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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

L’économie haïtienne et sa voie de développement. (1993)
Préface à l'édition haïtienne


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Gérard PIERRE-CHARLES, L’économie haïtienne et sa voie de développement. Port-au-Prince, Haïti : Les Éditions Henri Deschamps, 1993, 272 pp. Une édition réalisée par Rency Inson Michel, bénévole, Licencié en sociologie de la Faculté des sciences humaines de l'Université d'État d'Haïti et coordonnateur du Réseau des jeunes bénévoles des Classiques des sciences sociales en Haïti. [Autorisation formelle accordée par la direction du CRESFED le 11 juillet 2019 de diffuser ce livre, en accès libre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[1]

L’économie haïtienne et sa voie de développement

Préface à l'édition haïtienne

Cette vision de l’économie haïtienne remonte pour l’essentiel à la période 1961-65. Études et militance fiévreuses en Haïti. Départ forcené pour l’étranger... Découverte passionnante et furtive de Cuba, puis Mexico - Premières approches humaines et scientifiques à la réalité de l’Amérique latine qui nous ouvrent de part en part les portes du Monde et contribuent à redimensionner pour nous Haïti, dans sa géohistoire. Cette vision rétrospective, comparative, éclaire le pays que nous avions laissé, avec de profondes déchirures, emportés dans cet exode, des débuts des années 60, exode qui fit tâche d’huile sous la poussée des cagoulards, de la persécution systématique contre les opposants connus, les suspects, les clandestins... contre tout un peuple.

Années de la Révolution Cubaine, de la rentrée sur la scène du Monde de Fidel Castro et de Che Guevara, de la guerre d’Algérie, de Frantz Fanon, des indépendances africaines. Cette conjoncture exaltante marqua les hommes de notre génération, surtout ceux du Tiers Monde, doués de sensibilité et de conscience, et davantage ceux d’entre nous, étudiants, intellectuels, travailleurs éclairés qui étions dans la vingtaine.

Le monde bougeait... Une période de particulière effervescence et de remise en question.. Et en Haïti, en même temps que s’imposait “ le cataplasme de la peur et sa tiédeur gluante”, la lutte montait, faible, plaintive et dissimulée, comme un S.O.S. au monde sur la catastrophe qui s’était déjà installée.

Le peuple, dans ses diverses expressions, résistait au fascisme rampant ; des groupes politiques naissaient, la résistance s’organisait ; le Parti d’Entente Populaire, fondé en 1959, par Jacques Stéphen [2] Alexis et un groupe de jeunes militants, grandissait dans la clandestinité : la grève des étudiants éclatait, avec la colère de toute une jeunesse.

Il fallait apprendre à militer dans l’exil, assumer les contacts avec l’intérieur, promouvoir la dénonciation du régime, assurer la solidarité internationale, écrire des articles, publier Ralliement, expression, dans l’exil de la pensée démocratique, faire connaître la réalité du pays. Pour cela, il fallait mieux comprendre Haïti. Recueillir de la mémoire collective ou du vécu, des informations ou des réflexions, tisser de nouveau les thèmes qui hantaient notre inquiétude quotidienne dans le pays, reconstruire les discussions avec Jacques Alexis, Gérald Brisson autour du Manifeste du Parti d’Entente Populaire, pour la nouvelle indépendance.

Ces éléments devaient constituer, à la fois, les lignes d’analyse et les matériaux qui aidaient à reconstituer et comprendre le réel haïtien. Ils nous permettaient, de nous ouvrir, telle une éponge, au monde universitaire et à la culture latino-américaines. En même temps, nous commencions à monter des cercles d’études avec d’autres étudiants haïtiens se retrouvant au Mexique.

La découverte de ce continent à travers son histoire, sa littérature, ses hommes et ses femmes fut en elle-même toute une aventure intellectuelle. Nous pûmes en même temps mesurer les bornes de l’enseignement classique en Haïti qui présentent l’histoire universelle et le monde à travers des prismes néocoloniaux et élitaires. L’intérêt qui commençait à percer en nous pour l’Afrique et le Tiers-Monde, dans cette quête de savoir, du coup se trouva élargi à un univers jusque-là insoupçonné. Haïti, en même temps perçait, selon notre entendement, dans sa dimension afro-latino-américaine, afro-caraïbéenne...

En faisant le tour des bibliothèques de Mexico, des ouvrages d’une richesse extraordinaire s’offrirent à nous ; ceux de Louis Joseph Janvier, Anténor Firmin, Edmond Paul, Louis Marcelin, à l’époque introuvables. Ils nous aidèrent à mieux capter le XIXe siècle haïtien, les grands traits de l’évolution économique et sociale du pays. Nous fîmes la connaissance d’une pensée sociale, qui tranchait avec l’enseignement des sciences économiques à la Fac de Droit, lequel évitait de mentionner les questions économiques haïtiennes. Notre vision s’enrichit aussi, énormément par l’accès aux textes en Sciences Humaines sur l’Amérique latine, combien suggestifs dans le contexte historique et social de cette époque de bouillonnement des idées.

