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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

TRAITÉ DE SCIENCE POLITIQUE.
Tome 1: La science politique, science sociale. L'ordre politique. (1985)
Introduction générale


Une édition électronique réalisée à partir du livre sous la direction de Madeleine Grawitz et Jean Leca, TRAITÉ DE SCIENCE POLITIQUE. Tome 1: La science politique, science sociale. L'ordre politique. Paris: Les Presses universitaires de France, 1re édition, 1985, 723 pp. Une édition numérique réalisée avec le concours de Roger Gravel, bénévole, Québec. [M. Jean Leca nous a accordé le 4 avril 2018 son autorisation de diffuser la presque totalité de ses publications, y compris ce Traité de science politique.]

[ix]

Introduction générale

Le présent traité est le premier ouvrage collectif en langue française consacré à l'exposé systématique des principaux domaines et problèmes de la science politique tels qu'ils sont à l'heure actuelle recensés et organisés par l'ensemble de la profession. Malgré les imperfections, les hésitations, les emprunts et tendances diverses de la discipline, il nous a semblé que le moment était venu de marquer une étape de réflexion, de considérer le chemin parcouru, d'analyser les orientations pour l'avenir, surtout de dresser un bilan.

Plusieurs modalités étaient possibles : ouvrage théorique exprimant une option en faveur d'une école et d'un programme, profession de foi en forme de manifeste, catalogue de recherches empiriques présenté comme une encyclopédie, étude des domaines jugés importants introduits par les mots clés d'un dictionnaire critique ? La science politique en France est actuellement caractérisée par la variété de ses domaines de recherches et l'hétérogénéité de formation de son corps enseignant et de ses chercheurs où juristes, historiens, sociologues et philosophes se rencontrent utilement... quand ils se rencontrent (ce qui n'est pas assez fréquent). On constate de plus une continuelle interpénétration entre les travaux scientifiques, les productions culturelles générales (essais, mémoires, reportages, réflexions)... et les prises de positions politiques. Il nous a donc paru opportun de constituer un outil de travail utile aux professionnels d'un certain niveau (enseignants, chercheurs, étudiants avancés) [1]. On espère aussi qu'un public intellectuel plus large, au-delà de l'Université, pourra s'intéresser aux productions des « politologues » (puisque c'est le terme que la presse française emploie le plus volontiers) [2] [x] en dehors des « temps forts » où cette espèce bizarre sort de ses laboratoires et de ses salles de cours pour apparaître au grand public les dimanches électoraux, afin de commenter les mystérieuses « estimations » et les « sondages-sortie-des-urnes » qui permettent, dans la minute qui suit la clôture du scrutin, d'annoncer que M. Dutronchet l'emporte avec une fourchette entre 50,5 et 51% des suffrages exprimés ou que le parti de l'extrême-centre est crédité de 34% desdits suffrages, et de présenter une analyse mesurée mais ferme, tirée de la comparaison avec le référendum de l'an VIII ou les élections cantonales de 1912. Le présent ouvrage, tout comme les travaux académiques qui l'ont précédé, voudrait convaincre le public qu'il existe une partie immergée de ce (modeste) iceberg et que la science politique parle aussi d'autre chose que des mésaventures de l'électorat flottant et des avatars des régimes semi-présidentiels, même si les parties émergées attirent légitimement l'attention des médias et permettent peut-être mieux que d'autres, d'arracher à la complexité déroutante du réel quelques bribes de savoir empirique bien fondé.

Une entreprise comme celle-ci se justifie par son contenu et ses résultats. La lecture de ses 38 chapitres et de ses 50 contributions sera le test de son utilité et de son intérêt, et, comme toujours, les lecteurs et utilisateurs en seront juges. C'est pourquoi nous consacrerons quelques pages à exposer en quoi la science politique a progressé (1), quels sont les objectifs des présents volumes (2), l'éthique qui a animé leurs promoteurs (3), enfin les principes qui ont présidé à l'ordonnancement des différentes parties (4).

1. La science politique progresse

De quel progrès s'agit-il ? Nous ne voyons pas comment il serait possible d'affirmer que les productions que nous allons présenter sont de façon intrinsèque meilleures, dans ce que Weber appelait la « sphère des évaluations ultimes », que, par exemple, celles de saint Augustin ou Ibn Taimiya, pour ne pas mentionner Aristote, Ibn Khaldoun ou Montesquieu. Est-ce un progrès dans le sens plus limité que Weber lui affectait pour légitimer son' usage dans nos disciplines ? Le concept de progrès serait ici lié au « technique », c'est-à-dire « à la notion de « moyen » approprié à une fin donnée univoquement ». Ainsi le progrès de la médecine peut-il être mesuré à un objectif tel que le maintien en vie du corps humain le plus longtemps possible. Si par exemple on prend pour fin la collecte de données et leur traitement quantitatif, le progrès de la science politique ne fait pas de doute : on « compte » plus, on compte mieux et, osons le dire, ces comptes donnent (quelquefois) plus de résultats intéressants que bien des analyses qualitatives. Il n'en demeure pas moins que si la mesure est un moyen souvent indispensable et économique pour découvrir quelque chose d'intéressant, elle ne peut être retenue comme critère de progrès de l'ensemble de la discipline. D'ailleurs la mesure n'est pas un but en soi, il faut bien mesurer en fonction de ce que l'on cherche, c'est-à-dire pour trouver une explication.

Le grand mot est lâché ; nous tiendrions enfin la clé du progrès de la science politique : la recherche d'explications fondées sur des « lois générales ». Comment [xi] ne pas adhérer à une fin aussi noble ? Que le lecteur ne se méprenne pas : l'ambition nomothétique n'est nullement méprisable quand elle est poursuivie avec rigueur et austérité, mais l'honnêteté oblige à avouer que, mesurés à cette aune, les « progrès » de la science politique sont assez minces (comme des autres sciences sociales d'ailleurs). Mais il ne faut pas exagérer l'importance de prétendues « lois » qui, pour être parfois plausibles ou séduisantes, n'en sont pas moins insignifiantes, par exemple la proposition de Carl Friedrich d'appliquer le théorème de Pythagore pour mesurer l'intensité d'une situation politique [3].

D'autres lois sont plus intéressantes et probablement plus testables, par exemple la « loi de corruption de Lord Acton » : « On ne peut donner à un homme le pouvoir sur d'autres hommes sans l'inciter à en mésuser — tentation approximativement proportionnelle à la quantité du pouvoir exercé et à laquelle très peu sont capables de résister. » L'ennui, nous rappelle l'impitoyable Popper, est qu'elle est à peu près aussi banale que « les hommes ne peuvent vivre sans manger » ; à le répéter on gagnera peut-être en sagesse pratique, mais pas en connaissance scientifique. Enfin, bien des lois sont excitantes (la seconde loi de la thermodynamique par exemple) mais leur application rigoureuse à la science politique (et même à la plupart des sciences sociales) prend la forme de métaphores et d'images peut-être (trop) commodes mais peu rigoureuses. Pensons à « entropie » ou « système ». La science politique, telle qu'elle se pratique, utilise des bribes d'explications quasi nomothétiques ; les chapitres qui suivent en fournissent des exemples, mais de « loi(s) fondamentale (s) » point. Faut-il pour autant s'affliger de cette carence ? Il n'est pas prouvé que la présence d'une covering law soit toujours une condition indispensable à l'intelligence scientifique, Raymond Boudon l'a rappelé fortement dans un livre récent [4]. Enfin, l'explication nomothétique est-elle l'unique ou le meilleur moyen de parvenir à une intelligence du « réel » ? Problème lancinant pour une science politique dont l'objet (les aventures collectives souvent meurtrières des hommes) s'empare de son observateur et l'investit au point que ce dernier ne peut prendre la posture du biologiste devant ses cellules ou ses acides, du géologue devant ses pierres, voire de l'archéologue devant les siennes. La politique est en effet l'un des lieux privilégiés des passions, qui suscite le sentiment — ou l'illusion — de « peser », si peu que ce soit, sur les situations et les actions. Les plaidoyers en faveur d'une compréhension, de théories « interprétatives » ou « critiques », mais aussi l'importance persistante des analyses de type institutionnel (où les lois sont fabriquées par les acteurs et non par les chercheurs) ou historique (où les lois sont alors remplacées par des récits et des séquences), montrent que la science politique ne peut pas (encore ?) se prévaloir de la recherche de « lois » comme « fins données univoquement ».

