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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Christian Rouillard, “L'innovation managérielle et les organismes centraux au Québec.” Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction d’Alain-G. Gagnon, Québec: État et société. Tome II, chapitre 9, pp. 209-226. Montréal: Les Éditions Québec/Amérique, 1994, 2003, 588 pp. Collection: DÉBATS. Une édition numérique réalisée par Pierre Patenaude, bénévole, professeur de français à la retraite et écrivain, Chambord, Lac—St-Jean. [Autorisation accordée par Alain G. Gagnon, vendredi le 17 mars 2006, de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[209]

Christian ROUILLARD

Professeur agrégé, École nationale d'administration publique
Chaire de recherche du Canada en gouvernance et gestion publique

L'innovation managérielle
et les organismes centraux
au Québec
.”

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction d’Alain-G. Gagnon, Québec : État et société. Tome II, deuxième partie: “La gouvernance”, chapitre 9, pp. 209-226. Montréal: Les Éditions Québec/Amérique, 1994, 2003, 588 pp. Collection: DÉBATS.



Le réformisme administratif dans lequel s'engage présentement le secteur public québécois à travers son projet Pour de meilleurs services aux citoyens n'est pas qu'un exercice de réorganisation de l'État [1], mais comporte aussi, comme tous les grands changements organisationnels planifiés, une velléité tacite d'orientation symbolique et de construction identitaire qui, par-delà la recherche d'efficience sur le plan de la prestation des services, circonscrit la capacité d'intervention et de régulation de l'État québécois, soit-elle directe ou indirecte, par la redéfinition de ses ressources organisationnelles tout autant que par celle de sa légitimité antérieure. Sanctionnée formellement par la Loi sur l'administration publique adoptée en mai 2000, cette dernière innovation qu'est le nouveau cadre de gestion doit permettre la modernisation de l'appareil administratif québécois, considéré victime de la rigidité structurelle de la bureaucratie weberienne, en assurant le passage d'une gestion axée sur le respect des processus à une gestion par les résultats.

Particulièrement ambitieux, ce cadre de gestion, redevable au nouveau management public, fait-il de l'administration publique québécoise, comprise comme un ensemble hétérogène et complexe d'institutions, d'organisations, d'activités et de personnes, une figure de proue eu égard à l'innovation managérielle ? Dans quelle mesure le cadre de gestion explicité dans la Loi sur l'administration publique modifie-t-il les relations entre le Conseil du trésor et les organisations publiques (ministères et organismes budgétaires) visées ? Et, par-delà, les [210] principaux éléments constitutifs de ce nouveau cadre de gestion s'inscrivent-ils dans une perspective de gouvernance différenciée ?

L'argumentation de ce texte se développe à travers quatre sections distinctes. La première présente le contexte et les origines de ce projet de modernisation de l'appareil administratif québécois. La seconde repose sur une analyse critique des principaux éléments constitutifs du nouveau cadre de gestion, à la lumière des questions précédemment posées. Une troisième section poursuit l'analyse critique en discutant des tensions entre la prétention horizontale et la sacralisation verticale que reconduit implicitement ledit cadre de gestion. Une dernière section, soucieuse de réconcilier cette réflexion sur l'innovation managérielle à celle sur la gouvernance, analyse les éléments de convergence et de divergence, bref la complémentarité, entre ce cadre de gestion et une gouvernance différenciée.

Le discours construit dans les pages suivantes avance que ce nouveau cadre de gestion n'est ni aussi distinctif ni aussi progressif que le suggèrent ses apologistes et, par-delà, qu'il ne modifie pas, malgré les prétentions du nouveau management public eu égard à la décentralisation et à l'habilitation, les relations asymétriques traditionnelles entre le Conseil du trésor et les organisations visées par la Loi sur l'administration publique. Encore faut-il ajouter que les contradictions internes de ce nouveau cadre de gestion sont autant de sources potentielles d'effets pervers, autant de facteurs d'amenuisement de la participation collective sur laquelle repose invariablement, en définitive, tout changement organisationnel planifié. De même, le texte avance que, tout intuitive qu'elle puisse sembler, l'adéquation du nouveau management public à la gouvernance est, au contraire, pour le moins malaisée.


CONTEXTE ET ORIGINES
DE LA MODERNISATION DE L’ÉTAT QUÉBÉCOIS
OU LE NÉCESSAIRE DÉPASSEMENT
DE L’ENVIRONNEMENT ADMINISTRATIF WEBERIEN

L'administration publique québécoise, malgré les critiques répétées sur le caractère bureaucratique des organisations complexes qui la composent, plus souvent qu'autrement réduites à une simple caricature du modèle weberien, se caractérise depuis le début des années 1980 par une volonté manifeste de souscrire à un changement systématique de fond, comme l'illustrent, entre autres exemples de lois structurantes, l'adoption de la Loi sur la fonction publique en 1983 (responsabilisation des employés, services aux citoyens et développement des ressources humaines), celle de la Loi sur l'imputabilité des sous-ministres et dirigeants d'organismes publics en 1994 et, récemment, celle de la Loi sur [211] l'administration publique, qui traduit sur le plan juridique l'énoncé de politique Pour de meilleurs services aux citoyens – un nouveau cadre de gestion pour la fonction publique.

S'inscrivant dans la mouvance du nouveau management public, ces différentes initiatives législatives visent à accroître l'efficacité et l'efficience du secteur public québécois, donc la performance globale, à travers la recherche d'une imputabilité administrative externe accrue des hauts fonctionnaires, d'une participation et d'une responsabilisation renouvelées de tous les fonctionnaires, de même que d'un dépassement de l'identité civique traditionnelle par celle de client, consommateur et contribuable, l'une et l'autre toujours conjuguées de manière circonstanciée à celle de citoyen. Soucieux de mettre l'accent sur la qualité de la prestation des services publics, ce réformisme insiste sur ce que :

« La principale mission de l'État est de s'assurer que les citoyens reçoivent des services publics de la plus haute qualité, au meilleur coût. La réforme doit donc conduire à un appareil administratif plus moderne, capable de s'adapter aux défis de court et long terme, bien centré sur les attentes et les besoins des diverses composantes de la société [2] ».