Entre-temps un accident tragique bouleversa notre vie. Cette épreuve peu commune raffermit notre trajectoire de lutte sous-tendant nos efforts et nos rêves de chaque jour, pour survivre physiquement, fonctionner normalement et garder notre intégrité [3] psychologique. Nous dûmes pénétrer dans cet espace imprévu, de combat individuel, où rien n’est donné, rien n’est facile, tout est laborieusement à conquérir. Dans ce contexte, il fallut mettre la dernière main à cet ouvrage, qui était terminé dans ses lignes fondamentales dès l’automne 1962 - nous avions alors 26 ans - Cette tâche, partie intégrante de notre engagement en tant qu’intellectuel militant, nous aida à contrer l’adversité et à nous sentir utiles, bien que notre corps devenait inutile pour la lutte qui s’annonçait et à laquelle nous étions disposés à tout donner.

* * *

L’ouvrage parut, en 1965 en espagnol. Des camarades et amis du Mexique, de l’Amérique du Nord, et d’Europe souscrivirent généreusement à la publication de l’édition française, qui vit le jour en 1967.

C’était un moment où le drame de notre pays était connu à partir des seuls stéréotypes d’une presse occidentale, qui se référait presqu’exclusivement aux horreurs des tontons macoutes et de Papa Doc. Le livre fut accueilli dans les milieux académiques de l’Amérique latine, de l’Amérique du Nord, de France et des pays socialistes, comme une contribution à la connaissance d’Haïti. De nombreuses publications scientifiques en Amérique latine en firent écho. Le célèbre démographe français, Alfred Sauvy, dans sa chronique de lecture de livres dans “le Monde” lui consacre un élogieux commentaire ; de même la revue Amérique latine de l’Académie des Sciences de l’URSS.... Le livre devint une référence obligée pour tous ceux, de toutes idéologies ou de toutes positions politiques, qui se penchaient, avec sérieux, sur la réalité de notre société.

Dans les universités étrangères, fréquentées par les haïtiens, dans les cercles intellectuels et politiques, dans le pays même, malgré les risques qu’impliquait la simple mention du nom de l’auteur, le livre circula largement sous le boisseau et sensibilisa toute une génération à la réflexion sur l’économie du pays, dans son évolution, ses structures, et son panorama du moment.

La revue Conjonction de l’institut Français, publia un long résumé du livre. Selon une information qui nous fut communiquée des années après, par le Directeur de l’institut, le Professeur Jacques Barros, qui avait eu le courage de publier ce texte, le numéro de la revue contenant l’article disparaissait systématiquement des rayons de la bibliothèque, subtilisé par quelque étudiant désireux de le faire lire par d’autres. Quel meilleur hommage pourrait mériter cette œuvre, en ce temps d’obscurantisme, où l’on poursuivait les écrivains et même les détenteurs de livres, où l’on jetait les ouvrages dans les [4] latrines, où l’on essayait de bannir les noms des opposants et de gommer la conscience critique de la société.

Le livre marquait donc une date dans la connaissance scientifique d’Haïti et dans la façon de voir, d’analyser, de présenter et de proposer des solutions aux grands problèmes nationaux, problèmes qui n’ont fait que s’aggraver depuis. De là l’intérêt, l’actualité de cet ouvrage....

Faute d’un présentateur, un aîné, un collègue, un jeune spécialiste, qui pourrait évaluer ce livre, dans toute sa mesure, nous le présentons au lecteur haïtien d’aujourd’hui... Nous le faisons sereinement, sans vaine gloriole mais sans fausse modestie, laissant à ceux qui étudieront l’histoire des idées économiques et sociales en Haïti le soin de situer à sa juste valeur, ce livre, dans son temps.

Déjà, dans un article critique, publié par la Revue Nouvelle Optique, de Montréal, et qui fit date dans l’émigration, Claude Moïse tenta un examen critique du premier chapitre du livre. Il projetait de façon déductive et implicite la critique à la conception globale de l’ouvrage. Cet article parut sous le titre “ Notes de recherche. Les théoriciens du mouvement révolutionnaire haïtien et la formation sociale haïtienne : étude d’un cas”.

En nous référant à cette polémique, nous voulons admettre publiquement le bien-fondé de certaines critiques que Moïse nous adressait à l’époque, et que nous n’avions pas captées dans toute leur profondeur. Nous voulons surtout contribuer à poser et à reposer certaines questions qui demeurent pertinentes et même indispensables pour une compréhension des problèmes de développement de notre société.

En préambule à son long article critique, Moïse fait remarquer : “une étude attentive de tout ce qui a été produit par les marxistes dans le domaine historico-social depuis Jacques Roumain jusqu’à Gérard Pierre-Charles, en passant par les analyses des organisations révolutionnaires haïtiennes, ne peut que nous renforcer dans la conviction qu’un réexamen fondamental de la réalité historico-sociale demeure une des tâches urgentes des intellectuels progressistes haïtiens. Ce n’est pas amoindrir les mérites des pionniers du mouvement révolutionnaire haïtien que de souligner les limites de leur action à la fois sur le plan idéologique et sur le plan politique...