[xii]

Si le progrès en ces différents sens est incertain, ou du moins discutable, « la progression » en tant que développement d'un processus d'autonomisation et de professionnalisation ne saurait être contestée. La preuve la plus évidente : nous n'éprouvons plus le besoin de définir longuement en quoi consiste la science politique, ni même de débattre de son intitulé. « Science politique », « sciences politiques », « sciences du politique » ? L'idée qu'une discipline doit avoir une loi fondamentale, un objet construit et bien identifiable et des frontières incontestables n'est plus aujourd'hui la conception dominante de la science. Comme le rappelle Pierre Favre, « la notion de discipline n'a pas épistémologiquement de sens »[5]. Une discipline progresse à partir du moment où elle a fait ses preuves par la pratique de ses recherches obéissant à quelques règles méthodologiques simples : dépasser la définition abstraite et a priori de son « objet » ; reconnaître la validité de la méthode scientifique ; admettre que cette méthode n'est pas exclusive d'autres modes de connaissance qui peuvent éventuellement servir à une critique utile de la méthode scientifique, pourvu qu'ils ne relèvent pas seulement de la foi (ou de l'idéologie) mais se prêtent à un protocole de discussion et d'observation. C'est dans la pratique de la recherche, telle qu'il en est rendu compte dans les chapitres qui suivent, que s'éprouve la vitalité de la science politique.

La « progression » de celle-ci est ainsi identifiée par le processus de son développement. Celui-ci comprend, comme toute activité scientifique (ou plus largement cognitive), professionnalisation, spécialisation, collectivisation, universalisation, mais avec cependant quelques nuances.

La professionnalisation n'implique pas l'obligation, pour faire de la science politique, d'appartenir à un « corps » spécifique doté de ses propres règles de recrutement. Ce (ou ces) corps existe dans le monde académique, la majeure partie des collaborateurs du présent ouvrage y appartiennent, mais non pas tous. Nos cousins et collatéraux historiens, sociologues, anthropologues et juristes nous ont apporté des contributions importantes. Le terme de professionnalisation signifie qu'il est désormais socialement légitime de faire profession de science politique, à plein temps ou à temps partiel, et de, distinguer cette pratique de l'activité d'« amateurs » dont la profession est ailleurs (dans l'administration, l'économie, les affaires, le journalisme ou... la politique). La population des politologues tend donc à s'autonomiser par rapport à celle des essayistes, reporters, mémorialistes, doctrinaires, et à pratiquer des règles du jeu de la connaissance obéissant de plus en plus aux règles du champ scientifique international, où la France n'est pas assez présente ; curieusement d'ailleurs, la fascination souvent grinçante devant la science politique « américaine » (dont une partie des maîtres sont d'ailleurs nés en Europe) a fait oublier la collaboration européenne.

2. La spécialisation est peut-être le trait le plus frappant. En 1950 encore, le volume édité par l'Unesco sur La science politique contemporaine distinguait dans sa [xiii] partie « Etudes spéciales » trois grands domaines : « Institutions politiques » (où était incluse l'administration), « partis, groupes et opinion publique », « relations internationales ». En 1983, l'American Political Science Association publiait son volume sur « l'état de la discipline » (vu sous l'angle de sa province nord-américaine) et distinguait ainsi les domaines à étudier : théorie politique, méthodologie politique, processus politique américain (partis, assemblées, juridictions, politiques publiques, fédéralisme), études comparatives (notamment études du développement et du changement), comportements micropolitiques (vote, opinion publique, etc.), politique internationale. L'évolution serait encore plus sensible si l'on infligeait au lecteur les rubriques des annuaires des associations nationales de science politique ou les programmes des congrès mondiaux de l'Association internationale de Science politique ou du Consortium européen de Recherche politique. Les grandes divisions n'ont pas changé mais elles se sont démultipliées en nombreux sous-secteurs [6].

Tout aussi classique est la collectivisation du processus de recherche. La « grande œuvre » qui marque son époque (un Tocqueville ou un Weber) ne semble plus guère possible. Les œuvres importantes ne manquent pas, mais elles sont « régionales », dépourvues de cette dimension globale dont Raymond Aron aura peut-être été le dernier grand représentant. Les entreprises de Georges Burdeau et de Jean-Jacques Chevallier (auxquels il convient de rendre un hommage particulier) n'auront probablement pas de successeurs. Nous sommes au temps des programmes de recherche (plus ou moins) collectifs, produits du système national et international, avec ses « actions thématiques », ses « recherches collectives », ses « appels d'offre » (dans le jargon bureaucratique français), ses innombrables « panels », « ateliers », « planning sessions », « programmes conjoints » (dans l'idiome international). Le processus ne se déroule pas sans à-coups : le producteur solitaire par goût se sent marginalisé ; inversement, des jeunes se plaignent à juste titre de ne pas être suffisamment informés et guidés dans le dédale des réseaux de recherche. L'important est que cette évolution paraît irréversible (à vue courte à tout le moins), entraînant un changement dans le type de produit savant. La « grande œuvre » du xixe siècle tirait de l'étude empirique d'un processus, d'une institution ou d'un événement des formules générales et une théorisation complétée par un message éthique. Ce dernier caractère tend à disparaître de la recherche collective, du fait également de la spécialisation des domaines. La science « libre par rapport aux valeurs » est un mythe attribué, à tort, à Weber. Cependant tendent à dominer les travaux où la recherche empirique à fin d'explication est séparée de toute évaluation explicite fondée sur des choix de valeurs, non sans contestation ni critique d'ailleurs.

4. L’universalisation est sans doute le caractère le plus controversé et le plus incertain de la discipline, en dépit de l'existence d'une œcuménique Association [xiv] internationale de Science politique où fraternisent académiquement Européens de l'Est et de l'Ouest, Nord-et Sud-Américains, Indiens et Japonais, plus quelques Arabes et Africains, en attendant les Chinois. La multiplication des chercheurs ne crée pas d'elle-même un savoir universel. Il faut pour que cette condition soit remplie que, dans leur ensemble, ils adoptent une démarche semblable, utilisent les mêmes concepts et reconnaissent mutuellement la validité de leurs résultats. Nous n'en sommes pas là pour des raisons dont certaines sont superficielles et d'autres plus profondes.

Citons d'abord l'argument le plus faible : celui de la domination quantitative de la science politique américaine qui groupe 90% des professionnels et probablement des moyens. Situation peu saine, d'autant plus que 90% de ces 90% se limitent à l'étude de la politique des États-Unis qui n'est pas un objet plus intéressant qu'un autre.

On relève aussi que la science politique, telle qu'elle se pratique actuellement, s'est développée dans une « forme de vie » (le monde occidental bourgeois), qui la rend incapable de comprendre les autres civilisations ; peut-être... mais existe-t-il une production de l'esprit humain n'ayant pas pris naissance dans une « forme de vie » particulière, et ceci suffit-il à soi seul pour invalider cette production ?

