RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Sylvain Rivière, Léandre Bergeron, né en exil. (2007)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Sylvain Rivière, Léandre Bergeron, né en exil. Trois-Pistoles, Québec: Les Éditions Trois-Pistoles, 2007, 348 pp. Une édition numérique réalisée par Vicky Lapointe, historienne et responsable d'un blogue sur l'histoire et le patrimoine du Québec: Patrimoine, Histoire et Multimédia. [L’auteur nous a accordé le 11 mars 2016 son autorisation de diffuser en libre accès à tous ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[9]

Léandre Bergeron, né en exil.

Préface

[10]

[11]

LE PRIX DE SOI

Je l'avais connu sans le connaître, dans ma jeunesse, en feuilletant le Petit manuel d'histoire du Québec, dont un passage en particulier m'était resté en mémoire.

Une bonne vingtaine d'années plus tard, alors que je m'apprêtais à publier La belle embarquée, roman historique dénonçant l'exploitation des pêcheurs gaspésiens, pendant des siècles, par le Jersiais Charles Robin, je me suis souvenu de ce passage :

« Tout peuple en voie de libération doit fouiller son passé pour le dépouiller des mythes dont se sont servis les exploiteurs pour perpétuer leur règne. Les statues qu'on a sculptées à même nos chairs d'enfants, les toiles qu'on a voulu tisser dans nos esprits pour nous empêcher de toucher le monde, il faut les faire éclater. Les tableaux des grands gestes de notre Histoire qui couvrent de gloire des nobles gâteux ou des missionnaires enfiévrés, des bourgeois rapaces ou des mercenaires à la solde des conquérants, il faut les crever pour qu'en même temps ceux qui tentent de profiter du règne d'exploitation actuel perdent leur masque et montrent leur vrai visage, pour qu'en même temps, ceux à qui on vole quotidiennement le fruit de leur travail, grâce justement aux mythes qu'on perpétue chez eux, s'unissent pour changer l'ordre du vieux monde. »

On m'avait dit que depuis qu'il avait disparu de l'actualité, Bergeron s'était exilé en Abitibi. Je réussis à retrouver [12] sa trace et je lui téléphonai pour lui demander, comme il faut et comme il se doit, la permission de mettre en exergue, pour ouvrir mon roman, ce passage visionnaire porteur de l'histoire de mes ancêtres, à travers le peuple acadien et gaspésien. Je fus surpris qu'il m'en donne la permission dans la minute, sans poser plus de questions, sur le ton de quelqu'un qui me connaissait sans me connaître. Ce qui est fort sympathique lorsqu'à ses débuts, intimidé par des bonzes du genre, on ne sait pas trop comment agir. Avec Bergeron, ce ne fut pas le cas.

La vie faisant bien les choses, une bonne douzaine d'années plus tard, nous nous rencontrâmes pour la première fois, alors que nous faisions des séances de signature ensemble pour les Éditions Trois-Pistoles. Lui avec son livre intitulé Comme des invitées de marque et moi avec Une boussole à la place du cœur. Tout de suite, le courant passa. Une espèce de choc électrique comme ceux qui te redressent l'échiné pour longtemps. Pendant la fin de semaine du salon, nous avons eu le temps de sympathiser et, je crois bien, de nous apprécier mutuellement.

Le dimanche après-midi arriva et la tempête avec lui. Je devais rentrer à Montréal en autobus. Bergeron retournait dans son nord, son Abitte à Tibi bien à lui. Il m'offrit de faire le voyage avec lui, plutôt que de prendre l'autobus. Ce qui, en plus d'une belle gentillesse, faisait également bien mon affaire puisque nous pourrions jaser durant le voyage et qu'il me déposerait directement chez mes amis, une fois rendus en ville. On partit donc dans la tempête à bord de sa Tempo fouetté par les bourrasques et la neige d'avril, direction : Montréal en ville.

Odyssée mémorable s'il en fut une, puisque je n'ai rien vu du voyage, enveloppés que nous étions dans cette ouateuse troisième dimension, favorisant le huis clos, hâtant la confidence et la découverte de l'autre.

À la première appercevance, on se rendit tristement compte qu'on embarquait sur le pont Jacques-Cartier et que la destination commençait à écrire le mot « fin » au bas de [13] l'écran d'un bien beau moment de vie. Si la destination rendait l'âme, le voyage était, entre nous deux, à peine amorcé et je crois bien que nous l'avons mutuellement senti, sans trop nous le dire. Je savais que je venais de vivre un moment historique, que j'avais eu la chance, pour quelques heures, de naviguer aux côtés d'un bel être humain que la vie ne manquerait pas de remettre sur mon chemin, tôt ou tard, comme un signe du destin.