L'État québécois contemporain est ainsi d'abord et avant tout compris comme un fournisseur de services publics, toute référence à sa fonction de concepteur de politiques étant entièrement gommée. Réactique, puisque soucieux de répondre aux attentes et aux besoins sociétaux, cet appareil administratif plus moderne recherche l'atteinte de ce mystique et toujours indéfini équilibre entre la qualité et le coût d'un service donné. S'appuyant sur des contextes macroéconomiques et mésopolitiques qui renvoient à l'intégration des économies nationales, évidemment conjuguée à l'accroissement des échanges commerciaux internationaux, à l'assainissement des finances publiques, de même qu'aux possibilités créées par les récents développements des nouvelles technologies d'information et de communication (NTIC), tout autant que pour faciliter l'insertion de l'économie québécoise au sein de la nouvelle économie, le projet de réforme québécois doit déboucher sur un nouveau cadre de gestion, sur des lois, règles, règlements et directives nouveaux dont l'ensemble participe à accroître la réactique institutionnelle de l'administration publique québécoise [3].

[212]

POUR DE MEILLEURS SERVICES AUX CITOYENS.
À LA RECHERCHE DE LA CONGRUENCE PERDUE
DES MANAGEMENTS PUBLIC ET PRIVÉ


Devant mener à la modernisation systémique de l'ensemble du secteur public québécois, la Loi sur l'administration publique privilégie, en tant qu'assise de la réforme, la gestion par les résultats, qui elle-même s'articule à travers la trilogie suivante : un allégement du contexte normatif et réglementaire dans lequel et à travers lequel se meut la fonction publique québécoise, une diffusion soutenue de contrats de performance et d'imputabilité propres à chaque unité organisationnelle, de même que le renforcement concomitant de la reddition de comptes, qui donne tout son sens aux prétentions d'imputabilité précédentes. Des moyens d'action et d'encadrement particuliers ont été retenus [4] , nommément :

– un engagement public de chaque ministère et organisme sur la qualité des services ;

– l'élaboration par chaque ministère et organisme d'un plan stratégique pluriannuel ;

– la publication par chaque ministère et organisme d'un plan annuel de gestion des dépenses ;

– la reformulation du rapport annuel de chaque ministère et organisme en un rapport annuel de gestion ;

– la réduction des contrôles a priori jusqu'alors exercés par les organismes centraux.

Pierre angulaire du passage souhaité d'une gestion axée sur les résultats à une gestion par résultats, la seconde reposant sur des objectifs étroitement définis suffisamment spécifiques pour être mesurables, les contrôles bureaucratiques a priori, caractéristique rejetée du modèle hiérarchique weberien pour cause d'incurie et d'inefficience, doivent ainsi disparaître pour céder la place à des indicateurs de performance avec lesquels le quantitatif triomphe sur le qualitatif. Les traditionnels contrôles a priori, jusqu'alors jugés nécessaires pour s'assurer de la légalité et de la conformité des décisions et des actions administratives sont ici considérés comme autant de facteurs de rigidité et de blocage, autant opérationnels que stratégiques, autant de freins à l'habilitation des gestionnaires et à la débureaucratisation des ministères et des organismes. Source [213] présumée d'habilitation des intelligences organisationnelles, la mise en œuvre de ce nouveau cadre de gestion dépend entièrement de la création de ces instruments statistiques d'évaluation a posteriori du rendement et de la performance. Pour innovateur que se réclame ce nouveau cadre de gestion, force est d'admettre qu'il repose sur une conception étroitement positiviste [5] des activités d'évaluation et de contrôle, pourtant victime de longue date de ses prétentions épistémologiques élevées, comme semble d'ailleurs le reconnaître implicitement, à sa façon, l'énoncé de politique :

« L'expérience montre qu'il n'est pas facile de définir, pour chaque unité administrative, des objectifs suffisamment précis et mesurables pour servir de cadre de contrôle et d'imputabilité. Il n'est pas aisé, non plus, de mettre en place les statistiques de gestion qui sont nécessaires pour mesurer l'atteinte ou la non-atteinte des objectifs. Tant que ces instruments n'auront pas été mis en place et n'auront pas été validés par le biais de l'expérience, il serait présomptueux de parler de véritable gestion par résultats [6] ».

S'appuyant sur une interprétation favorable de l'expérience The Next Steps au Royaume-Uni, l'énoncé de politique ne manque pas pour autant de reconnaître qu'un tel changement institutionnel ne saurait se faire par simple décret, pas plus d'ailleurs que par seul volontarisme, et retient donc une période d'environ cinq ans, soit la moitié de celle nécessaire à l'expérience britannique, pour permettre la mise en œuvre complète et réussie de ce cadre de gestion. Les acteurs stratégiques centraux de cette mise en œuvre sont les parlementaires, le ministre, le sous-ministre, le dirigeant d'organisme et, bien entendu, les fonctionnaires. Triste ironie, seul le citoyen est absent, pour qui et au nom de qui est entreprise cette première phase de la modernisation de la fonction publique québécoise.

Les parlementaires étant prétendument habilités par l'information supérieure contenue dans le rapport de gestion, autrement plus descriptif que le désuet rapport annuel, de même que par celle de la planification stratégique pluriannuelle et du contrat de performance et d'imputabilité, leur contrôle sur les hauts fonctionnaires, donc du pouvoir politique sur celui administratif, devrait s'accroître à travers la mise en œuvre du nouveau cadre de gestion. Tout en insistant sur le fait que le principe constitutionnel de la responsabilité [214] ministérielle individuelle est reconduit, le ministre devra maintenant approuver le plan stratégique de l'unité administrative et conclure les contrats de performance et d'imputabilité avec les gestionnaires, de même qu'il devra conclure l'entente de gestion de ladite unité avec le Conseil du trésor.