D'autres raisons, plus solides, peuvent expliquer ce faible degré d'universalisation : 1/ Les formes de vie non occidentales ne sont pas suffisamment étudiées dans une perspective comparative (malgré nos efforts, cet ouvrage en témoigne, on y reviendra) ; 2/ Beaucoup de sociétés sont rebelles à la science politique professionnelle car celle-ci suppose des producteurs qui ne soient ni des clercs légitimateurs, ni des militants oppositionnels ; or, dans de nombreux pays les intellectuels n'ont le choix qu'entre ces deux positions... ou l'exil. De plus, les régimes marxistes-léninistes, s'ils sont cohérents avec leur idéologie fondatrice, ne peuvent qu'entraver une science politique professionnelle, du fait de la liaison postulée de la théorie et de la pratique, de la suprématie de celle-ci, et de sa monopolisation par le parti ; 3/ Le fait que la science politique contemporaine se soit développée dans le monde occidental bourgeois crée une barrière à son extension. Non pas en droit, on l'a dit. Si l'on croit à l'universalité de la méthode scientifique, on a d'ailleurs du mal à soutenir que la pureté originaire de celle-ci devrait être réservée (par quel miracle ?) à un coin de la planète : il n'est pas de peuple élu en science, il y a seulement des terreaux plus ou moins favorables que d'autres. L'obstacle provient plutôt de ce que la science politique est sans cesse oblitérée par les préjugés dominants de son monde particulier (occidental), de la manière dont le sens commun y conçoit le monde et construit son histoire. Pour s'universaliser, la science politique doit se départiculariser, c'est-à-dire accueillir les particularités multiples dans un réseau de communication et un langage communs (pour échapper à la fosse de Babel). Elle doit accepter et inventorier les recherches de ceux qui ne ressemblent pas à ses fondateurs, et redécouvrir ce qu'il y avait de scientifique dans les pensées politiques des civilisations non européennes, les stratèges chinois ou les théologiens et juristes musulmans par exemple. Chacun adhérerait à ce noble programme, sans doute, mais [xv] dans quelle mesure est-il pour l'instant autre chose que l'objet de recherches érudites (mais confinées à quelques spécialistes) ou prétexte à de creux discours « universalistes » ? 4/ Enfin il n'existe, même en Occident, que peu de « programmes communs » structurant une communauté autour d'un code de conduite unanimement accepté. L'opposition des intérêts ainsi que des théories rend difficile une cotation unique de la valeur des produits. Mais la science politique est-elle vraiment une exception à cet égard dans l'ensemble des sciences sociales ?

On le constate, l'expansion de la discipline n'est pas aussi achevée qu'on voudrait le croire. À cet égard un indice ne trompe pas : la tendance à transplanter telles quelles les problématiques ou les théories construites pour d'autres recherches, économiques, psychologiques ou biologiques par exemple.

2. Objectifs du présent Traité

L'ouvrage se veut un exposé, le plus complet et systématique possible de l'état de la recherche et des principaux problèmes théoriques et méthodologiques actuellement en débat. Il exclut comme objet de chapitres spécifiques trois domaines habituellement inclus à juste titre dans la science politique : la philosophie politique, 1'« histoire des idées », les relations internationales. Il y est fait plusieurs fois référence de façon particulièrement détaillée [7]. Le chapitre XI du volume 1 est entièrement consacré à l'ordre international mais dans une perspective « contrapuntique » : il s'agit de savoir si l'on peut concevoir la « société » internationale comme « politique » et s'il est possible de lui appliquer les méthodes de la science politique interne. Mais il n'a pas été question, pas plus que pour les deux autres domaines évoqués, de faire l'exposé de tous les champs d'étude qui le constituent : deux ou trois volumes supplémentaires auraient été nécessaires.

Notre homologue, malgré de grandes différences dans le nombre de volumes, l'agencement du plan, les partis pris théoriques, serait le Handbook of Political Science publié en 1975 sous la direction de Fred Greenstein et Nelson Polsby. Nous présentons un découpage de la discipline en grands domaines non pas juxtaposés de façon pragmatique, conventionnelle ou pédagogique (à l'instar des bilans présentés sous le titre The state of the discipliné) mais organisés sur la base d'un plan raisonné. Le procédé présente l'avantage qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu les volumes précédents pour aborder avec profit les suivants.

L'ouvrage se veut consacré aux débats « scientifiques » plus qu'aux problèmes politiques pratiques ou aux derniers événements politiques. La stratégie de tel ou tel acteur, ou l'explosion démographique du Tiers Monde et son insolvabilité croissante sont certes plus importantes pour nous, en tant que citoyens ordinaires, que les théories du pouvoir à somme nulle, de l'électeur médian, de la plus petite [xvi] coalition gagnante ou les théorèmes du minimax ou du maximin. Mais les problèmes pratiques dont notre sort dépend ne nous intéressent dans ces volumes que si et dans la mesure où ils ont été convertis en problèmes scientifiques (pris ici au sens large de problèmes de connaissance réglée). La connaissance scientifique étant, nous le savons, une construction sociale, jamais complètement indépendante d'autres processus de construction sociale de la réalité, on ne pourra laisser de côté les problèmes actuels dont la gravité a d'ailleurs contribué à relancer la recherche scientifique, par exemple le totalitarisme, la crise de l'État dans le « capitalisme avancé », la dérégulation des activités économiques, « le développement du sous-développement ».

Nous ne prétendons pas pour autant jouer les candidats-conseillers du prince, les ingénieurs sociaux, ou les militants intellectuels. C'est pourquoi, par exemple, notre présentation des régimes politiques contemporains en trois grands types (démocratie, totalitarisme, autoritarisme), n'est certes pas dépourvue dans son principe de jugement évaluatif à la fois sur ce qui est idéalement souhaitable et réellement condamnable, mais nous soutenons également que ce « handicap » (à notre avis inévitable, à moins de poser des catégories complètement déconnectées de tout langage compréhensible par le commun des mortels) [8] n'empêche pas les différents auteurs d'avoir fourni de leurs concepts des énoncés relativement précis, univoques, susceptibles d'être discutés en raison et en observation par des lecteurs de bonne foi ayant des jugements de valeurs différents (cf. les chapitres II, III et IV du volume 2).

Nous nous sommes efforcés de donner à chaque contribution une double dimension : une dimension survey conduit à mettre l'accent sur l'aspect cumulatif de notre discipline et invite chaque auteur à couvrir la matière (depuis les « classiques » jusqu'aux études de cas récentes), avant de sélectionner ce qu'il juge le plus important ; une dimension « essai » souligne que chaque texte résulte aussi d'un choix personnel entre plusieurs exposés possibles.

Le présent ouvrage n'est donc pas l'expression d'une « école ». Il obéit, on l'a dit, à certaines règles du jeu communes. Sans renier des ambitions théoriques démarquant la science politique des analyses purement historiques ou juridiques, il ne prétend pas proposer pour les dix ans à venir un paradigme unificateur : pluralisme, fonctionnalisme, structuralisme, individualisme méthodologique ou sociologie critique. Notre ambition est de tenir constamment « les deux bouts de la chaîne » et de ne pas laisser échapper ce qu'un point de vue peut avoir de fécond au profit d'un autre considéré comme plus valable. Les signataires de ces lignes, sans être entièrement œcuméniques, ni surtout éclectiques, rejettent les critiques terroristes qui excluent souvent sans les connaître suffisamment les approches concurrentes, sans [xvii] pour autant leur substituer une explication plus convaincante. La polémique ou la condamnation seules nous paraissent aussi nuisibles à la discussion scientifique que l'argument d'autorité au maintien de la science normale et instituée. Notre point de vue personnel s'appuie surtout sur une analyse de la conjoncture : il est des moments dans l'histoire de la connaissance où le choix exclusif d'une approche par une collectivité mène à des impasses plus qu'à des découvertes, comme en témoignent au sein des Universités nord-américaines les mésaventures de la théorie des groupes dans les années 1950 et du behaviouralisme dans les années 1960. Gela ne condamne pas les choix personnels, loin de là (et chaque auteur a opéré ces choix avec plus ou moins de souplesse) : une prise de parti sans équivoque et bien étayée nous paraît plus utile qu'une trop grande souplesse. L'éclectisme dans une recherche individuelle engendre la confusion. Il s'agit ici d'autre chose, d'une entreprise collective où chaque participant, tout en jouant le jeu et acceptant le plan général qui lui a été soumis, garde son autonomie. Sans prétendre à l'exhaustivité, nous voulons donc présenter les différentes approches en compétition, sans en exclure aucune, du moins parmi celles qui, à notre avis, sont encore vivantes. Cette hétérogénéité nous semble révélatrice de l'effervescence d'une science en plein développement.