“...Dans l’ensemble, continue Moïse, les principaux auteurs du courant marxiste haïtien procèdent du même schéma. Certes aucun d’eux (à l’exception de Charlier) n’a entrepris une véritable étude historique, mais chacun s’est senti obligé (ce qui est légitime) de faire précéder ses analyses économiques ou sociologiques d’un bref mais significatif aperçu historique. C’est à Gérard Pierre-Charles que nous devons la tentative la plus nette d’embrasser l’évolution historique [5] d’un coup d’œil panoramique. Dans l’introduction historique à son étude sur l’économie haïtienne, il a systématisé ce que nous appelons la vision commune des théoriciens marxistes haïtiens de l’histoire d’Haïti. On peut certes, faire valoir que le préambule de son livre ne constitue pas une analyse historique en soi, mais il n’en reste pas moins qu’il met en évidence l’interprétation que l’auteur va donner du présent, c’est-à-dire, du régime économique et social actuel...”

À partir de cette introduction, les observations de Claude Moïse mirent l’accent sur les aspects suivants :

1) La définition du mode de production esclavagiste à Saint Domingue. La caractérisation qu’en fait l’ouvrage, selon lui, ne tient pas compte de l’insertion de l’esclavage comme source et moyen d’accumulation dans la dynamique du capitalisme mondial.

2) La transition du régime esclavagiste colonial au régime socio- économique postérieur. Il s’élève contre la thèse selon laquelle ce nouveau régime accuserait des traits féodaux et que la politique des principaux acteurs, surtout de celle de Toussaint - et Christophe (règlements de culture, système nobiliaire) correspondrait à la transition au féodalisme. Il récuse l’appréciation (que nous qualifions de progressiste) de la politique agraire de Dessalines, à partir d’une valorisation de son projet de réforme agraire et de nationalisation.

3) L’interprétation globale que fait l’ouvrage de l’évolution historique sociale haïtienne ; il ne partage pas notre vision sur la nature et le rôle de l’État, des grands propriétaires fonciers et du militarisme, facteurs du maintien des rapports féodaux. Non plus, notre thèse sur l’existence d’un secteur libéral de la bourgeoisie dont le développement aurait été compromis par les structures internes de domination, et entravé par toute la politique de l’État oligarchique vis-à-vis de l’étranger.

Ainsi, au centre de ces désaccords se situait le débat autour de la définition de la formation économique et sociale haïtienne du 19e siècle.

À ce sujet, nous devrions rappeler que ce débat fut initié en Amérique latine durant des années 60. Jusqu’alors, la science sociale d’inspiration marxiste, caractérisait comme féodale la société coloniale et celle du 19e siècle des pays du sous-continent. Au début des années 70, tout un courant néo-marxiste latino-américain entreprit une révision critique enrichissante des thèses en cours. Cette révision donna lieu aux théories de la dépendance lesquelles allaient élargir la compréhension scientifique des formations sociales latino-américaines.

[6]

L’Institut d’investigation économique de l’UNAM, avec Alonso Aquilar, Andres Gunder Frank, Fernando Carmona et la Revue Problemas del Desarrollo fut un des hauts lieux d’élaboration de ces thèses. Aussi, dès l’époque de leur gestation, nous eûmes à les discuter, à remonter dans l’histoire économique de l’Amérique latine, ce qui nous permit de différencier l’évolution historique haïtienne de celle des pays de l’Amérique espagnole.

En effet, pour toute cette école, qui a développé les thèses de la dépendance, l’insertion précoce des pays de l’Amérique latine^ à l’économie mercantiliste capitaliste mondiale, a configuré très tôt, dans ses sociétés, une structure à dominance capitaliste ; même lorsque celles-ci accusaient dans leur mode de production et les relations sociales des traits pré-capitalistes.

Tout en partageant ces théories, à l’élaboration desquelles nous apportâmes notre contribution personnelle, nous estimions cependant que les traits de l’évolution haïtienne ne correspondaient pas à la réalité latino-américain de l’époque coloniale et du 19e siècle...

La polémique ouverte par Moïse fut suivie par d’autres collègues. En particulier Jean Jacques Doubout, dans une brochure intitulée Capitalisme ou Féodalisme s’appliqua à démontrer que le capitalisme avait surgi avec les noyaux de travailleurs salariés qui se retrouvaient dans les premiers ateliers et plantations installés après l’indépendance.

Cependant, au-delà de ces critiques ou divergences, notre interprétation de l’évolution historique devait inspirer ou influencer bien des collègues et disciples. En particulier, Benoît Joachin, dans la conception de son livre les Racines du sous-développement Haïtien. Pour cela, en plus de faire montre de façon magistrale de son métier d’historien, il pouvait utiliser toute la documentation de source primaire disponible à la bibliothèque Nationale de France. En empruntant, pour le titre de ce livre (sa thèse de doctorat de l’Université de Paris) un des sous-titres de notre livre, il rendait tribut, avec toute la rigoureuse honnêteté qui le caractérisait, à l’apport de cet ouvrage à sa compréhension de l’évolution historique haïtienne.