Bien que ce nouveau cadre de gestion soit redevable au nouveau management public, qui, entre autres distinctions, cristallise la dichotomie opposant le politique à l'administratif, celui-ci semble à cet égard baigner dans une confusion relative puisque, comme le suggèrent ces nouvelles responsabilités ministérielles, nommément la négociation d'ententes de gestion, de même que celle du contrat de performance et d'imputabilité, l'acteur politique qu'est le ministre dans le système parlementaire d'origine britannique devient lui-même un acteur managériel. En ce sens, ce nouveau cadre de gestion semble s'éloigner du célèbre appel à l'habilitation de la Commission royale d'enquête sur l'organisation du gouvernement (Glassco), à savoir le leitmotiv « Let the managers manage [7] ». Cette rhétorique confuse, sinon contradictoire, du cadre de gestion qui postule implicitement l'accroissement concomitant du contrôle politique et de l'autonomie managérielle n'est toutefois pas le propre de la loi québécoise, mais une caractéristique non avouée des prescriptions managérielles mises en œuvre dans plusieurs pays à l'occasion de leurs réformes administratives [8]. De surcroît, sans nier les compétences habituellement nécessaires pour occuper la fonction élitiste de ministre, il est permis de s'interroger sur la capacité réelle du ministre de faire siennes de telles responsabilités. L'absence d'une telle capacité ne peut, contrairement à ce que recherche le nouveau cadre de gestion, que se traduire par une diminution du contrôle politique sur l'administratif, ce dernier étant le seul à exercer, dans un tel contexte, le pouvoir d'expertise lui permettant de maîtriser ces nouvelles relations.

Tout en étant un acteur névralgique de la mise en œuvre progressive de ce nouveau cadre de gestion, le sous-ministre ne se voit pas vraiment confier de nouvelles fonctions, de nouvelles responsabilités, si ce n'est celle de consacrer [215] une partie croissante de son temps aux activités d'évaluation et de contrôle, de même qu'à la reddition de comptes auprès de son ministre, des organismes centraux et des parlementaires. Encore faut-il ajouter que celui-ci est appelé à devenir le conseiller privilégié du ministre, en accord avec la pratique courante des institutions de type britannique, cette fois eu égard aux ententes de gestion à conclure avec le Conseil du trésor et aux contrats de performance et d'imputabilité avec les gestionnaires. En ce sens, il est difficile de conclure à l'accroissement du contrôle politique sur l'administratif dans la mesure où ce nouveau cadre de gestion crée de nouvelles occasions d'exercice concret du pouvoir d'expertise du sous-ministre.

Même dans l'hypothèse où tout cela ne se traduit vraiment, au bout du compte, que par la reconduction dynamique des relations de pouvoir traditionnelles entre le ministre et le sous-ministre, force est d'admettre qu'il demeure toujours impossible de conclure à l'accroissement du contrôle politique [9]. Enfin, il faut reconnaître que le temps supplémentaire que devront consacrer le sous-ministre et le dirigeant d'organisme aux activités d'évaluation et de contrôle ne s'inscrit pas tant dans une dynamique vertueuse d'accroissement de l'efficience organisationnelle que dans une mouvance vicieuse de bureaucratisation, lesdites activités ne faisant pas partie, en elles-mêmes et par elles-mêmes, de la raison d'être d'un ministère ou organisme, pas plus d'ailleurs qu'elles ne font partie de la prestation de services, sur laquelle insiste ponctuellement l'énoncé de politique. Simplement dit, les ressources organisationnelles de tout ordre consacrées à l'évaluation et au contrôle ne sont évidemment pas consacrées à la mission première du ministère ou organisme, peu importe le caractère spécifique ou diffus de ladite mission.

Derniers acteurs névralgiques de cette réforme administrative, les fonctionnaires sont eux-mêmes sujets à l'habilitation privilégié pour accroître l'efficacité et l'efficience de l'ensemble des ministères et organismes. Ainsi,

« Les professionnels et les fonctionnaires du gouvernement seront davantage responsabilisés. Ils poursuivront des objectifs clairs, exprimés en termes de résultats. Comme ils se trouvent souvent en première ligne de la prestation des services, [216] ils seront partie prenante de la définition des objectifs de qualité et de leur application [10] ».

Le nouveau cadre de gestion entend donc conjuguer l'autonomie supérieure et l'émancipation individuelle desquelles se réclame le nouveau management public au sens de l'État sur lequel insiste l'administration publique dite traditionnelle, tout en évitant le piège récurrent de souscrire dans la pratique à un vulgaire mimétisme, soit-il partiellement contextualisé, du management de la firme privée, piège d'autant plus lourd d'effets pervers que celui-ci n'est pas sans souffrir d'un assujettissement répété au dernier courant ou à la dernière mode managériels [11]. Pour soucieux que se dise le cadre de gestion québécois des particularismes du management dans le secteur public [12], il souscrit sans discernement à la reconnaissance de la performance individuelle sur laquelle reposent tant de discours managériels construits pour la firme privée, en commençant par celui de la gestion de la qualité. Nul besoin d'insister longuement sur le fait qu'une telle reconnaissance de la performance, plus souvent qu'autrement matérialisée par une récompense financière, s'inscrit en faux avec le principe de l'anonymat de la bureaucratie weberienne, tout autant qu'elle souscrit implicitement à une dynamique de quasi-concurrence qui tend à opposer les individus comme les organisations les uns aux autres, rendant d'autant plus difficile la coordination interorganisationnelle [13] et, par-delà, substituant la logique du marché au sens de l'État. De la même manière qu'elle recherche l'équilibre mystique entre la qualité et le coût d'un service public, cette réforme administrative se propose de résoudre une antinomie, soit de réconcilier les meilleures techniques de gestion construites dans la firme privée au contexte particulier des ministères et organismes de l'administration publique québécoise.