Les cas empiriques examinés privilégient évidemment la « scène politique légitime », celle où s'agitent les « acteurs » et en particulier les professionnels de la politique. Ayant pieusement lu Weber, Marx et quelques autres, nous savons que ces professionnels témoignent des mutations de la politique moderne et qu'il ne faut surtout pas prendre pour argent comptant ce qu'ils nous présentent comme étant la politique, sous peine de reproduire dans un langage « savant » les catégories de la politique dominante, au grand dam de la connaissance et peut-être des dominés. Nous essayons donc de suivre les conseils de Pierre Bourdieu et de ne pas reprendre à notre compte l'objet préconstruit que prétend nous imposer la réalité. Le politique, qui fonctionne d'autant mieux qu'il peut se dispenser de passer les feux de la rampe de la politique officielle, nous a donc retenus, en particulier dans les chapitres V, VIII et IX du volume I, et III, IV et V du volume 3. Dans le même esprit nous avons tenté de considérer les institutions « administratives » aussi comme des institutions politiques, ou du moins faisant partie des régimes politiques (vol. 2, chap. IV). Mais un piège peut en cacher un autre : à se méfier de ce que veut nous faire croire l'acteur politique légitime (ce qui est sain), on en vient à le considérer — et les jeux auxquels il se livre et nous livre, les arrangements institutionnels et idéologiques ainsi que les règles de comportement qui le contraignent et qu'il utilise — comme insignifiant, renvoyant toujours à autre chose qui a plus de sens, la division du travail, le taux d'exploitation, le mode de production, etc. Double perte : au lieu de construire la politique comme objet d'étude pour percevoir les articulations du « gouvernement » sur les différentes formes de lutte et de domination, on la volatilise sans l'étudier empiriquement ou plutôt on la réduit à un jeu contingent, susceptible d'être raconté mais non expliqué (« la foule infinie de hasards », disait Engels) à travers lequel le dieu des déterminations ultimes se fraie majestueusement son chemin. Alors, par un retournement magique, la politique dont le « contenu social » [xviii] est déclaré conforme aux déterminations et aux intérêts de la classe montante cesse d'être insignifiante. La politique « prolétarienne », par exemple, devient le social lui-même qu'elle organise et oriente, échappant à nouveau à l'investigation puisqu'elle exprime directement ce que l'autre politique (« bourgeoise ») voilait. N'est-il pas étrange qu'un Lénine qui glorifiait la Commune de Paris comme l'image d'« un État sans armée permanente, sans police opposée au peuple, sans fonctionnaires placés au-dessus du peuple » soit le fondateur d'un État qui dispose, près de soixante-dix ans après sa naissance, de l'armée la plus puissante du monde, de la police la plus présente et de la bureaucratie la plus envahissante, sans changer pour autant d'idéologie fondatrice ? Voilà un vrai problème politique passé sous silence si l'on s'obstine à ne chercher le politique qu'en dehors de la scène politique officielle, perçue comme la réflexion — illusoire — du social [9]. De quoi nous faire regretter de n'avoir pas pu consacrer de chapitres spéciaux à la « tyrannie » et à « l'état de droit ».

Une dernière précision en forme d'apologie. Nous n'entendions pas réserver les références aux « processus politiques non occidentaux » (entendons par ces termes spongieux et non scientifiques ceux qui ne fonctionnent pas selon les règles de la démocratie représentative pluraliste, le mélange Locke-Madison-Laski) aux seuls chapitres portant sur le politique des anthropologues (vol. 1, chap. V), la légitimation (id., chap. VII), les transformations des communautés politiques (id., chap. X) et bien entendu le totalitarisme et l'autoritarisme (vol. 2, chap. III et IV). Gomme si ces deux types n'avaient pas d'incarnations empiriques, voire des racines, occidentales, et comme si la démocratie devait être réservée à la zone délimitée du nord au sud par Helsinki et Miami et de l'ouest à l'est par San Francisco et Berlin, avec l'exclusion des pays arabes et l'adjonction de quelques excentrés, par exemple du côté de Tokyo et Canberra. Les contributions rassemblées dans les volumes 2 (sur les institutions), 3 (sur l'action politique) et 4 (sur les politiques publiques) devaient aussi intégrer les études empiriques des régimes non occidentaux. Il existe aussi des élites, des groupes, des coalitions et des appareils répressifs, de la participation et de la socialisation ailleurs que dans les pays objets de l'attention de la majorité des politistes occidentaux (c'est-à-dire les lieux dans lesquels ils mènent des enquêtes et conduisent leur carrière).

Cet objectif n'a été que partiellement atteint, certaines contributions annonçant même loyalement qu'elles se limiteront aux pays industriels pluralistes. D'autres, du fait de la généralité des catégories employées (par exemple dans la typologie des régimes politiques), peuvent aussi apparaître comme trop centrées sur le monde occidental ; paradoxalement, les différences réelles qui séparent le Venezuela [xix] du Mexique, la Hongrie de l'Allemagne de l'Est, le Sénégal du Soudan n'apparaîtront pas plus que ne seront prises en compte les variables écologiques ou démographiques (entre autres) utilisées par d'autres disciplines comme cadre comparatif. Ainsi se perpétue une division implicite (fâcheuse pour l'ambition théorique et comparatiste) entre la « science politique » (sous-entendu des pays occidentaux) et les « aires culturelles » [10] dont les spécialistes collaborent encore trop rarement, les premiers trouvant leur groupe de référence au sein des politistes (et bien entendu des sociologues et des historiens), les seconds au sein des historiens, linguistes, anthropologues et « civilisationnistes » de la région (le même quasi-apartheid se retrouve dans une moindre mesure chez les historiens et les sociologues). Cette situation commence à évoluer, mais lentement. Nous avons donc dû nous accommoder de la situation réelle de la discipline : il est préférable de couvrir soigneusement un domaine empirique limité que d'improviser un comparatisme fourre-tout. D'ailleurs le recours à l'encyclopédisme extensif est-il le meilleur moyen de dire quelque chose d'intéressant pour tout le monde ? Un voyage en train d'Albert Hirschman quelque part au Nigeria peut être l'occasion (réelle ou fabriquée) d'exposer les mécanismes d'exit et de voice et de formuler des hypothèses stimulantes sur le fonctionnement des organisations. Après tout, la collecte infinie de données n'est pas toujours la garantie d'une théorie utile, tout le monde n'est pas Montesquieu ou Weber. L'important reste de ne pas s'abandonner aux extrapolations abusives à partir d'un cas trop peu contrôlé et de ne pas s'enfermer paresseusement dans une version savante du sens commun local où baigne le chercheur.

La même remarque s'applique à notre ensemble de sources et de références. Si nos titres anglophones sont nombreux jusqu'à paraître parfois envahissants, nous n'avons pas le sentiment d'avoir donné aux littératures allemande, italienne, espagnole ou lusophone (pour ne pas mentionner des langues savantes comme l'arabe moderne qui mériteraient mieux qu'un coup de chapeau respectueux) toute la place souhaitable. L'anglais reste la langue de communication scientifique, rejetant par trop dans l'ombre les relations « horizontales » pouvant s'établir directement entre les autres langues. Ceci dit, une langue de communication, même insuffisamment maîtrisée, vaut mieux que pas de langue du tout. Dommage bien sûr que ce ne soit pas le français, diront les nostalgiques du Congrès de Vienne et de la Société des Nations.

