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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Radiographie d’une dictature. Haïti et Duvalier. (1973)
Préface à l'édition haïtienne


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Gérard PIERRE-CHARLES, Radiographie d’une dictature. Haïti et Duvalier. Montréal: Les Éditions Nouvelle Optique, 1973, 205 pp. Édition re-fondue et augmentée. Préface de Juan Bosch. Une édition numérique réalisée par Wood-Mark PIERRE, bénévole, étudiant en sociologie à la Faculté des sciences humaines de l'Université d'État d'Haïti et membre du Réseau des bénévoles des Classiques des sciences sociales en Haïti. [Autorisation formelle accordée par la direction du CRESFED le 11 juillet 2019 de diffuser ce livre, en accès libre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[xiii]

Radiographie d’une dictature.
Haïti et Duvalier

Préface à l'édition haïtienne

Par Pierre-Charles GÉRARD

Ce livre écrit en 1967-1968 est à la fois une œuvre de révolte, d'amour et de foi.

Révolte contre l'abjection qu'a signifié la dictature duvaliériste depuis son installation en 1957, et qui nous avait conduit à lutter contre ce régime en tant que syndicaliste, militant estudiantin et révolutionnaire. Révolte entretenue dans l'exil, qui s'est amplifiée au fur et à mesure que croissait l'oppression dégradante de notre peuple avec ses rivières de sang, ses himalayas de cadavres et ses flots de corruption. Révolte des hommes et des femmes de ma génération, alors dans la vingtaine. Révolte de milliers de patriotes et démocrates, de diverses tendances (républicaine, bourgeoise, catholique, nationaliste, anti-impérialiste, socialiste, communiste) dressés dans une lutte héroïque pour la conquête de la liberté. Une œuvre d'amour pour l'Haïti souffrante et de foi illimitée en la jeunesse, les ouvriers, les paysans ; et ceux qui ont combattu sans trêve, avec toutes les armes du courage et du don de soi au cours de la grève des étudiants, à Dame-Marie au sein du mouvement Jeune Haïti, dans la résistance et le combat communiste au Limbé, à La Tremblay, à Cazale, à Port-au-Prince.

Ces “hommes souterrains" mis en scène par Dostoïevski qui “se sont plongés dans les entrailles de la terre pour élever un chant triste à la joie", au futur, à la justice, au bonheur de leur peuple. Ces initiateurs de progrès, inconnus, méconnus, souvent incompris et récriés qui ont donné leur contribution et ont inspiré l'entreprise grandiose de libération.

Le déchoukaj que vient de réaliser le peuple est un hymne à ses capacités créatrices. Il exalte du même coup la conviction de tous ceux qui n'ont jamais cessé de croire à sa capacité de [xiv] réaliser de grandes choses. Cette œuvre démontré que notre peuple porte en lui des ressources suffisantes pour assumer sa totale libération. Les formes nouvelles du combat populaire, les mouvements de masse, la participation de nouveaux groupes et acteurs sociaux qui ont secoué la charpe de plomb de la dictature sont le fruit d'une longue résistance populaire et d'une accumulation historique, au cours de laquelle les meilleurs fils du pays ont réaffirmé sans trêve leur volonté d'inscrire Haïti dans une perspective de lumière. Leurs gestes, anonymes ou connus, ont provoqué des phénomènes de conscience imperceptibles ; ils ont eu leur incidence sur la réflexion patriotique, sociale et nationale et ont contribué à faire progresser la conscience politique et l'organisation de notre communauté. A travers ce processus, il a été possible au peuple de s'élancer à la conquête du bunker duvaliériste. Ainsi l'œuvre des déchoukeurs d'aujourd'hui, loin d'être une génération spontanée a prolongé celle invisible mais ineffaçable des pionniers d'hier.