[217]

RUPTURE ET CONTINUITÉ :
DE LA PRÉTENTION HORIZONTALE
À LA SACRALISATION VERTICALE


S'inscrivant ainsi en parfaite communauté d'esprit avec le nouveau management public, comme l'illustre le Tableau 1, le. cadre de gestion québécois vise donc à dépasser l'environnement bureaucratique traditionnel, plus souvent qu'autrement réduit à ses effets pervers, en privilégiant la même dynamique d'innovation, à savoir un accent sur la créativité-flexibilité, l'habilitation, intrapreneurship et, bien entendu, la métaphore organique, qui se veut l'expression privilégiée de ce passage au management du troisième type [14]. Bien que soucieux d'accroître la réactique, donc aussi les flexibilités organisationnelle et procédurière, le projet québécois repose sur une interprétation rigide, voire déterministe, des structures et des processus organisationnels, ou, en d'autres mots, une conception organo-mécaniste des institutions politico-administratives, ce qu'illustrent les pouvoirs et les attributs formels du Conseil du trésor, qui, tous autant qu'ils sont, demeurent pleins et entiers. Pour ce qui est de la gestion des ressources humaines (GRH), dont l'importance stratégique eu égard à la valeur ajoutée de l'activité étatique est aujourd'hui considérée croissante, le Conseil du trésor reçoit, comme seule contrainte, celle d'associer les ministères et les organismes visés à l'élaboration du cadre de gestion qui circonscrit leurs activités, celles stratégiques et celles opérationnelles, en manière de GRH, privilégiant ainsi une dynamique consensuelle fortement frappée au sceau de l'asymétrie.

[218]

Tableau 1

Dynamique d'innovation des éléments constitutifs communs
de l'énoncé de politique pour de meilleurs services aux citoyens :
un nouveau cadre de gestion pour la fonction publique
et du courant du nouveau management public

Valeurs

De la prudence-stabilité à la créativité-flexibilité

Stratégies

De la centralisation-homogénéité à la décentralisation-hétérogénéité

Métaphore organisationnelle

De la mécanique à l'organique

Nature du management

Du paternalisme à l'habilitation

Attitude de l'employé

De la dépendance à l'autonomie-intrapreneurship

Dynamique relationnelle

individu/organisation

Du carriérisme à la contractualisation ou du long terme au court terme (situationnel)

Locus de contrôle/évaluation

Du respect des processus à l'atteinte des résultats

Source : construction originale




Alors même que ledit projet souscrit à une autonomie organisationnelle accrue, tout autant qu'à une habilitation et à une responsabilisation qui touchent l'ensemble des organisations publiques, la relation hiérarchique traditionnelle liant chacune de celles-ci au Conseil du trésor est intacte, ce dernier pouvant encore et toujours, comme bon lui semble, « établir des mécanismes de contrôle afin de s'assurer de l'atteinte de l'application de la présente loi et de ses objectifs [15] ». Il peut toujours, également, établir une directive sur la gestion des ressources humaines, budgétaires, matérielles ou informationnelles qui s'applique, à la suite de son approbation par le gouvernement, à l'ensemble des organisations visées par le nouveau cadre de gestion [16]. Autrement dit, les prérogatives du Conseil du trésor liées à l'évaluation et au contrôle des organisations publiques perdurent avec ce nouveau cadre de gestion, comme c'est habituellement le cas avec les réformes administratives sous le joug du nouveau [219] management public [17]. Le cas québécois ne fait donc pas ici figure d'exception, si ce n'est peut-être que l'importance de ses prérogatives est accentuée par ce nouveau cadre de gestion, le passage d'une gestion liée au respect des processus à une gestion par résultats accroissant d'autant la primauté des activités d'évaluation et de contrôle et, par-delà, renforçant le caractère fortement asymétrique des relations entre le Conseil du trésor et les organisations publiques au sein de l'appareil administratif québécois.

Ainsi, le Conseil du trésor demeure un acteur privilégié, incontournable pour les ministères et organismes budgétaires, eu égard aux principaux moyens d'action et d'encadrement particuliers de ce nouveau cadre de gestion. Le plan stratégique pluriannuel de chaque ministère et organisme budgétaire doit non seulement contenir les éléments retenus par l'organisation, mais encore doit-il inclure tout autre élément considéré essentiel par le Conseil du trésor [18]. De surcroît, le Conseil du trésor peut, à lui seul, déterminer la forme, le contenu et la période de chaque plan stratégique, comme il peut décider seul de la périodicité de ses révisions [19]. Une prérogative de même nature est également présente au chapitre de la reddition de comptes. Le rapport annuel de gestion de chaque organisation doit lui aussi contenir chaque élément ou renseignement déterminé par le Conseil du trésor [20]. Dans la mesure où un des éléments les plus distinctifs de ce nouveau cadre de gestion est celui du passage d'un contrôle a priori à un contrôle a posteriori, la possibilité de participer à l'élaboration des objectifs en vertu desquels sont subséquemment évaluées les organisations est d'une importance stratégique fondamentale. Cette dernière prérogative du Conseil du trésor au chapitre de la reddition de comptes témoigne elle aussi de la reconduction de la relation hiérarchique traditionnelle qui lie celui-ci aux ministères et organismes visés par ce cadre de gestion. Loin d'être atypique, la primauté du Conseil du trésor est en parfaite communauté d'esprit avec les réformes administratives sous le joug du nouveau management public :

Given that the generic role of central agencies has not been diminished under NPM reforms even though some specific central agencies might have lost powers and functions, and that generally bureaucrats have been forced to be more responsive to political leadership, there should be little cause for concern that the progress of decentralization and devolution initiatives will weaken the central [220] direction of government. Reform, in this respect at least, does not appear to lead to excessive pluralism or fragmentation in government as a whole [21]”.