L’année 1968 fut celle de la recherche autour de la problématique politique haïtienne, qui conduisit à la rédaction de Radiographie d'une dictature, ouvrage paru en espagnol au début de 1969. Jamais travail ne fut réalisé avec tant de responsabilité. Nous sentions que c’était la contribution publique la plus significative à apporter à la résistance en Haïti qui paraissait rentrer dans une phase décisive.

Depuis notre arrivée au Mexique, nous accumulions de façon systématique tout ce qui était publié sur Haïti, sur Duvalier : livres, brochures et journaux, que les amis du pays nous faisaient parvenir ; littérature de l’opposition à l’étranger, articles de la presse internationale. [7] Cette base documentaire et les données résultant des conversations et enquêtes avec les militants vivant au pays, rencontrés périodiquement, nous aidèrent à comprendre le phénomène Duvalier dans son insertion à la société globale haïtienne et son contexte international.

Dans le cadre de cette étude, sous le titre de “ à la recherche des causes premières” nous entreprîmes de comprendre l’articulation entre le duvaliérisme et la base économique, le mode de production et les relations sociales. Un tel propos nous conduisit à approfondir, à nuancer nos analyses et à prendre conscience plus nettement de la complexité de la formation sociale haïtienne, dans laquelle se trouvent imbriqués tant d’éléments contradictoires. Cela nous amena à comprendre qu’il convenait dans toute tentative de définition de cette formation, de ne pas simplifier l’interprétation à partir de catégories données, de modèles reçus, ou de schémas classiques ; il fallait interroger sans relâche le réel pour mieux comprendre, au-delà des lois générales auxquelles nous n’échappons pas, les spécificités, les lois particulières, qui gouvernent l’évolution de notre société, dans sa géohistoire et sa personnalité culturelle. Il fallait voir et comprendre Haïti avec notre tête et nos yeux de marxistes haïtiens, avec une sensibilité socioculturelle et une créativité scientifique. Cette démarche désormais a servi de guide à toutes nos réflexions et apports à l’étude de la réalité haïtienne.


* * *

Le début des années 70 marqua une nouvelle période de notre vie professionnelle, avec notre intégration comme chercheur à plein temps à l’institut de Recherches Sociales de l’Université Autonome de Mexico. Désormais nous pouvions nous alléger des obligations, combien passionnantes et formatrices dans le domaine de l’enseignement de l’Économie Politique, ou de la Méthodologie des Sciences Sociales, pour consacrer plus de temps à la recherche et à l’écriture. L’Institut offrait un champ de travail scientifique ouvrant sur l’Amérique latine. A partir de cette expérience cumulative, il nous fut donné de capter comment, dans l’analyse et l’interprétation du fait historique social haïtien, les spécificités de notre histoire, de notre culture, de notre évolution socio-économique, devaient se comprendre dans le cadre global de l’économie mondiale.

L’Institut, comme cadre de travail nous permit de lier connaissance et amitié avec de nombreux et éminents collègues latino-américains. Parmi eux, Pablo Gonzalez Casanova, dont la rigueur, l’intégrité intellectuelle et son culte “à l’imagination sociologique” nous a singulièrement marqué. Une collaboration à un ouvrage collectif, dirigé par le sociologue guatémaltèque Mario Monteforte Toledo : [8] Amérique Centrale, Sous-Développement et Dépendance, nous permit de pénétrer dans l’évolution et les structures économiques et sociales de ces pays petits et retardés, si proches du nôtre et de mieux comprendre la dynamique du sous-développement et de la dépendance d’Haïti.

Ce nouvel espace d’intérêts nous porta à nous interroger quant aux possibilités de coopération avec la République Dominicaine et bien entendu à rechercher, au plan de la connaissance, les prémisses d’une telle coopération. De là, l’initiative d’organiser en 1971, sous le patronage de l’UNAM, un colloque dominicano-haïtien de Sciences Sociales qui mit face à face, une vingtaine de chercheurs, des deux pays. De fructueux échanges sur les thèmes liés à l’histoire et la société de l’une ou l’autre république ouvrirent la voie à toute une ligne d’apports sur cette épineuse et combien riche problématique. Cette rencontre renforça la connaissance et l’intérêt pour Haïti de chercheurs dominicains tels qu’Hugo Tolentino, Emilio Cordero Michel, stimula la vocation sur le thème d’André Corten, et initia de nombreux intellectuels haïtiens à la réflexion sur cette question. Elle fut pour nous le point de départ de toute une série d’études sur la société dominicaine, dans son passé et son présent. Elle nous permit de nous lier sur le plan professionnel et humain à des collègues dominicains.

Dans ce contexte, nous avons été amenés à mieux connaître Juan Bosch en tant qu’intellectuel. Il avait préfacé notre Radiographie d'une dictature. Nous nous rencontrâmes à Paris en 1971, à l’hôtel Danube avec sa femme Carmen. Il nous fit part de sa décision de mettre fin à son exil, pour aller récupérer le Parti qu’il avait fondé, le P.R.D., qui fonctionnait au pays sous le leadership de Pena Gomez et dont le contrôle lui échappait. Nos conversations avec Bosch nous encouragèrent dans la voie de l’étude des Caraïbes. Il venait alors de publier son ouvrage magistral de plus de 600 pages De Cristobal Colon à Fidel Castro, el Caribe frontera impérial. Curieusement, un livre parallèle, du point de vue thématique, devait sortir la même année sous le même titre, The Caribbean, From Columbus to Castro sous la plume de Eric Williams, leader historique et Premier Ministre de Trinidad Tobago.

