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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

LA POLITIQUE QUÉBÉCOISE DU DÉVELOPPEMENT CULTUREL.
Volume 1. Perspectives d’ensemble : de quelle culture s’agit-il ? (1978)
Présentation


Une édition électronique réalisée à partir du texte du Gouvernement du Québec, Ministre d’État au développement culturel (Camille Laurin) LA POLITIQUE QUÉBÉCOISE DU DÉVELOPPEMENT CULTUREL. Volume 1. Perspectives d’ensemble : de quelle culture s’agit-il ? Québec: Éditeur du Québec, 1978, 146 pp.

[1]

LA POLITIQUE QUÉBÉCOISE
DU DÉVELOPPEMENT CULTUREL.

Volume 1. Perspectives d’ensemble :
de quelle culture s’agit-il ?

Présentation

« La patrie est un projet commun, une création continue de nos efforts solidaires Être ensemble est une immense opération, une orchestration infiniment complexe, dont le chef invisible est la conviction partagée que cet ensemble existe, qu'il a un sens à travers l'histoire, qu'il nous faut y être attentifs afin qu'il ne se relâche pas. et que cette attention à plusieurs hauteurs a des synonymes qui sont liberté, démocratie, justice sociale, humanité Le plus grave désastre qui puisse menacer un peuple n'est pas l'anéantissement militaire, c'est l'indifférence de ses membres à la forme de son avenir. »
Pierre Emmanuel.
Pour une politique de la culture.
Paris. Éditions du Seuil 1971. p. 22.


Les nations modernes sont de plus en plus nombreuses à repenser leur projet culturel et à se donner une politique globale de la culture. Le Québec est lui aussi engagé dans ce processus

Cette politique ne peut puiser qu'à des sources anciennes et nouvelles. Elle reflète la réalité d'un peuple enraciné ici depuis des siècles et qui a défendu avec acharnement son identité. Elle témoigne de l'apport des autochtones, les plus vieux habitants de ce pays, de l'influence des Britanniques et des autres minorités implantées sur notre sol. Elle témoigne aussi d'une croissance qui s'est maintenue à travers toutes les épreuves, d'un souci toujours plus marqué d'ouverture au monde, d'une volonté d'ordonner à la personne les conquêtes de l'économie. Cette politique est donc à la fois signe de maturation et œuvre de maturité

De même, elle continue et elle pousse plus loin l'effort de réflexion des gouvernements précédents. L'effort de monsieur Lesage, qui a créé le ministère des Affaires culturelles et l'Office de la langue française. Celui de monsieur Laporte qui, dans son projet de Livre blanc, voulait étendre l'action du gouvernement [2] aux domaines du cinéma, des métiers d'art, des biens culturels, des sciences... Celui de monsieur Johnson qui, posant en des termes essentiels le problème de la répartition des pouvoirs et des impôts, soulignait qu'il ne peut être résolu que par l'égalité ou l'indépendance. Celui de monsieur L'Allier, qui essayait de donner le plus large contenu possible au concept de souveraineté culturelle. À l'aide de cet acquis précieux, repris et médité, il a été possible de faire œuvre commune par-delà le temps et les contingences partisanes.

Parce que l'élaboration de cette politique constituait une des priorités du présent gouvernement, sa mise en chantier n'a pas tardé Dès les premières réunions du Comité ministériel permanent du développement culturel, un plan était tracé et la discussion s'amorçait. Par la suite, le plan s'est étoffé et la discussion s'est étendue à tous les aspects d'une politique culturelle conçue pour notre situation et notre temps.

Cette discussion ne s'est pas poursuivie en vase clos. Les nombreux rapports, études et documents antérieurs ont été relus rapports Parent. Rioux. Bouchard, Frégault, etc. : positions et déclarations des gouvernements du Québec et d'Ottawa : débats parlementaires : mémoires du milieu à la suite du Livre vert de monsieur L'Allier Des groupes et des spécialistes ont été consultés à nouveau Les tentatives étrangères ont été analysées. Et surtout, notre propre Fonction publique a été mobilisée. Avec enthousiasme, des centaines de fonctionnaires, dont plusieurs œuvrent dans la sphère sociale et économique, ont apporté au Comité l'éclairage de leur discipline professionnelle et de leur expérience. Dans les domaines qui relevaient de leur compétence, ils ont rédigé de nombreux textes, qu'ils n'ont cessé d'améliorer à la lumière de discussions et de réflexions ultérieures. En ce sens également, la présente politique culturelle est une œuvre commune, conçue par des maîtres d'œuvre qui ont maintenant hâte de l'appliquer et de passer de la parole aux actes C'est là une garantie de succès qui compense pour les délais qu'elle a nécessités

Oeuvre commune, mais dont la visée est aussi très ample Au-delà des secteurs traditionnels de la conservation du patrimoine, des arts et des lettres, où une action urgente s'impose, cette politique aborde les domaines de l'enseignement, [3] de l'organisation du travail, de la signification du loisir, de l'alimentation et de la consommation des médicaments, des problèmes liés aux sexes et aux âges de la vie, des contraintes et dynamismes régionaux, de la décentralisation, etc.. Est-ce là dilution du concept de culture ou. au contraire, appropriation par la culture du champ tout entier de l'existence ? Ce n'est en fait ni l'un ni l'autre, mais tout simplement la conclusion nécessaire de nos expériences et de nos réflexions communes Du développement économique conçu exclusivement en termes de produit national brut et de niveaux de vie, on est passé partout à la notion plus juste et plus large d'une économie accordée à tous les besoins de l'homme, matériels et spirituels, individuels et sociaux. Ce qui oblige la science économique à tenir compte des interactions de l'homme et du milieu, de la qualité de l'environnement, des conditions de travail et des genres de vie. de la motivation des choix économiques du citoyen, tous faits de culture en même temps que faits sociaux. Nous savons aussi que le modèle et les systèmes de valeurs qui sous-tendent les thèses économiques du capitalisme et du socialisme sont le fruit d'une réflexion philosophique et sociologique. Par ailleurs, la concentration dans telle communauté culturelle déterminée du plus grand nombre de citoyens favorisés ou défavorisés à tous égards n'est pas non plus l'effet du hasard

À la vérité, il n'est plus possible ni permis de considérer séparément développement économique, développement culturel, développement social, aménagement du territoire. Une souveraineté culturelle qui ne s'appuie pas sur une forte assise économique est illusoire. Un progrès économique axé sur la seule productivité technique devient vite inhumain Les schémas régionaux de développement obéissent à des impératifs sociaux et culturels aussi bien qu'économiques. Pour s'actualiser et rayonner, une culture a besoin du support des industries culturelles. Et inversement, le travail des créateurs contribue d'une façon significative au progrès de l'économie. Tous les problèmes des sociétés modernes peuvent être abordés sous l'angle culturel, social, économique ou structurel. Mais cette étude finit toujours par déboucher sur des perspectives différentes et plus larges, où se retrouvent les autres dimensions. En ce sens, tout est dans tout, si l'on veut faire [4] droit à la complexité du réel, remonter des effets aux causes et scruter celles-ci pour en prévoir les effets. Il faut certes distinguer pour l'analyse, qui sera ainsi mieux faite, mais pour ensuite unir, en vue d'être fidèle au réel et assurer à l'action son efficacité.

Il reste que le chantier ainsi ouvert comporte de multiples dimensions et peut donc susciter plusieurs débats à divers niveaux : généraux et sectoriels, théoriques et pratiques, axés sur le social et l'économique autant que sur le culturel. Il faut d'ailleurs le souhaiter au lieu de le craindre. S'il est un débat qui doit solliciter et aiguillonner tout un peuple, c'est bien celui qui porte sur tous les aspects de sa culture, c'est-à-dire sur la « condensation d'une expérience collective ». comme aimait le dire l'historien québécois Maurice Séguin. Chacun participera à ce débat du lieu où il se situe, selon la compétence et l'expérience qui lui sont propres. L'apport du consommateur, du technicien, de l'animateur social est tout aussi indispensable que celui de l'intellectuel et du créateur. Il ne faut rien laisser échapper du réel et les témoignages des citoyens en font tout autant partie que les œuvres des écrivains, artistes, philosophes, sociologues, économistes ou spécialistes du travail Ce qui donnera à ce concert à plusieurs voix sa cohérence et son unité, c'est le but poursuivi, qui est de donner son sens plein à la vie de l'homme et de la femme d'ici, de lui donner les moyens de vivre mieux et de se développer selon ses goûts et ses talents.

 cet égard, il n'est rien de plus nécessaire qu'une politique de développement collectif intégral. Non pas seulement parce que le développement est la marque de la vie et qu'à ce titre, il n'est jamais achevé Mais aussi parce que le Québec souffre encore de sous-développement. Les apparences ne doivent pas ici nous tromper. Si l'on ne s'en tient qu'au niveau de vie et aux structures de production, le Québec peut passer pour une société relativement avancée. Mais si l'on définit le sous-développement en termes de marginalité et de dépendance, il devient clair que le Québec est sous-développé Parce que l'histoire l'a mis longtemps hors des circuits principaux, surtout en matière économique Parce que sa structure industrielle a été conçue par d'autres, en fonction de leurs intérêts. Parce que ses modèles de développement lui sont venus d ailleurs et lui dictent encore des décisions économiques, [5] sociales et culturelles qui ne répondent pas à ses besoins.

Il faut donc que le Québec sorte de ces ornières et accède à une autonomie non pas seulement économique mais culturelle et sociale II doit trouver son propre modèle de développement, son propre dosage d'éléments culturels anciens et nouveaux, grâce auxquels il se reconnaîtra comme étant lui-même.

Plus qu'un important pas dans cette direction, la « révolution tranquille » a d'abord été une mutation culturelle. Le Québec prend alors conscience qu'il s'est urbanisé et industrialisé, qu'il peut et doit renoncer aux vieilles sécurités, secouer les tutelles, s'ouvrir au monde et à de nouvelles valeurs II remet en question ses principales institutions et structures, se lance dans la planification et la recherche, innove audacieusement sur le plan scolaire, prend en main ses services sociaux et hospitaliers, crée son régime de rentes, reprend à Ottawa une partie de l'assiette fiscale, nationalise l'électricité, s'introduit par le biais de l'État dans le secteur privé de l'économie, accroît la qualité et les effectifs de sa Fonction publique Ce mouvement de réforme et de modernisation s'accompagne d'une explosion créatrice dans tous les secteurs proprement culturels.

Mais une hirondelle ne fait pas le printemps. Bientôt, la volonté politique fléchit et le mouvement se ralentit. C'est ailleurs, dans le tissu social lui-même, que se poursuivent les révisions, les transformations et les mutations. Il faut reprendre la marche vers l'autonomie et l'autodétermination là où elle s'était arrêtée

Le gouvernement s'est résolument engagé dans cette direction et il a déjà posé des gestes importants. Sa politique de développement culturel s'inscrit dans la même démarche Elle fait le bilan de nos carences et de nos faiblesses, mais aussi de nos ressources, bien supérieures, qu'il s'agit maintenant de rassembler. Dans l'éventail des solutions proposées, ce n'est pas à l'État que revient le rôle majeur, car c'est le peuple lui-même qui crée sa culture. Mais l'État doit quand même intervenir pour favoriser le jeu de la liberté créatrice, s'attaquer aux contraintes et aux pouvoirs qui l'entravent, pour faciliter à tous le libre accès aux biens culturels dans ce qu'ils ont de meilleur C'est là reconnaître l'importance de son rôle pour la [6] sauvegarde des libertés individuelles et l'instauration d'une véritable justice sociale Dans la tradition occidentale, l'accent n'est pas mis seulement sur les droits formels mais aussi sur leurs conditions concrètes d'exercice. Si les rapports de force et les inégalités qu'ils provoquent rendent impossible ou difficile l’exercice de ces droits et libertés, il appartient à l'État, gardien principal du bien collectif, de redresser, de compenser, de prêter assistance aux plus faibles C'est là le véritable sens de la démocratie et de l'humanisme

Pour qu'elle porte tout son fruit, la démocratie doit donc devenir culturelle autant que politique, sociale ou économique. Pour que s'actualise son droit à la culture, le citoyen doit pouvoir accéder librement et facilement à tous les biens culturels, malgré les contraintes géographiques, économiques et sociales II doit pouvoir utiliser pour le développement de ses talents et de ses capacités créatrices les ressources de la collectivité II doit pouvoir enfin participer avec ses proches, au gré de ses affinités, dans toutes les communautés dont il fait partie, à l'élaboration d'une culture vivante, qui exprime à la fois son identité et ses choix existentiels

C'est en ce sens que la politique culturelle fait partie du projet commun, collectif, d'une société moderne et démocratique C'est un projet qui ne s'achèvera qu'avec la participation soutenue et enthousiaste des citoyens. Cette politique se veut une orientation, un soutien au dynamisme d'un peuple en marche vers son devenir et non pas un système ou un organigramme Elle pousse plus loin la réflexion, propose des pistes, mais elle invite surtout au dialogue. Ce dialogue qu'elle introduit se poursuivra au cours d'échanges, de rencontres, de colloques qui permettront de nuancer, d'étoffer, de combler les vides, de remanier et d'ajuster davantage les solutions aux réalités concrètes

Ce moment capital de notre histoire collective, le gouvernement veut le vivre en solidarité avec la population. Car il s'agit de notre avenir national qu'il nous faut enfin définir tous ensemble dans la ligne de notre identité, de nos aspirations, de nos besoins.

CAMILLE LAURIN,
ministre d'État au Développement culturel



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 25 mars 2018 15:16
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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