3. Un peu d'éthique professionnelle sans prétention

La science ne permet pas de résoudre « rationnellement » les problèmes politiques pratiques tels qu'ils se posent aux « acteurs ». Le mirage de la « meilleure solution » (one best way) appartient désormais au cimetière des illusions perdues, tout comme la croyance dans la connaissance scientifique comme seule connaissance politique vraie, conduisant aux seuls choix pratiques raisonnables [11]. [xx] Une variante plus coriace (car moins technocratique) de ce mirage assimile la connaissance scientifique à la défense des humiliés et des offensés, des déshérités et des opprimés. Cette assimilation de la raison critique à la critique sociale nous paraît convaincante sur un point seulement : la connaissance rationnelle [12], pour fonctionner, ne peut admettre trop longtemps les jeux de la déférence et de l'engouement par lesquels les leaders assurent leur emprise, au nom de la meilleure des causes et de la plus exaltante des passions (en général celle de détruire, d'exclure et d'épurer) ; en ce sens elle est critique sociale. Mais en ce sens seulement, car la réciproque n'est pas vraie : il ne suffit pas de critiquer la domination pour faire progresser la connaissance. Cette honorable occupation peut être un obstacle épistémologique tout aussi redoutable que le conservatisme du fameux « sens commun », et accessoirement un superbe alibi pour de fanatiques massacres : les candidats au rôle du Grand Inquisiteur dostoïevskien, ce puits de « science », ne se recrutent pas seulement parmi les dominants. Il serait tentant et combien enthousiasmant d'emprunter d'un même mouvement la voie de la science et celle de la justice. Quelle merveilleuse légitimité pour tous les « partis intellectuels » : parler à la place des autres au nom de la science et des « masses » ! Une relecture des meilleurs textes de Péguy constitue un antidote précieux contre cette exaltante ambition. En fait, se vouer à la recherche et à l'action c'est prendre deux risques tout aussi honorables l'un que l'autre mais parfaitement distincts. On ne saurait espérer les annuler miraculeusement l'un par l'autre en faisant de la juste cause la garantie de la connaissance exacte.

Ce préalable posé, notre credo professionnel comprend trois articles : la séparation des catégories scientifiques et des catégories de la pratique ; le refus de « croire sur parole » ; l'admission de la dignité du (ou plutôt des) « sens commun(s) ».

1. La séparation des catégories de la connaissance scientifique et des catégories de la pratique découle du préalable que nous venons de poser. Elle soulève bien des problèmes qu'on n'abordera ici qu'en passant [13]. Nous ne nous étendrons pas sur les vertus de la « rupture épistémologique », thème trop rabâché, accompagné de la sacro-sainte « construction de l'objet », ce couple donnant au plus modeste intellectuel le sentiment de rompre avec les praticiens qui ne savent pas ce qu'ils font et d'accéder ainsi à la science. Il n'empêche que l'hygiène bachelardienne ne saurait être trop fortement conseillée à ceux qui s'engagent dans la science politique avec l'espoir plus ou moins conscient d'apprendre, et bientôt d'enseigner, à gouverner (ou à libérer) les hommes, en attendant de le faire eux-mêmes, directement ou par le truchement d'un Grand Homme.

[xxi]

Refuser les catégories de la pratique est donc un préalable indispensable, à condition que les intellectuels n'en tirent pas la conséquence perverse que tous les autres (y compris les autres intellectuels) sauf eux, tombent dans le piège des intérêts pratiques. En fait, tout le monde a des intérêts pratiques (de pouvoir, de statut, de générosité même, on peut avoir intérêt à rendre service ou à lutter pour la « Justice »). Le problème n'est pas de les supprimer (ni de les endosser allègrement dans son activité scientifique) mais d'en assumer la tension, de les tenir à distance dans son travail de recherche et d'élaboration. Point d'idéalisme : il n'est pas plus possible d'avouer clairement ses intérêts pratiques que de les soumettre totalement à ses intérêts scientifiques. Il est en revanche possible que l'organisation de la collectivité scientifique oblige à se plier à la contestation critique et au jugement des pairs. Ce jugement peut certes être erroné (la même erreur répétée dix fois ne fait pas une vérité) et lui-même dépendre d'intérêts pratiques, il peut être un facteur de blocage et de sclérose dans la recherche. Il n'importe : l'existence d'une collectivité scientifique ayant ses intérêts et ses valeurs propres, et par conséquent son système de pouvoir et sa « politique » propres, est encore le moins mauvais contre-feu à la tentation, toujours renaissante et jamais complètement jugulée, de rechercher une connaissance vraie parce que pratiquement efficace au niveau de l'action (politique en l'occurrence).

Cette séparation nécessaire entre les catégories de la connaissance scientifique et de la connaissance pratique ne s'opère pas (si elle doit jamais s'opérer complètement) [14] de façon évidente en science politique. En effet, son objet (la politique pratique) est lui-même connaissance avec ses catégories particulièrement pregnantes de classification des pratiques et des objets discursifs. L'activité politique n'est pas seulement action de coercition, de stratégie militaire, d'allocation de ressources, etc., elle est en même temps langage produisant un « croire » et un « faire croire », c'est une construction du réel, une sorte de « théorie politique » pratique, affectant directement le champ de la connaissance qui se voudrait scientifique (ou à tout le moins autonome par rapport à la connaissance de l'acteur). Elle affecte le chercheur dans son rapport à son objet, car il ne peut ignorer les catégories de ce dernier, ce qui a un sens pour lui quand il parle d'État, de démocratie, ou d'élites ou... de politique. Elle l'affecte aussi en tant que membre de cet objet et construit en quelque sorte par lui, ce qui rend incertaine et toujours révisable la « conversion des intérêts » identifiée par Bachelard avec la formation de l'esprit scientifique.

2. Refuser de croire sur parole. — « Il lui dit « suis-moi ». Cet homme se leva et le suivit » (Matthieu 9,9 ; Marc 2, 13.14 ; Luc 5,27.28). Ce processus ne fonctionne pas seulement avec la Parole du vrai Dieu tombant sur un homme assis au bureau de la douane, il se reproduit à l'identique et légitimement (nous voulons dire qu'il n'est pas par sa seule existence la manifestation d'une intolérable aliénation de l'homme) dans bien des mécanismes politiques. En politique, l'adhésion se réalise souvent sans examen par le jeu de l'enthousiasme et de la [xxii] passion enracinés dans des conditions de classe et de socialisation particulières et déclenchés par une conjoncture mobilisatrice. « À l'appel du grand Lénine tous les partisans se levaient... » ne contredit pas « Il n'est pas de sauveur suprême... » qui appartient au répertoire de la même chorale.

Que l'on adhère à un mouvement ou un « camp » sous l'effet de la passion, de l'intérêt ou du calcul pratique conscient (les fameuses « gratifications » de l'engagement), ce n'est pas ce type d'adhésion que veut recueillir la science politique. « Croire sur parole » ou « par calcul » est souvent à la base d'un choix, y compris scientifique, choix d'un patron, d'une théorie, d'un objet. Est-il vrai qu'on ne peut faire de bonnes recherches scientifiques (au moins en sciences sociales) que si « l'on a de l'amour ou de la haine pour son objet » ? Peut-être pas, mais il est vrai qu'un choix existentiel se justifie rarement rationnellement [15]. Mais tant que la croyance sur laquelle repose ce choix ne fait pas la preuve de sa fécondité, en soumettant un produit à la discussion selon les canons de la cohérence logique [16] et d'un protocole d'observation et d'expérience, elle reste stérile au point de vue choisi ici (elle peut être féconde à d'autres). Les intuitions, les passions et les calculs, indispensables déclencheurs du processus de connaissance, se transforment alors en obstacles à son développement.

La science politique, quand elle analyse les structures et les pratiques politiques et leurs autojustifications, cherche à en « rendre compte », c'est-à-dire non pas à justifier tel ou tel choix pratique, mais à mettre en relief les règles de fonctionnement qui peuvent y conduire, sans pour autant prétendre par cette élucidation (toujours hypothétique et jamais définitive) se substituer aux acteurs concrets pour guider leurs choix. En un sens elle substitue bien son propre discours à celui des acteurs — et à cet égard peut être suspectée de les dépouiller du sens de leurs actes — mais cette substitution ne s'opère pas sur le même registre, car elle ne propose pas une meilleure pratique mais une meilleure intelligence de celle-ci, intelligence fondée sur un exact compte rendu de « ce qui se passe », sur des énoncés existentiels plausibles (« Il y a A » et « si A alors quelquefois B »), sur l'analyse des fondements de la cohérence interne d'une pratique stratégique ou discursive, enfin sur des essais d'explication nomothétique (causale ou fonctionnelle par exemple). Cette intelligence s'éprouve sur le forum scientifique où, comme le dit Popper, « l'on ne tue que des idées et pas des hommes » ; plus exactement l'on n'y tue pas des idées pour tuer des hommes, non plus que réciproquement, même si la tentation en est fréquente, suivie de temps en temps d'un passage à l'acte (mais c'est alors une transgression des règles [xxiii] du jeu scientifique puisque, pour obliger à croire sur parole, on supprime sans discussion la parole de l'autre) [17].

La pratique scientifique, telle que nous la concevons dans les études politiques, met en relief les déterminants non perçus des choix, les effets inattendus de ceux-ci (ou de leur « composition »), le caractère particulier et révisable des intérêts qui se présentent comme « généraux » et « absolus », les voyages des concepts et des systèmes de pensée qui se trouvent retournés et souvent utilisés en faveur des causes les plus diverses. Elle devrait donc inciter non au commode scepticisme ou à la tiède tolérance (« tout expliquer » — si c'est possible — n'est pas « tout pardonner »), mais à une modération qui fait reculer devant les choix extrêmes et sanguinaires, et résister à la construction de ce que Peter Berger nomme les « pyramides du sacrifice » [18]. Nous penserions volontiers comme Montaigne « che non men che saper dubbiar m'aggrada » et que « c'est mettre ses conjectures à bien haut prix que d'en faire cuire un homme tout vif ».

3. Nous ne plaidons pas pour autant es qualités en faveur de la domination dans la politique d'une attitude modérée nourrie de science même non scientiste. Nous ne délivrons pas de message et s'il existait celui-ci aurait-il quelques chances d'être entendu ? Mais surtout nous ne pouvons savoir si une meilleure intelligence scientifique (aussi raisonnable soit-elle) est la garantie d'une meilleure pratique. Que vaut Aristote face à Alexandre, Cicéron face à César, Sieyès (pas si méprisable que cela comme théoricien du système représentatif...) face au Premier Consul, Tocqueville comme ministre, Weber comme interlocuteur de Ludendorf, etc. ? Ces exemples prouvent seulement que le « théoricien » n'est pas en général un « homme d'action » (sauf dans les canons stalino-maoïstes bien entendu). Prendre le problème de cette manière est faire la part trop belle au point de vue des leaders et des héros bâtisseurs (ou écraseurs), comme si c'était le seul à opposer au point de vue du savant. Entre les philosophes et les rois existe aussi la masse des hommes ordinaires. Précisément, le « sens commun » est trop maltraité par les intellectuels bien nés, qui le mettent en cause et en doute, pour que nous ne prenions pas le risque de le réhabiliter, à condition de lever quelques malentendus.

Le sens commun, tout nourri d'intérêts pratiques légitimés et de perceptions-justifications, est un socle cognitif dont le chercheur doit s'arracher s'il veut faire quelque travail scientifique sérieux (que cela ne se passe pas « comme ça » par un décret souverain de la volonté individuelle est bien la croix de toutes les épistémologies...). Le point essentiel nous semble que la rupture cognitive qui tranche avec le sens commun s'accompagne souvent, peut-être inconsciemment, d'une rupture politique (ou du moins pratique), comme si l'intellectuel savait mieux, [xxiv] non seulement « expliquer », mais « discerner » et choisir, sinon décider (ce qui est du ressort de l'homme d'action). Ceci l'amène trop souvent à qualifier d'« idéologie » la pensée des autres et à se donner l'illusion qu'il est immunisé de ce virus, ou que son idéologie est bonne et vraie, non parce qu'il la justifie en valeur mais parce qu'il la présente sous l'apparence du dévoilement scientifique [19]. Nous retrouvons ici les ambiguïtés déjà signalées de la trop commode « rupture épistémologique ». Les critiques des sciences sociales positives n'ont peut-être pas tort de rappeler que le savant ne peut pas avoir le privilège de critiquer et de redresser les faiblesses du langage ordinaire puisque celui-ci constitue l'activité sociale elle-même, y compris la sienne. Les « savants » oublient un peu vite que « rendre compte du sens commun », c'est aussi lui rendre des comptes. Non pas certes dans ses catégories et à ses conditions : il ne s'agit pas pour le travail scientifique de reproduire les rationalisations des acteurs mais de s'éprouver en proposant du sens à leur compréhension, sans le leur imposer. Le sens commun est aussi le tribunal qui juge les savants. Rappeler que nombre d'énoncés factuels et existentiels du sens commun sont inexacts, critiquer ses catégories cognitives et expliquer leur fonctionnement ne revient en aucun cas à déposséder totalement ceux qui les pratiquent du sens de leurs actes. La politique emmène peut-être l'homme au « pays des merveilles » comme le dit Georges Burdeau [20], mais c'est céder encore à l'attrait du merveilleux que de croire le savant-militant (nouvelle version du philosophe platonicien) capable de réveiller ce monde enchanté. Le rendre moins destructeur ne serait déjà pas si mal, mais l'intellectuel n'a pas le monopole de cette entreprise toujours à recommencer. Entre les sens communs (car il n'y en a jamais un seul ou du moins celui-ci est-il conflictuel) différents et contradictoires qui s'affrontent dans une même société, le savant n'a aucun moyen de trancher avec ses seules armes lequel est le « bon » (s'il en est un) [21]. Il lui est loisible de relever les contradictions ou les incompatibilités entre les énoncés scientifiques et ceux du sens commun, à condition qu'il n'en tire aucune prétention à hiérarchiser les savoirs selon une échelle universelle22.

Il faut préciser que ce dessaisissement s'opère en général au détriment de ceux que l'intellectuel qualifie de « dominants », quel que soit leur échelon (cadres, leaders politiques de « droite », stars de l'État-spectacle, petits bourgeois, « Dupont Lajoie ») et non de ceux qu'il considère comme dominés (ouvriers, immigrés, etc.). Nous ne sommes plus au temps du Dr Le Bon ou de l'anthropologie coloniale : la position sociale des intellectuels a changé, et leur rapport à la pratique, au moins en France car il ne saurait y avoir de généralisations sur ce problème.

[xxv]

4. Principes du plan

Le premier volume analyse dans sa première partie les activités fondamentales de la science politique (théorie, théorie formelle, collecte de données et de sources, chap. II, III et IV) en les faisant précéder d'une histoire de ces activités, non pas une histoire des idées et de leur émergence au statut scientifique sur une période de deux millénaires, mais seulement des conditions récentes qui ont permis l'apparition au sein de la collectivité intellectuelle et académique d'une sous-collectivité s'affirmant dotée d'une activité et d'une fonction propres. La seconde partie présente les principaux concepts et problèmes généraux de la société politique (ou « polité »), pouvoir, légitimation, ordre social et ordre politique, externe et interne, formes et transformations des communautés (chap. VI à X). A certains égards son mouvement va du « simple » au « complexe ». Ces mots étant lourds de connotations évolutionnistes, entendons par là des formes élémentaires du politique (« le politique des anthropologues ») (chap. V) à la juxtaposition des communautés politiques (« l'ordre international ») (chap. XI). Ces deux formes ont d'ailleurs en commun de ne pas faire apparaître d'ordre politique différencié et spécifique, dans le premier cas parce que la différenciation organique et fonctionnelle y est minimale, dans le second parce que l'on peut se demander s'il existe une polité et même une société internationales, au moins au sens de la sociologie des sociétés internes.

Le volume 2, ouvert par une présentation de l'entreprise comparatiste, de son climat et de ses problèmes (chap. I), est consacré aux régimes politiques contemporains. Cela ne signifie pas que l'on n'y parle que du présent mais que les régimes systématisés renvoient aux États-Nations modernes, même si pour les expliquer ou seulement les présenter, les auteurs doivent parfois puiser leurs références dans le passé ou faire des allusions à des formes politiques non choisies comme têtes de chapitre. Point ici de traitement spécial des Empires, des Cités, des « États tribaux » évoqués au chapitre X du volume 1. Nous n'avons pas jugé nécessaire de discuter en soi de la question de la pertinence de certaines formes (par exemple patrimoniale, impériale, dictatoriale) comme concepts modernes (non indigènes mais construits par les chercheurs).

Nous n'avons pas non plus traité du fédéralisme comme forme de répartition spatiale ou fonctionnelle des pouvoirs pouvant influer sur la caractérisation d'un régime. Trace non équivoque de la tradition française non girondine mais jacobine ? Probablement. Des Nord-Américains en auraient sans doute décidé autrement. Nous avons préféré aborder (et encore assez brièvement) le fédéralisme à propos de la démocratie (chap. II), des institutions locales et des relations centre-périphérie (Section 6 du chap. V confiée, il est des hasards symboliques, à un professeur de la capitale de la Gironde).

Peut-être ces choix sont-ils erronés. Le lecteur jugera si notre construction autour des trois types « démocratie », « autoritarisme », « totalitarisme » est scientifiquement intéressante. Nous les considérons comme des types bâtis à partir de cas historiques, non comme la photographie de ces exemples. C'est pourquoi nous n'avons pas introduit d'études de cas, sauf (et l'exception est d'importance) [xxvi] pour le totalitarisme : celui-ci étant le concept le plus discuté car le plus chargé de passions et de luttes idéologiques, il nous a paru intéressant de présenter au lecteur des élaborations conceptuelles et comparatives (du point de vue de la théorie politique et de la sociologie, Sections 1 et 2) et de les confronter aux travaux des spécialistes de cas exemplaires (l'urss et la Chine) à qui elles avaient été communiquées au préalable. Nous n'avons pu en user de même pour le nazisme ; mais jugeant nécessaire de le traiter en soi, nous avons reproduit, avec son autorisation, le texte antérieur de Karl Dietrich Bracher, traduit et adapté par Alfred Grosser. Ce texte présente aussi l'intérêt non négligeable de donner au public non germanophone une idée de la vigueur et de la richesse de la recherche empirique allemande sur cette phase capitale de la politique du XXe siècle.

Est-il besoin de préciser que nous ne considérons nullement l'État moderne et les trois types que nous avons proposés comme des structures invariantes ou comme des formes historiquement indépassables ? Simplement, nous n'avons pas voulu retenir un principe de logique pure pour distinguer les régimes. Nous avons donc choisi une voie médiane entre les classifications abstraites et l'acceptation soumise de ce que les gouvernants disent d'eux-mêmes.

La deuxième partie du volume propose des comparaisons « horizontales » entre les éléments institutionnels qui composent les régimes ainsi qu'entre les problèmes qui les affectent (transformations, ruptures révolutionnaires). Pourquoi cependant, pourrait-on objecter, ne pas intégrer dans cette comparaison horizontale, les groupes, les cultures, les comportements et les « produits » politiques (policy outcomes) qui existent aussi dans tous les régimes et peuvent être caractéristiques de leur différenciation, et pourquoi les renvoyer aux deux volumes suivants ? Il n'y a pas à cela de réponse impeccable, tout plan est un artifice plus ou moins convaincant. Tout au plus peut-on remarquer que les institutions sont cependant plus formelles, plus « objectivées » et plus directement liées à ce que l'on entend communément par « régimes », ensemble de règles gouvernant les comportements. Les institutions, dans leur triple dimension de règles du jeu, d'armes stratégiques et d'appareils ayant un personnel, sont des produits de l'action et des guides manipulables de cette action. Le rôle plus ou moins important qu'elles jouent dans le processus politique peut être un outil d'analyse précieux des régimes. Enfin, précédant l'important chapitre sur les ruptures révolutionnaires et les interprétations sociologiques qui en sont proposées, le chapitre sur les « transformations » explore les problèmes de flexibilité et de seuil de tolérance des régimes et de leurs différents « niveaux » (un niveau ou un organe peut durer alors que d'autres disparaissent, la Constitution de l'an VIII n'a pas vu le régime consulaire puis impérial durer longtemps mais le Conseil d'État existe toujours près de deux siècles plus tard), ce qui pose la question épineuse de 1'« identité » d'une forme sociale.

Le volume 3 est plus centré sur les dimensions de l'action, en particulier (mais pas exclusivement) au niveau de l'analyse micropolitique. Ce n'est pas tomber dans la sociologie héroïque ni tout sacrifier à l'analysé stratégique que de souligner cette dimension « actionnaliste ». On a voulu (dans le chap. I) donner une analyse détaillée de recherches psychologiques récentes aux États-Unis, trop [xxvii] méconnues par la science politique française et complétées dans un tout autre style par une appréciation du dialogue entre psychanalyse et science politique (chap. II). Les rubriques classiques qui suivent sont organisées en partant de ce que l'action politique a de plus enfoui dans l'ensemble du social (les répertoires et les codes qui sont proposés, imposés, ou « inculqués » ; socialisation, chap. III ; cultures, chap. IV), pour aborder ensuite les activités politiques (et leurs supports) plus spécialisées et plus stratégiques : participation et comportement (chap. V), groupes et interactions entre groupes (chap. VI et VII), élites et leaders (chap. IX). La communication (chap. VIII) regroupe les problèmes du rapport entre langage et politique et d'autre part l'examen des supports et des vecteurs de la communication (médias). Enfin, le chapitre X (« L'État ») replace la problématique de l'État dans celles des modes d'agrégation des actions et pose la question des formes de différenciation et de dédifférenciation de l'État par rapport aux autres groupes, organisations et activités.

Le volume 4 (à l'élaboration duquel Jean-Claude Thoenig a pris une part considérable) est une nouveauté, au moins en France, où les ouvrages généraux de science politique s'arrêtent aux acteurs, aux institutions, groupes et processus sans examiner spécialement les produits des actions étatiques (les public policies, politiques publiques, intitulés à peine admis, et tout récemment dans les rubriques-matières des catalogues bibliographiques français). Le poids énorme des dépenses publiques et le développement des politiques sociales ont cependant donné naissance, même en France, à de nombreuses études de policy analysis, analyse manageriale, genèse et « mise sur agenda » des politiques, mise en vigueur (implementation), multiplication des études d'impact et d'évaluation, mais ces études, heureusement abordées par les sociologues, les économistes et les experts administratifs, n'ont pas intéressé jusqu'à une date récente beaucoup de politologues français (à l'exception des études de processus de décision), à la différence de ce qui s'est passé aux États-Unis, en Allemagne ou dans les pays Scandinaves. Le présent volume ne prétend pas combler toutes les lacunes : par exemple, il ne comprend pas le chapitre initialement prévu sur les rapports entre la théorie politique et l'analyse des politiques publiques. De plus, il n'aborde pas tous les secteurs objets de politique publique (politique militaire, politique scientifique) — lacunes très sérieuses. Enfin il n'aborde que par comparaison les politiques publiques dans les pays sous-développés, et à propos de certains secteurs seulement (les politiques agricoles notamment). De même les rapports entre politiques publiques supra- ou transnationales et politiques nationales ne font pas l'objet d'un traitement systématique. En revanche, des politiques qui ne sont pas habituellement incluses dans les politiques publiques (assimilées aux politiques du Welfare State) sont examinées : politiques institutionnelles (chap. II), politiques agricoles (chap. IV), politiques des autorités locales (chap. IX) et politique étrangère (chap. X). Précédé d'un important chapitre sur les méthodes d'analyses (chap. I), le volume traite également dans des chapitres marqués par la personnalité et la problématique propres à chaque auteur les politiques économiques (chap. III), sociales et sanitaires (chap. V), du cadre de vie (chap. VI), de la formation et de la culture (chap. VII et VIII).