De surcroît, non seulement cette asymétrie structurelle perdure-t-elle avec ce nouveau cadre de gestion, mais encore ce dernier néglige-t-il de soumettre à cette même volonté de modernisation, à ce même souci de débureaucratisation, cet acteur névralgique qu'est le Conseil du trésor, alors même que celui-ci s'est hypertrophié durant les 15 dernières années, ses effectifs passant de 125 en 1985 à 1750 en 1999 [22]. Encore faut-il ajouter que ce même déterminisme est sacralisé par le choix, parmi tous ceux possibles, d'une loi en tant qu'instrument de définition privilégié de cette réforme administrative. Nul besoin d'insister longuement sur ce que la mise en œuvre d'une loi est, en elle-même et par elle-même, autrement plus rigide, contraignante et restrictive, donc peu favorable à la créativité et à la flexibilité desquelles se réclame pourtant ce projet, que la mise en œuvre d'une innovation ciblée ou encore d'une expérience pilote dans une quelconque unité administrative. Enfin, pour soucieuse qu'elle soit de souscrire au management du troisième type, cette réforme néglige entièrement la dimension humaine de l'organisation, pourtant au cœur même des prétentions du courant managériel, si ce n'est pour en présenter les principaux acteurs, qui, faut-il bien comprendre, se comporteront de manière mécaniste et prévisible dès lors qu'ils seront circonscrits par les éléments constitutifs de ce nouveau cadre de gestion. Peut-être faudrait-il même, en ce sens, parler non plus d'une métaphore organo-mécanique, mais d'une métaphore, évidemment non voulue et non avouée, rigoriste-mécanique pour mieux illustrer le caractère déterministe du projet, tout autant que pour souligner la distance entre ses-prétentions rhétoriques et son contenu discursif

Tel que le suggèrent peut-être implicitement les quelques paragraphes précédents, ce nouveau cadre de gestion ne souscrit pas tant à une dynamique de décentralisation, bien que celle-ci soit la prétention usuelle des innovations sous le joug du nouveau management public [23] qu'à un accroissement de la dynamique consensuelle propre aux collaborations horizontales entre organisations complexes. Peut-être plus réaliste qu'un véritable exercice de décentralisation parce que plus modeste et, surtout, plus flexible et incrémentale, cette prétention [221] horizontale découle de la complexité de la gestion et de la diversité des activités, l'une et l'autre croissantes, des organisations publiques complexes. En effet, la pluralité des organisations publiques aujourd'hui touchées par un secteur d'activité ou domaine d'intervention donné pose un défi nouveau pour l'efficience de la gestion verticale associé à la bureaucratie weberienne traditionnelle. De même, l'interdisciplinarité des problèmes liés à l'élaboration d'une politique gouvernementale et à sa gestion de programme représente une difficulté supplémentaire pour ce même management public vertical peu soucieux de collaborations horizontales, soient-elles ponctuelles ou soutenues. Dans ce contexte, où la logique de l'empire bureaucratique fortement segmenté sur une base verticale apparaît de plus en plus archaïque et de moins en moins propice à un management public soucieux d'efficacité et d'efficience, la gestion horizontale, ou, pour mieux illustrer les dimensions interactionnelles et politiques de ce processus, les collaborations horizontales, offrent de nouvelles perspectives d'innovations.

Succinctement dit, ces perspectives d'innovations à travers les collaborations horizontales renvoient à la congruence de trois facteurs : des éléments d'interdépendance stratégique et/ou opérationnelle entre des unités d'organisations juridiquement distinctes ; une structure à niveaux multiples au sein de laquelle se trouvent les unités organisationnelles ; et l'absence d'autorité hiérarchique exercée par une unité organisationnelle ou, en d'autres mots, un processus décisionnel Collégial [24]. Force est d'admettre, à la lumière de la discussion des paragraphes précédents, que le nouveau cadre de gestion ne retient des collaborations horizontales que la prétention consensuelle et ne propose, par voie de conséquence, aucun changement structurel qui puisse favoriser la mise en œuvre soutenue de cette collégialité interorganisationnelle. En fait, dans la mesure où les réformes administratives sont construites et diffusées par les organismes centraux, en l'occurrence le Conseil du trésor, nul ne saurait vraiment se surprendre de ce que celui-ci, contrairement au discours du nouveau management public, ne se déleste d'aucune de ses prérogatives traditionnelles. De surcroît, dans la mesure où la nécessaire coordination de l'ensemble des [222] organisations publiques n'est encore et toujours envisageable qu'à partir des agences centrales, dont il s'agit après tout de la fonction régalienne entre toutes, la sacralisation verticale présente dans le nouveau cadre de gestion n'est ni surprenante ni incongrue. En définitive, c'est plutôt la prétention horizontale qui est problématique et qui, par-delà, risque d'être porteuse d'effets pervers.

En effet, la valse-hésitation du nouveau cadre de gestion eu égard à la dynamique consensuelle propre aux collaborations horizontales sous-estime le potentiel d'effets pervers et de conséquences non voulues liés à l'exclusion, toujours partielle, toujours limitée, mais aussi toujours réelle, qui caractérise indubitablement tout exercice de négociation et de marchandage résolu par consensus. Autrement dit, la prétention horizontale du nouveau cadre de gestion, qui, faut-il le répéter, ne peut être atteinte tant que perdure l'asymétrie structurelle qui seule permet au Conseil du trésor d'assurer la coordination de l'ensemble, crée invariablement des attentes auprès des individus et des groupes visés. Comme pour toute réforme administrative, dès lors que ces attentes collectives ne sont que peu ou pas réalisées, elles deviennent autant de facteurs d'amoindrissement de la participation collective, autant de facteurs conduisant à la création et à la diffusion d'une culture organisationnelle de désabusement [25]. Cette dernière possibilité est d'autant plus lourde de conséquences que, comme pour tout ce qui concerne l'innovation managérielle et le changement organisationnel, la culture organisationnelle de désabusement est un processus social itératif, incrémental mais continu, qui constitue un important facteur d'inertie pour toute expérience horizontale future, celle-ci étant en quelque sorte frappée d'un coefficient de participation mitigée, les expériences antérieures non réussies, particulièrement les exclusions répétées de la prise de décision consensuelle, influençant négativement la perception collective que construisent les acteurs-participants de ladite expérience horizontale [26].