Cette radiographie a été faite de loin, au moyen de projecteurs analytiques, sur la base d'un réel vécu au sein du peuple comme ouvrier de l'usine Ciment d'Haïti. Un réel reconstruit sur la foi d'incontestables témoignages de militants, de la consultation de la presse haïtienne ou étrangère de l'époque et surtout des documents des organisations révolutionnaires qui luttaient clandestinement dans le pays. Certes, il lui a manqué la vision du “dedans" du pouvoir, car nous n’avons jamais eu à tremper de près ni de loin avec le duvaliérisme... Nous ne pourrions prétendre percer les secrets de palais d'autant plus que même les déçus et les renégats du pouvoir n'ont jamais eu le courage d'écrire leurs mémoires ou leurs confessions.

L'ouvrage a vu le jour en avril 1969 en sa version espagnole. François Duvalier écuma de rage quand Claude Cinéas, alors Secrétaire d'ambassade à Mexico, voyagea spécialement à Port-au-Prince pour lui apporter ce présent... C'était le temps où la machine de mort tonton macoute broyait, même de loin, tous ceux qui osaient lever la tête, l'arme ou la plume contre l'oppression...

La version française du livre publiée à Montréal en 1973 permit d'étendre notre analyse aux débuts du régime de Jean-Claude Duvalier. Puisque rien, ni personne, ne pouvait être pire [xv] que Papa Doc, ce changement suscita chez beaucoup un soupir de soulagement et bien des illusions... tandis que le pouvoir inventait de nouveaux pièges afin d'engloutir les aspirations du peuple à la démocratie et au mieux-être. Faire le point sur la signification réelle de cette succession permettait de comprendre que l'essence même du pouvoir absolu condamnait cette manœuvre à n'être qu'un simple replâtrage. Un cauchemar d'autant plus persistant que la légitimité et l'aide des “grands amis” étrangers paraissait convertir la dictature en un phénomène naturel, une horreur taillée à la mesure de notre pays d'illettrés, de chômeurs et de soi-disant inconscients... Il ne restait plus à notre bon peuple que de supporter son sort et aux secteurs et individus les plus “intelligents" d'en profiter à pleine bouche.

Une décade de plus, de Jeanclaudisme n'a fait que confirmer les présages. Le bilan de catastrophe s'est étendu à tous les aspects de la vie nationale. Aujourd'hui, plus que jamais, il apparaît que ce bilan d'échec va au-delà des Duvalier. C'est la capacité même du système de dépendance et de domination oligarchique d'assurer au peuple démocratie et bien être qui est mise en question.

Hormis quelques légères retouches pour réparer certaines erreurs d'information, de perception ou d'appréciation, ce livre est présenté dans sa version originale. Il ne prétendait pas être une œuvre de documentation, ni faire l'historique de ce règne, ni percer l'obscurité de ses actes... Il prétendait comprendre et faire comprendre l'essentiel : situer le duvaliérisme et ses mécanismes de domination dans la dimension sociologique haïtienne et dans le cadre de ses relations internationales. Et aussi, déduire de l'analyse des faits le chemin de la libération qui est présenté en dernière page, avec la nécessité première de déraciner le régime. De nombreuses études postérieures, réalisées en Amérique latine et dans le domaine des Sciences Sociales en général, après l'instauration du fascisme au Chili, en Argentine, Uruguay, etc., de même que des commentaires et critiques de nombreux amis haïtiens ont contribué à confirmer la justesse de certains aspects de notre analyse, les insuffisances d'autres. Aujourd'hui que ce livre, banni hier, peut être édité en Haïti, nous l'offrons comme un élément de plus du grand débat national... à cette heure du choix.

[xvi]

Écrivant cette présentation sur la terre d’Haïti, de retour d’un exil de 26 ans, comment ne pas me sentir fortement ému dans ces retrouvailles qui culminent la communion que nous avons sentie durant toutes ces années avec les combattants de l’intérieur, avec le peuple haïtien. Comment ne pas sentir du coup le vide laissé par tous ceux qui sont tombés sur les parcours, et ils sont tellement nombreux ces visages, ces profils d’amis et de camarades !. Comment ne pas être plus que jamais convaincu que le peuple haïtien, entraîné dans ce grandiose mouvement de prise de conscience, de prise de parole, de prise en main de ses droits, arrivera à assumer son destin et le destin souverain de la nation.

Port-au-Prince, le 18 mai 1986



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 2 octobre 2019 14:04
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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