[xxviii]

5. Remerciements

Nous ne voudrions pas clore cette présentation sans remercier tous les auteurs des textes rassemblés ici. Ils se sont plies avec bonne grâce et esprit d'équipe aux règles que nous leur avons proposées, et ont su répondre courtoisement aux demandes d'éclaircissement et de modification que nous avons adressées à quelques-uns d'entre eux (cela n'a pas toujours été possible car certains textes furent remis in extremis, rien n'est jamais absolument parfait). Ceux dont nous avons accepté les textes sans leur demander la moindre modification ont eu la courtoisie de ne pas nous accuser de désinvolture et de manque d'intérêt. Nous remercions Glaire Chariot et Alfred Grosser qui ont assuré et contrôlé la traduction des textes en langue étrangère, Gilles Achache, Pierre Bouretz, Ariane Lefèvre, Constance Le Grip, Dominique Memmi, Dominique Reynié et Luc Rouban qui ont réalisé les index des noms de personnes et les index thématiques.

Nous voudrions remercier spécialement les services de documentation de la Fondation nationale des Sciences politiques, et tout particulièrement Elisabeth Gayon, pour l'aide inappréciable apportée dans la collecte et le contrôle des références bibliographiques. Bien entendu les erreurs et imprécisions qui auraient pu s'y glisser sont de la seule responsabilité des auteurs, donc de la nôtre.

Madeleine Grawitz et Jean Leca.



[1] D'où l'importance accordée aux références bibliographiques et documentaires et aux index destinés à mettre en relief ce qui, de l'avis des auteurs des différents textes, est vivant et actuel dans la recherche internationale de science politique.

[2] Il n'existe pas de substantif français communément admis pour désigner ceux qui font delà (ou des) science(s) politique(s). À la commodité de l'anglais political scientist s'oppose la coexistence de deux désinences qui expriment bien la situation sociale de la science politique, enseignée dans les Facultés de droit (d'où le terme « politiste » qui rime avec « juriste ») mais fortement liée à l'anthropologie et la sociologie (d'où le « politologue » voire le « politicologue » qui rime avec le sociologue). Nous emploierons indifféremment les deux premiers termes dans les textes qui suivent.

[3] Ou principe du « parallélogramme des forces ». Le consentement et la contrainte seraient des forces engendrant le pouvoir ; la valeur numérique de l'intensité de la situation serait égale à la racine carrée de la somme des carrés des valeurs numériques du consentement et de la contrainte. Depuis 1937, date de cette proposition un peu simplette, aujourd'hui bien oubliée, on s'est rendu aux objections de Popper portant notamment sur le caractère arbitraire de la figure du rectangle appliquée à une situation, et surtout sur la légèreté scientiste de la création d'un parallélogramme à partir de forces trop indéterminées pour être mesurables.

[4] Raymond Boudon, La place du désordre, Paris, puf, 1984.

[5] Elle en a en revanche — ô combien ! — socialement pour construire [un groupe, et lui assigner une identité par la fixation des règles de production et de reproduction.

[6] Par exemple la théorie politique formelle (Condorcet ne figurait même pas dans l'index des noms du volume de 1950), ou encore « sexe et politique », ou « analyse des idéologies ».

[7] Pour les deux premiers aux volume 1, chapitre II ; volume 2, chapitres II, III et IV ; volume 4, chapitre III. Quant aux relations internationales, elles apparaissent au volume 1, chapitre IX ; volume 2, chapitre VI ; volume 4, chapitre X.

[8] Il serait sans doute souhaitable dans l'abstrait de procéder par définitions stipulatives conférant aux mots un sens univoque dans le vocabulaire des savants, quel que soit leur sens (et même leur existence) dans le vocabulaire ordinaire, mais... encore faut-il que les mots ainsi forgés apportent quelque chose d'heuristique ou témoignent d'un progrès dans la précision ou l'objectivité. Il y a une quinzaine d'années, un politologue américain, Fred Riggs, avait inventé des chapelets de mots pour qualifier les régimes (« métacéphalie », « hétérocéphalie », « orthocéphalie »... ou encore communautés politiques orthotonic, syntonic, homotonic, protonic entre autres). Son entreprise n'a pas eu de suite.

[9] Nous renvoyons ceux des lecteurs qui trouveraient que c'est là prendre bien légèrement congé d'une science politique marxiste (nous ne croyons pas celle-ci possible, mais c'est une opinion qui n'engage certainement pas tous les collaborateurs de cet ouvrage, et puis il y a désormais tellement de marxismes) au chapitre II du volume 1, aux chapitres II et III, section 1, du volume 2. Ajoutons qu'il peut y avoir du marxisme dans de nombreuses recherches de science politique, mais qu'une « théorie politique » marxiste prétendant à une connaissance non idéologique du politique sans pour autant le prendre pour un « reflet de la base » nous paraît exclue par le marxisme lui-même (cf. dans ce volume le chapitre « La théorie politique »).

[10] Encore heureux quand la « politique nationale » ne constitue pas à elle seule un troisième domaine étanche aux deux autres...

[11] Rendons un hommage en forme de requiem à Henri de Saint-Simon qui voulait faire de la morale et de la politique les objets d'une « science positive » fondée sur l'étude de la physiologie qui appréhende les propriétés universelles de l'homme. Ainsi les spéculations seraient remplacées par la connaissance, et les problèmes politiques seraient résolus comme de simples questions d'hygiène (cf. Frank E. Manuel, The new world of Henri de Saint-Simon, Cambridge, Harvard University Press, 1956). Au fait, est-ce si mort que cela ?

[12] Il y a bien entendu d'autres modes de connaissance et il est fort possible que, comme le dit Novalis, le poète ait une meilleure intelligence de la nature que l'esprit scientifique. Ici l'enthousiasme remplace, à juste titre, l'argument.

[13] Ils sont abordés plus à loisir dans le chapitre II du volume 1 sur la théorie politique.

[14] Nous savons bien que nombre de philosophies la considèrent comme une entreprise naïve et impossible.

[15] Il peut en revanche être analysé comme objet et explicable par un observateur sociologue, psychologue ou historien. Mais ceci est précisément une « tout autre » histoire.

[16] Oui, nous savons qu'il y a plusieurs logiques et pas seulement celle d'Aristote, et aussi que ce qui est logique d'un point de vue ne l'est pas de l'autre, qu'il y a des logiques concurrentes et antagonistes, etc., mais la logique d'Humpty Dumpty qui peut changer à son gré la désignation d'une chose ou le sens d'un mot à l'aide de ce seul argument « la question est de savoir qui détient le pouvoir, c'est tout » ne nous convaincra jamais que « sa » logique est logique, même si elle lui réussit, à lui. L'infernale logique du père Ubu, celle de la terreur, ne résisterait pas cinq secondes à une discussion logique ; seulement les innombrables Ubu qui encombrent l'Olympe politique passé et présent n'ouvrent l'espace à la discussion qu'à leurs conditions, dans leurs termes, et surtout sous la menace de leurs armes.

[17] Bien entendu il est toujours possible que la connaissance de l'analyste soit utilisée à des fins pratiques. Le climat scientifique peut aussi devenir une idéologie implicite baignant les systèmes d'action. Tout ceci n'a rien en soi de monstrueux si est fermement maintenue la séparation de droit des catégories scientifiques et des catégories de la pratique. Ajoutons que le risque de contamination paraît faible en science politique (à la différence des sciences du comportement, de l'information, de la psychologie expérimentale de l'économie ou du management).

[18] Peter Berger, Pyramids qf sacrifice. Political ethics and social change, New York, Basic Books, 1974 (trad. franc., Les mystificateurs du progrès, Paris, puf, 1978).

[19] Georges Burdeau, La politique au pays des merveilles, Paris, puf, 1982.

[20] Nous ne prétendons nullement qu'il n'y a aucun moyen de trancher cette question et que tout ceci est affaire de goût, de simples préférences ou de rationalisations de positions sociales. Nous tenons seulement qu'elle ne peut se décider avec les seules armes de la méthode scientifique.

[21] « Les sciences poursuivent des buts extrêmement divers, chacune d'elles se fondant sur des aspects déterminés de l'expérience courante immédiate pour sublimer et élaborer le contenu de ce savoir non scientifique sous des points de vue totalement différents et entièrement autonomes. » Cette formulation weberienne, rappelée par Julien Freund dans son introduction aux Essais sur la théorie de la science (Paris, Plon, 1965, p. 107) nous paraît pleine de sens.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 1 avril 2022 19:04
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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