[223]

GOUVERNANCE ET NOUVEAU MANAGEMENT
PUBLIC OU L’ADÉQUATION MALAISÉE


Les réflexions universitaires et praticiennes sur le renouvellement des structures et des modes de fonctionnement de l'État contemporain débordent largement les seules considérations administratives. Par-delà la recherche d'équilibre entre les éléments constitutifs de l'administration publique dite traditionnelle et ceux du nouveau management public, la question de la gouvernance et de sa nécessaire adéquation à l'innovation managérielle, en l'occurrence le nouveau cadre de gestion, devient incontournable dans un contexte politique où les exigences de participation collective au processus décisionnel ne cessent de s'accroître et de se complexifier. Bien que, depuis quelques années, la notion de gouvernance jouisse indéniablement d'une popularité élevée, au point où elle serait victime d'un effet de mode dans les milieux gestionnaires [27], elle demeure encore un concept polysémique qui peut tout aussi bien renvoyer au discours sur l'État minimal, à celui sur le nouveau management public ou encore à celui sur les réseaux interorganisationnels autonomes [28]. Toutefois, dans la mesure où la notion de gouvernance ne peut atteindre ses prétentions de distinction et d'originalité conceptuelles qu'en prenant ses distances face à ces discours déjà connus, il importe de lui donner un sens qui lui soit propre et qui permette de mieux décrire et expliquer des réalités politiques et administratives à la fois nouvelles et changeantes. Ainsi, la gouvernance se comprend d'abord et avant tout comme le processus dynamique qui renvoie à la diversification et la complexification des réseaux de politiques publiques [29] construits par des acteurs collectifs du secteur public, du secteur privé et du troisième secteur, soit celui de l'économie sociale. Bien que son rôle y soit tantôt central tantôt plus périphérique, [224] l'État, compris comme un ensemble hétérogène d'acteurs politiques et bureaucratiques, demeure incontournable au sein de ce processus dynamique et, à ce titre, les innovations managérielles privilégiées pour transformer son mode de fonctionnement interne influencent directement sa capacité stratégique, c'est-à-dire tout autant la forme que l'étendue de sa participation au dit processus. L'acuité de leur adéquation ou, à tout le moins, de leur complémentarité devient alors criante.

Tableau 2

Principaux éléments constitutifs du cadre de gestion de l'État québécois
et de la gouvernance en tant que processus différencié

Cadre de gestion

Gouvernance

Valeur principale

Efficience

Démocratie

Structure privilégiée

Verticale

Horizontale

Prise de décision

Consensus sibyllin

Consensus mitigé

Locus contrôle/évaluation

Résultats quantitatifs

Apprentissage qualitatif

Nature de l'imputabilité

Polymorphe

Diffuse

Source d'innovation

Concurrence  

Collaboration

Légitimité étatique

Faible/statique

Relative/dynamique

Perspective

Intraorganisationnelle

Interorganisationnelle

Domaine d'application

Universel/intemporel

Contextuel/périodique

Sensibilité épistémologique

Positiviste

Poststructuraliste

Source : construction originale


Comme le suggère le Tableau 2, l'adéquation des principaux éléments constitutifs du cadre de gestion de l'appareil administratif québécois à ceux de la gouvernance en tant que processus différencié n'est certes pas acquise, les éléments de divergence étant nombreux et fondamentaux. Leurs possibilités de complémentarité sont aussi incertaines. Alors que le cadre de gestion met l’accent, à travers la gestion par résultats, sur l'efficience en tant que valeur principale, la gouvernance, soucieuse d'accroître la participation des réseaux d'intéressés, insiste plutôt sur le caractère démocratique du processus. Malgré la prétention horizontale du premier, celui-ci sacralise, comme le suggère la discussion [225] précédente, le principe hiérarchique et la verticalité, alors que la seconde ne peut atteindre ses prétentions de distinction qu'à travers une dynamique horizontale.

Plus complexe, la prise de décision n'en illustre pas moins, elle aussi, la distance, voire l'antinomie, entre les deux. Alors que le cadre de gestion ne privilégie vraiment qu'un consensus sibyllin dans la mesure où les possibilités de participation des ministères et organismes visés demeurent entièrement définies, donc circonscrites, par le Conseil du trésor, la gouvernance repose sur un consensus mitigé, au sein duquel l'État peut exercer sa prépondérance et, par-delà, éviter l'effritement de l'imputabilité des élites politique et administrative. Parce qu'il repose, par sa filiation directe avec le nouveau management public, sur une réification tacite de la gestion privée, le nouveau cadre de gestion privilégie la concurrence comme source première d'innovation, alors que la gouvernance et le consensus mitigé qui la caractérise reposent au contraire sur la collaboration.

De même, alors que le nouveau management public se veut une réponse à la légitimité réduite de l'État, qui, par son mimétisme des techniques de gestion de la grande firme privée, participe au maintien de cette légitimité réduite plus qu'à ne la résout, la gouvernance permet au contraire, bien que de manière relative et dynamique, à l'État de conserver, voire d'accroître, sa légitimité. Enfin, ce nouveau cadre de gestion, tributaire du nouveau management public, se distingue de la gouvernance par ses prétentions d'universalité et d'intemporalité, de même que par la reconduction implicite de l'orthodoxie positiviste, sur laquelle repose par définition la gestion par résultats.

En définitive, le nouveau cadre de gestion privilégié pour permettre la modernisation de l'appareil administratif québécois, de même que pour accroître la participation collective des fonctionnaires, ceux gestionnaires et ceux non gestionnaires, ne peut être considéré comme un facilitateur de la mise en œuvre, concomitante ou subséquente, d'une gouvernance différenciée. Au contraire, sans considérer ceux-ci antinomiques, la discussion précédente suggère plutôt que leur adéquation soit pour le moins malaisée et que, à ce titre, une réflexion plus large et soutenue sur le renouvellement de la gouvernance québécoise implique une remise en question de ce nouveau cadre de gestion.


