictement laïque.

[13]

Ce livre devrait intéresser non seulement ceux qui s'interrogent sur l'histoire de la psychiatrie, mais encore tous les curieux des débats sociaux, politiques, religieux, intellectuels, qui ont traversé le siècle et qui portent en eux les germes de notre présent. Par le biais d'une biographie, il apporte, de manière vivante et très documentée, des éclairages nouveaux sur la formation de la médecine publique, sur ses racines dans les entreprises charitables, sur l'émergence de la laïcité. Il montre aussi comment s'est constituée la médecine scientifique, comment elle s'est arrachée à sa période métaphysique, à la fois en découvrant les bases lésionnelles des maladies et en entreprenant de mesurer les effets de ses traitements. C'est un des aspects les plus originaux de ce livre que de rappeler l'importance de la création de la « méthode numérique ». On a trop tendance, depuis Michel Foucault, à assimiler la naissance de la clinique à l'ouverture des corps. Frédéric Scheider, en exhumant les travaux d'un médecin parisien, Louis, qui fut un des maîtres d'Arthaud, montre que l'évaluation, devenue aujourd'hui si prégnante dans les différentes disciplines médicales et chirurgicales, ne date pas de la moderne « médecine basée sur les évidences ».

F. Scheider aide ainsi à faire justice de certains mythes. Notre génération, soumise aux dogmes foucaldiens et althusseriens, a trop longtemps sacrifié à celui de la « rupture épistémologique ». Nous avons considéré de manière homogène l'« épistémé » d'une époque, comme si s'étaient succédé: un temps héroïque des fondateurs (celui de Pinel et d'Esquirol), puis une psychiatrie purement répressive cherchant seulement à dépister les stigmates d'anormalité et à pratiquer la ségrégation des anormaux voire leur élimination, enfin la révolution de l'après deuxième guerre mondiale marquée par le renoncement à l'asile et, avec l'introduction de chimiothérapies efficaces, par le développement des psychothérapies individuelles, collectives ouvrant sur la sectorisation et la multiplication des pratiques extra-hospitalières. En suivant le chemin parcouru au milieu du xixe siècle par Joseph Arthaud, on est amené à nuancer ces approximations. On découvre la variété des expériences qui, même si elles restent limitées, manifestent la complexité et la diversité des réflexions institutionnelles. On découvre des premiers essais médicamenteux et une prise en compte humaniste de la personne du malade. La question de la responsabilité des criminels et de leur [14] libre arbitre, donc de l'opportunité de juger et de condamner les criminels aliénés, qui redevient aujourd'hui d'actualité, est abordée ici dans une perspective où l'idéal des Lumières rencontre la tradition thomiste. Surtout, à un moment où la psychiatrie, oublieuse de ses sources, tend à s'assimiler totalement à la médecine du corps et à se retransformer en une branche de la neurologie réduisant le symptôme à l'effet linéaire d'une lésion ou d'un dysfonctionnement, il est capital de se souvenir qu'elle a d'abord été, pour le meilleur et pour le pire, consacrée à traiter le problème posé à toute société par l'existence de la folie et par les souffrances qu'elle occasionne, aussi bien à celui qui en est atteint qu'à ceux qu'il rencontre. Dans les termes de son temps, Joseph Arthaud apparaît conscient de cette double dimension fondamentale de son métier: relationnelle et politique. Il serait anachronique d'en faire un psychothérapeute institutionnel avant la lettre ou un leader syndical des années qui virent s'organiser la psychiatrie de la Libération. Il serait outrageusement simplificateur de faire l'impasse sur ses contradictions personnelles, que Frédéric Scheider nous laisse pressentir. Mais son esprit « missionnaire » nous rappelle l'importance pour le psychiatre, d'aujourd'hui comme d'hier, de savoir préserver une pensée originale au service d'une action militante, contre une mise au pas normalisatrice et un « consensus » bêtifiant.

Jacques Hochmann



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 2 novembre 2019 15:34
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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