En se quittant, rue Drolet, Léandre m'invita, lors de mon passage au Salon du livre de Rouyn-Noranda, le mois suivant, à lui téléphoner afin qu'il vienne me chercher pour m'amener chez lui le samedi midi.

Ce que je fis, dès mon arrivée en Abitibi. On entra donc dans son bout de rang de McWatters, à dix minutes de Rouyn, que Bergeron a baptisé Macouâteur, dans son domaine merveilleux qu'il a tiré des ruines, des décennies durant, pour en faire un endroit de rêves, fleurant bon la liberté et la paix intérieure.

Après avoir fait le tour du propriétaire, marché la terre et avoir été présenté aux animaux de la ferme, on entra dans sa grande maison de bois, enfariné d'éternité. Je m'assieds naturellement en bout de table, face à lui, en ce beau samedi de mai où la lumière se chamaillait pour entrer par tous les carreaux de châssis en jouant du coude, scintillante de prisme et de liberté. Je jaugeais la place. Au-dessus de ma tête pendait une multitude de chaudrons et de chapeaux de toutes tailles et de toutes provenances, entêtés de mystères et de fins rassasiements.

Mon œil tourna sur lui-même, cylindrique, faisceau lumineux buvant tout sur son passage, saoûleur vorace et, finalement, je me retrouvai assis entre deux chaises, entre deux mondes, entre deux rives, deux siècles, deux histoires, entre l'Auvergne et la campagne québécoise, l'intelligence du cœur et l'instinct de la bête, le silence et la parole, le mythe et la réalité. Et lui qui siégeait au milieu de ce halo de sucre du pays faisant danser les nœuds d'érable d'un plancher en ayant vu d'autres, faisait vraiment corps avec [14] cet environnement créé de ses mains, au fil des décennies. C'est alors que me vint cette réflexion, pas du tout préméditée, mais tellement naturelle dans les circonstances : « Léandre, il faudrait faire un documentaire ici, sur toi. »

Et lui, comme si c'était on ne peut plus normal, acquiesça derechef : « Pourquoi pas ? »

Peu après, par toutes sortes de signes du destin, qui m'a appris à y croire depuis, on commença à tourner un documentaire sur ce personnage fabuleux, ce pan de l'histoire du Québec qu'est Léandre Bergeron.

Comme tous les projets farfelus, le projet bien amorcé ne fut pas long à tirer de la patte, pour toutes sortes de raisons que je ne tiens pas vraiment à raconter ici. Il va de soi qu'un personnage comme Bergeron, avec un pareil franc-parler que personne ne musellera, n'est pas sans faire peur à nos charitables institutions subventionnairement cinématographiqueuses.

Néanmoins, au bout de cinq ans, après avoir tourné plusieurs fois par année chez lui, en Abitibi, l'hiver comme l'été, le printemps tout autant que l'automne, il fallut bien qu'une aussi belle aventure ait une fin. Et elle se pointa en décembre 2006.

Une fois les derniers coups de manivelles donnés, je restai, tout comme lui, sur ma faim. J'avais l'impression que nous n'étions pas rendus au fin bout du voyage, là où la véritable aventure commence. Voilà pourquoi nous avons décidé, d'un commun accord, de remettre ça, en nous rencontrant à nouveau pendant une semaine en février 2007, afin de coucher sur papier, cette fois, ces vérités pas toujours bonnes à dire, dont Bergeron a seul le secret de bien discourir.

Un autre beau moment de vérités à manger les deux mains dans l'assiette, sur la table de bois dur de notre Histoire collective, pour le plaisir de refaire le voyage de soi à soi, de soi aux autres, des autres à nulle part.

Voilà pourquoi je livre cet ouvrage comme une longue confidence qui ne se gêne pas pour aller dans les coins, à l'abri des récompenses littéraires et du savoir-vivre. Ce livre [15] ne cherche pas à faire beau, mais à dire vrai. Il n'est pas esthétique, mais utilitaire. Il ne triche pas. Il a pris le temps de lever dans le pétrissage des cinq dernières années et le voilà prêt à être défourné, dans l'épaisseur de sa croûtance et les arômes de son originalité.

Je vous le sers ainsi. Lisez le chaud. Je crois qu'il vous rassasiera tout autant que moi. Le monde a faim de vérités dans l'assiette vide de la désinformation manipulée.

Merci Léandre de m'avoir prêté tes mots, ta franchise, ta droiture d'esprit jamais négociable, ta volonté d'aller jusqu'au bout des chemins de ta vie, voir ce que tu aurais pu y oublier dans les sous-bois et les clairières, les demi-jours aux demi-teintes de nos mémoires à venir.

Dans la fougère de tes savanes migratoires, l'eau claire te garde vert. Sur ta table d'érable, le sucre du pays court dans le veinage des sucres, des séparances et je sais que tu y es pour quelque chose. Chez toi, le grain du bois se lit dans les pattes d'oie des racines éternelles, sous-marines, des plaines arctiques au désert osseux du Manitoba de tes premiers pas.