CONCLUSION :
UNE INTERPRÉTATION CRITIQUE À DISTINGUER
D'UNE APOLOGIE DU STATU QUO


En terminant, peut-être faut-il explicitement insister sur le fait qu'aucun des propos précédents, au demeurant critiques du nouveau cadre de gestion, n'est  [226] un appel au statisme ou à l'incurie, pas plus qu'aucun de ceux-ci ne repose sur une satisfaction béate du statu quo de l'administration publique québécoise. Au contraire, sous-jacente à ces propos critiques, repose la conviction qu'un véritable projet de réforme des institutions politiques et administratives québécoises ne peut s'articuler à partir de modèles et de préceptes de gestion développés dans l'environnement particulier de la firme privée, plus souvent qu'autrement en situation de concurrence oligopolistique. En ce sens, le biais desdits propos critiques ne renvoie pas à une sacralisation des effets pervers du modèle bureaucratique traditionnel, mais souscrit plutôt à un changement radical qui passe tout autant par la valorisation de la multiplicité des identités organisationnelles et le rejet de la compréhension instrumentale de la culture organisationnelle, toujours considérée unique, toujours considérée l'apanage de la haute fonction publique, que par la primauté d'une rationalité éclatée aux composantes cognitive, politique et émotionnelle et, peut-être même surtout, par la substitution de la métaphore syncréto-politique à celle rigoriste-mécanique [30].

Bien que la bureaucratie ne puisse elle-même être considérée une panacée organisationnelle, d'autant plus qu'elle n'est pas ce modèle universel et intemporel d'organisation dite rationnelle mais une construction hétérogène complexe et dynamique qui, tel un continuum, oscille entre sa variante facilitatrice et sa variante coercitive [31], force est d'admettre que le modèle de Weber demeure d'un intérêt contemporain pour quiconque est soucieux de préserver cet équilibre fragile et incertain, quasi mystique mais irremplaçable, entre la recherche de l'efficience et l'épanouissement de la démocratie. Encore faut-il toutefois reconnaître que ce second objectif ne saurait être atteint par la seule poursuite du premier, encore faut-il toutefois accepter que la démocratie ne soit pas, en elle-même et par elle-même, efficiente. Malgré la prétention de neutralité idéologique de l'efficience en tant que principe organisationnel [32], il faut bien voir que celle-ci n'est qu'une valeur managérielle parmi plusieurs autres possibles et que, à ce titre, elle ne peut ni ne doit être sublimée au point que l'on perde de vue celle fondamentale de la démocratie.


[19]

NOTES SUR
LES COLLABORATEURS


Christian Rouillard est professeur adjoint à l'École nationale d'administration publique (Campus de Gatineau) depuis 1999, où il enseigne le management public. Il s'intéresse aux phénomènes de pouvoir dans les organisations publiques complexes, notamment à travers l'étude critique de l'innovation managérielle (cadres de gestion), du nouveau management public en tant que discours et  [20] pratique, de la décroissance organisationnelle et de la réduction des effectifs, de même que, plus récemment, du nouveau contrat psychologique et des collaborations horizontales dans les secteurs publics fédéral et québécois.



[1] Le président du Conseil du trésor du gouvernement du Québec, parrain de cette réforme de l'État québécois, insiste au contraire longuement sur ce que « l'opération ne vise pas à déterminer ce que l'État doit faire ou ne pas faire. Elle vise à corriger un cadre de gestion trop contraignant qui fait en sorte que la machine gouvernementale n'est toujours pas en mesure de répondre efficacement et rapidement aux besoins de citoyens » (Jacques Léonard, cité dans Gilbert Leduc, « Objectifs citoyens », Le Soleil, 11 septembre 1999, p. Z2).

[2] Pour de meilleurs services aux citoyens : un nouveau cadre de gestion pour la fonction publique, Énoncé de politique sur la gestion gouvernementale, Québec, Conseil du trésor, 1999, p. iii.

[3] Ibid., p. 1-14.

[4] Loi sur l'administration publique, Assemblée nationale du Québec, Québec, 2000, p. 10-16.

[5] Pour une discussion intéressante, bien que parfois exigeante, sur le dépassement du positivisme en administration moderne, voir David John Farmer, The Language of Public Administration – Bureaucracy, Modernity, and Postmodernity, Tuscaloosa, Alabama, University of Alabama Press, 1995.

[6] Pour de meilleurs services aux citoyens, p. 19.

[7] Rapport de la Commission royale d'enquête sur l'organisation du gouvernement (Glassco), Ottawa, 1962. Centré sur les structures et les processus organisationnels, soit le management du premier type, le rapport Glassco peut être considéré comme le fer de lance, évidemment lui-même imparfait, de la pensée managérielle dans la fonction publique fédérale. Sur cette question, ainsi que sur celles liées au management des deuxième et troisième types, voir Mohamed Charih, « Le management du troisième type au gouvernement fédéral », in Management public – Comprendre et gérer les institutions de l'État, Roland Parenteau (dir.), Sainte-Foy, Les Presses de l'Université du Québec, 1992, p. 115-128.

[8] Christopher Pollitt, « Managerialism Revisited », Taking Stock – Assessing Public Sector Reforms, B. Guy Peters et Donald J. Savoie (dir.), Montréal-Kingston, McGill-Queen's University Press, 1998, p. 45-77.

[9] Encore une fois, le cas québécois ne fait pas ici figure d'exception. Sur la question des relations de pouvoir entre les élites politiques et bureaucratiques dans le contexte du nouveau management public, voir James R. Mitchell et Sharon L. Sutherland, « Relations Between Politicians and Public Servants », in New Public Management and Public Administration in Canada/Nouveau Management public et Administration publique au Canada, Mohamed Charih et Arthur Daniels, Toronto, The Institute of Public Administration of Canada / L'Institut d'administration publique du Canada, 1997, p. 181-197.

[10] Pour de meilleurs services aux citoyens, p. 26.

[11] Pour plus de détails sur la construction identitaire et les modes managérielles, voir, entre autres exemples, Timothy Clark et Graeme Salaman, « Telling Tales : Management Guru's Narratives and the Construction of Managerial Identity », Journal of Management Studies, no 35, 1998 ; Jim Silver, « The Ideology of Excellence-Management and Neo-conservatism », Studies in Political Economy, no 24, 1987.

[12] Pour de meilleurs services aux citoyens, p. 6.

[13] Pollitt,« Managerialism Revisited », p.66-69.

[14] L'expression, aujourd'hui consacrée dans les études managérielles, a été introduite vers le milieu des années 1980 dans le best-seller de George Archier et Hervé Sérieyx, L'Entreprise du 3e type, Seuil, Paris, 1984. En simplifiant quelque peu, le management du troisième type rejette la métaphore mécaniste sur laquelle reposent les managements des premier et deuxième types, l'un et l'autre victimes de leur accent indu sur les structures et les processus, insistant plutôt sur la primauté des individus et des groupes, sur la dimension humaine de l'organisation. Cette prétention de distinction et d'enrichissement du management du troisième type est, toutefois, trop souvent surestimée. Pour plus de détails, voir Christian Rouillard, Le Syndrome du survivant et la fonction publique fédérale du Canada – une étude théorique à la lumière de la théorie critique et de la déconstruction dérridéenne, thèse de doctorat, Carleton University, Ottawa, 1999.

[15] Loi sur l'administration publique, article 75.

[16] Ibid., article 74.

[17] John Hart, « Central Agencies and Departments : Empowerment and Coordination », dans Taking stock – Assessing Public Sector Reforms, B. Guy Peters et Donald J. Savoie, Montréal-Kingston, McGill-Queen's University Press, 1998, p. 285-309.

[18] Loi sur l'administration publique, article 9.6.

[19] Ibid.

[20] Ibid., article 24.3.

[21] Hart, « Central Agencies and Departments », p. 304.

[22] Roland Arpin, La Réforme administrative du gouvernement québécois : entre pédagogie et autoritarisme, conférence prononcée à l’Institut de la gestion financière du Canada, 17 novembre 1999.

[23] Mohamed Charih et Lucie Rouillard, « The New Public Management », in New Public Management and Public Administration in Canada/Nouveau Management public et Administration publique au Canada, Mohamed Charih et Arthur Daniels, Toronto, The Institute of Public Administration of Canada/L'Institut d'administration publique du Canada, 1997, p. 27-45 ; Mohan Kaul, An Outsider's Inside View : Management Reforms in Government – A Review of International Practices and Strategies, Ottawa, Commonwealth Association for Public Administration, 2000 ; Martin Minogue, Charles Polidano et David Hulme (dir.), Beyond the New Public Management-Changing Ideas and Practices in Governance, Cheltenham, UK, Edward Elgard, 1998.

[24] Mark Sproule-Jones, « Horizontal Management – Implementing Programs Across Interdependent Organizations », Canadian Public Administration / Administration publique du Canada, vol. 43, no 1, 2000, p. 92-109.

[25] Le désabusement organisationnel doit être distingué de l'aliénation et du cynisme organisationnels. Succinctement explicité, le désabusement rejette à la fois le caractère exclusivement réactif de l'aliénation et la démonisation explicite du cynisme organisationnel, tout autant que leur dimension commune d'état ou d'attitude sociopsychologique, de même que la possibilité d'être vaincue, c'est-à-dire solutionnée, par un exercice de contrôle et de manipulation symbolique planifiés. Pour plus de détails, voir Rouillard, Le Syndrome du survivant et la fonction publique fédérale du Canada, p. 236-270.

[26] En ce sens, l'idée de culture organisationnelle de désabusement renvoie donc à une espèce de legs organisationnel, à une perception résiduelle des expériences touchant non seulement la gestion horizontale, mais encore tous les projets passés d'innovations et de changements organisationnels, ceux réussis évidemment, comme aussi et peut-être surtout ceux ratés, comme ceux anticipés qui ne sont jamais devenus réalité.

[27] Voir, entre autres exemples de cette appropriation hâtive de la notion de gouvernance dans le discours gestionnaire, Des résultats pour les Canadiens et les Canadiennes, Ottawa, Conseil du trésor du Canada, 2000 ; Ruth Hubbard, Vers une saine gouvernance – la réforme réinventée, Ottawa, Bureau du Conseil privé, 2000 ; de même que Entrevue avec M. Louis Bernard à son bureau de Montréal, 26 janvier 2001, http://www.enap. uquebec.ca/Symposium/conftbernard-fr.htm ; Interview avec M. Ronald Bilodeau, Secrétaire associé du cabinet et sous-greffier du Conseil privé, gouvernement fédéral du Canada, 12 janvier 2001, http://www.enap.uquebec.ca/Symposium/conf/bilodeau-fr.htm.

[28] R.A.W. Rhodes, « The New Governance – Governing Without Government », Political Studies, no 44, 1996, p. 652-667 ; G. Stoker, « Governance as Theory – Five Propositions », International Social Science Journal, no 155, 1998, p. 17-28.

[29] Ces réseaux touchent non seulement l'élaboration des politiques publiques, mais aussi leur mise en œuvre et leur gestion opérationnelle.

[30] Ces quelques précisions débordent l'objet de ce texte et ne prétendent aucunement expliciter un projet de réforme de remplacement ou constituer les éléments d'un cadre de gestion progressiste. Plus simplement, et peut-être plus humblement, elles visent à éviter le procès par association ou le procès d'intention, l'un et l'autre étant des facteurs d'évitement d'un véritable débat public sur la modernisation de l'appareil administratif québécois.

[31] Pour plus de détails sur cette question, voir Paul S. Adler et Bryan Borys, « Two Types of Bureaucracy-Enabling and Coercive », Administrative Science Quarterly, vol. 41, 1996, p. 61-89.

[32] Herbert A. Simon, Administration et processus de décision, Paris, Economica, 1983.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 2 janvier 2013 8:57
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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