Ainsi l’approche de la réalité socio-politique, de la production scientifique et littéraire dominicaine nous conduisit à déboucher sur un champs d’étude inconnu, l’immensité de la mer Caraïbe, des terres caraibéennes et de l’homme caraïbéen.

À cette époque, l’Université et le monde intellectuel mexicains bouillonnaient d’intérêt pour l’Amérique latine. Après les Jeux Olympiques de 1968, le Mondial de football de 1970, le pays, en pleine croissance, sous la présidence de Luis Echeverria se découvrait [9] une vocation latino-américaine et internationale. C’était l’époque du gouvernement de Salvador Allende au Chili, du régime progressiste du général Velasco Alvarado au Pérou, du retour de Péron en Argentine, du Général Nationaliste Omar Torrijos au Panama, de la chute d’Allende, et du bain de sang et d’horreur de Pinochet, de l’exode massif des exilés chiliens qui arrivèrent au Mexique, suivi de près des exilé uruguayens et argentins fuyant les dictatures fascistes...

Les mexicains, quelle que soit leur formation intellectuelle ou idéologique, ont le sens de l’histoire. Sans doute parce qu’ils plongent leurs racines dans une grande culture millénaire, dans une conscience nationale particulièrement aiguisée. Ils surent comprendre le sens de la République espagnole et de la guerre civile en Espagne en 1936. Ils surent capter la signification de la révolution cubaine. Jamais ils n’acceptèrent le diktat des U.S.A. obligeant les gouvernements de l’Amérique latine à rompre leurs relations diplomatiques avec l’île rebelle. Ils comprirent le sens de l’arrivée sur leur territoire de milliers de latino-américains, fuyant les dictatures... Les lettres, les sciences, la presse, les universités mexicaines s’ouvrirent à ces réfugiés, profitant de leur connaissance, exprimant ainsi leur solidarité avec l’Amérique latine et les Caraïbes.

Nous consacrâmes près de 10 ans, clairsemés par les nombreuses autres tâches académiques et politiques, à l’étude de la problématique sociale de la Caraïbe. De cette démarche, surgit un livre, Genèse de la Révolution Cubaine, dans le cadre d’un travail de synthèse d’un demi siècle (1930-1980) d’évolution sociale économique et politique des nations caraibéennes. Cette recherche laborieuse, sous le nom de El Caribe a la Hora de Cuba, gagna en 1980 le Prix d’essai scientifique de la Casa de Las Americas et fut publié à Mexico sous le titre El Caribe Contemporaneo.

Haïti, “étoile de mer sur la mer Caraïbe” comme le dit Phelps, demeura au centre de nos recherches sur cet archipel merveilleux, microcosme de l’humanité opprimée, où se sont retrouvés toutes les formes, modalités, langues ou couleurs du colonialisme, du néocolonialisme et de l’impérialisme.

Nous parcourûmes cet univers de long en large, dans des bibliothèques, dans les pages des ouvrages nombreux et divers, des revues, magazines, journaux, feuillets d’organisations politiques. Nous pûmes ainsi capter les mystères, les souffrances, les luttes et les espoirs de cette Caraïbe fraternelle. Nos visites à plusieurs de ces îles, nous permit de sucer, de chacune d’elle, la sève qui pouvait nous aider, par transposition, par analogie ou par opposition, à saisir et à comprendre ce monde global passionnant. En faisant le tour de l’archipel, nous fûmes frappés par la force et l’originalité de sa [10] culture. Nous fûmes aussi victimes des interdits discriminatoires qui frappent les esprits libres, dans les hauts lieux de l’intolérance ou de l’oppression implantées séculairement depuis l’arrivée des caravelles et les négriers. Jamais nous ne pûmes pénétrer, à cette époque pour les connaître du dedans, la citadelle de Puerto Rico, la place forte de Santo Domingo, ni bien entendu l’enceinte fortifiée des Tontons Macoutes.

Ces interdits ne pouvaient empêcher la connaissance d’éclater et de filtrer au-delà des murs. Notre intérêt passionné pour l’humanité antillaise donna lieu à d’autres ouvrages, plusieurs articles, des rencontres scientifiques et à la fondation d’une chaire sur la thématique de la Caraïbe à l’Université de Mexico. Recherches, écriture, conférences, dans un cadre de réflexions et d’expériences vécues, tout cela nous permit de nous imprégner de cet univers, dans sa variété historique, sa richesse culturelle, son unicité, la force de ses explosions sociales et la persévérance de son peuple dans cette séculaire marche vers la liberté. Cette marche nous conduisit à nouveau sur les rives haïtiennes, le 30 avril 1986 après 26 ans d’exil.