Dans cette forêt de conifères humains où l'humus rejoint la matière besogneuse du destin t'attend l'abeille charpentière de tous nos possibles. Possible des mots, possible des gestes, possible des regards.

Pour toutes ces raisons, je te remercie de m'avoir, à travers ces années, prêter un beau moment de ta vie et, par conséquent, de ceux qui t'ont fait, qui te font, qui te feront à demain d'hier. Grande générosité de ta part. Je n'en méritais pas tant. Aussi j'aurai le respect de ta confidence et le pas de la danse pour que la fête continue, collectivement, et que le rêve de liberté profonde, cette quête que chacun porte en soi, comme un cadeau du bon Dieu, marche à nos devantures, le col ouvert et effronté, en s'avançant dans la nuit noire de nos enfances placentaires.

Ce que je retiendrai de toi, c'est la grande liberté qui t'alimente, si nécessaire, si bonne à boire. Trop froide parfois, comme lorsqu'on boit au ruisseau dans les chaleurs [16] d'un été dont les premières gorgées nous cognent au front.

Dans une soif démesurée, inassouvie, inétanchable, une soif d'homme libre,  comme aimait si bien le chanter Georges Dor :

Tout comme il a fait la paix
Quand il aurait pu faire la guerre
Celui qui a tendu la main
A son voisin ou à son frère
Au lieu de leur tendre des pièges
Et celui dont la dignité
Brillait dans le soleil d'été
Il restera même en hiver
Un homme libre...

Merci pour ce beau voyage au pays de toi-même, au fin bout du matin de tes pas. Merci de payer le prix de soi. Merci et à la prochaine fois.

Sylvain Rivière
Îles de la Madeleine
Le 26 mars 2007


[17]

AVEC CONVICTION
SANS ESPOIR


Mon for intérieur n'est pas un fort, mais un vide immense. Il n'y a là rien à voir, à sentir, à saisir, à retenir. Le moi, nécessairement petit, qui s'y manifeste parfois, est une impulsion désastreuse, dévastatrice.

Quant à l'extérieur, à ce monde des vivants, les forces qui le gouvernent le mènent à sa destruction, implacablement. Nos gestes pour les contrer ne sont que coups d'épée dans des eaux troubles qui nourrissent en nous des élans eux-mêmes destructeurs. D'échec en échec, jusqu'à l'échec final.

En même temps, dans ce chaos voué à la guerre de tous contre tous, agir. Agir avec l'intelligence du cœur où le geste est toujours gratuit. Donc, avec conviction sans espoir d'un quelconque résultat.

Existence. Le mot le dit bien : existence. Évacué de l'être. Évacué de l'essence. Exilés que nous sommes de l'essence.

Telle l'eau d'une fontaine jaillissante, l'énergie essentielle en touchant le marbre de la margelle se matérialise, devient binaire, contradictoire, conflictuelle et le miroir qui en résulte expose l'intelligence du cerveau qui, ne connaissant de ce fait que ruse, calcul et intention, se bute à l'ineffable, à l'inénarrable, l'insaisissable, l'innommable essence.

Dans tout cela, marcher léger, sans laisser d'empreinte. Y être, mais sans en être.

Léandre Bergeron

[18]

[19]

Avec conviction sans espoir

Avec conviction sans espoir
Retourner ses fonds de tiroir
À la recherche de soi-même
Comme d'un bien curieux poème
Fleuri de vies et de mémoire
De libertés, de dissidences
Au plus matin de son histoire
Du plus frileux de ses enfances
Avec conviction sans espoir
Assumer tout jusqu'à la fin
Rire, pleurer, rêver et boire
Et mourir sans en voir la fin
Avec conviction sans espoir
Savoir que l'amour est en soi
Qu'il nous vient rarement des autres
Apprendre à lui donner la voix
À l'accueillir en bon apôtre
En se sachant mauvais larron
Porteur d'eau et de résonance
Cueillir aux fruits de ses saisons
Les morsures de sa résistance
[20]
Avec conviction sans espoir
Pousser sa vie par en avant
Comme feuillée fragile au vent
Porteuse de vie méritoire
Avec conviction sans espoir
Pétrir le pain de sa survie
Dans la pénombre de son cœur
En sublimant de ses envies
Ce qu'il nous reste de bonheur
Cultiver levure rebelle
En démoulant le verbe croire
Sans jamais faire dans la dentelle
Malgré ce qu'on pourrait en croire
Avec conviction sans espoir
Grandir dans l'adversité
Délesté d'amertume noire
Chaussé de belle liberté
Avec conviction sans espoir...

Sylvain Rivière



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 2 décembre 2018 8:29
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref