Préface

GEORGES DEVEREUX

Ph. D., Lie. ès-lettres

Professeur adjoint,

Newcomb College

Tulane University.

Mon excellent ami et collègue, le Docteur Louis Mars, ma fait l’honneur de me demander une préface pour son livre sur la psychiatrie comparée. C'est avec le plus grand plaisir que foi accédé à sa demande, car nous partageons le même enthousiasme pour cette science nouvelle, si passionnante, si importante, et si peu connue. La psychiatrie comparée attire surtout les esprits qui se plaisent à explorer les domaines les moins connus de la science, et, dans la personne du Docteur Louis Mars, digne émule de son père, l’illustre ethnologue Price Mars, Haïti peut se vanter d'avoir donné à la science — qui est universelle, — un insigne explorateur de la terra incognita de la condition humaine.

La formation intellectuelle du Docteur Louis Mars est aussi rigoureuse quelle est riche et variée. Il a fait ses études de médecine à la Faculté de Médecine de l'Université d'Haïti, une pépinière de pionniers de la médecine tropicale, et a reçu sa formation psychiatrique à L’Hôpital  [x] Ste.-Anne à Paris, et aux États-Unis, à l’Illinois Neuro Psychiatric Institute et à New-York Psychiatric Institute and Hospital. Il est donc éminemment qualifié pour contribuer à l'avancement de cette science jeune et vigoureuse.

Le présent ouvrage marque la fin d'une importante étape dans les recherches du Docteur Louis Mars, qui y distille l'essence de ses nombreux articles publiés préalablement dans les revues scientifiques de la République d'Haïti.

En même temps, ce livre marque le début d'une nouvelle étape dans l'histoire de la science Haïtienne. Il faut, en effet, qu'on se rende compte que le livre du Docteur Louis Mars est le premier livre de synthèse du domaine de la psychiatrie comparée à paraître dans n'importe quelle langue et en n'importe quel pays. C'est donc pour la première fois, je crois, qu'un Haïtien a devancé le monde entier par la publication d'un livre scientifique d'intérêt général et n'ayant pas trait exclusivement à des questions haïtiennes. De plus, ce travail a été achevé sans que le Docteur Louis Mars ait eu à sa disposition les ressources de vastes bibliothèques, de subventions de recherche, et d'un corps d'assistants. Et cependant la tâche a été immense. Il est à peu près impossible pour un non spécialiste en ma-

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tière de psychiatrie comparée de se rendre compte des difficultés que cette synthèse comporte. Nous possédons des centaines d'articles très importants sur des sujets ayant trait à la psychiatrie comparée. Ces articles sont éparpillés dans des douzaines de revues scientifiques de langues diverses. On trouvera une liste riche et cependant partielle, d'ouvrages sur la psychiatrie comparée à la fin du livre du Docteur Louis Mars. De plus, ces articles représentent sous certains rapports, un embarras de richesse, car on y remarque une diversité de points de vue et une fragmentation de faits concernant des centaines de tribus aux coutumes infiniment diverses. La synthèse de cet immense domaine était à peine ébauchée dans des articles à portée limitée, et d'un caractère nettement « tentatif ». C'est cette lamentable lacune que l'ouvrage du Docteur Louis Mars essaie de remplir. C'est un tour de force dont tous les savants lui seront à juste titre reconnaissants, et il est certain que dorénavant la République d'Haïti devra compter le Docteur Louis Mars parmi les plus illustres de ses fils.

La synthèse du Docteur Louis Mars est intéressante et vigoureuse. Il est certain, d’autre part, qu'aucune première synthèse d'une science [xii] nouvelle ne peut être considérée comme définitive. C'est dans ce fait même que consiste la grande importance de l'ouvrage du Docteur Louis Mars. Ce n'est qu'en soulevant des controverses, ce n'est qu'en étant une invitation à la discussion, qu'une synthèse quelconque peut contribuer à l’avancement de la science. Un livre scientifique vraiment important n'est jamais le linceul d'un florilège de platitudes admises par tout le monde, d'une anthologie de vérités scientifiques à la Police, mais plutôt le berceau d'idées hardies et d'hypothèses heuristiques. Le taux de mortalité des idées est aussi grand que le taux de mortalité des nouveau-nés. Un important travail scientifique est une crèche d’enfants spirituels dont un nombre suffisant survivra. De plus, on ne sait jamais d'avance si c'est le bébé le plus gros qui survivra, ou si c'est le rebut de la litée qui deviendra un champion. Le temps seul fait le choix final et le préfacier ainsi que les critiques, ne sont, en somme, que des inspecteurs d'hygiène et ne peuvent se prétendre ni augures ni faiseurs d'horoscopes.

En somme, le livre du Docteur Louis Mars est une invitation à l'émulation. Il dit aux autres savants engagés dans les recherches concernant la psychiatrie comparée : « Faites mieux, je vous [xiii] prie, si toutefois vous en êtes capables. » C'est strictement un Hic Rhodus his salta — et je sais que ce n'est pas aujourd’hui que je voudrais moi-même essayer le saut.

Il en est autrement de ceux qui voudront chercher au Docteur Louis Mars une querelle d'allemand. Les trancheurs de cheveux en quatre trouveront toujours leur compte dans l'ouvrage le plus accompli. Ils demanderont des questions sur l'emplacement des virgules, sur l’exactitude d’un détail sans importance, etc. Ceux qui n'aiment pas le style philosophique du genre français, qui insinue ses tentacules de curiosité dans tous les recoins d’un problème, mais insistent sur la nette sécheresse possible seulement lorsqu'on parle de choses de portée infime, — ceux qui préfèrent le lieu commun établi aux mille erreurs et rares trouvailles du grand genre — ceux-là, dis-je, trouveront assez dans ce livre pour agacer leurs dents de déchireurs.

Pour moi-même, je préfère les livres du genre de celui-ci, qui est une belle invitation à l’effort, une tentation à bien penser et une incitation à l’avancement de la science par l’austérité de la pensée, par l’effort du travail et par l’intégrité du penseur.

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Je suis certain — ainsi que l’est le Docteur Louis Mars, — que grâce à cette première synthèse une seconde et tierce et définitive synthèse deviendront possibles. C'est le fait d'avoir invité à une meilleure synthèse que la première tire sa gloire. La science est un champ de bataille bien singulier — on n'y trouve que des vainqueurs, car le vaincu lui-même est l'instrument qui rend la victoire possible... je parle, bien entendu, non pas des infimes victoires personnelles, mais de la victoire plus large de la science, qui est la seule qui intéresse des savants du calibre et du dévouement du Docteur Louis Mars.

Du point de vue pratique, le présent ouvrage a une grande importance. La psychiatrie thérapeutique s'est développée presque sans exception parmi les peuples de culture purement euro-américaine. Par conséquent le psychiatre qui travaille parmi les peuples d'un type culturel différent se trouve gravement handicapé par la confusion entre fait culturel et la soi-disant « nature humaine ». Comme le livre de Laubscher « Sex, Custom and Psychopathology », le livre du Docteur Mars nous permet d'envisager le développement d'une thérapie psychiatrique basée sur une compréhension véritable du milieu culturel dans lequel se déroule la maladie mentale du paysan haïtien.

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Du point de vue théorique, l’importance du livre du Docteur Mars est également grande. La ligne de division qui sépare l'élite Haïtienne des masses est non seulement une ligne de démarcation culturelle entre la civilisation française et la civilisation afro-franco-américaine du paysan, mais est en même temps, une ligne de division de stratification sociale. Or, et ceci est important, nous ne possédons à présent que les rudiments de la psychiatrie comparée des classes sociales, et cela surtout grâce aux travaux de Faris et Dunham.

En somme, quel que soit le point de vue duquel nous examinons le livre du Docteur Louis Mars, nous y trouvons les qualités essentielles d’un ouvrage qui fait avancer et la science et la condition de l'homme.

Je crois que le Docteur Louis Mars, savant, humanitaire, et citoyen du monde et par la grandeur de son esprit, et par la noblesse de son cœur, a bien mérité de l'humanité.

GEORGES DEVEREUX

Ph. D., Lie. ès-lettres

Professeur adjoint,

Newcomb College

Tulane University.

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