* * *

La société, l’économie haïtienne, un quart de siècle après garde les traits qui permettent de reconnaître une silhouette ou un visage même réduit à son expression la plus dégradée...

L’exil est comme une barque qui s’éloigne lentement, mais jour après jour, des rives où l’on est né. Celui qui s’est embarqué, du pays, en voit de moins en moins clair les contours... Il nous coûtait de plus en plus ces dernières années de capter les rides d’Haïti. Nous devinions ses charmes, de mémoire. Et nos analyses, nos œuvres de synthèse gardant toute leur distance, devenaient plus pénétrantes.

En 1978, un ouvrage intitulé La Crisis Ininterrumpida publié à Cuba, au Mexique et à Santo Domingo, essaya de situer la problématique de la crise haïtienne dans ses dimensions historique et structurelle, mais les traits forts ne pouvaient nous échapper.

En 1978, dans la revue Conjonction, et en 1980 dans El Caribe Contemporaneo, nous entreprîmes d’analyser les tendances les plus récentes de l’évolution socio-économique. Les limites de la sous-traitance nous apparurent évidentes à un moment où le pouvoir et les économistes à son service parlaient de “ révolution économique”. Nous comprîmes qu’il s’agissait d’une fausse croissance, d’une industrialisation cosmétique, injectée de l’extérieur, qui n’allait point résister à la dynamique profonde des déformations structurelles.

[11]

En 1983, invité par le Hunter Collège de l’Université de New York à un colloque sur la problématique caraïbéenne nous fîmes une rigoureuse critique du modèle de développement imposé à Haïti depuis 1915. Cette intervention, en collaboration avec Suzy Castor, soulignait la nécessité de la rupture permettant d’atteindre un développement national. Elle fut publiée sous le titre de Pouvoir oligarchique et alternative de changement en Haiti. Elle annonçait le retour prochain au pays, qui nous ouvrit l’accès au livre des pulsations, des turbulences, de la température corporelle de notre société. La brochure, “ la crise sociale haïtienne et la lutte pour les droits du peuple” essayera de capter cette nouvelle crise du système, qui se projette à un point tellement catastrophique, que son étude méritait une analyse approfondie pour en dégager les lignes de rupture.

Dans cette perspective, et au risque d’une caractérisation trop sommaire, nous pouvons affirmer que l’état actuel de l’économie montre la continuité des traits de l’évolution structurelle, l’aggravation de ses distorsions et de son incapacité à promouvoir un quelconque processus de croissance soutenue. Cette réalité met en relief le fait que la “voie” adoptée durant ce dernier quart de siècle n’a pas été celle du développement sinon celle de l’anti-développement, de la dégradation de l’économie, des privilèges monopolistes, des contrastes sociaux les plus criards. Les traits de cette crise sont rendus combien évidents par la croissante baisse de la production agricole, la catastrophe écologique, l’impossible dynamisation de l’industrie, la corruption institutionnalisée, l’abandon des campagnes par des paysans. Conséquence de cette dégradation, 70% de la population d’Haïti vit dans la “misère absolue”, terme utilisé par les organismes internationaux pour se référer à une situation infra humaine de privation du droit à la vie, à la nourriture, à la santé, à l’éducation. Les records du sous-développement, détenus par Haïti durant les années 1960 se sont confirmés. Ils situent notre pays dans la catégorie des PMA (Pays Moins Avancés) ; cette sorte de 4e monde où se retrouvent les plus démunis du Sud...

Cette dynamique de l’écart croissant entre Haïti et le monde contemporain a agrandi la brèche entre notre pays et ses plus proches voisins. Elle a eu pour corollaire une dépendance accrue vis-à-vis de l’étranger, une véritable condition de tutelle.

La brèche est devenue tout aussi grandissante entre les 70% des haïtiens qui ont moins de 10% du revenu national et les 5% qui en accaparent les 70%. Un véritable “ colonialisme interne” s’est installé, rendant de plus en plus flagrantes et insupportables l’injustice et l’oppression.

La crise du système s’est approfondie à un point tel qu’elle est devenue évidente pour la majorité des haïtiens. La prise de [12] conscience de cette réalité, la mise en question du système constitue un des éléments les plus marquants, au niveau des faits et de la pensée sociale des dernières années.

Les concepts, les éléments de solution proposés à l’époque de la publication de l’Économie haïtienne et sa voie de développement paraissaient abstraits, audacieux, subversifs. Certains sont dépassés comme résultat de l’évolution historique ou de l’expérience internationale. Il n’est point question aujourd’hui, de “nationaliser le commerce extérieur”, comme nous les proposions il y a un quart de siècle. L’économie agraire d’exportation s’est effondrée, la structure économique est devenue plus complexe. Le capitalisme sauvage s’est renforcé, la crise de l’agriculture s’est aggravée. Le réaménagement du territoire se pose en des termes différents. Cependant, dans la mesure où les lignes de force de la structure économique et des mécanismes de fonctionnement du système demeurent, certaines idées ont fait leur chemin et gardent leur force. Aujourd’hui, les maîtres mots de réforme agraire, restructuration du système fiscal, aménagement du territoire, redistribution plus équitable du revenu, politique anti-monopoliste et anti-corruption sont devenus parties intégrantes du vocabulaire des Sciences Sociales en Haïti, des revendications des secteurs démocratiques ainsi que des lignes programmatiques des organisations politiques les plus avancées.

La pensée sociale et économique haïtienne, à partir des interrogations et des apports de la génération des années 60 - Jacques Stephen Alexis, Gérald Brisson, Alix Lamaute - a été marquée sans doute par les technocrates-affairistes des années 70 ou ceux qui ont repris la réflexion dans le domaine économique sous l’influence des institutions internationales, AID, Banque Mondiale, F.M.I. Mais, ces influences se sont révélées peu productives en termes de paradigme de croissance, d’organisation sociale ou de rationalisation économique. Elles ne sont guère séparables de la faillite scandaleuse de ce qui paraissait constituer un projet développementiste d’une certaine portée, compte tenu des conditions favorables au plan international et de la longue période de “paix sociale” qu’a signifié le duvaliérisme. Faillite du projet commun, promu par l’État, l’élite économique, l’assistance étrangère.

Aujourd’hui cette pensée socio-économique Haïtienne, stimulée par le processus de prise de conscience d’une nouvelle intelligentsia, est partagée par d’amples secteurs de la population. Elle permet de comprendre la faillite du système et ses causes. Elle stimule la mise en question de ce système qui a conduit le pays à une dégradation croissante et le peuple à un niveau sans précédent de misère.

Cette mise en question s’exprime sous des formes les plus diverses depuis 1986. Elle apparaissait d’une étonnante clarté pour les [13] cadres du mouvement démocratique et populaire, réunis en 1987 déjà, dans des séminaires de formation organisés par le CRESFED [1] et aussi chez nos étudiants de la Faculté des Sciences qui parvenaient, avec lucidité pratique, à identifier les grands problèmes nationaux et à mettre l’accent sur leurs causes. Ces mêmes débats se retrouvaient à d’autres niveaux de la critique sociale, à la radio, dans des réunions de base ou de groupes socio-professionnels. Ces idées commencèrent à se projeter, à partir d’une esquisse de projet de société, à la suite de l’accès au pouvoir en 1990 d’un gouvernement démocratiquement élu qui voulait assainir les finances, combattre la corruption, redéfinir le rôle de l’État, moderniser la gestion économique, augmenter la richesse sociale et la mieux partager.

Le coup d’État du 30 septembre 91, en voulant balayer ce projet modernisateur et réformateur, devint le catalyseur de l’effondrement total du système, dans ses dimensions locales internationales, structurelles et fonctionnelles. Il frappa de plein fouet une économie nationale en préparation pour le décollage après une longue transition-dépression. Il provoqua des effets catastrophiques : ajournement des réformes administratives de restructuration et d’assainissement de l’appareil d’État, déchaînement de la corruption, de la contrebande et de pires pratiques de pillage des caisses publiques, déstructuration des moyennes et petites entreprises par la concurrence déloyale et les privilèges monopolistiques, dislocation d’amples secteur du monde rural et de l’économie populaire par la répression dans les campagnes et les quartiers pauvres, qui a provoqué le déplacement massif des populations et l’émigration.

À ces effets endogènes, se sont ajoutés les facteurs exogènes dérivés des sanctions économiques adoptées par la Communauté Internationale contre le régime issu du coup d’État : suspension de l’aide étrangère bilatérale et multilatérale représentant jusque-là plusieurs centaines de millions de dollars, embargo, réduction des transactions internationales, fermeture de fabriques de la sous-traitance.

Cet ensemble de conséquences du coup d’État a altéré le précaire fonctionnement du système, dégradé le tissu productif industriel et agricole, affecté la capacité financière de l’État et des institutions monétaires, menacé l’équilibre de l’offre et de la demande, contribuant à augmenter le coût de la vie, à diminuer les revenus des [14] populations. Ainsi, toutes les instances de production, de circulation, de distribution, de rapports internationaux, de change de la monnaie en sont sorties affectées et l’économie nationale s’est enfoncée davantage dans le développement du sous-développement.

Dans ce contexte, la faillite de ce système économique et social, diagnostiquée dans ce livre il y a 30 ans, se révèle plus évidente que jamais. Ce système archaïque, mélange d’un féodalisme suranné et d’un capitalisme bâtard, montre des signes de dégénérescence et d’agonie sans avoir jamais connu la vigueur de la jeunesse.

Toutes les mesures prises depuis, pour réparer ses structures, refaire l’édifice économique ou sa façade, se sont révélées inopérantes. Toutes les formules ou lignes pragmatiques de caractère développementiste, autoritaire, technocratique, interventionniste, néolibérale, se sont révélées inefficientes : que ce soit le régime totalitaire comme cadre d’accumulation de capitaux et de concentration de richesses ; que ce soit l’aide publique étrangère infusée à profusion sous des concepts divers et qui atteignit 1 milliard de dollars de 1971 à 1986 ; que ce soit la promotion d’un secteur moderne d’industries d’assemblage inspiré du modèle Taiwan devant remplacer d’agro-exportation (café, sucre) en déclin et créer des effets d’entraînement pour l’ensemble de l’économie : que ce soit la thérapeutique du F.M.I. omnipotent dans toutes les décisions de politique économique depuis quelques décennies et qui prétendit atteindre son expression néo-libérale sous le C.N.G. [2] ; que ce soit l’émigration systématique comme politique économique de dépréssuration démographique et d’injection de devises.

