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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Benoît Pelletier, “Le Québec et la Catalogne: une certaine complicité.” Un texte publié dans le livre sous la direction d’Alain G. Gagnon et Ferran Requejo, Nations en quête de reconnaissance. Regards croisés Québec—Catalogne, pp. 9-13. Bruxelles : P.I.E. Peter Lang, 2011, 246 pp. Collection: “Diversitas”, no 9. [M. Alain-G. Gagnon nous a accordé le 17 mars 2006 son autorisation de diffuser en libre accès à tous l’ensemble de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales. Le 18 novembre 2020, il nous réitérait son autorisation pour ce livre.]

[9]

Benoît PELLETIER

Professeur titulaire à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa
et ancien ministre du gouvernement du Québec

Le Québec et la Catalogne :
une certaine complicité
.”

Un texte publié dans le livre sous la direction d’Alain G. Gagnon et Ferran Requejo, Nations en quête de reconnaissance. Regards croisés Québec—Catalogne, pp. 9-13. Bruxelles : P.I.E. Peter Lang, 2011, 246 pp. Collection : “Diversitas”, no 9.

Du point de vue sociologique ou politique, la nation est un groupe d'hommes et de femmes auxquels on suppose une origine ou une histoire commune. Ce groupe humain se caractérise par la conscience qu'il a de son unité et de son unicité sur le plan social, ainsi que par sa solidarité. Du reste, ce groupe constitue une communauté singulière, établie sur un ou plusieurs territoires définis, personnifiée par diverses institutions et soudée par des liens très étroits entre ses membres. Du point de vue juridique maintenant, la nation est une réalité constituée par l'ensemble des individus formant un État, mais distincte de ceux-ci et au surplus détentrice de la souveraineté. La nation sur le plan juridique peut donc désigner soit un État tout court, soit un État-nation, soit un État plurinational, c'est selon.

À la lumière de cette définition, il ressort indiscutablement que le Québec et la Catalogne forment des nations sur le plan sociologique ou politique. On y trouve un groupe humain partageant un territoire, une culture, une tradition juridique, une langue, etc. Surtout, ce groupe rêve d'un avenir qui lui soit propre.

Le Québec et la Catalogne sont, a-t-on coutume de dire, des nations sans États, des nations non étatiques ou des sous-États nationaux, en ce sens qu'ils ne forment pas des pays.

Un pays, c'est précisément ce à quoi les souverainistes québécois aspirent pour le Québec. Certains d'entre eux vont même jusqu'à soutenir qu'à toute nation devrait nécessairement correspondre un État. De leur côté, un certain nombre de Canadiens, surtout de langue anglaise, s'opposent à ce que le Québec soit désigné comme une nation, estimant que ce terme devrait être réservé au Canada ou aux autres pays en tant que tels. Pourtant, aussi bien ceux qui refusent de reconnaître l'identité québécoise au Canada au nom d'un quelconque nationalisme canadien [10] que ceux qui disent que le Québec devrait devenir un pays du fait précisément qu'il constitue une nation, commettent la même erreur : ils font un lien nécessaire entre la nation et l'État. Or, comme on le sait, il arrive que des nations choisissent de s'exprimer et de se développer au sein d'ensembles qui les dépassent, les englobent, voire les transcendent.

Nations sans États, le Québec et la Catalogne n'en sont pas moins en quête d'autonomie politique ou d'autodétermination à l'intérieur du pays dont ils font partie. Ils sont aussi fermement engagés dans une démarche d'affirmation à tous les niveaux, y compris sur la scène internationale. Cette soif d'autonomie et d'affirmation n'a rien d'étonnant. Après tout, le mot nation ne vient-il pas du mot latin natio qui signifie naître ? Et cette naissance n'est-elle pas le passage obligé de la nation vers toute forme d'émancipation, même si celle-ci devait s'inscrire dans le cadre d'un État plus large que la nation concernée elle-même ? N'est-ce pas le propre des minorités nationales que de vouloir s'épanouir dans quelque environnement que ce soit ?

Le Québec et la Catalogne sont des nations civiques plutôt qu'ethniques. En effet, le nationalisme ethnique met l'accent sur les liens historiques, alors que le nationalisme civique recherche plutôt le consensus et le compromis, au-delà des clivages ethnoculturels. Or, le Québec et la Catalogne ne se résument plus aujourd'hui à leur dimension ethnoculturelle. En effet, ils sont axés sur la mobilisation politique, la recherche d'une identité nationale partagée le plus largement possible, le développement de valeurs communes à tous les citoyens et sources d'unité, ainsi que sur la communication et le dialogue entre les individus et les groupes les composant. De plus, ils ont largement été et sont encore nourris par des apports identitaires divers, dont ceux des nouveaux arrivants. Tout cela cadre davantage avec l'acception civique du concept de nation qu'avec son acception ethnique.

Certes, le Québec et la Catalogne ne forment pas des sociétés homogènes. Toutefois, l'homogénéité est beaucoup moins nécessaire à l'existence d'une nation, quelle qu'elle soit, que la cohésion. C'est précisément cette cohésion que tant le Québec que la Catalogne cherchent à maintenir et à renforcer, en s'appuyant notamment sur une langue, le français et le catalan respectivement, que chaque société concernée cherche à imposer comme une langue nationale. Il en est de même pour la culture. En ce sens, il y a lieu de souligner que l'identité linguistique et culturelle a joué de tout temps et joue encore un rôle clé dans l'édification de la réalité nationale propre au Québec et à la Catalogne, comme c'est le cas d'ailleurs pour toute autre nation digne de ce nom.

[11]

C'est à l'intérieur du Canada et de l'Espagne que le Québec et la Catalogne ont choisi de s'épanouir en tant que nations. Le Canada est une fédération bien établie et reconnue comme telle. Mais qu'en est-il de l'Espagne ?

Avant de classer ou non l'Espagne parmi les fédérations, il convient de noter que, dans ce pays, la Catalogne voit ses pouvoirs dépendre d'une loi de l'État central, le Statut d'autonomie, et non directement de la Constitution. Toutefois, cette loi est préalablement négociée entre Madrid et Barcelone et, pour être adoptée, elle doit notamment être ratifiée par les Catalans à l'occasion d'un référendum. Du reste, un tel statut, une fois en vigueur, ne peut être modifié qu'en vertu d'une procédure complexe : minimalement, l'approbation aux deux tiers des membres du Parlement de la Catalogne, l'approbation des Cortes Générales au moyen d'une loi organique, et un référendum positif des électeurs catalans. Il en ressort donc que, bien que le Statut d'autonomie de la Catalogne n'ait pas une autorité réellement constitutionnelle au sens littéral, le mécanisme qui s'applique à sa révision s'apparente néanmoins à celui qu'on trouve normalement en matière constitutionnelle.

Du côté du Québec aussi, son statut et son autonomie ne peuvent être modifiés que conformément à un processus relativement exigeant. Cependant, c'est sur le chapitre du partage des pouvoirs que le cas du Québec se démarque de celui de la Catalogne. En effet, bien que ces deux entités politiques possèdent un certain nombre de compétences exclusives qui sont les mêmes, comme l'éducation, le droit civil et la culture, il n'en reste pas moins que la Generalitat est parfois liée dans l'exercice de telles compétences par une obligation de respecter ce qu'établit l'État dans l'exercice des compétences qui lui sont attribuées par la Constitution espagnole. De surcroît, dans de nombreuses compétences communes à l'Espagne et à la Catalogne, cette dernière voit l'exercice de ses pouvoirs encadré par des lois adoptées par Madrid, lesquelles déterminent les bases, en tant que principes ou minimum normatif commun.

Ainsi, tant les compétences exclusives de la Catalogne que celles qu'elle partage avec l'Espagne sont encadrées par les voies d'intervention du Parlement espagnol, voies qui sont d'ailleurs spécifiquement identifiées au sein même de cet acte fondamental qu'est le Statut d'autonomie. Ce n'est évidemment pas le cas du Québec, puisque les compétences exclusives qui lui sont conférées (ainsi qu'aux autres provinces) peuvent être exercées en toute souveraineté, bien qu'elles fassent parfois l'objet d'empiétements fédéraux, cautionnés la plupart du temps par la Cour suprême du Canada. Du reste, les compétences partagées entre le Québec (ou les autres provinces) et le fédéral sont peu [12] nombreuses en comparaison avec celles que partagent la Catalogne et l'Espagne. Enfin, au Canada, la prépondérance fédérale n'est applicable que dans des cas de conflits normatifs évidents entre des lois fédérales et des lois québécoises (ou provinciales) valides.

C'est donc principalement sur la base du caractère particulier du partage des pouvoirs contenu dans le Statut d'autonomie de 2006, auquel s'ajoute l'important déséquilibre fiscal qui existe entre l'Espagne et la Catalogne (de même qu'entre l'Espagne et d'autres communautés autonomes), qu'il faut en conclure que ce pays, bien qu'il semble engagé dans un processus de fédéralisation à long terme, n'est pas encore une fédération.

Alors que la Catalogne aspire toujours à un véritable statut d'État fédéré, le Québec en est déjà un, jouissant dans l'ensemble canadien d'une égalité souveraine par rapport au Parlement et au gouvernement centraux, de pouvoirs réels, y compris en matière de taxation, et d'une autonomie substantielle pouvant être exercée quasiment sans entrave, le tout sous la protection de la Constitution. Voilà sans doute pourquoi le Québec, malgré les défis qu'il lui faut encore relever quant à sa place au sein du Canada, est une source d'inspiration pour la Catalogne. Cela n'enlève toutefois rien au mérite des Catalans qui, depuis quelques années, ont fait des gains notables dans un État qui était au départ peu enclin à emprunter la voie d'une plus grande autonomie régionale.

Tous deux étant des nations civiques s'affirmant à l'intérieur de pays plurinationaux, le Québec et la Catalogne ont donc beaucoup en commun. Ils entretiennent d'ailleurs des relations fécondes où se développent, avec le temps, des formes de complicité. Puisse ce livre permettre au lecteur de mieux saisir la nature profonde et authentique de l'amitié qui lie depuis longtemps ces deux sociétés luttant, chacune à sa façon, pour être reconnues à l'intérieur de l'État qui les englobe. Si le Québec et la Catalogne semblent disposés à appartenir à des ensembles plus vastes, ils insistent néanmoins pour y être respectés et reconnus pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire des entités nationales distinctes.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 7 décembre 2020 19:29
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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