L’économie haïtienne des années 90 est la projection de toutes les déformations structurelles, des dynamiques fonctionnelles de déstructuration propres à l’économie de marché ainsi que des privilèges monopolistes inséparables du système. Elle est le produit des maladies de carences aussi bien que des effets d’expulsion, d’explosion et d’attraction propres des déséquilibres régionaux, capital-province, monde rural - monde urbain, conservatisme et modernité qui naissent entres autres de la confrontation à un environnement nord américain surdéveloppée. Une économie qui ne parvient pas à la reproduction de sa capacité de générer des biens et services, ni au nécessaire renouvellement de ses structures pour faire face aux nouvelles impulsions et demandes du marché international.

[15]

En effet, face aux impératifs de reconversion et de modernisation, l’insertion du pays à l’économie mondiale reste conditionnée aux effets déjà profonds de la décomposition organique de certaines de ses structures et institutions. Dans ce cadre, les phénomènes obligés et spontanés d’adaptation fonctionnelle, s’accompagnent de mécanismes à la fois de déstructuration, de survie végétative, d’autodestruction, d’écartèlement, de pourrissement rendent encore plus problématique cette insertion et alimentent des processus devenus incontrôlables tels que la dégradation environnementale, la surpopulation, la prolifération de l’économie informelle, la bidonvillisation, l’émigration massive, la baisse de la production agricole d’exportation, le déclin des disponibilités alimentaires du pays, la dégradation des conditions d’existence des majorités qui se situent en-dessous de tous les seuils connus de pauvreté et de précarité.

Le développement économique d’Haïti exige de la part de son peuple, de ses gouvernants, des élites économiques, des techniciens à tous les niveaux, une volonté et un don d’invention sans pareil pour une utilisation optimale des ressources du pays.

Il faudra réduire les mécanismes de spéculation, de dépenses somptuaires, de bénéfices monopolistiques, reconvertir à des fins d’augmentation du produit social, les ressources financières, procéder à une efficace réorientation productive du capital national. Il faudra optimiser les revenus de l’État et les utiliser selon la plus sévère rationalité honnêteté ; mobiliser, canaliser, encourager, encadrer, rationaliser davantage, maximaliser dans ses rendements l’économie populaire tellement vitale et dynamique dans l’emploi, dans la production de biens et de services, dans l’agriculture et l’artisanat.

Promouvoir la production et la mise en valeur des produits culturels, les plus variés, qui constituent notre domaine d’excellence, de performance, de potentialités et “d’avantages comparatifs”.

On devra pouvoir capter des ressources de capital en provenance de l’extérieur par tous les moyens et rationaliser au maximum l’usage des ressources humaines techniques, ainsi que l’investissement préférentiel de l’émigration qui constitue une réserve extraordinaire. Il faudra créer des emplois dans tous les domaines, utiliser au maximum les ressources en main-d’oeuvre, trouver comment amener tout le monde à mettre la main à la pâte, inventer de nouveaux créneaux de production pour la consommation locale et aussi pour l’exportation, promouvoir des vocations touristiques, maximaliser les sources de financement provenant des institutions non gouvernementales, combiner de façon intelligente pour la construction des infrastructures, le financement externe et l’organisation du travail communautaire, l’utilisation intensive de la main-d’oeuvre et des technologies appropriées.

[16]

On aura à concevoir le développement national en dehors de toute orthodoxie néo-libérale, économiciste ou populiste, de tout mimétisme, de tout rêve impossible : vivre le développement à partir des réalités, contraintes et limites qu’exige une situation tellement catastrophique que celle de notre pays et faire l’option consciente, comme étape obligée d’une économie de la simplicité devant passer globalement “de la misère abjecte à la pauvreté digne”. Réaliser le “développement dans l’équité”, assurer l’augmentation de la richesse nationale et son meilleur partage par la multiplication et l’élargissement à toute la population des services de base en matière de santé, d’éducation, de logement, indispensables à tout projet de développement humain, à tout effort de construction nationale

Les problèmes de 1993 sont ceux de 1963 augmentés, multipliés, avec moins de ressources disponibles sans aucun doute, mais aussi avec plus de ressources humaines, et avec une volonté collective.

Hier, nous étions une poignée à partager la grande utopie de pouvoir changer ce pays, aujourd’hui nous sommes beaucoup plus nombreux à y croire et à nous battre ensemble pour y parvenir.

Port-au-Prince, le 22 juin 1993



[1] Centre de Recherche et de Formation Économique et Sociale pour le Développement (CRESFED), fondé en 1986 par l’auteur et son épouse Suzy Castor.

[2] Conseil National de Gouvernement, 1986 - 1987



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 27 janvier 2020 13:33
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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